La Théorie physique/SECONDE PARTIE/Chapitre VII

Chevalier & Rivière (p. 361-445).


CHAPITRE VII

LA LOI PHYSIQUE

§ I. — À quoi se réduisent les conditions imposées par la logique au choix des hypothèses.

Nous avons soigneusement analysé les diverses opérations par lesquelles se construit une théorie physique ; nous avons, en particulier, soumis à une sévère critique les règles qui permettent de comparer les conclusions de la théorie aux lois expérimentales ; il nous est loisible maintenant de revenir aux fondements mêmes de la théorie et, sachant ce qu’ils doivent porter, de dire ce qu’ils doivent être. Nous allons donc donner réponse à cette question : Quelles conditions la logique impose-t-elle au choix des hypothèses sur lesquelles doit reposer une théorie physique ?

D’ailleurs, les divers problèmes que nous avons examinés dans nos précédentes études, les solutions que nous en avons données, nous dictent, pour ainsi dire, cette réponse.

La logique exige-t-elle que nos hypothèses soient les conséquences de quelque système cosmologique ou, du moins, qu’elles s’accordent avec les conséquences d’un tel système ? Nullement. Nos théories physiques ne se piquent point d’être des explications ; nos hypothèses ne sont point, des suppositions sur la nature même des choses matérielles. Nos théories ont pour seul objet la condensation économique et la classification des lois expérimentales ; elles sont autonomes et indépendantes de tout système métaphysique. Les hypothèses sur lesquelles nous les bâtissons n’ont donc pas besoin d’emprunter leurs matériaux à telle ou telle doctrine philosophique ; elles ne se réclament point de l’autorité d’une École métaphysique et ne craignent rien de ses critiques.

La logique veut-elle que nos hypothèses soient simplement des lois expérimentales généralisées par induction ? La logique ne saurait avoir des exigences auxquelles il est impossible de satisfaire. Or, nous l’avons reconnu, il est impossible de construire une théorie par la méthode purement inductive. Newton et Ampère y ont échoué, et, cependant, ces deux génies s’étaient vantés de ne rien admettre dans leurs systèmes qui ne fût entièrement tiré de l’expérience. Nous ne répugnerons donc point à accueillir, au nombre des fondements sur lesquels reposera notre Physique, des postulats que l’expérience n’a pas fournis.

La logique nous impose-t-elle de ne point introduire nos hypothèses, si ce n’est une à une, et de soumettre chacune d’elles, avant de la déclarer recevable, à un contrôle minutieux qui en éprouve la solidité ? Ce serait encore une exigence absurde. Tout contrôle expérimental met en œuvre les parties les plus diverses de la Physique, fait appel à des hypothèses innombrables ; jamais il n’éprouve une hypothèse déterminée en l’isolant de toutes les autres ; la logique ne peut réclamer que l’on essaye à tour de rôle chacune des hypothèses que l’on compte employer, car un tel essai est impossible.

Quelles sont donc les conditions qui s’imposent logiquement au choix des hypothèses sur lesquelles doit reposer la théorie physique ? Ces conditions sont de trois sortes.

En premier lieu, une hypothèse ne sera pas une proposition contradictoire en soi, car le physicien entend ne pas énoncer des non-sens.

En second lieu, les diverses hypothèses qui doivent porter la Physique ne se contrediront pas les unes les autres ; la théorie physique, en effet, ne doit pas se résoudre en un amas de modèles disparates et incompatibles ; elle entend garder, avec un soin jaloux, l’unité logique, car une intuition que nous sommes impuissants à justifier, mais qu’il nous est impossible d’aveugler, nous montre qu’à cette condition seulement la théorie tendra à sa forme idéale, à la forme de classification naturelle.

En troisième lieu, les hypothèses seront choisies de telle manière que, de leur ensemble, la déduction mathématique puisse tirer des conséquences qui représentent, avec une approximation suffisante, l’ensemble des lois expérimentales. La représentation schématique, au moyen des symboles mathématiques, des lois établies par l’expérimentateur, est, en effet, le but propre de la théorie physique ; toute théorie dont une conséquence serait en contradiction manifeste avec une loi observée devrait être impitoyablement rejetée. Mais il n’est point possible de comparer une conséquence isolée de la théorie à une loi expérimentale isolée. Ce sont les deux systèmes pris dans leur intégrité, le système entier des représentations théoriques, d’une part, le système entier des données d’observation, d’autre part, qui doivent être comparés l’un à l’autre et dont la ressemblance doit être appréciée.


§ II. — Les hypothèses ne sont point le produit d’une création soudaine, mais le résultat d’une évolution progressive. — Exemple tiré de l’attraction universelle.

À ces trois conditions se réduisent les exigences imposées par la logique aux hypothèses qui doivent porter une théorie physique ; pourvu qu’il les respecte, le théoricien jouit d’une entière liberté ; il peut jeter comme bon lui semblera les fondations du système qu’il va construire.

Pareille liberté ne sera-t-elle pas la plus embarrassante de toutes les gênes ?

Eh quoi ! Devant les yeux du physicien s’étend à perte de vue la foule innombrable, la cohue désordonnée des lois expérimentales, que rien encore ne résume, ne classe et ne coordonne ; il lui faut formuler des principes dont les conséquences donneront une représentation simple, claire, ordonnée, de cet effrayant ensemble de données de l’observation ; mais avant de pouvoir apprécier si les conséquences de ses hypothèses atteignent leur objet, avant de pouvoir reconnaître si elles donnent des lois expérimentales une image ressemblante et une classification méthodique, il lui faut constituer le système entier de ses suppositions ; et lorsqu’il demande à la logique de le guider en cette difficile besogne, de lui désigner quelles hypothèses il doit choisir, quelles il doit rejeter, il reçoit cette simple prescription d’éviter la contradiction, prescription désespérante par l’extrême latitude qu’elle laisse à ses hésitations. L’homme peut-il user utilement d’une liberté à ce point illimitée ? Son intelligence est-elle assez puissante pour créer de toutes pièces une théorie physique ?

Assurément non. Aussi l’histoire nous montre-t-elle qu’aucune théorie physique n’a jamais été créée de toutes pièces. La formation de toute théorie physique a toujours procédé par une suite de retouches qui, graduellement, à partir des premières ébauches presque informes, ont conduit le système à des états plus achevés ; et, en chacune de ces retouches, la libre initiative du physicien a été conseillée, soutenue, guidée, parfois impérieusement commandée par les circonstances les plus diverses, par les opinions des hommes comme par les enseignements des faits. Une théorie physique n’est point le produit soudain d’une création ; elle est le résultat lent et progressif d’une évolution.

Lorsque quelques coups de bec brisent la coquille de l’œuf et que le poussin s’échappe de sa prison, l’enfant peut s’imaginer que cette masse rigide et immobile, semblable aux cailloux blancs qu’il ramasse au bord du ruisseau, a soudainement pris vie et produit l’oiseau qui court et piaille ; mais là où son imagination puérile voit une soudaine création, le naturaliste reconnaît la dernière phase d’un long développement ; il remonte, par la pensée, à la fusion première de deux microscopiques noyaux pour redescendre, ensuite, la série des divisions, des différenciations, des résorptions qui, cellule par cellule, ont construit le corps du jeune poulet.

Le profane vulgaire juge de la naissance des théories physiques comme l’enfant juge de l’éclosion du poulet. Il croit que cette fée à laquelle il donne le nom de Science a touché de sa baguette magique le front d’un homme de génie et que la théorie s’est aussitôt manifestée, vivante et achevée : telle Pallas Athena sortant tout armée du front de Zeus. Il pense qu’il a suffi à Newton de voir une pomme tomber dans un pré pour que, soudainement, les effets de la chute des graves, les mouvements de la Terre, de la Lune, des planètes et de leurs satellites, les voyages des comètes, le flux et le reflux de l’Océan, se vinssent résumer et classer en cette unique proposition : Deux corps quelconques s’attirent proportionnellement au produit de leurs masses et en raison inverse du carré de leur mutuelle distance.

Ceux qui ont de la nature et de l’histoire des théories physiques une vue plus profonde savent que, pour trouver le germe de cette doctrine de la gravitation universelle, il le faut chercher parmi les systèmes de la science hellène ; ils connaissent les lentes métamorphoses de ce germe au cours de son évolution millénaire ; ils énumèrent les apports de chaque siècle à l’œuvre qui recevra de Newton sa forme viable ; ils n’oublient point les hésitations et les tâtonnements par lesquels Newton même a passé avant de produire un système achevé ; et, à aucun moment, dans l’histoire de l’attraction universelle, ils n’aperçoivent un phénomène qui ressemble à une soudaine création ; un instant où l’esprit humain, soustrait à l’impulsion de tout mobile, étranger aux sollicitations des doctrines passées et aux contradictions des expériences présentes, aurait usé, pour formuler ses hypothèses, de toute la liberté que la logique lui concède.

Nous ne saurions exposer ici, avec quelque détail, l’histoire des efforts par lesquels l’humanité a préparé la mémorable découverte de l’attraction universelle ; un volume y suffirait à peine ; du moins voudrions-nous l’esquisser à grands traits, afin de montrer par quelles vicissitudes cette hypothèse fondamentale a passé avant de se formuler clairement.

Aussitôt que l’homme a songé à étudier le monde physique, une classe de phénomènes a dû, par sa généralité et son importance, solliciter son attention ; la pesanteur a dû être l’objet des premières méditations des physiciens.

Ne nous attardons point à rappeler ce que les philosophes de l’antique Hellade ont pu dire du grave et du léger ; prenons comme point de départ de l’histoire que nous voulons parcourir la Physique enseignée par Aristote ; d’ailleurs, de l’évolution, depuis longtemps ébauchée, mais que nous suivons seulement à partir de ce point, ne retenons que ce qui prépare la théorie newtonienne, en négligeant systématiquement tout ce qui ne tend point à ce but.

Pour Aristote, tous les corps sont des mixtes que composent, en proportions diverses, les quatre éléments, la terre, l’eau, l’air et le feu ; de ces quatre éléments, les trois premiers sont lourds ; la terre est plus lourde que l’eau, qui l’est plus que l’air ; le feu seul est léger ; les mixtes sont plus ou moins lourds ou légers selon la proportion des éléments qui les forment.

Qu’est-ce à dire ? Un corps lourd est un corps doué d’une telle forme substantielle qu’il se meut, de lui-même, vers un point mathématique, le centre de l’Univers, toutes les fois qu’il n’en est pas empêché ; et pour qu’il en soit empêché, il faut qu’il trouve au-dessous de lui soit un support solide, soit un fluide plus lourd que lui ; un fluide moins lourd n’empêcherait pas son mouvement, car le plus lourd tend à se placer au-dessous du moins lourd. Un corps léger est de même un corps dont la forme substantielle est telle que, de lui-même, il se meut en s’écartant du centre du Monde.

Si les corps sont doués de telles formes substantielles, c’est que chacun d’eux tend à occuper son lieu naturel, lieu d’autant plus rapproché du centre du Monde que le corps est plus riche en éléments lourds, d’autant plus éloigné de ce point que le mixte est plus imprégné d’éléments légers. La situation de chaque élément en son lieu naturel réaliserait dans le monde un ordre où chaque élément aurait atteint la perfection de sa forme ; si donc la forme substantielle de tout élément et de tout mixte a été douée de l’une de ces qualités que l’on nomme gravité ou légèreté, c’est afin que l’ordre du Monde retourne par un mouvement naturel à sa perfection toutes les fois qu’un mouvement violent l’a momentanément troublé. C’est, en particulier, cette tendance de tout grave vers son lieu naturel, vers le centre de l’univers, qui explique la rotondité de la terre, la sphéricité parfaite de la surface des mers ; Aristote, déjà, en a ébauché une démonstration mathématique qu’Adraste, que Pline l’Ancien, que Théon de Smyrne, que Simplicius, que saint Thomas d’Aquin et toute la Scolastique ont reproduite et développée. Ainsi, conformément au grand principe de la Métaphysique péripatéticienne, la cause efficiente du mouvement des graves en est, en même temps, la cause finale ; elle s’identifie non avec une attraction violente exercée par le centre de l’Univers, mais avec une tendance naturelle qu’éprouve chaque corps vers le lieu le plus favorable à sa propre conservation et à l’harmonieuse disposition du Monde.

Telles sont les hypothèses sur lesquelles repose la théorie de la pesanteur qu’Aristote formule, que les commentateurs de l’École d’Alexandrie, que les Arabes et les philosophes du moyen âge occidental développent et précisent, que Jules-César Scaliger expose avec ampleur[1], à laquelle Jean-Baptiste Benedetti donne une forme particulière nette[2], reprise par Galilée même en ses premiers écrits[3].

Cette doctrine, d’ailleurs, s’est précisée au cours des méditations des philosophes scolastiques. La pesanteur n’est point, en un corps, une tendance à se placer tout entier au centre de l’Univers, ce qui serait absurde, ni à y placer n’importe lequel de ses points ; en tout grave, il y a un point bien déterminé qui souhaite de s’unir au centre de l’Univers, et ce point est le centre de gravité du corps ; ce n’est point n’importe quel point de la Terre, mais le centre de gravité de toute la masse terrestre, qui doit se trouver au centre du Monde pour que la Terre demeure immobile. La gravité s’exerce entre deux points, ressemblant ainsi aux actions de pôle à pôle par lesquelles on a si longtemps représenté les propriétés des aimants.

Contenue en germe dans un passage de Simplicius, commentant le De Cœlo d’Aristote, cette doctrine est formulée avec ampleur, au milieu du xive siècle, par un des docteurs qui illustrent, à cette époque, l’École nominaliste de la Sorbonne, par Albert de Saxe ; après Albert de Saxe, et selon son enseignement, elle est adoptée et exposée par les plus puissants esprits de l’École, par Thimon le Juif, par Marsile d’Inghen, par Pierre d’Ailly, par Nipho[4].

Après avoir suggéré à Léonard de Vinci quelques-unes de ses pensées les plus originales[5], la doctrine d’Albert de Saxe prolonge bien au-delà du moyen âge sa puissante influence. Guido-Ubaldo del Monte la formule clairement[6] : « Lorsque nous disons qu’un grave désire par une propension naturelle se placer au centre de l’Univers, nous voulons exprimer que le propre centre de gravité de ce corps pesant désire s’unir au centre de l’Univers. » Cette doctrine d’Albert de Saxe règne encore, en plein xviie siècle, sur l’esprit de maint physicien. Elle inspire tous les raisonnements, bien étranges pour qui ne connaîtrait pas cette doctrine, par lesquels Fermat soutient sa proposition géostatique[7]. En 1636, Fermat écrit[8] à Roberval, qui conteste la légitimité de ses arguments : « La première objection consiste en ce que vous ne voulez pas accorder que le mitan d’une ligne, qui conjoint deux poids égaux descendant librement, s’aille unir au centre du Monde. En quoi certes il me semble que vous faites tort à la lumière naturelle et aux premiers principes. » Les propositions formulées par Albert de Saxe avaient fini par prendre rang au nombre des vérités évidentes de soi.

La révolution copernicaine, en ruinant le système géocentrique, renverse les bases mêmes sur lesquelles reposait cette théorie de la pesanteur.

Le corps lourd par excellence, la terre, ne tend plus à se placer au centre de l’Univers ; les physiciens doivent fonder sur des hypothèses nouvelles la théorie de la gravité ; quelles considérations vont leur suggérer ces hypothèses ? Des considérations d’analogie ; ils vont comparer la chute des graves vers la Terre au mouvement du fer vers l’aimant.

L’ordre veut qu’un corps homogène tende à conserver son intégrité ; les diverses parties de ce corps doivent donc être douées d’une telle forme substantielle qu’elles résistent à tout mouvement qui aurait pour effet de les séparer, qu’elles tendent à se réunir lorsque quelque violence les a disjointes. Le semblable attire donc son semblable. Voilà pourquoi l’aimant attire l’aimant.

Le fer, d’ailleurs, et ses minerais sont parents de l’aimant ; aussi, lorsqu’on les place au voisinage d’un aimant, la perfection de l’Univers veut qu’ils aillent se joindre à ce corps ; voilà pourquoi leur forme substantielle se trouve altérée au voisinage de l’aimant, pourquoi ils acquièrent la vertu magnétique, par laquelle ils se précipitent vers l’aimant.

Tel est, au sujet des actions magnétiques, l’enseignement unanime de l’Ecole péripatéticienne et, particulièrement, d’Averroës et de saint Thomas.

Au xiiie siècle, ces actions sont étudiées de plus près ; on constate que tout aimant possède deux pôles, que les pôles de noms contraires s’attirent, mais que les pôles de même nom se repoussent ; en 1269, Pierre de Maricourt, plus connu sous le nom de Petrus Peregrinus, donne de ces actions une description[9] qui est une merveille de clarté et de sagacité expérimentale.

Mais ces nouvelles découvertes ne font que confirmer, en la précisant, la doctrine péripatéticienne ; si l’on brise une pierre d’aimant, les deux faces de la cassure ont des pôles de noms contraires ; les formes substantielles des deux fragments sont telles que ces fragments marchent l’un vers l’autre et tendent à se ressouder. La vertu magnétique est donc telle qu’elle tende à conserver l’intégrité de l’aimant ou bien, lorsque cet aimant a été rompu, à reconstituer un aimant unique ayant ses pôles disposés comme l’aimant primitif[10].

La gravité a une raison d’être analogue. Les éléments terrestres sont doués d’une forme substantielle telle qu’ils restent unis à l’astre dont ils font partie et lui conservent la figure sphérique. Précurseur de Copernic, Léonard de Vinci proclame déjà[11] «comment la Terre n’est pas au milieu du cercle du Soleil, ni au milieu du Monde, mais est bien au milieu de ses éléments qui l’accompagnent et lui sont unis ». Toutes les parties de la Terre tendent au centre de gravité de la Terre, et, par là, est assurée la forme sphérique de la surface des eaux, forme dont la goutte de rosée donne l’image.

Copernic, au début du Ier livre de son traité sur les révolutions célestes[12], s’exprime presque dans les mêmes termes que Léonard de Vinci et se sert des mêmes comparaisons. « La Terre est sphérique, car toutes ses parties s’efforcent vers son centre de gravité. » L’eau et la terre y tendent toutes deux, ce qui donne à la surface des eaux la forme d’une portion de sphère ; la sphère serait parfaite si les eaux étaient en quantité suffisante. D’ailleurs, le Soleil, la Lune, les planètes ont aussi la forme sphérique qui, en chacun de ces corps célestes, doit s’expliquer comme elle s’explique en la Terre :

« Je pense[13] que la gravité n’est pas autre chose qu’une certaine appétence naturelle donnée aux parties de la Terre par la divine Providence de l’Architecte de l’Univers, afin qu’elles soient ramenées à leur unité et à leur intégrité en se réunissant sous la forme d’une sphère. Il est croyable que la même affection se trouve dans le Soleil, la Lune et les autres clartés errantes, afin que, par l’efficace de cette affection, elles persistent dans la rotondité sous laquelle elles se présentent à nous. »

Cette pesanteur est-elle une pesanteur universelle ? Une masse appartenant à un corps céleste est-elle sollicitée à la fois par le centre de gravité de ce corps et par les centres de gravité des autres astres ? Rien, dans les écrits de Copernic, n’indique qu’il ait admis une semblable tendance ; tout, dans les écrits de ses disciples, montre que la tendance vers le centre d’un astre est propre, à leur avis, aux parties de cet astre. En 1626, Mersenne résumait[14] leur enseignement, lorsqu’après avoir donné cette définition : « Le centre de l’Univers est ce point vers lequel tous les graves tendent en ligne droite et qui est le centre commun des graves », il ajoutait : « On le suppose, mais on ne peut le démontrer ; car il existe probablement un centre particulier de gravité en chacun des systèmes particuliers qui forment l’Univers ou, en d’autres termes, dans chacun des grands corps célestes. »

Mersenne, toutefois, émettait, au sujet de cet enseignement, un doute en faveur de l’hypothèse d’une gravité universelle ; un peu plus loin, en effet, il écrivait[15] : « Nous supposons que tous les graves désirent le centre du Monde, et se portent vers lui, en ligne droite, de mouvement naturel. C’est une proposition que presque tout le monde accorde, bien qu’elle ne soit nullement démontrée ; qui sait si les parties d’un astre, arrachées à cet astre, ne gravitent pas vers cet astre et n’y retournent pas, comme les pierres détachées de la Terre et portées en cet astre reviendraient vers la Terre ? Qui sait si des pierres terrestres, plus voisines de la Lune que de la Terre, ne descendraient pas vers la Lune plutôt que vers la Terre ? » En cette dernière phrase, Mersenne se montrait tenté, comme nous le verrons, de suivre plutôt la doctrine de Kepler que celle de Copernic.

Plus fidèlement et plus étroitement, Galilée tient pour la théorie copernicaine de la gravité particulière à chaque astre. Dès la première journée du célèbre Dialogue sur les deux systèmes du Monde , il professe, par la bouche de l’interlocuteur Salviati, que «les parties de la Terre se meuvent non pour aller au centre du Monde, mais pour se réunir à leur tout ; c’est pour cela qu’elles ont une inclination naturelle vers le centre du globe terrestre, inclination par laquelle elles conspirent à le former et à le conserver… »

« Comme les parties de la Terre conspirent toutes, d’un commun accord, à former leur tout, il en résulte qu’elles concourent de toute part avec une égale inclination ; et afin de s’unir entre elles le plus possible, elles prennent la figure sphérique. Dès lors, ne devons-nous pas croire que si la Lune, le Soleil et les autres grands corps qui composent le Monde sont également de figure ronde, ce n’est pas par une autre raison qu’un instinct concordant et qu’un concours naturel de toutes leurs parties ? De sorte que si l’une de ces parties se trouvait, par quelque violence, séparée de son tout, n’est-il pas raisonnable de croire qu’elle y retournerait spontanément et par instinct naturel ? »

Certes, entre une telle doctrine et la théorie d’Aristote, la divergence est profonde ; Aristote repoussait avec force la doctrine des anciens physiologues qui, comme Empédocle, voyaient dans la pesanteur une sympathie du semblable pour son semblable ; au IVe livre du De Cœlo, il affirmait que les graves tombent non pour s’unir à la Terre, mais pour s’unir au centre de l’Univers ; que si la Terre, arrachée de son lieu, se trouvait retenue en l’orbite de la Lune, les pierres tomberaient non sur la Terre, mais au centre du Monde.

Et cependant, de la doctrine d’Aristote, les Copernicains gardent tout ce qu’ils peuvent conserver ; pour eux, comme pour le Stagirite, la gravité est une tendance innée dans le corps grave, et non une attraction violente exercée par un corps étranger ; pour eux, comme pour le Stagirite, cette tendance désire un point mathématique, centre de la Terre ou centre de l’astre auquel appartient le corps étudié ; pour eux, comme pour le Stagirite, cette tendance de toutes les parties vers un point est la raison de la figure sphérique de chacun des corps célestes.

Galilée va plus loin encore et, au système copernicain, transporte la doctrine d’Albert de Saxe. Définissant, en son célèbre écrit : Della Scienza meccanica, le centre de gravité d’un corps, il dit : « C’est aussi ce point qui tend à s’unir au centre universel des choses graves, c’est-à-dire à celui de la Terre » ; et cette pensée le guide lorsqu’il formule ce principe : Un ensemble de corps pesants se trouve en équilibre lorsque le centre de gravité de cet ensemble se trouve le plus près possible du centre de la Terre.

La Physique copernicaine consistait donc essentiellement à nier la tendance de chaque élément vers son lieu naturel et à substituer à cette tendance la sympathie mutuelle des parties d’un même tout, cherchant à reconstituer ce tout. Vers le temps où Copernic invoquait cette sympathie pour expliquer la gravité particulière à chaque astre, Fracastor en formulait la théorie générale[16] : Lorsque deux parties d’un même tout se trouvent séparées l’une de l’autre, chacune d’elles envoie vers l’autre une émanation de sa forme substantielle, une species qui se propage dans l’espace intermédiaire ; par le contact de cette species, chacune des parties tend vers l’autre partie, afin qu’elles se réunissent en un seul tout ; ainsi s’expliquent les attractions mutuelles des semblables, dont la sympathie du fer pour l’aimant est le type.

À l’exemple de Fracastor, la plupart des médecins et la plupart des astrologues (il était bien rare qu’on ne fût pas à la fois l’un et l’autre) invoquaient volontiers de telles sympathies ; nous verrons, d’ailleurs, que le rôle des médecins et des astrologues ne fut pas de minime importance dans le développement de la doctrine de l’attraction universelle.

Nul n’a donné à cette doctrine des sympathies de plus amples développements que Guillaume Gilbert. Dans l’ouvrage, capital pour la théorie du magnétisme, par lequel il termine l’œuvre scientifique du xvie siècle, Gilbert exprime, au sujet de la gravité, des idées semblables à celles que Copernic avait émises : « Le mouvement simple et droit vers le bas considéré par les péripatéticiens, le mouvement du grave, dit-il[17], est un mouvement de réunion (coacervatio) des parties disjointes qui, à cause de la matière qui les forme, se dirigent en lignes droites vers le corps de la Terre, ces lignes menant au centre par le plus court chemin. Les mouvements dès parties magnétiques isolées de la Terre sont, outre le mouvement qui les réunit au tout, les mouvements qui les unissent entre elles, et ceux qui les font tourner et les dirigent vers le tout, en vue de la symphonie et de la concordance de la forme. » — « Ce mouvement rectiligne[18], qui n’est que l’inclination vers son principe, n’appartient pas seulement aux parties de la Terre, mais aussi aux parties du Soleil, à celles de la Lune, à celles des autres globes célestes. » Non point, d’ailleurs, que cette vertu attractive soit une gravité universelle ; c’est une vertu propre à chaque astre, comme le magnétisme Test à la Terre ou à l’aimant : » Donnons maintenant, dit Gilbert[19], la raison de cette coïtion et de ce mouvement qui émeut toute la nature… C’est une forme substantielle spéciale, particulière, appartenant aux globes primaires et principaux ; c’est une entité propre et une essence de leurs parties homogènes et non corrompues, que nous pouvons appeler forme primaire, radicale et astrale ; ce n’est pas la forme première d’Aristote, mais cette forme spéciale par laquelle le globe conserve et dispose ce qui lui est propre. Dans chacun des globes, dans le Soleil, dans la Lune, dans les astres, il y a une telle forme ; il y en a une aussi dans la Terre ; elle constitue cette véritable puissance magnétique que nous appelons la vigueur primaire. Il y a donc une nature magnétique qui est propre à la Terre, et qui, par une raison première et bien digne d’exciter notre étonnement, réside en chacune de ses parties véritables… Il y a dans la Terre une vigueur magnétique qui lui est propre, comme il y a une forme substantielle dans le Soleil et une dans la Lune ; la Lune dispose les fragments qui s’en détacheraient, d’une manière lunatique, d’accord avec sa forme et les limites qui lui sont imposées ; un fragment du Soleil se porte vers le Soleil, comme l’aimant à la Terre ou à un autre aimant, par son inclination naturelle et comme s’il était alléché. »

Ces pensées sont éparses dans le livre de Gilbert sur l’aimant ; amplement développées, elles prennent une importance dominante dans l’écrit sur le système du Monde qu’il avait composé et que son frère publia après sa mort[20]. L’idée maîtresse de cet écrit est condensée en ce passage[21] : « Tout ce qui est terrestre se réunit au globe de la Terre ; de même, tout ce qui est homogène au Soleil tend vers le Soleil, toutes les choses lunaires vers la Lune, et de même pour les autres corps qui forment l’Univers. Chacune des parties d’un tel corps adhère à son tout et elle ne s’en détache point spontanément ; si elle en a été arrachée, non seulement elle s’efforce d’y revenir, mais elle est appelée et alléchée par les vertus du globe. S’il n’en était pas ainsi, si les parties pouvaient se séparer spontanément, si elles ne revenaient point à leur principe, le monde entier serait bientôt dissipé et dans la confusion. Il ne s’agit point d’un appétit qui porte les parties vers un certain lieu, un certain espace, un certain terme, mais d’une tendance vers le corps, vers la source commune, vers la mère d’où elles sont issues, vers leur principe, où toutes ces parties se trouveront unies, conservées, et où elles demeureront en repos, sauves de tout péril. »

La philosophie aimantiste de Gilbert fit, parmi les physiciens, de nombreux adeptes ; contentons-nous de citer François Bacon[22], dont les opinions sont le reflet confus des doctrines de son savant contemporain, et venons de suite au véritable créateur de la gravitation universelle, à Kepler.

Tout en proclamant à maintes reprises son admiration pour Gilbert, tout en se déclarant en faveur de la philosophie aimantique, Kepler va en changer tous les principes ; il va remplacer les tendances des parties d’un astre vers le centre de cet astre par des attractions mutuelles de partie à partie ; il va proclamer que cette attraction découle d’une seule et même vertu, qu’il s’agisse de parties de la Lune ou de parties de la Terre ; il va laisser de côté toute considération relative aux causes finales qui rattachent cette vertu à la conservation de la forme de chaque astre ; il va, en un mot, frayer toutes les voies que suivra la doctrine de la gravité universelle.

Tout d’abord, Kepler dénie à tout point mathématique, aussi bien au centre de la Terre, considéré par Copernic, qu’au centre de l’Univers, considéré par Aristote, tout pouvoir attractif ou répulsif : « L’action du feu[23] consiste non à gagner la surface qui termine le Monde, mais à fuir le centre ; non pas le centre de l’Univers, mais le centre de la Terre ; et ce centre non pas en tant que point, mais en tant qu’il est au milieu d’un corps, lequel corps est très opposé à la nature du feu, qui désire se dilater ; je dirai plus, la flamme ne fuit pas, mais elle est chassée par l’air plus lourd, comme une vessie gonflée le serait par l’eau… Si l’on plaçait la Terre immobile en quelque lieu et qu’on approchât une Terre plus grande, la première deviendrait grave par rapport à la seconde et serait tirée par elle, comme la pierre est attirée par la Terre. La gravité n’est pas une action, c’est une passion de la pierre qui est tirée. »

« Un point mathématique[24], que ce soit le centre du Monde ou que ce soit un autre point, ne saurait mouvoir effectivement les graves ; il ne saurait non plus être l’objet vers lequel ils tendent. Que les physiciens prouvent donc qu’une telle force peut appartenir à un point, qui n’est pas un corps, et qui n’est conçu que d’une manière toute relative ! »

« Il est impossible que la forme substantielle de la pierre, mettant en mouvement le corps de cette pierre, cherche un point mathématique, le centre du Monde, par exemple, sans souci du corps dans lequel se trouve ce point. Que les physiciens démontrent donc que les choses naturelles ont de la sympathie pour ce qui n’existe pas ! »

« …Voici la vraie doctrine de la gravité : La gravité est une affection mutuelle entre corps parents, qui tend à les unir et à les conjoindre ; la faculté magnétique est une propriété du même ordre ; c’est la Terre qui attire la pierre, bien plutôt que la pierre ne tend vers la Terre. Même si nous placions le centre de la Terre au centre du Monde, ce n’est pas vers ce centre du Monde que les graves se porteraient, mais vers le centre du corps rond auquel ils sont apparentés, c’est-à-dire vers le centre de la Terre. Aussi, en quelque lieu que l’on transporte la Terre, c’est toujours vers elle que les graves seront portés, grâce à la faculté qui l’anime. Si la Terre n’était point ronde, les graves ne seraient pas, de toute part, portés droitement au centre de la Terre ; mais, selon qu’ils viendraient d’une place ou d’une autre, ils se porteraient vers des points différents. Si, en un certain lieu du Monde, on plaçait deux pierres, proches l’une de l’autre et hors de la sphère de vertu de tout corps qui leur soit apparenté, ces pierres, à la manière de deux aimants, viendraient se joindre en un lieu intermédiaire, et les chemins qu’elles feraient pour se rejoindre seraient en raison inverse de leurs masses. »

Cette vraie doctrine de la gravité se répandit bientôt en Europe et trouva faveur auprès de maint géomètre. Dès 1626, Mersenne y faisait allusion dans son Synopsis mathematica. Le 16 août 1636, Etienne Pascal et Roberval écrivent à Fermat une lettre[25] dont le principal objet est de contester l’antique principe d’Albert de Saxe, jalousement gardé par le géomètre toulousain, « que si deux poids égaux sont joints par une ligne droite, ferme et sans poids, et, qu’étant ainsi disposés, ils puissent descendre librement, ils ne reposeront jamais jusqu’à ce que le milieu de la ligne (qui est le centre de pesanteur des anciens) s’unisse au centre commun des choses pesantes ». À ce principe, ils objectent ceci : « Il peut se faire aussi et il est fort vraisemblable que la gravité est une attraction mutuelle ou un désir naturel que les corps ont de s’unir ensemble, comme il est clair au fer et à l’aimant, lesquels sont tels que, si l’aimant est arrêté, le fer n’étant point empêché l’ira trouver ; si le fer est arrêté, l’aimant ira vers lui ; et si tous deux sont libres, ils s’approcheront réciproquement, en sorte toutefois que le plus fort des deux fera le moins de chemin. »

Les corps qui sont sur la Terre n’ont-ils point d’autre faculté magnétique que celle qui les ramène au sol d’où ils ont été tirés et qui constitue leur gravité ?

Le mouvement qui enfle les eaux de la mer et produit le flux suit si exactement le passage de la Lune au méridien que l’on dut regarder la Lune comme la cause de ce phénomène, aussitôt que les lois en eurent été reconnues avec quelque exactitude ; les observations[26] d’Eratosthène, de Seleucus, d’Hipparque et, surtout, de Posidonius assurèrent aux philosophes antiques une connaissance de ces lois assez complète pour que Cicéron, Pline l’Ancien, Strabon et Ptolémée n’aient pas hésité à affirmer que le phénomène des marées dépendait du cours de la Lune. Mais cette dépendance se trouva surtout établie par la description détaillée des diverses vicissitudes du flux que l’astronome arabe Albumasar donna, au ixe siècle, dans son Introductorium magnum ad Astronomiam.

La Lune détermine donc le gonflement des eaux de l’Océan ; mais de quelle manière le détermine-t-elle ?

Ptolémée, Albumasar, n’hésitent pas à invoquer une vertu particulière, une influence spéciale de la Lune sur les eaux de la mer. Une telle explication n’était point pour plaire aux vrais disciples d’Aristote ; quoi qu’on ait dit à cet égard, les fidèles péripatéticiens, qu’ils fussent Arabes ou maîtres de la Scolastique occidentale, répugnaient fort aux explications où l’on invoquait des puissanccs occultes, inaccessibles aux sens ; l’action de l’aimant sur le fer était à peu près la seule de ces vertus mystérieuses qu’ils consentissent à accueillir ; ils n’admettaient point que les astres pussent exercer quelque influence qui ne découlât de leur mouvement ou de leur lumière. C’est donc à la lumière de la Lune, à la chaleur que cette lumière peut engendrer, aux courants que cette chaleur peut déterminer dans l’atmosphère, à l’ébullition qu’elle peut produire au sein des eaux marines qu’Avicenne, Averroës, Robert Grosse-Teste, Albert le Grand, Roger Racon, demandent l’explication du flux et du reflux.

Explication bien caduque et que ruinaient d’avance de trop palpables objections. Déjà Albumasar avait observé que la lumière de la Lune n’était pour rien dans le flux de l’Océan, puisque ce flux se produit aussi bien en la nouvelle Lune qu’en la pleine Lune, puisqu’il a lieu également que la Lune soit au zénith ou au nadir. L’explication, quelque peu puérile, que Robert Grosse-Teste avait proposée pour lever cette dernière objection, ne pouvait, malgré le suffrage enthousiaste de Roger Bacon, ruiner l’argumentation d’Albumasar. Dès le xiiie siècle, les meilleurs parmi les Scolastiques, saint Thomas d’Aquin entre autres, admettaient la possibilité d’influences astrales distinctes de la lumière ; dès ce moment, Guillaume d’Auvergne, en son écrit De Universo, comparait l’action de la Lune sur les eaux de la mer à l’action de l’aimant sur le fer.

La théorie aimantique des marées est connue des grands physiciens qui, au milieu du xive siècle siècle, illustrent l’École nominaliste de la Sorbonne ; Albert de Saxe, Thimon le Juif, l’exposent en leurs Questions sur le De Cœlo et sur les Météores d’Aristote ; mais ils hésitent à lui accorder pleine et entière adhésion ; ils connaissent trop bien la valeur des objections d’Albumasar pour acquiescer sans réserve aux explications d’Albert le Grand et de Roger Bacon ; et cependant, cette attraction magnétique occulte exercée par la Lune sur les eaux marines contrarie leur rationalisme de péripatéticiens.

La vertu que les marées manifestent était bien faite, au contraire, pour plaire aux astrologues ; ils y trouvaient la preuve indéniable des influences que les astres exercent sur les choses sublunaires. Cette hypothèse n’était pas moins en faveur auprès des médecins ; ils comparaient le rôle que les astres jouent dans le phénomène des marées à celui qu’ils leur attribuaient dans les crises des maladies ; Galien ne rattachait-il pas aux phases de la Lune les jours critiques des maladies pituitaires ?

À la fin du xve siècle, Jean Pic de La Mirandole reprend avec intransigeance la thèse péripatéticienne d’Avicenne et d’Averroës[27] ; il dénie aux astres tout pouvoir d’agir ici-bas autrement que par leur lumière ; il rejette comme illusoire toute Astrologie judiciaire ; il repousse la doctrine médicale des jours critiques ; et, en même temps, il déclare erronée la théorie aimantique des marées.

Le défi jeté aux astrologues et aux médecins par Jean Pic de La Mirandole est aussitôt relevé par un médecin de Sienne, Lucius Bellantius, en un écrit[28] dont les éditions se succèdent incessamment ; au IIIe livre de cet ouvrage, l’auteur, examinant ce que Pic de La Mirandole avait dit des marées, écrit ces lignes : « Les rayons par lesquels la Lune agit, principalement lorsqu’elle attire et gonfle les eaux de la mer, ne sont pas les rayons de la lumière lunaire ; car, au moment des conjonctions, il n’y aurait pas de flux et de reflux, alors que nous les pouvons constater ; ce sont des rayons virtuels par lesquels la Lune attire la mer comme l’aimant attire le fer. À l’aide de ces rayons, on résout facilement tout ce que l’on peut objecter sur cette matière. »

Le livre de Lucius Bellantius fut sans doute, pour la théorie aimantique des marées, le signal d’un redoublement de faveur ; dès le milieu du xvie siècle, cette théorie est très communément acceptée.

Cardan[29] classe au nombre des sept mouvements simples : « …derechef, un autre naturel qui est fait par quelque obédience des choses, comme de l’eau pour cause de la Lune, comme du fer pour cause de l’aimant, dite pierre d’Hercules. »

Jules-César Scaliger adopte[30]la même opinion : « Le fer, dit-il, est mu par l’aimant sans être à son contact ; pourquoi la mer ne suivrait-elle pas de même le corps d’un astre très noble ? »

Duret mentionne[31], sans d’ailleurs l’adopter, l’opinion de Lucius Bellantius : « Cest aucteur asseure que la Lune attire les eaux de la mer, non par les rayons de sa lumière, mais par la vertu et puissance de certaines siennes propriétés occultes ; ainsi comme l’aymant faict le fer. »

Gilbert, enfin, professe[32] que « la Lune n’agit point sur la mer par ses rayons, par sa lumière. Comment donc agit-elle ? Par la conspiration des deux corps, et, pour expliquer ma pensée à l’aide d’une analogie, par attraction magnétique. »

Cette action de la Lune sur les eaux de la mer appartient, d’ailleurs, à ces tendances sympathiques du semblable vers le semblable, auxquelles les Coperniciens ont demandé la raison d’être de la gravité. Tout corps a une forme substantielle telle qu’il tend à s’unir à un autre corps de même nature ; il est donc naturel que l’eau de la mer s’efforce de rejoindre la Lune qui, pour les astrologues comme pour les médecins, est l’astre humide par excellence.

Ptolémée, dans son Opus quadripartitum, Albumasar, dans son Introdiictorium magnum attribuent à Saturne la propriété d’engendrer le froid ; à Jupiter, le tempéré ; à Mars, la chaleur ardente ; à la Lune, l’humidité ; son action sur les eaux de la mer est donc une sympathie entre deux corps de même famille, une cognata virtus, comme dit l’auteur arabe.

Ces doctrines sont conservées par les médecins et les astrologues du moyen âge et de la Renaissance : « On ne saurait douter, dit Cardan[33], de l’influence exercée par les astres ; c’est une action occulte qui régit toutes les choses périssables ; et cependant certains esprits malhonnêtes et ambitieux, bien plus impies qu’Erostrate, osent la nier… Ne voyons-nous pas que, même parmi les substances terrestres, il en est, comme l’aimant, dont les qualités exercent des actions manifestes ?… Pourquoi refuserions-nous de telles actions au Ciel, corps éternel et très noble ?… Par sa grandeur, par la quantité de lumière qu’il répand, le Soleil est le principal dominateur de toutes choses. La Lune vient après, pour les mêmes raisons, car elle nous paraît le plus grand astre après le Soleil, bien qu’il n’en soit pas réellement ainsi. Elle domine surtout les choses humides, les poissons, les eaux, les moelles et le cerveau des animaux ; et, parmi les racines, l’ail et l’oignon qui renferment surtout de l’humide. »

Kepler même, qui s’élève avec tant de force contre les prétentions injustifiées de l’Astrologie judiciaire, ne craint pas d’écrire[34] : « L’expérience prouve que tout ce qui contient de l’humidité se gonfle quand la Lune croît et s’affaisse quand la Lune décroît. »

Kepler se vante[35] d’être le premier qui ait renversé cette opinion selon laquelle le flux serait l’effort des eaux de la mer pour s’unir aux humeurs de la Lune. « Autant le flux et le reflux de la mer sont choses certaines, autant il est certain que l’humidité lunaire est étrangère à la cause de ce phénomène. Je suis le premier, que je sache, à avoir dévoilé, dans mes prolégomènes aux Commentaires sur les mouvements de Mars, le procédé par lequel la Lune cause le flux et le reflux de la mer. Il consiste en ceci : La Lune agit non comme astre humide ou humectant, mais comme masse apparentée à la masse de la Terre ; elle attire les eaux de la mer par une action magnétique, non parce qu’elles sont des humeurs, mais parce qu’elles sont douées de la substance terrestre, substance à laquelle elles doivent également leur gravité. »

Le flux est bien une tendance du semblable à s’unir à son semblable ; mais les corps qui tendent à s’unir se ressemblent non en ce qu’ils participent tous deux de la nature de l’eau, mais en ce qu’il participent tous deux de la nature des masses qui composent notre globe. Aussi l’attraction de la Lune ne s’exerce-t-elle pas seulement sur les eaux qui recouvrent la Terre, mais encore sur les parties solides et sur la Terre tout entière ; et, réciproquement, la Terre exerce une attraction magnétique sur les graves lunaires. « Si la Lune et la Terre[36] n’étaient point retenues, par une force animale ou par quelque force équivalente, chacune en son orbite, la Terre monterait vers la Lune et la Lune descendrait vers la Terre jusqu’à ce que ces deux astres se joignissent. Si la Terre cessait d’attirer à elle les eaux qui la recouvrent, les ondes marines s’élèveraient toutes et s’écouleraient vers le corps de la Lune. »

Ces opinions ont séduit plus d’un physicien ; le 1er septembre 1631, Mersenne écrivait[37] à Jean Rey : « Je ne doubte nullement que les pierres qu’un homme jetterait en haut estant sur la Lune, ne retombassent sur la dite Lune, bien qu’il eust la teste de nostre costé ; car elles retombent à Terre, parce qu’elles en sont plus proches que des autres systèmes. » Mais Jean Rey n’accueille point favorablement cette manière de voir, empruntée à Kepler ; le premier de l’an 1632, il répond[38] à Mersenne : « Vous ne doubtez nullement, dites vous, que les pierres qu’un homme jetterait en haut estant sur la Lune, ne retombassent sur ladite Lune, bien qu’il eust la teste de nostre costé. Je ne vois pas que cela me choque en rien ; si faut il que je vous dise franchement, que je croi tout le contraire ; car je présuppose que vous entendés parler des pierres prinses d’ici (peut-être aussi ne s’en trouverait il pas dans la Lune). Or, telles pierres n’ont point d’autre inclination que de se porter à leur centre, qui est celui de la Terre ; elles viendront vers nous avecques l’homme qui les jetteroit, s’il estoit de nos conterranés, justifiant en cela la vérité de ce dire : Nescio qua natale solum dulcedine cunctos allicit. Et s’il arrivait qu’elle fussent attirées par la Lune, comme par un aimant (de quoi vous devez aussi bien doubter que de la Terre), voilà en ce cas la Terre et la Lune, douées d’une mesme faculté aimantine, attirantes un mesme corps, et convenantes en iceluy dont il faudra qu’elles conviennent entre elles, qu’elles s’attirent mutuellement, ou, pour mieux parler, qu’elles concourent et se joignent ensemble, comme je vois s’approcher et se joindre deux boules d’aimant que je mets en nage dans un bassin plein d’eau. Car d’objecter la trop grande distance, il n’y a point lieu : les influences que la Lune jette sur la Terre, et celles que la Terre doibt jetter sur la Lune, puisqu’elle lui sert de Lune selon vostre advis, nous font voir clairement qu’elles sont dans la sphère de l’activité l’une de l’autre. »

C’est cependant l’objection qu’émet Descartes ; questionné par Mersenne sur le point de « sçavoir si un corps pèse plus ou moins, estant proche du centre de la Terre qu’en estant éloigné », il invoque[39] cet argument, bien propre à prouver que les corps éloignés de la Terre pèsent moins que ceux qui en sont proches : « Les planètes qui n’ont pas en soy de lumière, comme la Lune, Vénus, Mercure, etc., estant, comme il est probable, des cors de mesme matière que la Terre…, il semble que ces planètes devraient donc estre pesantes et tomber vers la Terre, si ce n’estoit que leur grand éloignement leur en oste l’inclination. »

Malgré les difficultés que rencontraient les physiciens, en la première partie du xviie siècle, à expliquer comment la gravité mutuelle de la Terre et de la Lune ne les fait pas choir l’une vers l’autre, la croyance en une telle gravité allait se répandant et se fortifiant de plus en plus. Descartes, nous l’avons vu, pensait qu’une semblable gravité pouvait exister entre la Terre et les autres planètes, comme Vénus et Mercure. François Bacon avait poussé plus loin ; il avait imaginé que le Soleil pouvait exercer sur les diverses planètes une action de même nature. Au Novum Organum[40], l’illustre chancelier met dans une catégorie spéciale « le mouvement magnétique qui, appartenant à la classe des mouvements d’agrégation mineure, mais opérant quelquefois à de grandes distances et sur des masses considérables, mérite à ce titre une investigation spéciale, surtout quand il ne commence pas par un contact, comme la plupart des autres mouvements d’agrégation, et se borne à élever les corps ou à les entier, sans rien produire de plus. S’il est vrai que la Lune attire les eaux et que, sous son influence, la nature voie se gonfler les masses humides… ; si le Soleil enchaîne les astres de Vénus et de Mercure et ne leur permet pas de s’éloigner au-delà d’une certaine distance, il semble bien que ces mouvements n’appartiennent ni à l’espèce de l’agrégation majeure, ni à l’espèce de l’agrégation mineure, mais que, tendant à une agrégation moyenne et imparfaite, ils doivent constituer une espèce à part. »

L’hypothèse que le Soleil pût exercer sur les planètes une action analogue à celle que la Terre et les planètes exercent chacune sur ses propres parties, voire à celle que la Terre et les planètes peuvent échanger entre elles, devait paraître une supposition bien osée ; elle impliquait, en effet, qu’il existât une analogie de nature entre le Soleil et les planètes, et maint physicien devait se refuser à ce postulat ; nous trouvons dans les écrits de Gassendi le témoignage de la répugnance que plus d’un esprit éprouvait à l’admettre. Voici en quelles circonstances se manifesta cette répugnance de Gassendi :

Les Copernicains, qui avaient si volontiers attribué la gravité à une sympathie mutuelle des corps terrestres, qui avaient invoqué une sympathie analogue entre les diverses parties d’un même astre pour expliquer la forme sphérique de cet astre, se refusaient, en général, à reconnaître l’attraction aimantique exercée par la Lune sur les eaux de la mer. Ils tenaient pour une tout autre théorie des marées, dont la source se trouvait à l’origine de leur système et qui leur en semblait être une preuve particulièrement convaincante.

En 1544, paraissaient à Bâle les œuvres de Caelio Calcagnini[41] ; l’auteur était mort trois ans auparavant, au moment même où Joachim Rethicus, dans sa Narratio prima, faisait connaître le système de Copernic, avant que le grand astronome polonais n’eût fait imprimer ses De revolutionibus orbium cœlestium libri sex. Les œuvres de Calcagnini renfermaient une dissertation, déjà ancienne[42], intitulée : Quod Cœlum stet, Terra vero moveatur, vel de perenni motu Terræ. Sans admettre encore le mouvement annuel de la Terre autour du Soleil, ce précurseur de Copernic attribuait déjà le mouvement diurne des astres à la rotation de la Terre. En cette dissertation, se lisait le passage suivant[43] : « Nécessairement, plus une chose se trouve loin du centre, plus elle se meut rapidement. Par là se trouve résolue une difficulté immense, objet de recherches longues et nombreuses et qui, dit-on, désespéra Aristote jusqu’à causer sa mort. Il s’agit de la cause qui produit, à des intervalles de temps parfaitement fixes, cette remarquable oscillation de la Mer… La difficulté se résout sans peine si l’on tient compte des impulsions en sens contraire qui animent la Terre, tantôt faisant descendre une partie, tantôt la relevant, ce qui tantôt produit une dépression des eaux, tantôt les projette vers le haut. »

Galilée devait reprendre, préciser, détailler cette théorie qui essaye d’expliquer le flux et le reflux de l’Océan par les actions qu’engendre la rotation de la Terre.

L’explication était insoutenable, car elle voulait que l’intervalle de deux marées hautes fût égal à la moitié d’un jour sidéral, tandis que les observations les plus obvies montrent qu’il est égal à une demi-journée lunaire ; Galilée, cependant, persistait à donner cette explication pour une des meilleures preuves du mouvement de la Terre, et ceux qui admettaient avec lui la réalité de ce mouvement répétaient volontiers cet argument ; tel Gassendi dans l’écrit : De motu impresso a motore translata, qu’il publia à Paris en 1641.

Naturellement, les adversaires des Copernicains tenaient pour l’explication des marées par l’attraction lunaire, explication qui n’impliquait point la rotation terrestre.

Parmi les plus bouillants adversaires du système de Copernic, il faut citer Morin, qui employait une égale ardeur à restaurer l’Astrologie judiciaire et à tirer des horoscopes. À l’écrit de Gassendi, où il croit voir une attaque personnelle, Morin riposte par un libelle intitulé : Alæ telliiris fractæ ; à la théorie de Galilée, il oppose en cet écrit la théorie aimantique des marées.

La différence de niveau entre la haute mer et la basse mer est très grande à l’époque de la pleine lune ou de la nouvelle lune ; elle est beaucoup plus faible lorsque la lune est au premier ou au dernier quartier. Cette alternance des vives-eaux et des mortes-eaux avait fort embarrassé jusque-là les philosophes aimantiques.

Morin en donne une explication qu’il tire, dit-il, des principes de l’Astrologie ; cette alternance s’explique par le concours du Soleil et de la Lune ; dans leurs conjonctions comme dans leurs oppositions, leurs forces sont dirigées suivant une même droite passant par la Terre, et c’est « un axiome vulgaire que les vertus unies sont plus fortes que les vertus dispersées ».

Morin se réclamait, pour affirmer le rôle joué par le Soleil dans les variations de marée, des principes de l’Astrologie judiciaire ; et c’est, en effet, l’honneur incontestable des astrologues d’avoir préparé de toutes pièces la théorie newtonienne des marées, tandis que les défenseurs des méthodes scientifiques rationnelles, péripatéticiens, copernicains, atomistes, cartésiens, en ont à l’envi combattu l’avènement.

Les principes invoqués par Morin étaient, d’ailleurs, fort anciens ; déjà Ptolémée, dans son Opus quadripartitum, admettait que la position du Soleil par rapport à la Lune pouvait soit fortifier, soit affaiblir les influences de cet astre ; et cette opinion s’était transmise de génération en génération, jusqu’à Gaspard Contarini qui enseignait que « le Soleil exerce quelque action propre à soulever ou à apaiser les eaux de la mer[44]  » ; jusqu’à Duret[45], selon qui « c’est chose tout apparente que le Soleil et la Lune besognent puissamment en cette émotion et agitation des vages de la mer » ; jusqu’à Gilbert[46], qui appelait au secours de la Lune « les troupes auxiliaires du Soleil », qui déclarait le Soleil capable « d’accroître les puissances lunaires au moment de la nouvelle lune et de la pleine lune ».

Fidèles à leur rationalisme, les péripatéticiens de l’Ecole s’efforçaient d’expliquer l’alternance des vives-eaux et des mortes-eaux sans attribuer au Soleil aucune vertu occulte. Albert le Grand prétendait[47] invoquer seulement la variation de la lumière reçue du Soleil par la Lune selon la position relative de ces deux astres. En un essai d’explication rationnelle du même genre, Thilmon le Juif[48] entrevoyait, du moins, une grande vérité, car il admettait la coexistence de deux marées, une marée lunaire et une marée solaire ; il attribuait la première à une génération d’eau causée par le froid de la Lune, la seconde à une ébullition causée par la chaleur du Soleil.

Mais c’est aux médecins et aux astrologues du xvie siècle qu’il faut attribuer l’idée précise et féconde de décomposer la marée totale en deux marées de même nature, bien que d’inégale intensité, l’une produite par la Lune et l’autre par le Soleil, et d’expliquer les diverses vicissitudes du flux et du reflux par l’accord ou le désaccord de ces deux marées.

Cette idée est formellement énoncée[49] dès 1528 par un noble Dalmate, Frédéric Grisogone de Zara, qu’Annibal Raimondo nous présente comme un « grand médecin, philosophe et astrologue ».

Dans un ouvrage consacré aux jours critiques des maladies, il pose ce principe : « Le Soleil et la Lune tirent vers eux l’enflure de la mer, de telle sorte que, perpendiculairement au-dessous de chacun d’eux, se trouve l’enflure maximum ; il y a donc, pour chacun d’eux, deux maxima d’enflure, l’un au-dessous de l’astre, et l’autre en la partie opposée, que l’on nomme le nadir de cet astre. » Et Frédéric Grisogone circonscrit à la sphère terrestre deux ellipsoïdes de révolution, l’un dont le grand axe s’oriente vers le Soleil, l’autre dont le grand axe se dirige vers la Lune ; chacun de ces deux ellipsoïdes représente la forme que prendrait la mer si elle était soumise à l’action d’un seul astre ; en les composant, on expliquera les diverses particularités de la marée.

La théorie de Frédéric Grisogone le Zaratin ne tarde pas à se répandre. En 1557, l’illustre mathématicien, médecin et astrologue Jérôme Cardan l’expose sommairement[50]. Vers le même temps, Federico Delfino enseigne à Padoue une théorie des marées qui dérive du même principe[51]. Trente ans plus tard, Paolo Gallucci reproduit la théorie de Frédéric Grisogone[52], tandis qu’Annibale Raimondo[53] expose et commente les deux doctrines de Grisogone et de Delfino. Enfin, au moment où s’achève le xvie siècle, Claude Duret reproduit[54] impudemment sous son nom la doctrine de Delfino.

L’hypothèse d’une action du Soleil sur les eaux de la mer, action toute semblable à celle qu’exerce la Lune, avait déjà fait ses preuves, elle avait déjà fourni une théorie très satisfaisante du flux et du reflux, lorsque Morin se prit à l’invoquer dans son libelle contre Gassendi.

Gassendi s’élève avec force contre la vertu magnétique par laquelle la Lune attirerait les eaux terrestres ; mais plus violemment encore il repousse[55] l’hypothèse nouvelle formulée par Morin : « Habituellement, l’humidité est tenue pour l’effet propre de la Lune, et il appartient au Soleil non de promouvoir cet effet, mais de l’arrêter. Mais il plaît à Morin que le Soleil seconde l’action de la Lune ; il déclare que les actions du Soleil et de la Lune se corroborent l’une et l’autre ; il suppose donc que les actions du Soleil et celles de la Lune sont de même condition ou, comme l’on dit, de même nature spécifique ; en ce qui concerne le phénomène qui nous occupe, si l’action de la Lune attire les eaux, il en doit être de même de l’action du Soleil. »

En cette année 1643, où Gassendi déclarait insolite l’hypothèse que la Lune et le Soleil pussent exercer des attractions analogues, cette hypothèse était de nouveau formulée, mais généralisée et amplifiée jusqu’à la supposition d’une gravité universelle. Cette supposition grandiose était due à Roberval qui, n’osant la présenter trop ouvertement sous son nom, se donnait seulement pour l’éditeur et l’annotateur d’un écrit[56] qu’il disait composé par Aristarque de Samos.

« À toute la matière fluide qui remplit l’espace compris entre les astres et à chacune de ses parties, affirmait Roberval, une certaine propriété ou un certain accident est inhérent ; par la force de cette propriété, cette matière se trouve réunie en un seul et même corps continu, dont toutes les parties, par un effort incessant, se portent les unes vers les autres, et s’attirent réciproquement, au point d’être étroitement cohérentes et de ne pouvoir être séparées que par une force plus grande. Cela posé, si cette matière était seule, si elle n’était pas jointe au Soleil ou à d’autres corps, elle se concentrerait en un globe parfait, elle prendrait exactement la figure d’une sphère, et ne pourrait jamais demeurer en équilibre qu’elle n’eût pris cette figure. En cette figure, le centre d’action coïnciderait avec le centre de forme ; vers ce centre tendraient toutes les parties de la matière, par leur propre effort ou appétit et par l’attraction réciproque du tout ; ce ne serait point, comme le pensent les ignorants, par la vertu du centre même, mais par la vertu de tout le

système, dont les parties sont également disposées autour de ce centre… »

« Au système entier de la Terre et des éléments terrestres, et à chacune des parties de ce système est inhérent un certain accident ou une certaine propriété semblable à la propriété que nous avons attribuée au système du Monde pris dans son entier ; par la force de cette propriété, toutes les parties de ce système se réunissent en une seule masse, se portent l’une vers l’autre et s’attirent mutuellement ; elles sont étroitement cohérentes et ne peuvent être séparées par une force plus grande. Mais les diverses parties des corps terrestres participent inégalement à cette propriété ou à cet accident ; car une partie participe de cet accident ou de cette propriété d’autant plus qu’elle est plus dense… Dans les trois corps appelés terre, eau et air, cette propriété est ce que nous nommons habituellement la gravité ou la légèreté ; car pour nous, la légèreté n’est qu’une gravité moindre comparée à une gravité plus grande. »

Roberval répète des considérations semblables au sujet du Soleil et des autres corps célestes, en sorte que cent ans exactement après la publication des six livres de Copernic sur les Révolutions célestes, l’hypothèse de la gravité universelle était formulée. Une lacune, cependant, rendait encore cette hypothèse incomplète : Suivant quelle loi l’attraction mutuelle de deux parties matérielles s’atténue-t-elle lorsque vient à croître la distance de ces deux corps ? Aucune réponse n’était donnée par Roberval à cette question. Mais cette réponse ne pouvait tarder à être formulée ; ou, pour mieux dire, si elle n’était point encore formulée, c’est qu’elle n’était douteuse pour personne.

L’analogie entre les actions émanées des astres et la lumière émise par eux était, pour les physiciens et les astrologues du moyen âge et de la Renaissance, un véritable lieu commun ; la plupart des péripatéticiens de l’École poussaient cette analogie jusqu’à en faire un lien indissoluble ou une identité. Scaliger était déjà, obligé de s’élever[57] contre cet excès. « Les astres, dit-il, peuvent agir sans l’aide de la lumière ; l’aimant agit bien sans lumière ; combien plus magnifiquement agiront les astres ! »

Identiques ou non à la lumière, toutes les vertus, toutes les species de sa forme substantielle qu’un corps émet autour de lui dans l’espace doivent se propager ou, comme l’on disait au moyen âge, se multiplier selon les mêmes lois. Dès le xiie siècle, Roger Bacon[58] a entrepris de donner une théorie générale de cette propagation ; en tout milieu homogène, elle se fait suivant des rayons rectilignes[59] et, pour user de l’expression moderne, par ondes sphériques ; s’il eût été aussi bon géomètre qu’il demandait aux physiciens de l’être, Bacon eût aisément tiré de ses raisonnements[60] cette conclusion : La force d’une telle species est toujours en raison inverse du carré de la distance à la source dont elle émane. Une telle loi était le corollaire naturel de l’analogie admise entre la propagation de ces vertus et celle de la lumière.

Nul astronome, peut-être, n’a autant insisté sur cette analogie que Kepler. La rotation du Soleil est, pour lui, la cause de la révolution des planètes ; le Soleil envoie à ces astres certaine qualité, certaine ressemblance de son mouvement, certaine species motus qui les doit entraîner à leur tour. Cette species motus, cette virtus movens n’est pas identique à la lumière solaire, mais[61] elle a avec elle une certaine parenté ; elle se sert peut-être de la lumière solaire comme d’un instrument ou d’un véhicule.

Or, l’intensité de la lumière émise par un astre varie en raison inverse du carré de la distance à cet astre ; c’est une proposition dont la connaissance paraît remonter à l’antiquité, qui se trouve dans un écrit d’Optique attribué à Euclide, et dont Kepler a donné[62] la démonstration. L’analogie voudrait que la virtus movens émanée du Soleil variât en raison inverse du carré de la distance à cet astre ; mais la Dynamique dont se sert Kepler est encore l’antique Dynamique d’Aristote ; la force qui meut un mobile est proportionnelle à la vitesse de ce mobile ; dès lors, la loi des aires, qu’il a découverte, enseigne à Kepler cette proposition : La virtus movens à laquelle une planète est soumise varie en raison inverse de la simple distance au Soleil.

Ce mode de variation, peu conforme à l’analogie entre la species motus issue du Soleil et la lumière émise par cet astre, n’est point sans contrarier Kepler ; il s’efforce[63] de l’accorder avec cette analogie, en particulier par cette remarque : La lumière se répand de tous côtés dans l’espace, tandis que la virtus motrix se propage seulement dans le plan de l’équateur solaire ; l’intensité de la première est inverse au carré de la distance à la source, l’intensité de la seconde est inverse à la simple distance parcourue ; ces deux lois distinctes expriment dans un cas comme dans l’autre la même vérité : la quantité totale de lumière ou de species motus qui se propage ne subit aucun déchet au cours de cette propagation.

Les explications mêmes de Kepler nous montrent avec quelle force, en son esprit, la loi de la raison inverse du carré des distances s’impose tout d’abord à l’intensité d’une qualité, lorsqu’un corps émet cette qualité en tout sens autour de lui. Cette loi devait paraître douée de la même évidence à ses contemporains. Ismaël Boulliau l’a tout d’abord établie[64] pour la lumière ; il n’hésite pas à l’étendre à la virtus motrix que, selon Kepler, le Soleil exerce sur les planètes : « Cette vertu, dit-il[65], par laquelle le Soleil saisit ou accroche les planètes, et qui lui tient lieu de mains corporelles, est émise en ligne droite dans tout l’espace qu’occupe le Monde ; c’est comme une species du Soleil, qui tourne avec le corps de cet astre ; étant corporelle, elle diminue et s’affaiblit lorsque la distance augmente, et la raison de cette diminution est, comme pour la lumière, en raison inverse du carré de la distance. »

La virtus motrix dont parle Boulliau, et qui est celle de Kepler, n’est pas dirigée suivant le rayon qui va de la planète au Soleil ; elle est normale à ce rayon ; ce n’est point une attraction semblable à celle qu’admet Roberval, que Newton invoquera ; mais nous voyons clairement que les physiciens du xviie siècle, traitant de l’attraction de deux corps, sont, de prime abord, conduits à la supposer inverse au carré de la mutuelle distance des deux corps.

Les travaux du P. Athanase Kircher sur l’aimant nous en offrent un second exemple[66] ; l’analogie entre la lumière qu’émet une source et la vertu qui émane de chacun des deux pôles d’un aimant le presse d’adopter, pour l’intensité de l’une et de l’autre qualité, une loi de décroissement en raison inverse du carré de la distance ; s’il ne se rallie à cette supposition ni pour le magnétisme, ni pour la lumière, c’est qu’elle assure la diffusion à l’infini de ces deux vertus, tandis qu’il admet pour toute vertu une sphère d’action au-delà de laquelle elle est rigoureusement annulée.

Ainsi, dès la première moitié du xviie siècle, tous les matériaux qui serviront à construire l’hypothèse de l’attraction universelle sont rassemblés, taillés, prêts à être mis en œuvre ; mais on ne soupçonne point encore toute l’étendue qu’aura cette œuvre ; la vertu aimantique par laquelle les diverses parties de la matière se portent les unes sur les autres est invoquée pour rendre compte de la chute des graves et du flux de la mer ; on ne songe point encore à en tirer la représentation des mouvements des astres ; bien au contraire, lorsque les physiciens abordent le problème de la Mécanique céleste, cette force attractive les gène singulièrement.

C’est que la science qui doit les aider de ses principes, la Dynamique, est en enfance ; soumis encore aux enseignements qu’Aristote a donnés dans le De Cœlo, ils imaginent l’action qui fait tourner une planète autour du Soleil à la ressemblance d’un cheval de manège ; dirigée à chaque instant comme la vitesse du mobile, elle est proportionnelle à cette vitesse ; c’est par ce principe que Cardan compare[67] la puissance du principe vital qui meut Saturne à la puissance du principe vital qui meut la Lune ; calcul bien naïf encore, mais premier modèle des raisonnements qui serviront à composer la Mécanique céleste.

Imbus des principes qui ont guidé Cardan au cours de ses calculs, les géomètres du xvie siècle, ceux de la première moitié du xviie siècle, ignorent que, pour décrire un cercle d’un mouvement uniforme, un astre, une fois lancé, n’a plus besoin d’être tiré dans la direction de son mouvement ; il exige, au contraire, qu’une traction vers le centre du cercle le retienne sur sa trajectoire et l’empêche de fuir suivant la tangente.

Ces deux préoccupations dominent donc la Mécanique céleste : Appliquer à chaque planète une force perpendiculaire au rayon vecteur issu du Soleil, force qui soit attelée, pour ainsi dire, à ce rayon vecteur comme le cheval de manège au bras de levier qu’il fait tourner ; éviter l’attraction du Soleil sur la planète qui, semble-t-il, précipiterait ces deux astres l’un vers l’autre.

Kepler trouve la virtus motrix dans une qualité, une species motus émanée du Soleil ; quant à l’attraction aimantique, si nettement invoquée par lui pour expliquer la gravité et les marées, il la passe sous silence lorsqu’il traite du mouvement des astres. Descartes remplace la species motus par l’entraînement qu’exerce le tourbillon éthéré. « Mais Kepler[68] avait si bien préparé cette matière que l’accomodement que Mons. Descartes a fait de la philosophie corpusculaire avec l’astronomie de Copernic n’estait pas fort difficile. »

Pour éviter que l’attraction ne précipite les planètes sur le Soleil, Roberval plonge le système du Monde tout entier dans un milieu éthéré, soumis aux mêmes attractions, et plus ou moins dilaté par la chaleur du Soleil ; chaque planète, environnée de ses éléments, occupe au sein de ce milieu la position d’équilibre que lui assigne le principe d’Archimède ; en outre, le mouvement du Soleil engendre par frottement, au sein de cet éther, un tourbillon qui entraîne les planètes, exactement comme la species motus invoquée par Kepler.

Le système de Borelli[69] se ressent à la fois de l’influence de Roberval et de celle de Kepler. Comme Kepler, Borelli cherche la force qui entraîne chaque planète suivant sa trajectoire dans une vertu émanée du Soleil, transportée par sa lumière et dont l’intensité est inverse de la distance entre les deux astres. Comme Roberval, il suppose[70] qu’il y a « en chaque planète un instinct naturel par lequel elle cherche à s’approcher du Soleil en ligne droite. De même voyons-nous que tout grave a l’instinct naturel de se rapprocher de notre Terre, poussé qu’il est par la pesanteur qui l’apparente à la Terre ; de même remarquons-nous que le fer se porte en ligne droite vers l’aimant. »

Cette force qui porte la planète vers le Soleil, Borelli la compare à la pesanteur ; il ne semble pas qu’il l’identifie à cette dernière ; par là, son système est inférieur à celui de Roberval ; il lui est encore inférieur, en ce qu’il suppose l’attraction éprouvée par la planète indépendante de la distance de cet astre au Soleil ; mais il le surpasse en un point ; pour équilibrer cette force, pour empêcher la planète de se précipiter vers le soleil, il ne fait plus appel aux pressions d’un fluide au sein duquel la planète flotterait en vertu du principe d’Archimède ; il invoque l’exemple de la fronde dont la pierre, mue en cercle, tend fortement la corde ; il équilibre[71] l’instinct par lequel la planète se porte vers le Soleil en lui opposant la tendance de tout corps qui tourne à s’éloigner du centre de sa révolution, la vis repellens qu’il suppose inverse du rayon de l’orbite.

L’idée de Borelli diffère profondément des opinions auxquelles ses prédécesseurs immédiats s’étaient arrêtés. La génération, cependant, en fut-elle spontanée ? Borelli n’a-t-il, dans ses lectures, rencontré aucun germe qui l’eût pu produire ? Aristote[72] nous rapporte qu’Empédocle expliquait le repos de la Terre par la rotation rapide du Ciel ; « ainsi arrive-t-il à l’eau contenue dans un seau que l’on fait tourner ; lors même que le fond du seau se trouve au-dessus d’elle, l’eau ne tombe pas ; la rotation l’en empêche ». Et Plutarque, en un écrit fort lu des anciens astronomes, en un écrit que Kepler a traduit et commenté, s’exprime ainsi[73] : « Pour ne pas tomber sur la Terre, la Lune trouve une aide dans son mouvement même et dans la violence de sa révolution ; de même, la chute des objets placés en une fronde est empêchée par le tournoiement en cercle ; le mouvement selon la nature (la pesanteur) entraîne toutes choses, à l’exception de celles où un autre mouvement le supprime ; donc la pesanteur ne meut pas la Lune, parce que le mouvement circulaire lui fait perdre sa puissance. » Plutarque ne pouvait plus clairement énoncer l’hypothèse que Borelli devait adopter.

Ce recours à la force centrifuge n’en est pas moins un trait de génie ; Borelli, malheureusement, ne peut tirer parti de l’idée qui s’est présentée à lui ; cette force centrifuge, il en ignore les lois exactes, même dans le cas où le mobile décrit un cercle d’un mouvement uniforme ; à plus forte raison est-il inhabile à la calculer dans le cas où ce mobile se meut sur une ellipse, conformément aux lois de Kepler ; aussi ne peut-il, par une déduction concluante, tirer ces lois des hypothèses qu’il a formulées.

En 1674, le secrétaire de la Société Royale de Londres est le physicien Hooke ; il aborde[74], à son tour, le problème qui a sollicité les efforts de Kepler, de Roberval, de Borelli. Il sait que « tout corps une fois mis en mouvement persiste à se mouvoir indéfiniment en ligne droite d’un mouvement uniforme, jusqu’à ce que d’autres forces viennent plier et fléchir sa route suivant un cercle, une ellipse, ou quelque autre courbe plus composée ». Il sait aussi quelles forces détermineront les trajectoires des divers corps célestes : « Tous les corps célestes, sans exception, exercent un pouvoir d’attraction ou de pesanteur dirigé vers leur centre, en vertu duquel non seulement ils retiennent leurs propres parties et les empêchent de s’échapper dans l’espace, comme nous voyons que le fait la Terre, mais encore ils attirent aussi tous les autres corps célestes qui se trouvent dans la sphère de leur activité. D’où il suit, par exemple, que non seulement le Soleil et la Lune agissent sur la marche et le mouvement de la Terre, comme la Terre agit sur eux, mais que Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne ont aussi, par leur pouvoir attractif, une influence considérable sur le mouvement de la Terre, de même que la Terre en a une puissante sur le mouvement de ces corps. » Hooke sait enfin que « les pouvoirs attractifs s’exercent avec plus d’énergie à mesure que les corps sur lesquels ils agissent s’approchent du centre dont ils émanent ». Il confesse qu’ « il n’a pas encore déterminé par expérience quels sont les degrés successifs de cet accroissement pour des distances diverses ». Mais il supposait dès ce moment que l’intensité de ce pouvoir attractif suivait la raison inverse du carré de la distance, bien qu’il n’ait point énoncé cette loi avant 1678. Son affirmation à cet égard est d’autant moins invraisemblable qu’à la même époque, son confrère de la Société Royale, Wren, était déjà, au témoignage de Newton et de Halley, en possession de cette loi. Hooke et Wren l’avaient sans doute tirée, l’un et l’autre, de la comparaison entre la gravité et la lumière, comparaison qui, vers le même moment, la faisait aussi soupçonner par Halley.

Hooke est donc en possession, dès 1672, de tous les postulats qui serviront à construire le système de l’attraction universelle ; mais de ces postulats, il ne peut tirer parti ; la difficulté qui a arrêté Borelli l’arrête à son tour ; il ne sait point traiter le mouvement curviligne que produit une force variable en grandeur et en direction ; il est contraint de publier ses hypothèses, encore stériles, en souhaitant qu’un géomètre plus habile les fasse fructifier : « C’est une idée qui, étant suivie comme elle mérite de l’être, ne peut manquer d’être fort utile aux astronomes pour réduire tous les mouvements célestes à une règle certaine ; ce qui, je crois, ne pourra jamais s’établir autrement. Ceux qui connaissent la théorie des oscillations du pendule et du mouvement circulaire comprendront aisément sur quel fondement repose le principe général que j’énonce, et ils sauront trouver dans la nature le moyen d’en établir le véritable caractère physique. »

L’instrument indispensable à l’accomplissement d’une telle œuvre, c’est la connaissance des lois générales qui relient un mouvement curviligne aux forces qui le produisent ; or, au moment où paraît l’essai de Hooke, ces lois viennent d’être formulées, et c’est, en effet, l’étude des oscillations du pendule qui les a fait découvrir. En 1673, Huygens publie[75] son traité de l’horloge à pendule ; les théorèmes qui terminent ce traité donnent le moyen de résoudre, au moins pour les trajectoires circulaires, les problèmes qui n’avaient pu être abordés par Borelli et par Hooke.

Les recherches sur l’explication mécanique du mouvement des corps célestes reçoivent de la publication d’Huygens une nouvelle et féconde impulsion. En 1689, Leibniz[76] reprend une théorie analogue à celle de Borelli ; chaque astre est soumis à une force attractive, dirigée vers le soleil, à une force centrifuge dirigée en sens opposé et dont la grandeur devra être tirée des théorèmes d’Huygens, enfin à une impulsion du fluide éthéré qui le baigne, impulsion que Leibniz suppose normale au rayon vecteur et en raison inverse de la longueur de ce rayon ; cette impulsion joue exactement le rôle de la virtus motrix invoquée par Kepler et par Borelli ; elle n’en est que la traduction dans le système tourbillonnaire de Descartes et de Roberval. Au moyen des règles formulées par Huygens, Leibniz calcule la force par laquelle la planète doit graviter vers le Soleil si son mouvement est régi par les lois de Kepler ; il la trouve réciproquement proportionnelle au carré du rayon vecteur.

De son côté, dès 1684, Halley applique les théorèmes de Huygens aux hypothèses de Hooke ; en supposant circulaires les orbites des diverses planètes, il constate que la proportionnalité, découverte par Kepler, entre les carrés des temps des révolutions et les cubes des diamètres suppose les diverses planètes soumises à des forces proportionnelles à leurs masses et aux carrés inverses de leurs distances au Soleil.

Mais au moment même où Halley tente ces essais qu’il ne publiera point, avant que Leibniz ait formulé sa théorie, Newton communique à la Société Royale de Londres les premiers résultats de ses méditations sur la Mécanique céleste ; en 1686, il lui présente ses Philosophiæ naturalis principia mathematica où se développe dans toute son ampleur la théorie dont Hooke, Wren, Halley, n’ont aperçu que des lambeaux.

Préparée par les efforts séculaires des physiciens, cette théorie ne s’est point révélée soudainement à Newton. Dès 1665 ou 1666, sept ou huit ans avant que Huygens donne le De horologio oscillatorio, Newton a, par ses propres efforts, découvert les lois du mouvement circulaire uniforme ; comme Halley devait le faire en 1684, il a comparé ces lois à la troisième loi de Kepler et reconnu par cette comparaison que le Soleil attirait des masses égales des diverses planètes par une force inversement proportionnelle au carré des distances. Mais il a voulu un contrôle plus précis ; il a voulu s’assurer qu’en atténuant dans une telle proportion la pesanteur que nous constatons à la surface de la Terre, on obtenait exactement la force capable d’équilibrer la vis centrifuga qui tend à entraîner la Lune. Or, les dimensions de la Terre étaient alors mal connues ; elles donnèrent à Newton pour valeur de la gravité, au lieu qu’occupe la Lune, une valeur supérieure de 1/6 au résultat attendu. Strict observateur de la méthode expérimentale, Newton ne publia point une théorie que l’observation démentait ; des résultats de ses méditations, il ne livra rien à qui que ce fût jusqu’en 1682. À ce moment, Newton connut les résultats des nouvelles mesures géodésiques effectuées par Picard ; il put reprendre son calcul dont, cette fois, le résultat fut pleinement satisfaisant ; les doutes du grand géomètre s’évanouirent, et il put produire son admirable système. Il lui avait fallu vingt ans d’une incessante méditation pour achever l’œuvre à laquelle tant de géomètres et de physiciens, depuis Léonard de Vinci et Copernic, avaient apporté leur contribution.

Les considérations les plus diverses, les doctrines les plus disparates sont venues, tour à tour, donner leur concours à la construction de la Mécanique céleste : l’expérience vulgaire qui nous révèle la gravité comme les mesures scientifiques de Tycho Brahé et de Picard, comme les lois d’observation formulées par Képler ; les tourbillons des Cartésiens et des Atomistes comme la Dynamique rationnelle d’Huygens ; les doctrines métaphysiques des péripatéticiens comme les systèmes des médecins et les rêveries des astrologues ; les comparaisons de la pesanteur avec les actions magnétiques comme les rapprochements entre la lumière et les actions mutuelles des astres. Au cours de ce long et laborieux enfantement, nous pouvons suivre les transformations lentes et graduelles par lesquelles le système théorique a évolué ; mais, à aucun moment, nous ne pouvons saisir une création soudaine et arbitraire d’hypothèses nouvelles.


§ III. — Le physicien ne choisit pas les hypothèses sur lesquelles il fondera une théorie ; elles germent en lui sans lui.

L’évolution qui a produit le système de la gravité universelle s’est lentement déroulée au cours des siècles ; aussi avons-nous pu suivre pas à pas les progrès par lesquels l’idée s’est élevée peu à peu au degré de perfection que Newton lui a donné. Parfois, l’évolution qui doit aboutir à la construction d’un système théorique se condense extrêmement, et quelques années suffisent à conduire les hypothèses qui doivent porter cette théorie de l’état où elles sont à peine ébauchées à celui où elles sont achevées.

Ainsi, en 1819, Œrstedt découvre l’action du courant électrique sur l’aiguille aimantée ; en 1820, Arago fait connaître cette expérience à l’Académie des Sciences ; le 18 septembre 1820, l’Académie entend la lecture d’un mémoire où Ampère présente les actions mutuelles des courants, qu’il vient de mettre en évidence ; et le 23 décembre 1823, elle accueille un autre mémoire où Ampère donne leur forme définitive aux théories de l’Électrodynamique et de l’Électromagnétisme. Cent quarante-trois ans ont séparé les De revolutionibus orbium cœlestium libri sex des Philosopliiæ naturalis principia mathematica ; moins de quatre ans séparent la publication de l’expérience d’Œrstedt de la mémorable lecture d’Ampère. Mais si le cadre de cet ouvrage nous permettait de conter par le détail l’histoire des doctrines électrodynamiques[77] au cours de ces quatre années, nous y retrouverions tous les caractères que nous avons rencontrés en l’évolution séculaire de la Mécanique céleste. Nous n’y verrions point le génie d’Ampère embrasser d’un coup d’œil un vaste domaine expérimental déjà constitué et, par une décision libre et créatrice, choisir le système d’hypothèses qui représentera ces données de l’observation. Nous y remarquerions les hésitations, les tâtonnements, le progrès graduel obtenu par une suite de retouches partielles, que nous avons notés durant les trois demi-siècles qui séparent Copernic de Newton. L’histoire de l’Électrodynamique ressemble fort à l’histoire de l’attraction universelle ; les multiples efforts, les tentatives réitérées qui constituent la trame de ces deux histoires se succèdent seulement en la première à intervalles beaucoup plus rapprochés qu’en la seconde, grâce à la prodigieuse fécondité d’Ampère, dont, pendant quatre ans, l’Académie des Sciences entend presque chaque mois une lecture ; grâce aussi à la pléiade de savants géomètres, de physiciens habiles, d’hommes de génie qui s’efforcent avec lui à la construction de la nouvelle doctrine ; car, au nom d’Ampère, l’histoire de l’Électrodynamique doit associer non seulement le nom d’Œrstedt, mais encore ceux d’Arago, d’Humphry-Davy, de Biot, de Savart, de Babinet, de Savary, de La Rive, de Becquerel, de Faraday, de Fresnel et de Laplace.

Parfois l’histoire de l’évolution graduelle qui a produit un système d’hypothèses physiques nous demeure et nous demeurera à tout jamais inconnue ; elle s’est condensée en un petit nombre d’années et concentrée en un seul esprit ; l’inventeur ne nous a point, comme Ampère, fait connaître, au fur et à mesure de leur apparition, les idées qui germaient en lui ; imitant la longue patience de Newton, il a attendu, pour mettre au jour sa théorie, qu’elle ait revêtu une forme achevée. Soyons bien certains, cependant, que ce n’est pas sous cette forme qu’elle s’est tout d’abord présentée à son esprit ; que cette forme est le résultat de perfectionnements et de retouches innombrables, et qu’en chacune de ces retouches, le libre choix de l’inventeur a été guidé, conditionné, d’une manière plus ou moins consciente, par une infinité de circonstances extérieures ou intérieures.

D’ailleurs, quelque rapide et condensée que soit l’évolution d’une théorie physique, il est toujours possible de constater qu’une longue préparation en a précédé l’apparition ; entre la première ébauche et la forme parfaite, les intermédiaires peuvent nous échapper à tel point que nous pensions contempler une libre et soudaine création ; mais un labeur préalable a constitué le terrain favorable où est tombé le premier germe ; il a rendu possible ce développement accéléré ; et ce labeur se laisse suivre au cours des siècles.

L’expérience d’OErstedt a suffi à provoquer le travail intense et comme fiévreux qui, en quatre ans, a conduit l’Électrodynamique à maturité ; mais c’est qu’au moment où ce germe a été déposé au sein de la science du xixe siècle, celle-ci était merveilleusement préparée à le recevoir, à le nourrir, à le développer. Newton avait déjà annoncé que les attractions électriques et magnétiques devaient suivre des lois analogues à celles de la gravité universelle ; cette supposition avait été transformée en vérité d’expérience par Cavendish et par Coulomb pour les attractions électriques, par Tobias Mayer et par Coulomb pour les effets magnétiques ; les physiciens s’étaient ainsi accoutumés à résoudre toutes les forces qui s’exercent à distance en actions élémentaires inversement proportionnelles aux carrés des distances des éléments entre lesquels elles s’exercent. D’autre part, l’analyse des divers problèmes que pose l’Astronomie avait rompu les géomètres aux difficultés que l’on rencontre en composant de semblables forces. Le gigantesque effort mathématique du xviiie siècle venait d’être résumé en la Mécanique céleste de Laplace ; les méthodes créées pour traiter des mouvements des astres cherchaient de tous côtés, dans la Mécanique terrestre, l’occasion de prouver leur fécondité, et la Physique mathématique progressait avec une étonnante rapidité. En particulier, Poisson développait, au moyen des procédés analytiques imaginés par Laplace, la théorie mathématique de l’électricité statique et du magnétisme, tandis que Fourier trouvait, dans l’étude de la propagation de la chaleur, d’admirables occasions d’user des mêmes procédés. Les phénomènes électrodynamiques et électromagnétiques pouvaient se manifester aux physiciens et aux géomètres ; ceux-ci étaient armés pour s’en emparer et les réduire en théorie.

La contemplation d’un ensemble de lois d’expérience ne suffit donc pas à suggérer au physicien quelles hypothèses il doit choisir pour donner de ces lois une représentation théorique ; il faut encore que les pensées habituelles à ceux au milieu desquels il vit, que les tendances imprimées à son propre esprit par ses études antérieures viennent le guider et restreindre la latitude trop grande que les lois de la logique laissent à ses démarches. Combien de parties de la Physique gardent, jusqu’à ce jour, la forme purement empirique, attendant que les circonstances préparent le génie d’un physicien à concevoir les hypothèses qui les organiseront en théorie !

En revanche, quand les progrès de la science universelle ont suffisamment préparé les esprits à la recevoir, la théorie naît d’une manière presque forcée ; et, bien souvent, des physiciens qui ne se connaissent pas, qui poursuivent leurs méditations bien loin les uns des autres, l’enfantent presque en même temps ; on dirait que l’idée flotte dans l’air, portée d’un pays à l’autre par le vent qui souffle, prête à féconder tout génie qui est en état de l’accueillir et de la développer, semblable au pollen qui engendre un fruit partout où il rencontre un calyce mûr.

Sans cesse, au cours de ses études, l’historien des sciences a l’occasion d’observer cette poussée simultanée, en des terres éloignées les unes des autres, d’une même doctrine ; mais, quelque fréquent que soit ce phénomène, il ne peut jamais le contempler sans étonnement[78]. Déjà, nous avons eu occasion de voir le système de la gravité universelle germer dans les esprits de Hooke, de Wren, de Halley, en même temps qu’il s’organisait dans le cerveau de Newton. De même, au milieu du xixe siècle, nous verrions le principe de l’équivalence entre la chaleur et le travail formulé, à des époques très rapprochées les unes des autres, par Robert Mayer en Allemagne, par Joule en Angleterre, par Colding en Danemark ; chacun d’eux ignorait cependant les méditations de ses émules, et aucun d’eux ne soupçonnait que la même idée avait atteint, quelques années auparavant, une maturité précoce en France, au sein du génie de Sadi Garnot.

Nous pourrions multiplier les exemples de cette surprenante simultanéité d’invention ; bornons-nous à en mentionner encore un, qui nous semble particulièrement saisissant.

Le phénomène de la réflexion totale que la lumière peut éprouver à la surface de séparation de deux milieux ne se laisse point aisément comprendre dans l’édifice théorique qui constitue le système des ondulations. Fresnel avait donné, en 1823, des formules propres à représenter ce phénomène ; mais il les avait obtenues par l’une des divinations[79] les plus étranges et les plus illogiques que mentionne l’histoire de la Physique. Les ingénieuses vérifications expérimentales qu’il en avait données ne laissaient guère de doute sur l’exactitude de ces formules ; mais elles n’en rendaient que plus souhaitable l’hypothèse logiquement admissible qui les rattacherait à la théorie générale de l’Optique. Pendant treize ans, les physiciens ne purent découvrir une telle hypothèse ; enfin la considération fort simple, mais fort imprévue et originale, de l’onde évanescente vint la leur fournir. Or, chose remarquable, l’idée d’onde évanescente se présenta presque simultanément à l’esprit de quatre géomètres différents, trop éloignés les uns des autres pour se communiquer les pensées qui les hantaient. Cauchy[80] formula le premier l’hypothèse de l’onde évanescente dans une lettre adressée à Ampère en 1836 ; en 1837, Green[81] la communiqua à la Philosophical Society de Cambridge, et, en Allemagne, F.-E. Neumann[82] la publia dans les Annales de Poagendorff : enfin, de 1841 à 1845, Mac Cullagh[83] en fit l’objet de trois notes présentées à l’Académie de Dublin.

Cet exemple nous paraît bien propre à mettre en pleine lumière la conclusion à laquelle nous nous arrêterons : La logique laisse une liberté presque absolue au physicien qui voudrait faire choix d’une hypothèse ; mais cette absence de tout guide et de toute règle ne saurait le gêner, car, en fait, le physicien ne choisit pas l’hypothèse sur laquelle il fondera une théorie : il ne la choisit pas plus que la fleur ne choisit le grain de pollen qui la fécondera ; la fleur se contente d’ouvrir toute grande sa corolle à la brise ou à l’insecte qui porte la poussière génératrice du fruit ; de même, le physicien se borne à ouvrir sa pensée, par l’attention et la méditation, à l’idée qui doit germer en lui, sans lui. À quelqu’un qui lui demandait comment il s’y prenait pour faire une découverte, Newton répondait[84] : « Je tiens le sujet de ma recherche constamment devant moi, et j’attends que les premières lueurs commencent à s’ouvrir lentement et peu à peu, jusqu’à se changer en une clarté pleine et entière. »

C’est seulement lorsque le physicien commence à voir clairement l’hypothèse nouvelle, reçue, mais non choisie, par lui que sa libre et laborieuse activité doit entrer en jeu ; car il s’agit maintenant de combiner cette hypothèse à celles qui sont déjà admises, d’en tirer des conséquences nombreuses et variées, de les comparer scrupuleusement aux lois expérimentales ; ces besognes, il lui appartient de les accomplir rapidement et exactement ; il ne dépend pas de lui de concevoir une idée neuve, mais il dépend de lui, pour une très grande part, de développer cette idée et de la faire fructifier.


§ IV. — De la présentation des hypothèses dans l’enseignement de la Physique.

Au professeur qui veut exposer les hypothèses sur lesquelles sont fondées les théories physiques, la logique ne donne pas plus d’indications qu’elle n’en donne à l’inventeur. Elle lui enseigne seulement que l’ensemble des hypothèses physiques constitue un système de principes dont les conséquences doivent représenter l’ensemble des lois établies par les expérimentateurs. Dès lors, un exposé vraiment logique de la Physique débuterait par l’énoncé de toutes les hypothèses dont les diverses théories feront usage, il se poursuivrait en déduisant une foule de conséquences de ces hypothèses, et il conclurait en mettant face à face cette multitude de conséquences et la multitude des lois expérimentales qu’elles doivent représenter.

Il est clair qu’un tel mode d’exposition de la Physique, qui serait seul parfaitement logique, est absolument impraticable ; il est donc certain qu’aucun enseignement de la Physique ne peut être donné sous une forme qui ne laisse rien à désirer au point de vue logique ; toute exposition des théories physiques sera forcément un compromis entre les exigences de la logique et les besoins intellectuels de l’étudiant.

Le maître, nous l’avons déjà dit, devra se contenter de formuler, tout d’abord, un certain groupe, plus ou moins étendu, d’hypothèses, d’en déduire un certain nombre de conséquences qu’il soumettra, sans plus tarder, au contrôle des faits. Ce contrôle, évidemment, ne sera pas pleinement convainquant ; il impliquera adhésion à certaines propositions qui découlent de conséquences non encore formulées. L’élève se scandaliserait, sans doute, des cercles vicieux qu’il y apercevrait s’il n’était dûment averti d’avance ; s’il ne savait que la vérification des formules, ainsi tentée, est une vérification hâtive, une anticipation sur les délais imposés par la stricte logique à toute application de la théorie.

Par exemple, un professeur qui a posé l’ensemble des hypothèses sur lesquelles reposent la Mécanique générale et la Mécanique céleste, qui en a déduit un certain nombre de chapitres de ces deux sciences, n’attendra pas d’avoir traité la Thermodynamique, l’Optique, la théorie de l’électricité et du magnétisme, pour comparer ses théorèmes à diverses lois expérimentales. Cependant, en faisant cette comparaison, il lui arrivera de se servir d’une lunette astronomique, de tenir compte de dilatations, de corriger des causes d’erreur provenant de l’électrisation ou de l’aimantation, partant d’invoquer les théories qu’il n’a pas encore exposées. L’élève non prévenu crierait au paralogisme ; il cessera au contraire de s’étonner s’il a compris que ces vérifications lui sont présentées par avance, afin d’éclairer aussitôt que possible, par des exemples, les propositions théoriques qui lui ont été exposées, mais qu’elles devraient, logiquement, venir beaucoup plus tard, alors qu’il posséderait le système entier de la Physique théorique.

Cette impossibilité pratique d’exposer le système de la Physique sous la forme même qu’exigerait la rigueur logique, cette nécessité de tenir une sorte d’équilibre entre ce que réclame cette rigueur et ce que peut assimiler l’intelligence de l’élève, rendent particulièrement délicat l’enseignement de cette science. Il est bien permis au maître, en effet, de donner une leçon où le logicien pointilleux trouverait à redire ; mais cette tolérance est subordonnée à certaines conditions ; l’élève doit savoir que la leçon recueillie par lui n’est exempte ni de lacunes, ni d’affirmations non encore justifiées ; il doit voir clairement où se trouvent ces lacunes et quelles sont ces affirmations ; il faut, en un mot, que l’enseignement, forcément boiteux et incomplet, dont il se doit contenter ne fasse point germer d’idées fausses en son esprit.

La lutte contre l’idée fausse, si prompte à se glisser en un tel enseignement, sera donc le constant souci du maître.

Aucune hypothèse isolée, aucun groupe d’hypothèses, séparé du reste de la Physique, n’est susceptible d’une vérification expérimentale absolument autonome ; aucun experimentum crucis ne peut trancher entre deux hypothèses, et entre ces deux hypothèses seulement ; le maître, cependant, ne pourra attendre que toutes les hypothèses aient été énoncées pour soumettre certaines d’entre elles au contrôle de l’observation ; il ne pourra se dispenser de présenter certaines expériences, l’expérience de Foucault, l’expérience d’Otto Wiener, par exemple, comme entraînant l’adhésion à une certaine supposition au préjudice de la supposition contraire ; mais il devra soigneusement marquer jusqu’à quel point le contrôle qu’il décrit anticipe sur les théories non encore exposées ; comment la soi-disant expérience cruciale implique l’acceptation préalable d’une foule de propositions que l’on est convenu de ne plus contester.

Aucun système d’hypothèses ne peut être tiré par induction de la seule expérience ; l’induction, cependant, peut indiquer, en quelque sorte, la voie qui conduit à certaines hypothèses ; il ne sera point interdit de le remarquer ; il ne sera point interdit, par exemple, au début d’un exposé de la Mécanique céleste, de prendre les lois de Képler et de montrer comment la traduction mécanique de ces lois conduit à des énoncés qui semblent appeler l’hypothèse de l’attraction universelle ; mais, ces énoncés une fois obtenus, il faudra attentivement observer à quel point ils diffèrent de l’hypothèse qu’on leur substitue.

En particulier, toutes les fois que l’on demandera à l’induction expérimentale de suggérer une hypothèse, on devra bien se garder de donner une expérience irréalisée pour une expérience faite, une expérience purement fictive pour une expérience faisable ; on devra surtout, cela va de soi, proscrire avec rigueur l’appel à l’expérience absurde.


§ V. — Les hypothèses ne peuvent être déduites d’axiomes fournis par la connaissance commune.

Par les considérations dont on environne souvent la présentation d’une hypothèse physique, il en est qui méritent d’arrêter notre attention ; très en faveur auprès d’un grand nombre de physiciens, ces considérations sont, si l’on n’y prend garde, particulièrement dangereuses et particulièrement fécondes en idées fausses. Elles consistent à justifier l’introduction de certaines hypothèses au moyen de propositions, soi-disant évidentes, tirées du sens commun.

Il peut arriver qu’une hypothèse trouve, dans les enseignements du sens commun, des analogies ou des exemples ; il peut même arriver qu’elle soit une proposition de sens commun rendue plus claire et plus précise par l’analyse ; dans ces divers cas, le maître pourra assurément mentionner ces rapprochements entre les hypothèses sur lesquelles repose la théorie et les lois que nous révèle l’expérience de chaque jour ; le choix de ces hypothèses en paraîtra d’autant plus naturel, d’autant plus satisfaisant pour l’esprit.

Mais de tels rapprochements exigent les plus minutieuses précautions ; il est fort aisé de se méprendre sur la ressemblance réelle entre une proposition de sens commun et un énoncé de Physique théorique ; bien souvent, l’analogie est toute superficielle ; elle est entre les mots et non entre les idées ; elle s’évanouirait si, prenant l’énoncé symbolique que formule la théorie, on en faisait la traduction ; si l’on transformait chacun des termes qu’emploie cet énoncé en substituant, selon le conseil de Pascal, la définition au défini ; on verrait alors à quel point, entre les deux propositions que l’on avait imprudemment rapprochées, la ressemblance est artificielle et purement verbale.

En ces malsaines vulgarisations où les intelligences de nos contemporains vont chercher la science frelatée dont elles s’enivrent, il arrive à chaque instant de lire des raisonnements auxquels la considération de l’énergie fournit des prémisses soi-disant intuitives. Ces prémisses, la plupart du temps, sont de véritables calembours ; on y joue sur le double sens du mot énergie ; on prend des jugements qui sont vrais au sens vulgaire du mot énergie, au sens où l’on dit que la traversée de l’Afrique a réclamé des compagnons de Marchand une grande dépense d’énergie ; et ces jugements, on les transporte en bloc à l’énergie entendue au sens que lui donne la Thermodynamique, à la fonction de l’état d’un système dont la différentielle totale est, en chaque modification élémentaire, égale à l’excès du travail externe sur la chaleur dégagée.

Naguère encore, ceux qui se complaisent en de telles piperies déploraient que le principe de l’accroissement de l’entropie fût beaucoup plus abstrus et difficile à comprendre que le principe de la conservation de l’énergie ; les deux principes, cependant, exigent du géomètre des calculs tout semblables ; mais le terme d’entropie n’a de sens que dans la langue du physicien ; il est inconnu au langage vulgaire ; il ne prête pas aux équivoques. Depuis peu, on n’entend plus ces doléances à l’égard de l’obscurité où demeurerait plongé le second principe de la Thermodynamique ; il passe aujourd’hui pour clair et vulgarisable. Pourquoi ? Parce qu’on en a changé le nom. On l’appelle maintenant principe de la dissipation ou de la dégradation de l’énergie ; or, ceux qui ne sont pas physiciens, mais le veulent paraître, entendent aussi ces mots-là ; ils leur prêtent, il est vrai, un sens qui n’est point celui que les physiciens leur attribuent ; mais que leur importe ? Voilà la porte ouverte à maint discours spécieux qu’ils donnent pour raisonnements, et qui ne sont que jeux de mots. C’est justement là ce qu’ils souhaitaient.

L’emploi de la précieuse règle de Pascal fait évanouir ces trompeuses analogies comme un coup de vent dissipe les effets du mirage.

Ceux qui prétendent tirer du fond du sens commun les hypothèses qui porteront leurs théories peuvent encore être victimes d’une autre illusion.

Le fond du sens commun n’est pas un trésor enfoui dans le sol, auquel nulle pièce ne vient plus s’ajouter ; c’est le capital d’une société immense et prodigieusement active, formée par l’union des intelligences humaines ; de siècle en siècle, ce capital se transforme et s’accroît ; à ces transformations, à cet accroissement de richesse, la science théorique contribue pour sa très grande part ; sans cesse, elle se diffuse par l’enseignement, par la conversation, par les livres et les journaux ; elle pénètre jusqu’au fond de la connaissance vulgaire ; elle éveille son attention sur des phénomènes jusqu’alors négligés ; elle lui apprend à analyser des notions qui étaient demeurées confuses ; elle enrichit ainsi le patrimoine des vérités communes à tous les hommes ou, du moins, à tous ceux qui ont atteint un certain degré de culture intellectuelle. Qu’un maître vienne alors, désireux d’exposer une théorie physique ; il trouvera, parmi les vérités de sens commun, des propositions admirablement propres à justifier ses hypothèses ; il croira qu’il a tiré celles-ci des exigences premières et forcées de notre raison, qu’il les a déduites de véritables axiomes ; en fait, il aura simplement repris, dans le fonds des connaissances communes, pour les rendre à la science théorique, les pièces que la science théorique avait elle-même déposées dans ce trésor.

De cette grave erreur, de ce cercle vicieux, nous trouvons un exemple frappant dans l’exposé que maint auteur donne des principes de la Mécanique ; cet exposé, nous l’emprunterons à Euler ; mais ce que nous dirons des raisonnements exposés par ce grand géomètre, nous pourrions le répéter d’une foule d’écrits plus récents.

« Dans le premier chapitre, dit Euler[85], je démontre les lois universelles de la nature qu’observe un corps lorsqu’il est libre de se mouvoir et qu’il n’est sollicité par aucune force. Si un tel corps est en repos à un instant donné, il persévérera éternellement dans son état de repos ; s’il est en mouvement, il se mouvra éternellement en ligne droite avec une vitesse constante ; ces deux lois peuvent être commodément réunies sous le nom de loi de la conservation de l’état. Il suit de là que la conservation de l’état est une propriété essentielle de tous les corps, et que tous les corps, en tant que tels, ont une force ou faculté de persévérer perpétuellement dans leur état, force qui n’est autre que la force d’inertie… Puisque tout corps, par sa nature même, persévère constamment dans le même état, soit de repos, soit de mouvement, il est clair qu’il faudra attribuer aux forces extérieures toute circonstance où un corps ne suivra pas cette loi, où il se mouvra d’un mouvement non uniforme ou bien selon une ligne courbe… Ainsi sont constitués les véritables principes de la Mécanique, au moyen desquels on doit expliquer tout ce qui concerne l’altération du mouvement ; comme ces principes n’ont été confirmés jusqu’ici que d’une manière trop légère, je les ai démontrés de telle manière qu’on les comprenne non seulement comme certains, mais comme nécessairement vrais. »

Si nous poursuivons la lecture du traité d’Euler, nous trouvons, au commencement du chapitre ii, les passages suivants :

« Définition : La puissance est la force qui tire un corps du repos pour le mettre en mouvement, ou qui altère son mouvement. La gravité est une force ou puissance de ce genre ; en effet, si l’on rend un corps libre de tout empêchement, elle le tire du repos pour le faire tomber et lui communique un mouvement de descente qui s’accélère sans cesse.

« Corollaire. Tout corps abandonné à lui-même demeure en repos ou se meut d’un mouvement rectiligne et uniforme. Toutes les fois donc qu’il advient à un corps libre, qui était en repos, de se mettre en mouvement, ou bien de se mouvoir d’un mouvement non uniforme, ou d’un mouvement non rectiligne, la cause en doit être attribuée à une certaine puissance ; car tout ce qui peut déranger un corps de son mouvement, nous l’appelons puissance. »

Euler nous présente cette phrase : « La puissance est la force qui met un corps en mouvement ou qui altère son mouvement ». comme une définition. Que faut-il entendre par là ? Euler veut-il, destituant le mot puissance de tout sens antérieurement acquis, donner une simple définition de nom, dont rien ne limite l’arbitraire ? Dans ce cas, la déduction qu’il déroule à nos yeux sera d’une impeccable logique ; mais elle sera une simple construction de syllogismes, sans aucun contact avec la réalité. Ce n’est point là l’œuvre qu’Euler a entendu accomplir ; il est clair qu’en énonçant la phrase que nous rapportions tout à l’heure, il a pris le mot puissance ou force au sens qu’il a dans le langage courant et non scientifique ; l’exemple de la pesanteur, immédiatement cité, nous en est un sûr garant ; c’est, d’ailleurs, parce qu’il attribue au mot puissance, non pas un sens nouveau et arbitrairement défini, mais le sens que tout le monde y attache, qu’Euler peut emprunter à ses prédécesseurs, notamment à Varignon, les théorèmes de Statique dont il fait usage.

Cette définition n’est donc pas une définition de nom, mais une définition de nature ; prenant le mot puissance au sens où chacun l’entend, Euler se propose de marquer le caractère essentiel de la puissance, caractère dont se tireront toutes les autres propriétés de la force. La phrase que nous avons citée est bien moins une définition qu’une proposition dont Euler postule l’évidence, qu’un axiome. Cet axiome, d’autres axiomes analogues lui permettront seuls de prouver que les lois de la Mécanique sont non seulement vraies, mais nécessaires.

Or, est-il évident, est-il clair par les seules lumières du sens commun, qu’un corps soustrait à l’action de toute force se meuve éternellement en ligne droite, avec une vitesse constante ? Qu’un corps soumis à une pesanteur constante accélère sans cesse la vitesse de sa chute ? De telles opinions sont, au contraire, prodigieusement loin de la connaissance vulgaire ; pour les enfanter, il a fallu les efforts accumulés de tous les génies qui, pendant deux mille ans, ont traité de la Dynamique[86].

Ce que nous enseigne l’expérience de chaque jour, c’est qu’une voiture qui n’est pas attelée demeure immobile ; c’est qu’un cheval qui développe un effort constant entraîne le véhicule avec une vitesse constante ; c’est que, pour faire courir le char plus rapidement, il faut que le cheval développe un effort plus grand, ou bien qu’on lui adjoigne un compagnon. Comment donc traduirions-nous ce que de telles observations nous apprennent touchant la puissance ou la force ? Nous formulerions ces énoncés :

Un corps qui n’est soumis à aucune puissance demeure immobile.

Un corps qui est soumis à une puissance constante se meut avec une vitesse constante.

Lorsqu’on accroît la puissance qui meut un corps, on accroît la vitesse de ce corps.

Tels sont les caractères que le sens commun attribue à la force ou puissance ; telles sont les hypothèses qu’il faudrait prendre pour bases de la Dynamique si l’on voulait fonder cette science sur les évidences du sens commun.

Or, ces caractères, ce sont ceux qu’Aristote [87] attribue à la puissance (δύναμις) ou force (ἰσχὺς) ; cette Dynamique, c’est la Dynamique du Stagirite ; lorsqu’en une telle Dynamique on constate que la chute des graves est un mouvement accéléré, on en conclut non pas que les graves sont soumis à une force constante, mais que leur poids augmente au fur et à mesure qu’ils descendent.

Les principes de la Dynamique péripatéticienne semblaient d’ailleurs si certains, leurs racines plongeaient si profondément dans le sol résistant des connaissances communes que, pour les extirper, pour faire croître à leur place ces hypothèses auxquelles Euler attribue une immédiate évidence, il a fallu l’un des efforts les plus longs, les plus persévérants que nous fasse connaître l’histoire de l’esprit humain ; il a fallu qu’Alexandre d’Aphrodisias, Themistius, Simplicius, Albert de Saxe, Nicolas de Gus, Léonard de Vinci, Cardan, Tartalea, Jules César Scaliger, Jean-Baptiste Benedetti, frayassent la voie à Galilée, à Descartes, à Beeckman et à Gassendi.

Ainsi les propositions qu’Euler regarde comme des axiomes dont l’évidence s’impose à nous et sur lesquelles il veut fonder une Dynamique non seulement vraie, mais nécessaire, ce sont, en réalité, des propositions que la Dynamique seule nous a enseignées et qu’elle a très lentement, très péniblement, substituées aux fausses évidences du sens commun.

Le cercle vicieux dans lequel tourne la déduction d’Euler ne saurait être évité par ceux qui pensent justifier les hypothèses sur lesquelles repose une théorie physique au moyen d’axiomes de consentement universel ; les prétendus axiomes qu’ils invoquent ont été tirés des lois mêmes qu’ils en voudraient déduire[88].

Il est donc tout à fait illusoire de vouloir prendre les enseignements du sens commun comme fondement des hypothèses qui doivent porter la Physique théorique. À suivre une telle marche, ce n’est pas la Dynamique de Descartes et de Newton que l’on atteint mais la Dynamique d’Aristote.

Ce n’est pas que les enseignements du sens commun ne soient très vrais et très certains ; il est très vrai et très certain qu’une voiture non attelée n’avance pas, qu’attelée de deux chevaux elle marche plus vite qu’attelée d’un seul cheval. Nous l’avons dit à plusieurs reprises : Ces certitudes et ces vérités du sens commun sont, en dernière analyse, la source d’où découle toute vérité et toute certitude scientifique. Mais, nous l’avons dit aussi, les observations du sens commun sont d’autant plus certaines qu’elles détaillent moins, qu’elles se piquent moins de précision ; les lois de sens commun sont très vraies, mais à la condition expresse que les termes généraux entre lesquels elles établissent un lien soient de ces abstractions spontanément et naturellement jaillies du concret, de ces abstractions inanalysées, prises en bloc, comme l’idée générale de voiture ou l’idée générale de cheval.

C’est une grave méprise de prendre des lois qui relient des idées si complexes, si riches de contenu, si peu analysées, et de vouloir les traduire immédiatement au moyen des formes symboliques, produits d’une simplification et d’une analyse portées à l’extrême, qui composent le langage mathématique ; c’est une illusion singulière que de prendre l’idée de puissance motrice constante comme équivalente à l’idée de cheval, l’idée de mobile absolument libre comme représentation de l’idée de voiture. Les lois de sens commun sont des jugements touchant les idées générales, extrêmement complexes, que nous concevons à propos de nos observations quotidiennes ; les hypothèses de Physique sont des relations entre des symboles mathématiques amenés au plus haut degré de simplification ; il est absurde de méconnaître l’extrême différence de nature qui sépare ces deux sortes de propositions ; il est absurde de penser que les secondes se relient aux premières comme le corollaire au théorème.

C’est en ordre inverse que doit se faire le passage des hypothèses de la Physique aux lois de sens commun ; de l’ensemble des hypothèses simples qui servent de bases aux théories physiques se tireront des conséquences plus ou moins lointaines, et celles-ci fourniront une représentation schématique des lois que nous révèle l’expérience vulgaire ; plus les théories seront parfaites, plus cette représentation sera compliquée ; et cependant, les observations vulgaires qu’elle doit figurer la surpasseront toujours infiniment en complexité ; bien loin que l’on puisse tirer la Dynamique des lois que le sens commun a connues en regardant rouler une voiture tirée par un cheval, toutes les ressources de la Dynamique suffisent à peine à nous donner une image très simplifiée du mouvement de cette voiture.

Le dessein de tirer des connaissances du sens commun la démonstration des hypothèses sur lesquelles reposent les théories physiques a pour mobile le désir de construire la Physique à l’imitation de la Géométrie ; en effet, les axiomes d’où la Géométrie se tire avec une si parfaite rigueur, les demandes qu’Euclide formule au début de ses Éléments sont des propositions dont le sens commun affirme l’évidente vérité. Mais nous avons vu, à plusieurs reprises, combien il était dangereux d’établir un rapprochement entre la méthode mathématique et la méthode que suivent les théories physiques ; combien, sous une ressemblance tout extérieure, due à l’emprunt, fait par la Physique, du langage mathématique, ces deux méthodes se montraient profondément différentes ; à la distinction de ces deux méthodes il nous faut encore revenir.

La plupart des idées abstraites et générales qui naissent spontanément en nous, à l’occasion de nos perceptions, sont des conceptions complexes et inanalysées ; il en est, cependant, qui, presque sans effort, se montrent claires et simples ; ce sont les diverses idées qui se groupent autour des notions de nombre et de figure ; l’expérience vulgaire nous conduit à relier ces idées par des lois qui, d’une part, ont la certitude immédiate des jugements du sens commun, et qui, d’autre part, ont une netteté et une précision extrêmes. Il a donc été possible de prendre un certain nombre de ces jugements pour prémisses de déductions où l’incontestable vérité de la connaissance commune se trouvait inséparablement unie à la clarté parfaite des enchaînements de syllogismes. Ainsi se sont constituées l’Arithmétique et la Géométrie.

Mais les sciences mathématiques sont des sciences très exceptionnelles ; elles seules ont ce bonheur de traiter d’idées qui jaillissent de nos quotidiennes perceptions par un travail spontané d’abstraction et de généralisation, et qui, cependant, se montrent de suite nettes, pures et simples.

Ce bonheur est refusé à la Physique. Les notions, fournies par les perceptions, dont elle a à traiter, sont des notions infiniment confuses et complexes, dont l’étude exige un long et pénible travail d’analyse ; les hommes de génie qui ont créé la Physique théorique ont compris que, pour mettre dans ce travail de l’ordre et de la clarté, il fallait demander ces qualités aux seules sciences qui fussent naturellement ordonnées et claires, aux sciences mathématiques. Mais ils n’ont pu faire, néanmoins, que la clarté et l’ordre vinssent en Physique, comme ils viennent en Arithmétique et en Géométrie, se joindre d’une manière immédiate à la certitude obvie. Tout ce qu’ils ont pu faire, c’est de se placer en face de la foule des lois tirées directement de l’observation, lois confuses, complexes, désordonnées, mais douées d’une certitude qui se constate directement, et de tracer une représentation symbolique de ces lois, représentation admirablement claire et ordonnée, mais dont on ne peut même plus dire proprement qu’elle soit vraie.

Dans le domaine des lois d’observation, le sens commun règne ; lui seul, par nos moyens naturels de percevoir et de juger nos perceptions, décide du vrai et du faux. Dans le domaine de la représentation schématique, la déduction mathématique est souveraine maîtresse ; tout doit se ranger aux règles qu’elle impose. Mais d’un domaine à l’autre s’établit une continuelle circulation, un continuel échange de propositions et d’idées. La théorie demande à l’observation de soumettre quelqu’une de ses conséquences au contrôle des faits ; l’observation suggère à la théorie de modifier une hypothèse ancienne ou d’énoncer une hypothèse nouvelle. Dans la zone intermédiaire au travers de laquelle s’effectuent ces échanges, par laquelle est assurée la communication entre l’observation et la théorie, le sens commun et la logique mathématique font concourir leurs influences et mêlent les uns aux autres, d’une manière inextricable, les procédés qui leur sont propres.

Ce double mouvement qui, seul, permet à la Physique d’unir les certitudes des constatations de sens commun aux clartés des déductions mathématiques, a été dépeint en ces termes par M. Édouard Le Roy[89]:

« Bref, nécessité et vérité sont les deux pôles extrêmes de la science. Mais ces deux pôles ne coïncident pas ; c’est le rouge et c’est le violet du spectre. Dans la continuité intercalaire, seule réalité effectivement vécue, vérité et nécessité varient en sens inverse l’une de l’autre suivant celui des deux pôles vers lequel on s’oriente et se dirige… Si l’on choisit de marcher vers le nécessaire, on tourne le dos au vrai, on travaille à éliminer tout ce qui est expérience et intuition, on tend au schématisme, au discours pur, aux jeux formels de symboles sans signification. Pour conquérir la vérité, au contraire, c’est l’autre sens de marche qu’il faut adopter ; l’image, la qualité, le concret, reprennent leurs droits prééminents ; et l’on voit alors la nécessité discursive se fondre graduellement en contingence vécue. Finalement, ce n’est point par les mêmes parties que la Science est nécessaire et que la Science est vraie, qu’elle est rigoureuse et qu’elle est objective. »

La vigueur de ces termes excède peut-être quelque peu la pensée même de l’auteur ; en tous cas, pour qu’elle exprime fidèlement la nôtre, il suffit de substituer les mots ordre et clarté aux mots rigueur et nécessité employés par M. Le Roy.

Il est très juste, alors, de déclarer que la science physique est issue de deux sources : l’une de certitude, qui est le sens commun ; l’autre de clarté, qui est la déduction mathématique ; et la science physique est à la fois certitude et clarté parce que les flux qui naissent de ces deux sources concourent et mêlent intimement leurs eaux.

En Géométrie, la connaissance claire produite par la logique déductive et la connaissance certaine issue du sens commun sont si exactement juxtaposées qu’on ne saurait apercevoir cette zone mixte où s’exercent simultanément et à l’envi tous nos moyens de connaître ; voilà pourquoi le géomètre, lorsqu’il traite des sciences physiques, est exposé à oublier l’existence de cette zone ; pourquoi il veut construire la Physique, à l’imitation de sa science préférée, sur des axiomes immédiatement tirés de la connaissance vulgaire ; à la poursuite de cet idéal, que M. Ernst Mach nomme si justement[90] une fausse rigueur, il risque fort de n’atteindre que des démonstrations hérissées de paralogismes et tissues de pétitions de principes.


§ VI. — Importance en Physique de la méthode historique.


Comment le maître chargé d’exposer la Physique prémunira-t-il ses élèves contre les dangers d’une telle méthode ? Comment pourra-t-il leur faire embrasser du regard l’immense étendue du territoire qui sépare le domaine de l’expérience vulgaire, où rognent les lois de sens commun, du domaine théorique, ordonné par les principes clairs ? Comment pourra-t-il, en même temps, leur faire suivre la double démarche par laquelle l’esprit établit une communication continuelle et réciproque entre ces deux domaines ; entre la connaissance empirique qui, privée de théorie, réduirait la Physique à une matière informe, et la théorie mathématique qui, séparée de l’observation, détachée du témoignage des sens, ne donnerait à la science qu’une forme vide de matière ?

Mais cette méthode, pourquoi chercher à l’imaginer de toutes pièces ? N’avons-nous pas sous les yeux un étudiant qui, dans l’enfance, ignorait tout des théories physiques et qui, dans l’âge adulte, est parvenu à la pleine connaissance de toutes les hypothèses sur lesquelles reposent ces théories ? Cet étudiant, dont l’éducation s’est poursuivie durant des millénaires, c’est l’humanité. Pourquoi, dans la formation intellectuelle de chaque homme, n’imiterions-nous pas le progrès par lequel s’est formée la science humaine ? Pourquoi ne préparerions-nous pas l’entrée de chaque hypothèse dans l’enseignement par un exposé sommaire, mais fidèle, des vicissitudes qui ont précédé son entrée dans la Science ?

La méthode légitime, sûre, féconde, pour préparer un esprit à recevoir une hypothèse physique, c’est la méthode historique. Retracer les transformations par lesquelles la matière empirique s’est accrue, tandis que la forme théorique s’ébauchait ; décrire la longue collaboration par laquelle le sens commun et la logique déductive ont analysé cette matière et modelé cette forme jusqu’à ce que l’une s’adaptât exactement à l’autre, c’est le meilleur moyen, voire le seul moyen, de donner à ceux qui étudient la Physique une idée juste et une vue claire de l’organisation si complexe et si vivante de cette science.

Sans doute, il n’est pas possible de reprendre étape par étape la marche lente, hésitante, tâtonnante, par laquelle l’esprit humain est parvenu à la vue claire de chaque principe physique ; il y faudrait trop de temps ; pour entrer dans l’enseignement, il faut que l’évolution de chaque hypothèse se raccourcisse et se condense ; il faut qu’elle se réduise dans le rapport qu’a la durée de l’éducation d’un homme à la durée de la formation de la science ; à l’aide d’une abréviation semblable, les métamorphoses par lesquelles un être passe de l’état d’embryon à l’état adulte reproduisent la lignée, réelle ou idéale, par laquelle cet être se rattache à la souche première des êtres vivants.

Cette abréviation, d’ailleurs, est presque toujours aisée, pourvu que l’on veuille bien négliger tout ce qui est simplement fait accidentel, nom d’auteur, date d’invention, épisode ou anecdote, pour s’attacher aux seuls faits historiques qui paraissent essentiels aux yeux du physicien, aux seules circonstances où la théorie se soit enrichie d’un principe nouveau, où elle ait vu se dissiper une obscurité, disparaître une idée erronée.

Cette importance qu’acquiert, dans l’étude de la Physique, l’histoire des méthodes par lesquelles les découvertes se sont faites marque, de nouveau, l’extrême différence entre la Physique et la Géométrie.

En Géométrie, où les clartés de la méthode déductive se soudent directement aux évidences du sens commun, l’enseignement peut se donner d’une manière entièrement logique ; il suffit qu’un postulat soit énoncé pour que l’étudiant saisisse aussitôt les données de la connaissance commune que condense un tel jugement ; il n’a pas besoin, pour cela, de connaître la voie par laquelle ce postulat a pénétré dans la science. L’histoire des Mathématiques est, assurément, l’objet d’une curiosité légitime ; mais elle n’est point essentielle à l’intelligence des Mathématiques. Il n’en est pas de même en Physique. Là, nous l’avons vu, il est interdit à l’enseignement d’être purement et pleinement logique. Dès lors, le seul moyen de relier les jugements formels de la théorie à la matière des faits que ces jugements doivent représenter, et cela en évitant la subreptice pénétration des idées fausses, c’est de justifier chaque hypothèse essentielle par son histoire.

Faire l’histoire d’un principe physique, c’est, en même temps, en faire l’analyse logique. La critique des procédés intellectuels que la Physique met en jeu se lie d’une manière indissoluble à l’exposé de l’évolution graduelle par laquelle la déduction perfectionne la théorie, en fait une image toujours plus précise, toujours mieux ordonnée des lois que révèle l’observation.

Seule, d’ailleurs, l’histoire de la Science peut garder le physicien des folles ambitions du Dogmatisme comme des désespoirs du Pyrrhonisme.

En lui retraçant la longue série des erreurs et des hésitations qui ont précédé la découverte ôfi chaque principe, elle le met en garde contre les fausses évidences ; en lui rappelant les vicissitudes des Ecoles cosmologiques, en exhumant de l’oubli où elles gisent les doctrines autrefois triomphantes, elle le fait souvenir que les plus séduisants systèmes ne sont que des représentations provisoires et non des explications définitives.

Et, d’autre part, en déroulant à ses yeux la tradition continue par laquelle la science de chaque époque est nourrie des systèmes des siècles passés, par laquelle elle est grosse de la Physique de l’avenir ; en lui citant les prophéties que la théorie a formulées et que l’expérience a réalisées, elle crée et fortifie en lui cette conviction que la théorie physique n’est point un système purement artificiel, aujourd’hui commode et demain sans usage ; qu’elle est une classification de plus en plus naturelle, un reflet de plus en plus clair des réalités que la méthode expérimentale ne saurait contempler face à face.

Chaque fois que l’esprit du physicien est sur le point de verser en quelque excès, l’étude de l’histoire le redresse par une correction appropriée ; l’histoire pourrait définir le rôle qu’elle joue à l’égard du physicien en empruntant ce mot de Pascal[91] : « S’il se vante, je l’abaisse ; s’il s’abaisse, je le vante. » Elle le maintient ainsi en cet état de parfait équilibre d’où il peut sainement apprécier l’objet et la structure de la théorie physique.


  1. Julii Cæsaris Scaligeri Exotericarum exercitationum liber XV : De subtilitate adversus Cardanum, exercitatio IV ; Lutetiæ, 1557.
  2. J.-Baptistæ Benedicti Diversarum speculatiotium liber. Disputationes de guibusdam placitis Aristotelis, c. xxxv, p. 191 ; Taurini, MDLXXXV.
  3. Le Oere di Galileo Galilei, ristampate fedelmente sopra la edizione nazionale ; vol. I, Firenze, 1890. De motu, p. 252. (Cet écrit, composé par Galilée vers 1590, n’a été publié que de nos jours par M. Favaro.)
  4. On trouvera l’histoire détaillée de cette doctrine en notre écrit sur Les origines de la Statique, au chapitre xv intitulé : Les propriétés mécaniques du centre de gravité. — D’Albert de Saxe à Torricelli. Ce chapitre sera prochainement publié dans la Revue des Questions scientifiques.
  5. Cf. P. Duhem : Albert de Saxe et Léonard de Vinci. (Bulletin italien, t. V, p. 1, et p. 123 ; 1905.)
  6. Guidi Ubaldi e Marchionibus Montis In duos Archimedis æquiponderantium libros paraphrasis, scholiis illustrata, Pisauri, 1588, p. 10.
  7. Cf. P. Duhem : Les origines de la Statique c. xvi : La doctrine d’Albert de Saxe et les Géostaticiens. Ce chapitre paraîtra prochainement dans la Revue des Questions scientifiques.
  8. Fermat : Œuvres, publiées par les soins de MM. Paul Tannery et Ch. Henry, t. II, Correspondance., p. 31.
  9. Epistola Petri Peregrini Maricurtensis ad Sygerum de Foucaucourt militem, de magnete ; actum in castris, in obsidione Lucerœ, anno Domini MCCLXIX, viii die Augusti. — Imprimé par P. Gasser à Augsbourg en 1558. Réimprimé dans Neudrucke von Schriften und Karten über Meteorologie und Erdmagnetismus, herausgegeben von Professor Dr G. Hellmann. N° 10, Rara Magnetica (Berlin, Asher, 1896).
  10. Petrus Peregrinus: Loc. cit., Ire part., c. ix.
  11. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien, Ms. F. de la Bibliothèque de l’Institut, fol. 41, verso. — Ce cahier porte la mention : Commencé à Milan, le 12 septembre 1508.
  12. Nicolai Copernici De revolutionibus orbium cœlestium libri sex ; 1. I, cc. i, ii, iii, Norimbergæ, 1543.
  13. Nicolai Copernici De revolutionibus orbium cœlestium libri sex ; 1, I, c. IX ; Norimbergæ, 1543.
  14. Mersenne : Synopsis mathematica ; Lutetiæ, ex officina Rob. Stephani, MDCXXVI Mechanicorum libri p. 7,
  15. Mersenne: Loc. cit., p. 8.
  16. Hieronymi Fracastorii De sympathia et antipathia rerum, liber unus (Hieronymi Fracastorii Opera omnia ; Venetiis, MDLV).
  17. Gulielmi Gilberti Colcestrensis, medici Londinensis, De magnete, magneticis corporibus, et de magno magnete Tellure, physiologia nova ; Londini, 1600, p. 225.
  18. Gilbert : Loc. cit., p. 227.
  19. Gilbert : Loc. cit., p. 63.
  20. Gulielmi Gilberti Colcestrensis, medici Regii, De mundo nostro sublunari philosophia nova ; Opus posthumum, ab authoris fratre collectum pridem et dispositum. Amstelodami, MDGLI — Gilbert est mort en 1603.
  21. Gilbert : Loc. cit., p. 115.
  22. Bacon : Novum Organum, 1. II, c. xlviii, artt. 7, 8, 9.
  23. Jo. Kepleri Littera ad Herwartum, 28 mars 1605. — Joannis Kepleri astronomi Opera omnia, édit. Ch. Frisch, t. II, p. 87.
  24. Joannis Kepleri De motibus stellae Martis commentarii, Pragæ, 1609. — Kepleri Opera omnia, t. III, p. 151.
  25. Fermat : Œuvres, publiées par les soins de MM. Paul Tannery et Ch. Henry ; t. II, Correspondance p. 35.
  26. Cf.- : Roberto Almagia : Sulla dottrina della marea nell’ antichità classica e nel medio evo (Atti del Congresso internazionale di Scienze toriche, Roma, 1-9 aprile 1903 ; vol. XII, p. 151).
  27. Joannis Pici Mirandulæ. Adversus astrologos ; Bononiæ, 1495.
  28. Lucii Bellantii Senensis : Liber de astrologica veritate et in disputationes Joannis Pici adversus astrologos responsiones; Bononiae, 1495 ; Florentiœ, 1498 ; Venetiis, 1502 ; Basileee, 1504.
  29. Les livres d’Hiérome Cardanus, médecin milanois, intitulés de la subtilité et subtiles inventions, traduis de latin en françois par Richard Le Blanc, Paris, 1556, p. 35.
  30. Julii Cœsaris Scaligeri Exercitationes exotericœ de subtilitate adversus Cardanum, Exercitatio LII.
  31. Claude Duret : Discours de la vérité des causes et effects de divers cours, mouvemens, flux et reflux de la mer océane, mer méditerannée et autres mers de la Terre. Paris, 1600, p. 204.
  32. Gulielmi Gilberti De mundo nostro philosophia nova, p. 307.
  33. Hieronymi Cardani De rerum varietate libri XVII, 1. II, c. xiii ; Basileæ, 1557.
  34. Joannis Kepleri De fundamentis Astrologiæ, Pragæ, 1602 ; thesis XV — J. Kepleri Opera omnia, t. I, p. 422.
  35. J. Kepleri Notae in librum Plutarchi de facie in orbe Lunæ, Francofurti, 1634. — J. Kepleri Opera omnia, t. VIII, p. 118.
  36. Joannis Kepleri De motibus slellæ Martis, 1609. — J. Kepleri Opera omnia, t. III, p. 151.
  37. Essays de Jean Rey, Docteur en médecine, sur la recherche de la cause pour laquelle l’estain et le plomb augmentent de poids quand on les calcine. Nouvelle édition (augmentée de la correspondance de Mersenne et de Jean Rey), Paris, 1717, p. 109.
  38. Essays de Jean Rey, Docteur en médecine, sur la recherche de la cause pour laquelle l’estain et le plomb augmentent de poids quand on les calcine. Nouvelle édition (augmentée de la correspondance de Mersenne et de Jean Rey), Paris, 1717, p. 109.
  39. Descartes : Correspondance, Édition P. Tanneky et Ch. Adam, N° CXXIX. 13 juillet 1638 ; t. II, p. 225.
  40. F. Baconis Novum Organum ; Londini, 1620, 1. II, c. xxviii, art. 9.
  41. Cælii Calcagnini Ferrarensis Opera aliquot, Basileæ, MDXLIV.
  42. Cette dissertation, adressée à Bonaventure Pistophile, n’est pas datée ; elle est suivie, dans les Opera de Calcagnini, d’une autre dissertation, adressée au même personnage, et datée de janvier 1525 ; il est vraisemblable que la première dissertation est antérieure à cette date.
  43. Calcagnini Opera, p. 392.
  44. Gasparis Contarini De elementis eorumque mixtionibus libri II ; Lutetiæ, MDXLVIII.
  45. Claude Duret : Discours de la vérité… ; Paris, 1600, p. 236.
  46. Gulielmi Gilberti De mundo nostro philosophia nova., pp. 309 et 313.
  47. Alberti Magni De causis proprietatum elementorum liber unus ; tract. II, c. VI. — B. Alberti Magni Opera omnia, Lugduni, 1651 ; t. V, p. 306.
  48. Quæstiones super quatuor libros meteorum compilatæ per doctissimum philosophum professorem Thimonem, Lutetiæ, 1516 et 1518 ; 1. II, quæst. II.
  49. Federici Chrisogoni nobilis Jadertini De artificioso modo collegiandi, pronosticandi et curandi febres et de pronosticis ægritudinum per dies criticos necnon de humana felicitate, ac denique de fluxu et refluxu maris ; Venetiis, impr. a Joan. A. de Sabio, 1528.
  50. Hieronymi Cardani De rerum varietate libri XVII ; Basileæ, MDLVII, l. II, cap. xiii.
  51. Federici Delphini De fluxu et refluxu aquæ maris ; Venetiis MDLIX ; deuxième édition, Basileæ, MDLXXVII.
  52. Pauli Gallucii Theatrum mundi et temporis, MDLXXXVIII, p. 70.
  53. Annibale Raimondo: Trattato del flusso e reflusso del mare, in Venetia, 1589.
  54. Discours de la vérité des causes et effects, des divers cours, mouvements flux et reflux et saleure de la mer Océane, mer Méditerranaée et autres mers de la Terre, par M. Claude Duret, conseiller du Roy, et premier juge au siège présidial de Moulins en Bourbonnais. À Paris, chez Jacques Rezé, MDC.
  55. Gassendi Epistolæ tres de motu impresso a motore translato, Epistola III, art. xvi, Parisiis, 1643. — Petri Gassendi Diniensis Opuscula philosophica, t. III, p. 534. Lugduni, 1658.
  56. Aristarchi Samii De Mundi systemate partibus et motibus cujusdem liber singularis. Addictæ sunt æ P. de Roberval notæ in eundem libellum. Parisiis, 1644. Cet ouvrage fut réimprimé par Mersenne, en 1647, au tome III de ses Cogitata physico-mathematica. — Je crois que si l’on interprète exactement la pensée de Roberval, on ne doit pas voir dans son système une théorie de la gravité universelle ; les parties du fluide interplanétaire n’attireraient que les parties du même fluide ; les parties terrestres n’attireraient que les parties terrestres ; les parties du système de Vénus que les parties du même système, etc. Toutefois, il y aurait attraction mutuelle entre le système de la Terre et le système de la Lune, entre le système de Jupiter et les satellites de cet astre. L’application que Roberval fait du principe d’Archimède à l’équilibre d’un système planétaire au sein du fluide interplanétaire serait alors tout à fait erronée ; mais semblable erreur est fréquente dans les travaux des géomètres du xvie siècle et se trouve même dans les premiers écrits de Galilée. — Descartes(*), en tous cas, dans la critique qu’il a donnée du système de Roberval, l’a compris comme supposant la gravité universelle : « Denique aliam inesse præterea similem proprietatem in omnibus et singulis terræ, aquæ, aerisque partibus, vi cujus ad se invicem ferantur, et se reciproce attrahant ; adeo ut hæ (similique etiam modo aliæ onmes quæ aliquos planetas componunt vel circumdant) singulæ duas ejusmodi habeant vires, unam quæ ipsas cum aliis partibus sui planetæ, aliam quæ easdem cum reliquis partibus Universi conjungat. »

    (*) Descartes : Correspondance, édition P. Tannery et Ch. Adam, t. IV, p. 399 lettre de Descartes à Mersenne datée du 20 avril 1646.

  57. Julii-Cæsaris Scaligeri De subtilitate adversus Cardanum, Exercitatio LXXXV.
  58. Rogerii Bacconnis Angli Specula mathematica in qua de specierum multiplicatione, earumdemque in inferioribus virlute agitur ; Francofurti, MDCXIV.
  59. Roger Bacon : Loc. cit., dist. II, cc. i, ii, iii.
  60. Roger Bacon : Loc. cit., dist. III, cc. ii.
  61. Joannis Kepleri De molibus stellæ Martis commentarii, c. xxxiv. — Joannis Kepleri Opera omnia, t. III, p. 302. — Epitome Astronomiæ Copernicanæ ; 1. IV, IIe part., art. 3. — Joannis Kepleri Opera omnia, t. VI, p. 347.
  62. Joannis Kepleri Ad Vitellium paralipomena quibus Astronomiæ pars optica traditur ; Francofurti, 1604, c. i, prop. IX. — Joannis Kepleri Opera omnia, t. II, p. 133.
  63. Joannis Kepleri Commentarii de motibus stellæ Marlis, c. xxxvi. — Kepleri Opera omnia, t. III, pp. 302, 309. — Epitome Astronomiæ Copernicanæ, 1. IV, IIe part., art. 3. — Kepleri Opera omnia, t. VI, p. 349.
  64. Ismaelis Bullialdi De natura lucis ; Parisiis, 1638, prop. XXXVII, p. 41.
  65. Ismaelis Bullialdi Astronomia Philolaïca ; Parisiis, 1645, p. 23.
  66. Athanasii Kircheri Magnes, sive de arte magnetica Romæ, 1641 ; l. I, prop. XVII, XIX, XX. En la proposition XX, Kircher parle de décroissance en raison inverse de la distance ; c’est là un simple lapsus provenant de ce que Kircher, raisonnant sur des aires sphériques, les a représentées par des arcs de cercle. La pensée de l’auteur n’en est pas moins très claire.
  67. Hieronymi Cardani Opus novum de proportionibus ; Basilæ, 1570 ; prop. CLXIII, p. 165.
  68. Leibniz : Lettre à Molanus (?) (Œuvres de Leibniz, Édition Gerhardt, t IV, p. 301).
  69. Alphonsi Borelli Theoriæ Mediceorum planetarum ex causis physicis deductæ, Florentiæ, 1663. — Cf. Ernst Goldbeck : Die Gravitations-hypothese bei Galitei und Borelli, Berlin, 1897.
  70. Borelli : Loc. cit., p. 76.
  71. Borelli : Loc. cit., p. 47.
  72. Aristote : Περὶ οὐρανοῦ, Β, αγ.
  73. Plutarque : Περὶ τοῦ ἐμφαινομένου προσώπου τῷ κύκλῳ τῆς σελήνης, Ζ
  74. Hooke : On attempt to prove to annual motion of the Earth ; London, 1674.
  75. Christiani Hugenii De horologio oscillatorio ; Parisiis, 1673.
  76. Leibnith Tentamen de motuum cœlestium causis (Acta Eruditorum Lipsiæ, anno 1689).
  77. Le lecteur désireux de constituer cette histoire trouvera tous les documents nécessaires dans les tomes II et III de la Collection de Mémoires relatifs à la Physique publiés par la Société française de Physique (Mémoires sur l’Électrodynamique, 1885 et 1887).
  78. Cf. F. Menthé : La simultanéité des découvertes scientifiques (Revue scientifique, 5e série, t. II, p. 555 ; 1904.)
  79. Augustin Fresnel : Œuvres complètes, t. I, p 182.
  80. Cauchy : Comptes rendus, t. II, 1836, p. 364. — Poggendorff’s Annalen, Bd. IX, 1836, p. 39.
  81. George Green : Transactions of the Cambridge Mathematical Society, vol. VI, 1838, p. 403. — Mathematical Papers, p. 231.
  82. George Green : Transactions of the Cambridge Mathematical Society, vol. VI, 1838, p. 403. — Mathematical Papers, p. 231.
  83. Mac Cullagh : Proceedings of the Royal Irish Academy, voll. II et III. — Collected Works, pp. 187, 218, 250.
  84. Réponse citée par Biot dans l’article : Newton qu’il a écrit pour la Biographie universelle de Michaud.
  85. Leonhardi Euleri Mechanica sive motus scientia, analytice exposita, Petropoli, 1736 ; t. I, Præfatio.
  86. Cf. E. Wohlwill : Die Entdeckung der Beharrungsgesetzes (Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenscliaft, Bd. XIV et Bd. XV, 1883-1884). — P. Duhem : De l’accélération produite par une force constante (Congrès d’Histoire des sciences ; Genève, 1904).
  87. Aristote : Φυσικῆς ἀκροάσεως Η, ε. — Περὶ Οὐρανοῦ, Γ, β.
  88. Le lecteur pourra rapprocher ce que nous venons de dire des critiques adressées par M. E. Mach à la démonstration, proposée par Daniel Bernoulli, pour justifier la règle du parallélogramme des forces. [Ernst Mach : La Mécanique, exposé historique et critique de son développement, Paris, 1904, p. 45.)
  89. Édouard Le Roy : Sur quelques objections adressées à la nouvelle philosophie. (Revue de Métaphysique et de Morale, 1901, p. 319.)
  90. Ernst Mach : La Mécanique, exposé historique et critique de son développement, Paris, 1904, p. 80.
  91. Pascal: Pensées. Édition Havet, art. 8.