Troisième branche des FAULQUIER La terre de Chauvirey Notes





Compte-rendu du procès qui s’agita, de 1735 à 1742, entre les quatre seigneurs de la terre




Dans la notice qui précède il a été plusieurs fois question d'un procès considérable entre les divers seigneurs de la terre de Chauvirey ; avant de terminer, il n'est peut-être pas sans intérêt, au point de vue historique du moins, d'en faire connaître les causes et l'issue.

Ainsi qu'on l'a vu, cette terre appartenait en 1730 à quatre seigneurs qui tous y jouissaient des mêmes droits, mais dans des proportions différentes ; c'est relativement à la réglementation de quelques-uns de ces droits qu'eut lieu le procès dont il s'agit. Voici ce qui lui donna naissance.

Le sieur Rochet, curé de Chauvirey-le-Vieil, décéda au mois de janvier 1733. M. Régent se hâta de nommer pour son successeur le sieur Humblot, qui se hâta de même de se faire instituer. Mme d'Ambly, douairière, s'était empressée de nommer de son côté le sieur Villemot, d'Aboncourt ; celui-ci ayant fait cession de son droit au sieur Humblot, Mme d'Ambly, pour ne pas laisser sans effet une nomination hasardée sans titre, mais dont elle voulait s'en faire un pour l'avenir, imagina de nommer elle-même le sieur Humblot.

Dans ces divers actes publics, Mme d'Ambly s'avisa de prendre une singulière qualification qu'elle avait déjà prise dans certains actes privés, celle de « dame première honorifique dans la terre de Chauvirey. »

M. de Montessus, après quelques pourparlers et tentatives d'accommodement, intenta en 1735 un procès contre M. Régent et les héritiers de Mme d'Ambly, décédée entre temps. MM. de La Fontaine, à qui leur éloignement de Chauvirey n'avait pas permis d'être instruits plus tôt des faits, intervinrent au procès par acte du 2 février 1738, sans considération pour leur parenté avec MM. d'Ambly, qui étaient leurs cousins issus de germains par suite du mariage d'Anne-Elisabeth de La Fontaine avec Daniel Du Châtelet.

En outre de la chapelle castrale qu'ils avaient dans l'enceinte des remparts de leur château, MM. de La Fontaine avaient aussi un banc dans le chœur de l'église de Chauvirey-le-Châtel, ainsi que le droit de sépulture dans ce même chœur. On ne sache pas qu'aucun d'eux y ait été inhumé, mais on y voyait les tombes de plusieurs de leurs prédécesseurs.

M. de Montessus avait son banc dans la chapelle Sainte-Anne, du côté de l’Évangile, dans laquelle il avait aussi le droit de sépulture.

MM. d'Ambly avaient les mêmes droits dans la chapelle Saint-Nicolas, qui est du côté de l'Épître.

M. Régent avait son banc, qui est encore aujourd'hui celui de ses successeurs, dans la chapelle des Trois-Rois, débaptisée depuis, sans qu'on sache pourquoi, et appelée maintenant de Sainte-Catherine. Son père, quoique mort en son château d'Ouge, fut, suivant son droit, inhumé dans cette chapelle. Puis M. Régent avait seul un banc seigneurial à Chauvirey-le-Vieil, non pas que MM. de La Fontaine et de Montessus n'eussent aussi le droit d'en avoir un dans cette église ; mais ils ne l'ont jamais exercé. Le banc de M. Régent était placé dans le chœur ; c'est aussi dans ce chœur que sa mère fut inhumée.

Chaque seigneur avait seul droit de nommer le chapelain chargé de desservir sa chapelle dans l'église de Chauvirey-le-Châtel.

Au regard de ces droits ils étaient tous d'accord ; mais il n'en était plus de même pour presque tous les autres, et principalement pour celui de nomination à la cure de Chauvirey-le-Vieil.

Les divers seigneurs avaient tous, bien que dans des proportions différentes :

1° La haute, moyenne et basse justice ;

2° Les droits honorifiques, consistant notamment en : nomination du curé de Chauvirey-le-Vieil (ancienne et riche cure du diocèse de Besançon) et du desservant de Chauvirey-le-Châtel (assez pauvre chapellenie du diocèse de Langres), eau bénite, encens, pain bénit, nomination dans les prières publiques, places réservées aux processions, ceinture funèbre, etc. etc.;

3° Les droits utiles, qu'il n'y a pas lieu d'énoncer ici de nouveau, et dont on peut voir le détail à peu près complet aux pages 5 et suivantes[1].

Le procès une fois entamé sur un point, on profita de l'occasion pour en mettre en discussion plusieurs autres ; mais il est à propos de remarquer que c'était surtout relativement aux droits honorifiques que l'on se querellait.

Chacune des parties au procès énonçait, ainsi que cela arrive communément, des prétentions supérieures[2] aux droits qu'elle avait réellement, et la lutte fut très vive. Les d'Ambly notamment prétendaient à une part dans les seigneuries de Chauvirey-le-Vieil et de la Quarte, où ils n'eurent jamais aucun droit. L'issue du procès le leur démontra, quant à Chauvirey-le-Vieil du moins ; car la sentence dont il va être parlé leur accorda quelque chose à la Quarte, et on ne saurait deviner quels furent les motifs des juges, la position et les titres de la famille d'Ambly étant absolument les mêmes dans l'un et l'autre de ces deux villages.

Le 9 mai 1739, sentence fut rendue par le bailliage de Vesoul, qui prononçait sur tous les chefs du procès. Il y eut appel par toutes parties, et M. de Montessus, en vertu d'un committimus dont il était pourvu, fit porter l'appel pardevant le parlement de Metz, moyen ingénieux, sinon loyal, de fatiguer ses adversaires et de leur faire perdre temps et argent, si surtout avec un procureur habile, et en incidentant, on venait à bout de tirer l'affaire en longueur. Le 5 juin 1741 il intervint une transaction entre MM. de Montessus et Régent, acquiesçant tous deux, en ce qui les concerne personnellement, à la sentence du 9 mai ; puis enfin le 10 janvier 1742 le parlement de Metz rendit un arrêt confirmant sur tous les points la sentence du bailliage de Vesoul.

Voici en résumé comment furent réglés les droits de chacun quant aux points les plus importants :

1° Le droit de nomination à la cure de Chauvirey-le-Vieil appartient par moitié, pour en user alternativement, à MM. de Montessus et Régent, à l'exclusion complète des autres parties.

2° La qualité de « dame première honorifique » prise par Mme d'Ambly sera rayée, aux frais de ses héritiers, partout où elle aura été prise, notamment dans les archives archiépiscopales, et il leur est fait défense de la prendre à l'avenir.

3° Chaque seigneur jouira des droits seigneuriaux sur les héritages et sujets soumis à sa seigneurie, exclusivement à tous autres.

Quant aux droits de haute, moyenne et basse justice sur les forains ou étrangers aux seigneuries, pour crimes, délits et mésus commis sur les communaux, ils appartiendront pour trois huitièmes à M. de Montessus, pour deux huitièmes à MM. de La Fontaine, autant à MM. d'Ambly, et pour un huitième à M. Régent, le tout quant à ce qui concerne Chauvirey-le-Châtel, Vitrey, Ouge et la Quarte ; mais quant à ce qui regarde Chauvirey-le-Vieil, ces mêmes droits seront de moitié pour M. de Montessus, deux sixièmes pour MM. de La Fontaine, et un sixième pour M. Régent, MM. d'Ambly n'y ayant aucun droit quelconque ; le tout à charge par les seigneurs de s'entendre pour la nomination d'un juge et du greffier communs, sauf à avoir chacun leur procureur particulier ; et en cas de désaccord à l'égard de la nomination du juge et du greffier, la voix de M. de Montessus sera prépondérante.

4° Dans les prières publiques, les parties seront partout nommées et recommandées sous le nom collectif de seigneurs.

Dans l'église de Chauvirey-le-Vieil, MM. de Montessus et Régent auront les premiers, et ce alternativement par quartier, l'eau bénite, le pain bénit et l'encens ; ils précéderont les autres aux processions, et jouiront du droit de ceinture funèbre au lieu le plus éminent ; MM. de La Fontaine viendront après eux, et MM. d'Ambly n'arriveront qu'en dernier ordre. Dans l’église de Chauvirey-le-Châtel, MM. de La Fontaine jouiront les premiers de tous les droits dont il vient d'être parlé ; ensuite MM. d'Ambly ; puis M. de Montessus, et en dernier lieu M. Régent.

Dans l'église de Vitrey, M. de Montessus sera le premier ; après lui MM. de La Fontaine ; puis MM. d'Ambly, et enfin M. Régent.

Dans l'église d'Ouge, il en sera de même que dans celle de Vitrey.

Dans la chapelle vicariale de la Quarte, M. Régent sera le premier ; M. de Montessus le suivra; puis MM. de La Fontaine, et enfin MM. d'Ambly.

5° Les territoires des diverses communes seront arpentés par des experts. On remplira d'abord les droits des quatre seigneurs à vue de leurs terriers respectifs, et ce qui excédera sera partagé entre eux, dans la proportion de leurs parts de seigneuries, et ce pour les territoires de Chauvirey-le-Châtel, Vitrey, Ouge et la Quarte ; quant à ce qui regarde Chauvirey-le-Vieil, ce partage n'aura lieu qu'entre MM. de Montessus, de La Fontaine et Régent, MM. d'Ambly en étant complètement exclus comme n'ayant aucun droit dans cette terre.

6° Il est fait défense à M. Jean de La Fontaine de signer seulement « de Chauvirey ; » mais il lui est ordonné de faire précéder cette qualification seigneuriale de son nom de famille.

7° Enfin MM. d'Ambly et Régent sont condamnés aux trois quarts des dépens en ce qui concerne leurs conclusions particulières contre MM. de Montessus et de La Fontaine ; M. Jean de La Fontaine est condamné en tous les dépens en ce qui concerne les conclusions tendantes à lui faire défendre de signer « de Chauvirey » sans faire précéder cette signature de son nom de famille ; tous les autres dépens sont compensés également entre les parties.

Le résultat de ce procès, né de la prétention de la famille d'Ambly à être la première quant à la jouissance des droits honorifiques, fut donc de la placer au contraire en dernier ordre.

Vers la fin de ces débats, et avant 1740, M. de Montessus ayant acquis tout ce que MM. de La Fontaine possédaient dans la terre de Chauvirey, réunit leurs droits aux siens.

Puis enfin, ainsi qu'on l’a dit page 174[3], M. de Montessus ayant, le 26 septembre 1757, cédé par échange à M. Régent tout ce qu'il avait à Chauvirey-le-Vieil tant de son chef que de celui de MM. de La Fontaine, M. Régent devint seul seigneur à Chauvirey-le-Vieil.

Notes de bas de page modifier

  1. N° de page de l’ouvrage original de 1865
  2. Il est juste toutefois de reconnaître que celles de MM. d'Ambly et Régent étaient plus exagérées que celles de leurs adversaires ; aussi, comme on va le voir, furent-ils condamnés à une plus forte partie des dépens. La sentence du 9 mai décida de la manière la plus équitable et conformément aux titres divers que l'on a tous soigneusement consultés pour la rédaction de la présente notice. On ne fait d'exception qu'en ce qui concerne le village de la Quarte, où elle n'aurait dû reconnaître aucun droit aux d'Ambly, tous les titres fournissant contre eux les mêmes raisons à l'égard de la Quarte qu'à l'égard de Chauvirey-le-Vieil.
  3. N° de page de l’ouvrage original de 1865

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