La Timide/Avertissement de l’auteur

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NOVEMBRE


LA TIMIDE (CONTE FANTASTIQUE)


PREMIÈRE PARTIE


Avertissement de l’Auteur.


Je demande pardon à mes lecteurs de leur donner cette fois un conte au lieu de mon « carnet » rédigé sous sa forme habituelle. Mais ce conte m’a occupé près d’un mois. En tout cas, je sollicite l’indulgence de mes lecteurs.

Ce conte, je l’ai qualifié de fantastique, bien que je le considère comme réel, au plus haut degré. Mais il a son côté fantastique, surtout dans la forme, et je désire m’expliquer à ce sujet.

Il ne s’agit ni d’une nouvelle, à proprement parler, ni de « mémoires ». Figurez-vous un mari qui se trouve chez lui, devant une table, sur laquelle repose le corps de sa femme suicidée. Elle s’est jetée par la fenêtre quelques heures auparavant.

Le mari est comme affolé. Il ne parvient pas à rassembler ses idées. Il va et vient par la chambre, cherchant à découvrir le sens de ce qui est arrivé.

De plus, c’est un hypocondriaque invétéré, de ceux qui causent avec eux-mêmes. Il parle donc à haute voix, se racontant le malheur, essayant de se l’expliquer. Il lui arrive d’être en contradiction avec lui-même dans ses idées et dans ses sentiments. Il s’innocente, il s’accuse, s’embrouille dans sa plaidoirie et son réquisitoire. Il s’adresse parfois à des auditeurs imaginaires. Peu à peu, il finit par comprendre. Toute une série de souvenirs qu’il évoque le conduit à la vérité.

Voilà le thème. Le récit est plein d’interruptions et de répétitions. Mais si un sténographe avait pu écrire à mesure qu’il parlait, le texte serait encore plus fruste, encore moins « arrangé » que celui que je vous présente. J’ai tâché de suivre ce qui m’a paru être l’ordre psychologique. C’est cette supposition d’un sténographe, notant toutes les paroles du malheureux, qui me paraît l’élément fantastique du conte. L’art ne repousse pas ce genre de procédés. Dans ce chef-d’œuvre, le Dernier jour d’un Condamné, Victor Hugo s’est servi d’un moyen analogue. Il n’a pas introduit de sténographe dans son livre, mais il a admis quelque chose plus invraisemblable, en présumant qu’un condamné à mort pouvait trouver le loisir d’écrire de quoi remplir un volume, le dernier jour de sa vie, que dis-je, à la dernière heure, — à la lettre, — au dernier moment. Mais s’il avait rejeté cette supposition, l’œuvre la plus réelle, la plus vécue de toutes celles qu’il a écrites, n’existerait pas.