La maison de librairie Beauchemin (p. 183-196).

XXV


Comme dans le tableau de Fildes, imaginez un de ces foyers d’humbles, où la misère séjourne d’autant plus douloureuse qu’on y sent davantage l’ingénieux effort répandu partout pour la masquer ; jetez, sur un coin de lit trop grand, un enfant, dont le râle siffle sinistrement à travers la pièce ; placez tout contre, prostrée sur le plancher nu, une jeune femme dont la tête retombe inerte et se perd dans le cercle de ses bras repliés ; et plus loin, au fond, debout dans la pénombre de la lampe demi-baissée, un homme… « l’homme » immobile et silencieux, et qui sans voir regarde à une profondeur d’abîme. Laissez de plus peser sur cette scène la lugubre antithèse de ce silence et de ce râle alternant dans le calme de la nuit, et vous aurez une image du foyer de Lucas.

Car c’est bien le croup véritable, cette fois, qui est venu sauvagement saisir le petit Gérard à la gorge.

Leur petit Chaton, selon qu’ils l’appelaient parfois… le vieux docteur Duvert le leur avait déjà sauvé… Et Lucas avait tout de suite couru harnacher le fidèle Rougeaud, qui broutait tout proche en ce moment, et il avait pris la route du village.

Dans les villes, on ignore généralement tout de l’émotion poignante du malheureux qui court au loin, dans la nuit, à la poursuite du médecin et qui garde dans ses oreilles les gémissements et les râles de son foyer. La nerveuse sonnerie du téléphone escamote tout. Mais dans les campagnes lointaines, combien cette émotion — que prolonge et martèle interminablement le choc monotone des roues et des sabots sur les chemins rocailleux — combien cette émotion tenaille le pauvre paysan qui galope, seul dans l’ombre traîtresse, pour porter son appel au docteur.

C’est dans cet état d’anxiété que Lucas, au risque de culbuter l’attelage dans les fossés du chemin, avait franchi la distance qui le séparait du village et de l’habitation du docteur Duvert ; mais quelle déconcertante réponse il avait reçu à son coup de timbre fébrile :

— « Absent… parti pour les malades… » À la Montagne, il croyait… il ne savait pas bien où, lui avait seulement jeté, de la fenêtre entr’ouverte, le garçon de service du docteur.

Absent… Lucas n’avait point prévu ce désappointement ; il n’y avait même pas pensé, tant son esprit était demeuré rivé sur les deux êtres laissés là-bas, presque pareillement étranglés. Il était un moment resté dérouté, accablé, comme si toute l’existence de son enfant n’eût tenu qu’entre les mains du docteur Duvert. Les idées s’ébauchent et se succèdent vite dans la nuit, et bientôt un long grincement de roues annonça qu’il repartait. Pour aller où ?

Pour s’adresser à Verneuil, cette fois… Mais pourquoi n’avançait-il plus que lentement, en hésitant ? Il ne s’en rendait guère compte ; toute sa pensée prise ailleurs.

Ce n’était pas pourtant que Lucas doutât de l’habileté de Verneuil. Non, son changement subit d’allure attestait seulement une fois de plus l’instinctive répugnance que tout malade éprouve à séparer la médecine d’une certaine enveloppe de sympathie et de tendresse, et la difficulté qu’il a à vaincre, pour la concevoir autrement que fondue avec la personne même du médecin.

Comme Lucas avait toujours perçu l’existence d’une vague antipathie, entre Verneuil et lui, il avait ressenti une soudaine souffrance intérieure en se représentant qu’il n’allait apporter à son enfant que les soins indifférents de cet étranger. Mais que faire, n’est-ce pas ? Il le fallait bien… Il s’était décidé à frapper.

Convaincu que cet appel nocturne lui était destiné, Verneuil s’était présenté lui-même pour y répondre. Mais sitôt la porte ouverte, ils étaient demeures hésitants tous deux, subitement gênés de se trouver en présence.

— « C’est mon enfant qui est très malade… pris du croup, je crois », s’empressa d’expliquer Lucas, autant pour rompre le malaise inattendu qui l’avait saisi que pour porter plus vite secours à son enfant… « Je voulais vous amener le voir. »

— « Le docteur Duvert n’est donc pas chez lui, pour que… » demanda simplement Verneuil, sans achever sa phrase.

— « En effet… Il est parti pour la montagne… Vous comprenez, il a toujours été le médecin de la famille… » reprit Lucas embarrassé et sentant sa poitrine se serrer devant le verbe glacé de Verneuil. « Nous avons toutefois pareillement confiance en vous… Vous saurez bien traiter le cas avec autant l’habileté que lui. »

— « Non, je ne le saurais pas, » répliqua sèchement Verneuil sur le ton satisfait et arrogant de quelqu’un qui juge le moment favorable pour se venger. « Attendez qu’il soit de retour… cela ne devra pas beaucoup tarder. »

— « Attendre son retour ? Vous ne soupçonnez point dans quel état se trouve mon enfant… Sa respiration est déjà sifflante… les sueurs l’inondent… N’est-ce pas grave et ne faut-il pas se hâter d’intervenir ? » Il le suppliait humblement, parlant vite, sentant qu’il s’écoulait un temps précieux… « Et vous avez maintenant, paraît-il, de si bons remèdes à cette maladie… »

— « Peut-être… mais je n’irai certainement pas, » affirma nettement cette fois Verneuil, content de savourer jusqu’à quel point son refus réussissait à torturer à propos Lucas.

— « Vous refuseriez de venir ? Non, cela n’est pas vrai… Vous n’aurez point cette dureté… C’est impossible ? »

Comme Verneuil ne bougeait point :

— « Mais avez-vous même le droit d’agir ainsi ?… et envers un enfant encore… envers un pauvre enfant. que vous pourriez sauver ? » acheva-t-il. L’image exsangue de son petit Gérard… de Marcelle, seule là-bas, lui était revenue à l’esprit.

— « Le droit », rétorqua Verneuil avec un dédaigneux plissement de lèvres. « Eh ! bien, je le prends ce droit, si je ne l’ai point. »

— « Misérable sans cœur » lui jeta Lucas exaspéré et s’avançant sur lui les poings crispés. « Sans cœur, » gronda-t-il, hors de lui-même.

— « Moins sans cœur que vous ne l’êtes vous-même, de Beaumont », répliqua, à son tour Verneuil, tout en se garant. « J’aurais eu le cœur, moi, de me conserver les moyens de payer les soins réclamés par mon enfant… L’avez-vous eu, vous ?… »

À la vérité, Verneuil n’obéissait pas à ce moment à un simple souci de gain. Il avait seulement d’instinct mis à nu, chez Lucas, le point le plus douloureux à meurtrir, et il répétait, comme s’il eût porté des coups de lancette : « L’avez-vous eu ce cœur-là ? L’avez-vous eu ? »

Lucas avait chancelé sous la justesse brutale de l’apostrophe. Sa révolte évanouie, sa tête courbée, il acceptait la condamnation. Et comme une bête blessée, qui ne cherche plus qu’à se terrer dans un coin quelconque, il avait tourné sur lui-même dans un gémissement de douleur. Car c’était vrai, hélas, qu’il ne lui restait rien, rien en poche.

Tranquillement, il ramassa sa casquette tombée dans l’emportement passager de la colère et avec un regard furtif et poignant, qui demandait encore : — Est-ce bien vrai que vous refusez ?… il se glissa au dehors.

Désemparé, atteint jusqu’à l’âme par l’implacable rebuffade qu’il venait d’éprouver, il était retourné à son attelage abandonné au rebord de la route. Sans se décider à aucun parti, il était resté accoudé au timon de la charrette, le regard perdu dans les étoiles, comme si le secours désiré ne pouvait plus lui venir que de là.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Oh ! les tristes heures, les minutes atroces pour les mères, que celles dont les secondes sont rythmées non sur le balancement monotone de la pendule, mais sur le halètement précipité d’une poitrine d’enfant. Combien de temps cette vaine chasse au médecin avait-elle duré ? Une heure peut-être, deux au plus, et cependant elle avait paru interminable à l’esprit de Marcelle. Aussi s’était-elle redressée, délivrée subitement d’un poids qui lui broyait les épaules, en entendant le pas connu de Lucas sur le perron. Elle s’était précipitée à sa rencontre, mais s’apercevant que personne ne l’accompagnait :

— « Seul ? Tu es seul… Et le docteur ? » s’exclama-t-elle dans un sanglot étouffé qui lui avait brisé la voix.

— « Absent » avait sourdement répondu Lucas, en cherchant tout de suite d’un regard craintif à deviner l’état de son enfant.

L’espoir d’un secours efficace avait jusque-là seul soutenu le courage de Marcelle. Si, dans l’horreur de la nuit, penchée sur le souffle saccadé de son enfant, elle avait parfois tremblé, elle n’avait cependant pas eu peur. Mais voilà que semblable au naufragé, qui voit s’éloigner le flambeau sauveur auquel il adressait désespérément ses signaux de détresse, voilà que pareillement elle voyait s’éteindre la lueur de salut sur laquelle elle avait tant compté !

Elle était retournée s’abattre au côté du petit malade.

— « Et tu n’as point couru ailleurs ?… Chez Verneuil ? » reprit-elle dans le silence, impuissante a se séparer de tout espoir.

— « J’y suis allé,… oui… »

— « Absent, lui aussi ? »

— « Non », reprit Lucas.

Déjà relevée à cette consolante parole, elle persistait à arracher les réponses par bribes.

— « Et alors ?… dis donc… parle… »

Lucas avait en effet résolu en route de ne rien relater à Marcelle du sauvage refus opposé par Verneuil. Ce n’était pas toutefois sa fierté blessée qui lui avait dicté cette détermination, Non. Sans colère contre personne, il s’était tout simplement jugé et condamné lui-même. Il se refusait le droit de se plaindre et de récriminer. Il expierait tout bas.

Mais en sentant de nouveau peser sur lui l’atmosphère morne de son foyer, entrer dans ses chairs les râles stridents de son enfant, lorsqu’il entendit les gémissement étouffés de Marcelle, il perçut que le châtiment n’atteignait point le coupable et que c’était en somme sur le pauvre petit qui agonisait sous ses yeux que retombait entièrement l’inhumaine hostilité de Verneuil.

Sans mentir, mais en mêlant à sa réponse le rictus de mépris écœuré qu’il aurait eu pour peindre le triomphe brutal qu’un colosse aurait remporté sur un enfant, il ajouta :

— « Verneuil a refusé de venir. »

— « Il a refusé ?… Je sais… » reprit avec amertume Marcelle, sans rien expliquer. « Il ne vous aime point, vous, les de Beaumont… Oh ! le lâche… le lâche. »

Elle avait enfoui sa tête sous les draps et s’était blottie contre son enfant comme pour mourir avec lui et ne plus rien voir, ne plus rien apprendre des laideurs et des hontes humaines que la vie ne cessait de lui dévoiler.

Lucas, lui, était resté debout, immobile, roulant sa pensée dans je ne sais quel vertige. Dans son angoisse d’approcher, il se contentait de suivre de loin, sur le coin de lit où se débattait son enfant, le mouvement d’ondulation des draps. Il pensait à la fois à Verneuil.

— « Le lâche !… le misérable lâche ! » avait au bout d’un temps repris Marcelle à travers ses larmes désespérées et en échangeant avec Lucas un regard d’impuissance. Quant au petit Gérard lui-même, sa pâle charpente sans cesse soulevée et disloquée par la tension respiratoire, il avait pareillement promené un regard de détresse infinie sur les choses autour de lui, puis il s’était abattu dans les mêmes creux de ses oreillers. Dans la nuit et le silence, tout cela était suprêmement poignant.

Lucas n’osait remuer. Il se tenait toujours debout, apparemment impassible. Mais en lui-même une voix le torturait ; il entendait le bruit de galop de plus en plus précipité qui, de sa poitrine, montait lui heurter les tempes. Le condamné, qui dans sa soif d’existence rumine secrètement en lui même s’il va étrangler son bourreau ou tendre docilement ses mains aux fers, doit avoir un peu cette attitude de mystère farouche.

Tout à coup, saisissant sa casquette, il s’était glissé en silence auprès de son enfant et l’avait embrassé au front au milieu des mèches moites ; puis sans rien dire il s’était emparé d’une petite bourse, — dédaignée et perdue dans les replis des oreillers — avec laquelle Marcelle avait au début tenté d’endormir les premiers accès du mal. Il s’en était emparé en tremblant, comme s’il eût commis une profanation. C’est que cette naïve petite chose c’était le trésor sacré de Gérard ; l’inviolable dépôt, où, depuis sa première dent, il entassait et faisait tinter les gros sous et les pièces blanches que le grand-père de Beaumont, Yves, Marcelle, Lucas lui-même, y avaient tour à tour introduits. Avec la sorte de serrement de cœur que doivent éprouver, il semble, ceux qui dépouillent les mourants, les soirs de bataille, Lucas en avait retiré le contenu.

— « Que fais-tu ? » murmura tout bas Marcelle interdite.

Lucas n’avait point fait de réponse, mais un geste seulement, un geste implacable de la main et des épaules comme pour dire : — « Ne m’interroge point » et assourdissant ses pas il avait disparu par la porte de sortie. En entendant aussitôt sous la fenêtre un roulement rapide de roues qui s’éloignait, Marcelle comprit, et de nouveau elle se sentit plus forte. C’était bien vers le village, en effet, que Lucas retournait.

Allait-il éprouver un nouveau refus ? Verneuil affichera-t-il sa même dureté sauvage ? Non, Lucas s’était disposé à le supplier si humblement, cette fois, à lui offrir jusqu’aux pauvres gros sous de son enfant, s’il le fallait, qu’il saurait bien l’attendrir. Mais à mesure qu’il approchait, sa détermination de vaincre prenait une autre forme, se raffermissait en s’appuyant sur d’autres motifs… Eh ! quoi, n’est-ce pas, personne n’a le droit de laisser sous ses yeux périr un enfant sans le secourir !

C’est le tintement douloureux de ces naïves petites pièces, presque volées, qui par-dessus tout le poursuivait et l’aigrissait. Et lorsqu’il sauta de voiture pour tenter un nouvel appel, il sentit dans sa poitrine son souffle frémir comme dans un halètement de lutte…

Peut-être pour reculer le moment décisif ; peut-être simplement pour deviner d’avance, à l’expression seule de la figure, la réponse qu’il allait recevoir, Lucas était resté debout à l’entrée de l’officine et, sitôt que Verneuil eut lui-même paru, il n’avait attaché sur lui qu’un regard tenace, et pénétrant, chargé de toute l’ardeur de l’appel qu’il apportait.

Verneuil comprit sans doute la portée de ce regard, car il répliqua tout de suite comme à une interrogation véritable :

— « Je vous ai pourtant déjà formellement déclaré, de Beaumont, que je n’irais point », et il fit le geste insultant de clore la porte.

Sans bouger, Lucas reprit d’un ton glacé, quoique très doux :

— « Verneuil, par pitié pour mon enfant, je vous demande de venir… Je le demande aussi pour vous, Verneuil, pour vous » répéta-t-il comme sous l’empire d’une résolution inflexible… « J’ai réfléchi en route. On ne laisse pas s’accomplir ce que vous projetez d’accomplir… »

— « Sont-ce des menaces ?… Voyons, auriez-vous l’insolence d’ajouter des menaces ? » répliqua Verneuil avec arrogance.

— « Non, ce ne sont point des menaces ; je n’ai ni le temps ni le cœur d’en faire. C’est un arrêt… Ce ton ne vous plaît pas, je vois ?… »

— « Non, et je ne le tolérerai certainement point. »

— « Vous me voudriez bien humble et bien rampant ? … Mon Dieu ! j’y étais prêt à ce rôle… prêt à me jeter à vos pieds… Je vous aurais donné cette joie froide de me piétiner ; j’aurais tout enduré, car il est bien des humiliations qu’un père peut subir sans s’abaisser… mais tout de suite cette rebuffade que vous me jetez de nouveau au visage… Je pensais que depuis tantôt vous auriez réfléchi, vous aussi, Verneuil. »

— « Allons, à quoi bon parlementer inutilement ? » reprit ce dernier.

— « Alors c’est vrai, Verneuil, que tu ne visais qu’à me darder plus à fond en me reprochant tantôt mon dénûment ?… Tu ne te souciais point du paiement de ta course, hein ?… Tant mieux, tu m’épargnes un acte honteux ; j’allais t’offrir le contenu de la petite bourse de mon enfant… Voyons, viens, Verneuil. » Et de nouveau adouci il s’était avancé vers lui les mains suppliantes.

— « C’est mutile d’insister, vous dis-je, de Beaumont… Ne suis-je point libre à la fin ?… Attendez le docteur Duvert, » acheva-t-il impitoyable.

— « Attendre ?… lorsque mon enfant se meurt ?… Je vous en supplie, Verneuil, venez tout de suite ; venez avant qu’il ne soit trop tard… »

Mais voyant que Verneuil conservait toujours son même masque satisfait et dur, un sursaut de révolte subite le fit se cabrer lui-même contre sa propre attitude de prière. Il s’exclama farouche, ses rudes poings de laboureur tendus comme des massues :

— « À quoi bon supplier, en effet ?… Les brutes, ce n’est pas par le cœur qu’on les prend… On les mène par le cou, comme les bêtes de nos champs. »

D’un élan il avait bondi sur Verneuil et l’avait à la fois empoigné à la gorge et à la ceinture.

— « Suis-moi, » lui hurla-t-il sauvagement, en l’entraînant comme il venait de dire.

Verneuil possédait de la vigueur et de l’orgueil. Il rugit à son tour en sentant ses talons crisser malgré lui sur le plancher, ses doigts s’écorcher en vain aux murailles et aux meubles. Car ce n’était plus une main, mais une griffe féroce qui l’avait happé, le tenaillait à la gorge, le tirait, le soulevait avec une force surhumaine.

— « Tu viendras, te dis-je, misérable, ou je t’étrangle », hurlait Lucas emporté par une véritable frénésie.

Verneuil avait tenté de résister à l’étreinte et il s’était accroché un instant au chambranle, mais la même griffe avait continué de serrer, de serrer impitoyablement, et l’avait tiré, arraché, hissé au dehors. Ses talons inertes avaient battu les marches du perron. Il s’était mis à râler.

Lucas ne le voyait plus dans la nuit ; il l’entendait seulement à travers l’obscurité. — « Viens, misérable !… Avance, » répétait-il, se fouettant le sang. « Ah ! tu râles ?… C’est bon… je t’ai dit que mon petit Gérard râlait lui aussi, là-bas. »

Au hasard, à travers les herbes et les sables de l’avenue, ses pieds labourant la terre, il l’avait ainsi traîné jusqu’à sa voiture. Ne sentant plus de résistance, il avait légèrement lâché prise, mais rien ne bougea ; il desserra alors davantage les doigts ; une masse, une loque pesante s’était simplement écroulée dans l’ombre.

— « Verneuil !… Verneuil ! » lui cria de tout près Lucas épouvanté. Il se pencha sur lui et appela de nouveau : « Verneuil ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ni un mot, ni un souffle. Verneuil n’était plus qu’un cadavre.

Cela avait été pareillement sinistre le retour et la rentrée de Lucas au foyer. Après avoir longtemps rôdé comme un halluciné autour du logis, il avait à la fin en tremblant poussé la porte et plongé son regard avide à l’intérieur. Mais rien n’avait remué dans le petit lit ; les creux et les replis des draps étaient demeurés inertes et froids comme découpés dans le marbre ; plus de râlements non plus, plus de hoquets, rien qu’un silence morne traversé de longs sanglots étouffés qui faisaient mal à entendre.

Et alors comme si un calme apaisant se fût tout à coup substitué à l’état d’hébétude et d’égarement où il se débattait l’instant d’avant, Lucas s’était coulé auprès de Marcelle et l’avait longuement étreinte dans ses bras, puis avec mystère :

— « N’en veux plus à Verneuil, Marcelle… Nous sommes quittes… »