Le Bouclier d’ArèsÉdition du Mercure de France (p. 117-121).




LA TÊTE DE KYROS




Le désert est immense : une houle de pierres
Vers le septentrion déferle en blanchissant,
Et le jour acéré, qui brûle les paupières,
Sur le roc calciné tombe resplendissant.

C’est l’heure où le Touran, sol d’argile et de braise,
Dans l’air mat où seul vibre un soleil desséchant,
Fauve océan figé par un vent de fournaise,
Flamboie en plis de feu du levant au couchant.

Un silence à la mort pareil emplit l’espace ;
La chaleur, qui descend de l’implacable ciel,
Seule, fait éclater, comme une carapace,
Les blocs étincelants de basalte et de sel.


Les cavaliers de Toûr, dans leurs cottes étroites,
À l’ombre des chevaux en cercle agenouillés
Les naseaux dans le sable et les oreilles droites
Dorment sur leurs pavois que le sang a rouillés.

La tête sur l’arçon, le poing au cimeterre,
Harassés, lourds de meurtre, ils se sont assoupis ;
Et leurs longs javelots, la pointe dans la terre,
Montent dans l’air, pareils à de grêles épis.

Seule, en la vaste plaine uniformément nue,
Une tente de peaux de buffles et d’aurochs
Sur des épieux croisés se dresse, maintenue
Par des cordes de poil et des quartiers de rocs.

De sauvages toisons et des haillons farouches
Noircissent aux rayons du soleil carnassier,
Et sur le seuil, où siffle un tourbillon de mouches,
S’élève un pieu carré, garni de crocs d’acier.

Une tête d’un fer reluisant transpercée
Est clouée au milieu du poteau meurtrier :
La moustache est pendante et de sang hérissée ;
La mâchoire est roidie, et, comme pour crier,


S’ouvre, hideusement tordue et convulsée
Sur les muscles gonflés de ce visage blanc,
Tandis que, sous la langue exsangue et retroussée,
Le rire affreux des dents éclate, étincelant.

Goutte à goutte, la pourpre horrible de ses veines,
Figée en flaque rouge, élargit lentement
Son croissant d’écarlate et de fanges malsaines,
Dans la poussière sèche et le sable fumant.

Sur le front jaune et dur et sur les tempes rêches,
Glissent de noirs rubis de boue entremêlés,
Et les cheveux tressés gardent, parmi les mèches,
Les repoussants fleurons des caillots violets.

Immobiles et droits, les grands pans de la tente,
S’affaissent dans l’air chaud et le silence épais,
Et la nue embrasée, en longs jets haletante,
Des torrides midis verse la lourde paix.

Mais dans l’ombre des peaux, sur d’énormes fourrures,
Gît un blanc corps de femme, adorable et vermeil,
Et des étendards, fiers comme des chevelures,
D’une aurore de gloire éclairent son sommeil.


Sa gorge altière bat et bombe son armure,
Comme un couple d’aiglons qui dans l’aire s’endort,
Sa lèvre fraîche rit, et son haleine pure
Soulève à temps égaux son torse imbriqué d’or.

La masse de combat, de grands clous constellée,
Chaude encor du massacre et du tumulte humain,
À ses côtés repose, et sa main fuselée
Enserre de ses doigts l’arc aux cornes d’airain.

Sur la belle amazone en l’ombre étincelante
L’horrible tête rouge et qui voudrait crier
Semble, dans la lumière atroce pantelante,
Comme une sentinelle effrayante, veiller.






Celle qui sommeille est la Reine massagète,
Tomyris, qui commande aux cavaliers de Toûr,
Dont le cimier d’argent dans la bataille jette
Plus d’ombre que la nuit, plus d’éclairs que le jour :

Et la tête pendue aux crocs noirs de la barre
Est celle de Kosrou, le maître de l’Iran,
Que les fils d’Iavan, dans leur parler barbare,
Ont salué Kyros, seigneur et conquérant.