Tresse & Stock (p. 49-64).

V

LA PROPRIÉTÉ


Avant d’aller plus loin dans l’exposé de nos idées, il est bon de passer en revue les institutions que nous voulons détruire, de reconnaître sur quelles bases repose la société bourgeoise, la valeur positive de ces bases, pourquoi et comment la société n’est transformable qu’à condition de changer l’organisation entière ; pourquoi aucune amélioration ne sera possible tant que cette transformation ne sera pas accomplie, et de cette étude découleront les raisons qui font que nous sommes anarchistes et révolutionnaires.

La défense de la Propriété individuelle et sa transmission dans les mêmes familles, voilà sur quel principe repose la société actuelle. Autorité, famille, magistrature, armée, et toute l’organisation hiérarchique et bureaucratique, qui nous gruge et nous étouffe, découlent de ce principe. Il y a aussi la religion, mais nous la laissons de côté, la science — même bourgeoise — l’a tuée. — Laissons reposer les morts.

Nous ne voulons pas refaire non plus l’historique de la Propriété. Il a été fait et refait par toutes les écoles socialistes ; toutes ont démontré qu’elle n’était que le produit du vol, de la fraude et du droit de la force ; nous n’avons donc ici qu’à relever quelques faits qui en démontrent l’iniquité, qui font voir que les maux dont on souffre en découlent, que les réformes proposées ne sont que des leurres pour endormir les exploités, et que, pour empêcher les maux que l’on veut guérir, il faut s’attaquer à la source principale, à l’organisation propriétaire et capitaliste.


La science, aujourd’hui, nous démontre que la terre doit son origine à un noyau de matières cosmiques qui s’est primitivement détaché de la nébuleuse solaire. Ce noyau, par l’effet de la rotation sur lui-même et autour de l’astre central, s’est condensé au point que la compression des gaz en a amené la conflagration et que ce globe, fils du soleil, a dû, comme celui qui lui avait donné naissance, briller de sa lumière propre dans la voie lactée, comme une toute petite étoile. Le globe s’est refroidi, ayant passé de l’état gazeux à l’état liquide, pâteux, puis de plus en plus dense, jusqu’à sa solidification complète. Mais, dans cette fournaise primitive, l’association des différents gaz s’était faite de façon que leurs combinaisons différentes, avaient donné naissance aux matériaux fondamentaux qui forment la composition de la terre : minéraux, métaux, gaz restés libres, en suspension dans l’atmosphère.

Le refroidissement s’opérant peu à peu, l’action de l’eau et de l’atmosphère sur les minéraux a aidé à former une couche de terre végétale ; pendant ce temps, l’association de l’hydrogène, de l’oxygène, du carbone et de l’azote, arrivait à donner, au sein des eaux, naissance à une façon de gelée organique sans forme définie, sans organe, sans conscience, mais déjà douée de la faculté de se déplacer en poussant des prolongements de sa masse du côté où elle voulait aller, ou, plutôt, du côté où l’attraction se faisait sentir sur elle, et de cette autre faculté de s’assimiler les corps étrangers qui se prenaient dans sa masse, et de s’en nourrir. Enfin, dernière faculté : arrivée à un certain degré de développement, de pouvoir se scinder en deux et donner naissance à un nouvel organisme en tout semblable à son progéniteur.


Voilà les débuts modestes de l’humanité ! si modestes que ce n’est que bien plus tard, après une longue période d’évolutions, après la formation d’un certain nombre de types dans la chaîne des êtres que l’on arrive à distinguer l’animal du végétal !

Suivre toute la série pour arriver à l’homme serait refaire ici l’histoire de l’évolution, que la science actuelle explique d’une façon si claire et si compréhensible pour ceux qui veulent juger sans parti-pris, nous ne pouvons qu’y renvoyer le lecteur en nous contentant de ne prendre ici que les faits principaux pour appuyer notre démonstration sur l’accaparement arbitraire d’une partie du sol par une certaine partie d’individus qui s’en emparèrent à leur profit et à celui de leur descendance, au détriment d’autres moins favorisés et des générations futures.

Il est de toute évidence que cette explication de l’apparition de l’homme sur la terre détruit tout le merveilleux raconté sur sa création. Plus de Dieu, ni d’entité créatrice, l’homme n’est que le produit d’une évolution de la vie terrestre qui, elle-même, n’est que le produit d’une combinaison de gaz, ayant eux-mêmes subi une évolution, avant que d’arriver à pouvoir se combiner, dans les proportions et avec la densité nécessaires, à l’éclosion du phénomène vital.


La thèse de l’origine surnaturelle de l’homme étant écartée, l’idée que la société, telle qu’elle existe, avec sa division de riches et de pauvres, de gouvernants et de gouvernés, découle d’une volonté divine, ne tient pas non plus debout. L’autorité, qui s’est appuyée si longtemps sur son origine supra-naturelle, fable qui a contribué — au moins tout autant que la force brutale — à la maintenir, s’est effritée à son tour sous la discussion et menace ruine ; aujourd’hui elle se retranche derrière le suffrage universel et la loi des majorités. Mais l’autorité ne pouvait se maintenir que tant qu’elle n’était pas discutée. Nous verrons plus loin qu’elle n’a plus que la force pour se maintenir. Aussi, pouvons-nous dire que la propriété et l’autorité, étant mises en discussion, sont en voie d’agoniser ; car, ce qui se discute n’est plus guère respecté, ce que la force seule soutient, la force peut le détruire.


Le végétal se nourrit aux dépens du minéral et de l’atmosphère, l’animal aux dépens du végétal et, bien plus tard, aux dépens de l’animal lui-même, mais il n’y a pas là d’idées préconçues, — en vue d’établir une hiérarchie quelconque entre les êtres — de la part d’un Créateur ou de la Nature-entité qui auraient créé le végétal pour servir de nourriture à l’animal, l’animal et le végétal pour nourrir l’homme et des serviteurs dans la race humaine pour créer des jouissances aux élus. Il n’y eut qu’une suite évolutive de lois naturelles qui firent que la condensation des gaz ayant formé des minéraux, il n’y eut que la vie végétative qui put s’assimiler le minerai et le transformer en combinaison organique pouvant faciliter l’éclosion de la vie animale.

L’origine évolutive de l’homme étant admise, il devient évident pour tous que, lorsque les premiers êtres pensants parurent sur la terre, il n’y eut pas, davantage, besoin de providence tutélaire pour faciliter son éclosion et, par conséquent, personne pour assigner aux uns un pouvoir directeur sur leurs semblables, à d’autres la propriété du sol, à la grande masse la misère et les privations, le respect de leurs maîtres, avec la seule fonction de produire pour eux.

Seulement, la « lutte pour l’existence » ayant commencé par être la seule loi vitale pour les individus, manger pour ne pas être mangés fut leur seule préoccupation ; mais lorsqu’ils commencèrent à pratiquer inconsciemment cette autre loi vitale, plus élevée, l’assistance pour la lutte, l’hérédité ayant développé, chez eux, les instincts de combativité, d’oppression sur la proie et tout, pour l’homme étant une proie — jusqu’à l’homme lui-même, — il ressort de toute évidence que cet esprit de lutte et de domination emmagasiné dans le cerveau par les générations passées, chercha à s’imposer dans la collectivité formée. Les individus qui l’avaient au plus haut degré s’imposèrent à ceux qui l’avaient à un degré moindre. Cette autorité établie suivit les fluctuations de l’intelligence humaine et les transformations de l’organisation sociale s’opérèrent selon que ce fut la force, l’esprit religieux ou le mercantilisme qui triomphèrent. L’autorité, sous ces divers modes d’influence, s’est donc maintenue jusqu’à nos jours et se maintiendra, jusqu’à ce que l’homme, débarrassé de l’erreur et de tous préjugés, se reconquière lui-même entièrement, renonçant à imposer sa volonté pour ne pas avoir à subir celle d’autres plus forts.


Mais l’origine divine de l’autorité et de la propriété étant mise à néant par la science bourgeoise elle-même, les bourgeois ont cherché à lui donner des bases plus solides et plus naturelles, les économistes sont venus prendre les faits sociaux, découlant d’une mauvaise organisation, et les érigeant en « lois naturelles », les faisant la cause de ce qui est, quand ils n’en sont que les effets, décorant ces inepties du nom de science, ils ont prétendu légitimer les crimes les plus monstrueux de la société, les pirateries les plus énormes du capitalisme, rejetant les causes de la misère sur la faute des misérables eux-mêmes, érigeant, comme loi de conservation sociale, l’égoïsme le plus monstrueux quand, au contraire, nous l’avons vu dans un des chapitres précédents, il n’est qu’une cause de conflit, de déperdition de forces et de régression, s’il n’est tempéré et adouci par cette autre loi, plus évolutive et plus humaine : la solidarité.


La société bourgeoise étant fondée sur le capital et celui-ci étant représenté par l’argent, afin de masquer le rôle exceptionnel qu’il joue dans les travaux de production et d’échange, les économistes bourgeois ont tout réduit à l’état de capital. L’homme qui féconde sa femme et engendre des enfants dépense du capital, mais il en crée aussi, car l’enfant, devenu homme, sera un capital ! la force musculaire que l’ouvrier dépensera à la production : capital ! Notons en passant qu’en dehors de leurs bras, les ouvriers apportent, dans n’importe quel travail, une somme d’intelligence souvent supérieure à celle de l’entrepreneur, mais comme il faudrait alors compter deux parts de capital pour l’ouvrier et que cela gênerait les économistes dans leurs calculs, ils le passent sous silence.

Mais, comme toute cette réduction de l’activité humaine en capitaux n’explique pas l’origine du capital-argent, les économistes ont trouvé ceci : « C’est la part de travail que les individus industrieux, prévoyants, n’ont pas consommée de suite, et qu’ils ont mise en réserve pour des besoins futurs » ! Or c’est ici que le calcul devient intéressant.


Tout capital, mis en œuvre, affirment doctoralement les économistes, doit produire : 1o une somme égale à sa valeur afin de pouvoir se reconstituer complètement, 2o comme ce capital engagé court des risques, il doit produire une plus-value qui représente une prime d’assurance qui doit le couvrir desdits risques.

Or, l’ouvrier qui est payé au fur et à mesure des travaux, qui, par conséquent, ne court aucun risque, a droit seulement à la première somme lui permettant de reconstituer son capital dépensé, c’est-à-dire, se nourrir, s’habiller, se loger, réparer enfin les forces qu’il a perdues. Il ne doit faire d’enfants qu’autant que l’excédent de son salaire lui permet de les élever.

Mais le patron, oh ! lui, c’est bien différent. Il apporte d’abord un premier capital, l’argent nécessaire à payer les ouvriers, solder les achats, et qui représente les jouissances dont il s’est privé. Ce capital, comme celui de l’ouvrier, doit rapporter de quoi se reconstituer, mais en outre la prime d’assurance des risques qu’il court, ce qui constitue le bénéfice de l’exploiteur, 2o si c’est une entreprise industrielle, il y a des bâtiments, des machines d’engagés, encore un capital qui doit se reproduire et rapporter sa prime d’assurance ; mais ce n’est pas tout ! Et l’intelligence de l’exploiteur qui est un capital aussi, et pas le moindre ! Il faut qu’un capitaliste sache faire un emploi judicieux de ses capitaux, qu’il sache gouverner son affaire et lui-même, — ce que, généralement, l’ouvrier ne sait pas faire — il doit s’enquérir des produits qu’il est avantageux de produire, à quel endroit ils sont demandés, etc., etc. Il faut que ce troisième capital trouve à se récupérer dans l’entreprise. Notez que si l’entrepreneur est ingénieur, savant, médecin, la prime doit être bien plus forte, car, coûtant plus cher à établir, ils coûtent, par ce fait, bien plus cher à réparer.


Cette distinction subtile établie, transformant en capitaux les divers éléments qui prennent part à la production, la répartition semble normale, le capitaliste empoche trois parts de produits pour son compte et le tour est joué. L’ouvrier a reçu son compte, de quoi se plaindrait-il ? Qu’il économise aussi, lui, il mettra ses économies dans les entreprises et il touchera triple part. Qu’il sache se priver s’il veut arriver à quelque chose ! qu’il ne dépense pas follement son argent dans les cabarets ! qu’il ne fasse pas tant d’enfants ! La lutte est dure, il faut savoir réduire ses jouissances si on veut pouvoir les augmenter par la suite !… Tas de Jean-foutre !

Messieurs les économistes, qui nous parlent de l’intelligence plus grande des capitalistes, oseraient-ils bien nous affirmer que ceux qui, dans les coups de bourse, les tripotages et les accaparements, raflent des millions, ont dépensé une intelligence un million de fois supérieure, nous ne dirons à celle de l’ouvrier qui peut passer pour artiste dans son métier, mais même de l’ouvrier le plus humble, dans le métier le plus vulgaire ?

Prenez un ouvrier, en le supposant des plus favorisés, gagnant, — relativement aux moins favorisés — — de bonnes journées, n’ayant jamais de chômages, jamais de maladies. Cet ouvrier pourra-t-il vivre de la vie large qui devrait être assurée à tous ceux qui produisent, satisfaire tous ses besoins physiques et intellectuels, tout en travaillant ? — Allons donc, ce n’est pas la centième partie de ses besoins qu’il pourra satisfaire, les aurait-il des plus bornés ; il faudra qu’il les réduise encore s’il veut économiser quelques sous pour ses vieux jours. Et, quelle que soit sa parcimonie, il n’arrivera jamais à économiser assez pour vivre à ne rien faire. Les économies faites dans la période productive arriveront à peine à compenser le déficit qu’amène la vieillesse, s’il ne lui survient des héritages ou toute autre aubaine qui n’a rien à voir avec le travail.

Pour un de ces travailleurs privilégiés, combien de misérables qui n’ont pas de quoi manger à leur faim ! Les développements de l’outillage mécanique ont permis aux exploiteurs de réduire leur personnel, les sans-travail devenus plus nombreux ont fait diminuer les salaires, multiplier les chômages, les maladies viennent les réduire encore, de sorte que l’ouvrier aisé tend, de plus en plus, à devenir un mythe, et qu’au lieu d’espérer de sortir de sa misère, le travailleur, si la société bourgeoise dure encore longtemps, doit s’attendre à s’y enfoncer davantage.


Maintenant, supposons que le travailleur aisé, au lieu de continuer à placer ses économies en valeurs quelconques, se mette, quand il a réuni une certaine somme, à travailler à son compte. Ceci devient encore de plus en plus impossible, grâce à l’outillage mécanique qui exige la concentration d’énormes capitaux et ne laisse plus de place à l’industriel isolé ; mais nous pouvons admettre sa possibilité et nous supposons que cet ouvrier-patron travaille seul. Si les données de l’économie politique sont vraies, que chaque faculté de l’homme soit an capital engagé et qu’il produise la fortune pour celui qui le met en œuvre, voilà un individu qui apporte le capital-argent, le capital-force, le capital-intelligence ; n’ayant à partager avec personne, il ne va pas tarder à voir décupler son capital-argent entre ses mains et devenir millionnaire à son tour ?


Dans la pratique, l’ouvrier qui travaille seul, à son compte, n’existe presque pas ; le petit patron, avec deux ou trois ouvriers, vit peut-être un tantinet mieux que ceux qu’il emploie, mais il doit travailler tout autant, sinon plus, talonné sans cesse par les échéances ; il ne doit s’attendre à aucune amélioration, bien heureux s’il arrive à se maintenir dans son bien-être relatif et à éviter la faillite.

Les gros bénéfices, les grosses fortunes, la vie à grandes guides, sont réservés aux gros propriétaires, aux gros actionnaires, aux gros usiniers, aux gros spéculateurs, qui ne travaillent pas eux-mêmes, mais occupent les ouvriers par centaines. Ce qui prouve que le capital est bien du travail accumulé, mais le travail des autres accumulé dans les mains d’un seul, d’un voleur.

Du reste, la meilleure preuve qu’il y a un vice fondamental dans l’organisation sociale, c’est que l’outillage mécanique, qui est un progrès engendré par toutes les connaissances acquises, transmises de génération en génération, et qui, par conséquent, devrait bénéficier à tous les êtres humains, en leur rendant la vie plus large et plus facile, par le fait qu’elle augmente leur force de production et leur donne le moyen de produire beaucoup plus, tout en travaillant moins longtemps ; l’outillage mécanique n’apporte aux travailleurs qu’un surcroît de misère et de privations. Les capitalistes sont les seuls à bénéficier des avantages des inventions mécaniques qui leur permettent de réduire leur personnel, et, à l’aide de cet antagonisme établi, le chômage entre le personnel inoccupé et le personnel occupé, ils en profitent pour diminuer le salaire du dernier, la misère poussant le premier à accepter le prix offert, fût-il inférieur à la somme nécessaire à leur conservation et à leur reproduction, ce qui prouve que les prétendues lois naturelles se trouvent violées par leur propre fonctionnement ; que, par conséquent, si elles sont des lois, elles sont loin d’être naturelles.


D’autre part, il est une chose certaine, c’est que les capitalistes, avec tous leurs capitaux, tout leur outillage mécanique, ne pourraient absolument rien produire s’ils n’avaient le concours des travailleurs — tandis que ces derniers, en s’entendant entre eux et en solidarisant leurs forces, pourraient fort bien produire sans le concours des capitaux. Mais passons, la conclusion que nous voulons en tirer est celle-ci : du moment que les capitalistes ne peuvent mettre leurs capitaux en œuvre sans le concours du travailleur, c’est que ce dernier est le facteur le plus important dans la production, et que, en toute logique, c’est à lui que devrait revenir la meilleure part du produit. Or, comment se fait-il que, au contraire, ce soient les capitalistes qui absorbent la meilleure part du produit ; moins ils produisent, plus ils jouissent ? Que plus les travailleurs produisent, plus ils accumulent les chances de chômage et ont alors moins de chances de consommer ? Comment se fait-il que plus les magasins regorgent de produits, plus les producteurs crèvent de faim, et que ce qui devrait être une source de richesse et de jouissance générales, devient une source de misère pour ceux qui ont produit ?


De tout ceci, il ressort clairement que la propriété individuelle n’est accessible qu’à ceux qui exploitent leurs semblables. L’histoire de l’Humanité nous démontre que cette forme de la propriété n’a pas été celle des premières associations humaines, que ce n’est que très tard dans leur évolution, quand la famille a commencé à se dégager de la promiscuité, que la propriété individuelle a commencé à se montrer, dans la propriété commune au clan, à la tribu.

Ceci ne prouverait rien contre sa légitimité, si cette appropriation avait pu s’opérer d’une façon autre qu’arbitrairement ; c’est seulement pour démontrer aux bourgeois qui ont voulu faire un argument en sa faveur en prétendant que la propriété a toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, que cet argument n’a pas davantage de valeur à nos yeux.


Du reste, eux qui déclament tant contre les anarchistes qui se réclament de la force pour les déposséder, est-ce qu’ils y mirent tant de formes pour déposséder la noblesse en 89 et frustrer les paysans qui s’étaient mis à l’œuvre en pendant les hobereaux, détruisant les chartriers, s’emparant des biens seigneuriaux ?

Est-ce que les confiscations et les ventes, fictives ou à prix dérisoires, qu’ils en firent, n’eurent pas pour but de dépouiller les possesseurs d’alors et les paysans qui en espéraient leur part pour les accaparer à leur profit ? N’usèrent-ils pas du simple droit de la force qu’ils masquèrent et sanctionnèrent par des comédies légales ? Cette spoliation ne fut-elle pas plus inique ? — en admettant que celle que nous réclamons le soit, ce qui n’est pas — vu qu’elle ne fut pas faite au profit de la collectivité, mais contribua seulement à enrichir quelques trafiquants, qui se dépêchèrent de faire la guerre aux paysans — qui s’étaient rués à l’assaut des châteaux — en les fusillant et les traitant de brigands.

Les bourgeois sont donc mal venus de crier au vol lorsqu’on veut les forcer à restituer, car leur propriété n’est, elle-même, que le fruit d’un vol.