La Société mourante et l’Anarchie/13

Tresse & Stock (p. 155-170).

XIII

LE MILITARISME


Impossible de parler de la Patrie et du Patriotisme, sans toucher à cette plaie affreuse de l’humanité : le militarisme.

En étudiant les débuts de l’humanité et la marche de son évolution, nous avons vu que la caste guerrière avait été une des premières à se constituer et à asseoir son autorité sur les autres membres du clan ou de la tribu. Un peu plus tard, la caste se divisa elle-même en chefs et en simples guerriers, comme un premier pas en avant avait scindé la tribu en guerriers et non-guerriers ; tous les membres du clan devant être, au début, tous guerriers quand il en était besoin.

Nous ignorons si l’humanité a suivi régulièrement cette marche progressive ; c’est-à-dire, si elle a passé successivement par les trois stades : chasseur, pasteur, et enfin agriculteur. Qu’elle ait débuté par la chasse et la pêche, la cueillette des plantes et des fruits sauvages, cela ne fait aucun doute. Quant à savoir si de ce stade les populations ont passé au stade pastoral, puis au stade agricole, d’une façon aussi suivie que l’on passe ses degrés de bachot dans l’enseignement des sciences et des lettres, cela n’est pas aussi assuré.

Nous croyons plutôt que ces différentes façons de se procurer la nourriture ont dû se combiner selon les ressources de la région. Tel peuple chasseur a bien pu continuer à vivre principalement de chasse, tout en ayant trouvé le moyen de cultiver une plante alimentaire quelconque, avant d’avoir eu des animaux domestiques.


Mais, quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la caste guerrière a su demeurer prépondérante, et conserver une bonne part de pouvoir, même lorsqu’elle était forcée de le partager, et elle est restée le plus ferme soutien de ceux qui s’y sont succédé.

Tant qu’elle est restée caste fermée, se recrutant dans son sein, faisant la guerre pour son propre compte, la population souffrait bien de ses déprédations, l’homme d’armes ne se gênant pas de prendre chez le paysan ce qui était à sa convenance, mais une fois la dîme payée, et s’il n’avait pas de troupes ni de château-fort dans son voisinage, le paysan pouvait espérer un peu de répit ; en tout cas, il n’était pas contraint de fournir les plus belles années de son existence pour aller renforcer les bataillons de ses exploiteurs.

Il vint cependant une époque où les seigneurs commencèrent à armer les paysans de leurs terres, dans les cas de besoins pressants. Puis on attira, au moyen d’une prime ou par stratagèmes, ceux que l’on voulait enrôler dans les armées du roi ; mais il appartenait à la bourgeoisie de se décharger entièrement sur ses esclaves du soin de la défendre. C’est elle qui a perfectionné le système, en forçant les travailleurs à fournir un certain temps de leur jeunesse à la défense de leurs maîtres. Mais, comme elle ne pouvait, sans danger, leur mettre des armes dans les mains et leur dire : « Défendez-moi, pendant que je jouis », elle inventa le culte de la Patrie.

Et c’est à l’aide de ce mensonge qu’elle a pu amener les travailleurs à subir, pendant si longtemps, sans discuter, cet impôt du sang ; c’est à l’aide de ce sophisme, qu’à de nombreuses générations elle a pu enlever la portion la plus forte et la plus saine de leur jeunesse, l’envoyer pourrir moralement et physiquement dans les bagnes que l’on appelle casernes, sans que personne songeât à regimber et à s’y soustraire, sans qu’une voix s’élevât pour s’enquérir de quel droit on venait demander aux individus de se changer, pendant sept, cinq et en dernier ressort, trois ans, de se changer, disons-nous, en automates, en machines à tuer et en chair à canon.


Et cependant il y a eu des protestations, il y en a toujours eu ; la désertion et l’insoumission durent naître avec l’institution des armées permanentes, mais ces actes n’étaient guère raisonnés : le déserteur, l’insoumis, n’en appelait pas au strict droit individuel, ils ne furent sans doute dus qu’à des répugnances personnelles qui ne devaient même pas prendre la peine de s’analyser.

Allons plus loin. Les protestations qui s’élevaient, dans la littérature, contre la guerre et le militarisme, ne furent guère que des explosions de sentiments et nullement ou très peu appuyées sur des déductions logiques basées sur la nature humaine et le droit individuel.

L’armée ! la patrie ! mais la bourgeoisie et les lettrés ses thuriféraires avaient tellement entonné de louanges en leur honneur, entassé tant de sophismes et de mensonges en leur faveur, qu’ils étaient arrivés à les faire voir parées de toutes les qualités dont ils les avaient ornées, que personne n’osait mettre en doute l’existence desdites qualités ; on posait en fait que l’armée est le réservoir de toutes les qualités, de toutes les vertus civiques. Pas de roman où l’on ne rencontrât le portrait du « vieux brave », modèle de loyauté et de probité, attaché à son vieux général, dont il avait été le brosseur, le suivant dans toutes les péripéties de son existence, l’aidant à traverser les embûches que lui tendaient des ennemis invisibles, et, finalement, donnant sa vie pour sauver celle de ses maîtres, ou bien — pour changer — sauvant l’orphelin, le cachant et l’élevant en en faisant un héros et lui donnant les moyens de rentrer dans la fortune que lui avaient dérobée les ennemis de sa famille.

Il faut voir comment les poètes exaltaient le courage des braves troupiers ; l’honneur militaire, le dévouement, la fidélité, la loyauté, étaient leurs moindres vertus. Il a fallu que la bourgeoisie commît cette énorme bévue de forcer tous les individus à passer un temps plus ou moins long sous ses drapeaux pour qu’on vît que, sous les oripeaux brillants dont les littérateurs et les poètes s’étaient complu à couvrir l’idole, il ne se cachait que des infamies et de la pourriture. Le volontariat d’un an et les vingt-huit jours ont plus fait contre le militarisme que tout ce que l’on avait pu dire précédemment contre lui.


Aussi longtemps que les travailleurs avaient été les seuls à sacrifier leur jeunesse, à s’abrutir à la caserne, tant que, dans le public, on n’a connu, de l’armée, que sa mise en scène, l’éclat de ses cuivres, le roulement des tambours, l’or de ses galonnés, le claquement du drapeau au vent, le fracas des armes, toute l’apothéose enfin dont on l’entoure quand on la montre au peuple, littérateurs et poètes ont contribué dans leurs œuvres à élargir cette apothéose, à apporter leur part de mensonges à la glorification du monstre.

Mais du jour où ils ont été mis à même d’étudier de près l’institution, quand il leur a fallu se courber sous la discipline abrutissante, quand il leur a fallu supporter les rebuffades et les grossièretés des galonnés, à partir de ce moment le respect s’en est allé ; ils ont commencé à arracher le masque de l’infâme, ils ont soufflé sur les vertus dont leurs devanciers s’étaient plus à le parer, et le soldat — y compris l’officier — a commencé à faire son entrée dans le public sous ses véritables traits, c’est-à-dire ceux d’une brute alcoolique, d’une machine inconsciente.

Ah ! il faut y avoir séjourné dans cet enfer pour comprendre tout ce que peut y souffrir un homme de cœur, il faut avoir endossé l’uniforme pour savoir tout ce qu’il recouvre de bassesse et d’idiotie.


Un fois immatriculé, vous n’êtes plus un homme, mais un automate tenu d’obéir, au doigt et à l’œil, à celui qui commande. Vous avez un fusil dans les mains, mais vous devez subir, sans broncher, les grossièretés du galonné qui décharge sur vous sa mauvaise humeur ou les fumées de l’alcool qu’il a absorbé. Pas un geste, pas une parole, vous pourriez les payer de votre vie entière ou de plusieurs années de votre liberté. On aura, du reste, soin de vous lire tous les samedis le Code pénal, dont le refrain : mort ! mort ! vous hantera le cerveau à chaque fois que les instincts de rébellion se heurteront sous votre crâne.

Mais ce qui vous exaspère le plus, ce sont les mille et une minuties du métier, les tatillonnements, les tracasseries du règlement. Et pour le gradé qui vous en veut, ou qui, sans vous en vouloir, n’est seulement qu’une brute inconsciente, c’est cinquante fois par jour que naîtront les occasions de vous mettre en défaut, de vous faire subir les vexations de toute sorte que sa bêtise trouvera plaisir à vous infliger : À l’appel, pour une courroie mal astiquée, un bouton plus terne que les autres, des bretelles que vous aurez oublié de mettre, ce sont des engueulades, de la salle de police et des inspections à repasser à n’en plus finir ; vous êtes inspecté sur toutes les coutures, jusqu’à vous faire ouvrir vos vêtements pour inspecter votre linge de dessous.

À la chambrée, c’est autre chose ; un lit mal d’aplomb, engueulade ; « les lits carrés comme des billards », est une expression horripilante qui vous est cornée à chaque instant aux oreilles et que connaissent bien ceux qui ont traversé la caserne ; des effets mal placés sur la planche, engueulade toujours ; mais le comble de l’art, c’est de vous faire cirer la semelle des souliers de rechange pendus au mur au-dessus de la tête de votre lit, en exigeant que les têtes de clous ressortent sans aucune tache de cirage !

Et les revues ! ça n’en finit plus. Les samedis, revue d’armes avec, toujours, les mêmes observations et les épithètes de sale soldat, espèce de cochon et autres aménités. Pour varier, vous avez les visites de propreté où votre capitaine s’assure si vous avez les bras et les pieds propres. Tous les mois, il y a mieux, c’est la visite dite sanitaire ; là, c’est les profondeurs les plus intimes que le charcutier du régiment vous examine. Ayez des délicatesses de sentiments, à l’armée on s’en fout ; vos délicatesses ne tarderont pas à être broyées sous l’ignoble patte de ceux qui vous commandent.


L’armée est l’école de l’égalité, nous disent les soudoyés de la bourgeoisie : l’égalité dans l’abrutissement, oui, mais ce n’est pas cette égalité que nous voulons.

Mais les revues continuent : tous les trois ou six mois, je ne me rappelle plus, c’est celle d’un intendant quelconque. Tous les ans, l’inspection générale par le divisionnaire.

Dans la quinzaine qui précède, branle-bas à la caserne. On fait nettoyer les locaux, les cuisines. Pour vous distraire, un jour vous avez revue du sergent de semaine, le lendemain, revue de l’officier de section, revue de capitaine, du commandant, du colonel, cela n’en finit plus.

À chacune de ces revues, il faut que vous installiez votre fourbi sur votre lit : D’abord un mouchoir — qui est religieusement conservé pour ces occasions — que vous étendez délicatement sur votre lit ; sur ce mouchoir, il faut installer vos brosses, vos godillots de rechange, votre caleçon — que l’on ne sort guère également que ces jours-là — une chemise roulée d’une certaine façon et d’une certaine longueur, votre bonnet de nuit, votre boîte à graisse, votre fiole à tripoli, un étui à aiguilles, du fil et des ciseaux.

Pour que cette installation soit faite dans les règles, des pancartes illustrées sont placardées dans les chambrées, qu’il faut consulter à chaque instant pour bien savoir la place de la brosse à patience, de la fiole à tripoli ou de tout autre objet aussi important ; car il faut avoir grand soin de bien mettre chaque objet à sa place, sinon vous ne tarderiez pas à entendre éclater à vos oreilles une tempête d’imprécations vomies par celui de vos chefs qui s’apercevrait de l’irrégularité ; sachez que la peine de mort ne serait pas trop forte pour expier une semblable négligence. Horreur ! abomination de la désolation ! une fiole de tripoli à la place d’une boîte à graisse, ce serait la ruine de la France si le général venait à s’en apercevoir.

Nous avons parlé du comble de l’art ; mais c’est ici le sublime que l’on atteint, en vous faisant cirer les pieds de lit ![1]


C’est là, dans ces revues présidées par un général, que se révèle la servilité des officiers subalternes et même des supérieurs. Dès que le général est signalé, vous voyez ces officiers, si arrogants devant le pauvre diable de pioupiou, se faire petits, se ranger bien humblement derrière le général qui, lui, se redresse, — quand il n’est pas cassé par le gâtisme, — fier comme Artaban. Et ces yeux furibonds foudroyant le misérable qui vient de donner prise à une observation du grand chef ! Horrible ! tous les officiers sont sens dessus dessous : voilà un troupier auquel il manque une aiguille, ou qui, ayant oublié que la quinzaine était finie de la veille, a boutonné sa capote à gauche quand il fallait la boutonner à droite. Le colonel en bégaie de fureur, le commandant en craque dans sa tunique, le capitaine est vert de frayeur ; le caporal seul ne dit rien : il sait que tout ce monde-là, à partir du sergent, va lui retomber sur le poil. Son affaire est claire ; il est vrai qu’à son tour, il se vengera sur le délinquant.


Entre temps, quand il n’y a pas de revue en perspective, ordinairement le samedi, après midi, afin de vous désennuyer, on sonne la corvée de quartier ; elle consiste à vous faire promener dans la cour de la caserne, à vous faire ramasser en tas les pierres et les cailloux qui peuvent s’y trouver. Après une heure de cet agréable passe-temps, vous remontez dans les chambres ; les petits tas de cailloux sont dispersés par les allées et venues des passants de la semaine, et vous recommencez le samedi suivant. Le métier militaire a de ces petites distractions tout à fait spirituelles.

Et lorsque le soir, après des journées si remplies, vous éprouvez le besoin de causer avec vos compagnons de chaîne, leur conversation n’est pas faite pour vous relever le moral et vous inspirer de grandes pensées. Vous apercevez un groupe où l’on rit à se tordre ; vous vous approchez, vous imaginant entendre des choses spirituelles… C’est un idiot qui remâche des gravelures qui ne sont ni neuves ni dites avec esprit. Vous vous retournez, écœuré ; vous tombez dans un autre groupe d’abrutis qui bavent de jouissance rien qu’en rappelant les saouleries qu’ils ont prises, ou à la pensée de la cuite qu’ils vont se fourrer lorsque la carotte qu’ils ont tirée aux parents aura réussi à amener une pièce de cent sous ou deux.


Soulographie et débauche crapuleuse : n’essayez pas de sortir de là, ils ne vous comprendront pas. Il n’existe plus rien en dehors de ces deux jouissances : Étonnez-vous, après cela, qu’après trois ans de ce régime, il sorte de la caserne tant d’individus capables de faire des gendarmes et des policiers. L’armée n’est qu’une école de démoralisation ; elle ne peut produire que des mouchards, des fainéants et des ivrognes. Bien petit est le nombre de ceux qui résistent à ces trois années d’abrutissement, et ils n’y résistent pas si complètement qu’ils n’en gardent quelques vestiges pendant longtemps encore, après en être sortis.

Oh ! cette discipline brutale et abjecte, ce qu’elle vous brise un homme, lui broie le cerveau, lui déforme le caractère, détruit sa volonté ! Horrible machine à abrutir, à laquelle vous donnez un jeune homme qui ne demande qu’à s’épanouir aux sentiments du Beau et du Vrai, dont l’énergie pourrait se développer dans la lutte de tous les jours, pour la vie, dont l’intellectualité pourrait s’élargir sous la pression du savoir déjà acquis et du besoin de savoir encore plus, la discipline lui met une chape de plomb qui lui comprimera et lui rétrécira le cerveau tous les jours ; jusqu’aux battements de son cœur dont elle ralentira le rythme. Après l’avoir broyé pendant trois ans sous les multiples engrenages de sa hiérarchie, elle vous rendra une loque informe, si elle ne l’a pas dévorée complètement.


Nous avons vu, bourgeois féroces, que cette Patrie dont vous vouliez nous faire les défenseurs n’était que l’organisation de vos privilèges ; ce militarisme, que vous enseignez être un devoir auquel tous doivent se conformer, n’est institué que pour votre seule défense, dont vous laissez retomber tout le poids sur ceux contre qui elle est dirigée, vous fournissant par-dessus le marché l’occasion de faire tomber grades, honneurs et traitements sur ceux des vôtres incapables de remplir d’autres fonctions plus relevées, en même temps que ces grades et traitements servent d’appât aux ambitions malsaines de ceux qui abandonnent la classe d’où ils sont sortis pour se faire vos garde-chiourme.

Que nous importent votre Patrie, vos frontières et vos délimitations arbitraires de peuples ! Votre Patrie nous exploite, vos frontières nous étouffent, vos nationalités nous sont étrangères. Nous sommes des hommes, citoyens de l’univers ; tous les hommes sont nos frères : nos seuls ennemis sont nos maîtres, ceux qui nous exploitent, nous empêchent d’évoluer librement, de nous développer dans toute la plénitude de nos forces. Nous ne voulons plus vous servir de jouets, nous ne voulons plus nous faire les défenseurs de vos privilèges, nous ne voulons plus nous laisser imposer la livrée dégradante de votre militarisme, le joug abrutissant de votre discipline. Nous ne voulons plus courber la tête, nous voulons être libres.


Et vous, pauvres diables destinés à tomber sous le coup de la loi militaire, et qui lisez, dans les journaux, le récit des injustices commises tous les jours au nom de la discipline, qui n’êtes pas sans entendre raconter de temps à autre les infamies dont sont victimes ceux qui ont été assez niais pour se laisser enrôler, ne ferez-vous pas quelques réflexions sur la vie qui vous attend à la caserne ? Et vous tous, qui n’aviez, jusqu’ici, jamais entrevu la vie militaire qu’à travers la fumée de l’encens que lui brûlent les poètes, ne comprendrez-vous pas toute la rouerie de ces écrivains bourgeois qui ont célébré sur tous les tons les vertus militaires ! l’honneur du soldat !! et la dignité guerrière !!! Allez, pauvres diables qui, en vertu de ce mot : « Patrie », ou de la peur du conseil de guerre, allez flétrir les plus belles années de votre jeunesse dans ces écoles de corruption que l’on appelle casernes. Allez, et sachez le sort qui vous attend.

Si vous voulez finir votre temps de service sans accidents, laissez dans vos habits de civil tout instinct de dignité personnelle ; refoulez au plus profond de votre cœur tout sentiment d’indépendance : les vertus et l’honneur militaire exigent que vous ne soyez plus que des machines à tuer, que des brutes passives ; car, si vous aviez maladroitement conservé au fond du cœur, sous la livrée dont on vous revêtira, le moindre grain de fierté, cela pourrait vous être fatal.


S’il plaît à un soudard ivre de vous insulter, et qu’il ait des galons sur les bras, cachez bien les crispations qui, malgré vous, tordront vos muscles sous l’insulte ; la main que vous aurez levée pour la faire retomber à plat sur la face de l’insulteur, portez-la militairement à la hauteur de votre visière pour saluer. Si vous ouvrez la bouche pour répondre à l’insulte ou à la menace, ne la refermez que pour dire : « Brigadier, vous avez raison. » Et encore, non ; le geste, la parole, le moindre signe d’émotion pourraient être interprétés comme une ironie et vous attirer une punition pour manque de respect à vos supérieurs. Quelle que soit l’insulte, quel que soit l’outrage, il faut vous raidir contre la colère qui vous porte à réagir ; il faut rester insensible, calme, inerte ! La main dans le rang, les talons rapprochés ! Allons, c’est bien. Vous restez impassible sous l’injure ? Vous ne bronchez pas ? — Non. — À la bonne heure, au moins ; vous voilà de bons soldats. Voilà ce que la Patrie réclame de ses défenseurs.


« Mais, direz-vous, s’il nous est impossible de rester calmes ? Si, malgré nous, le sang nous monte au cerveau, nous faisant « voir rouge ? »

Alors, il n’y a qu’un moyen : c’est de ne pas mettre les pieds dans ce bagne, d’où vous ne devez sortir qu’avilis, abrutis, corrompus. Si vous voulez rester hommes, ne soyez pas soldats ; si vous ne savez pas digérer les humiliations, n’endossez pas l’uniforme. Mais, pourtant, si vous avez commis l’imprudence de le revêtir, et qu’un jour vous vous trouviez dans cette situation de ne pouvoir vous contenir sous l’indignation… n’insultez ni ne frappez vos supérieurs… !

… Crevez-leur la peau : vous n’en paierez pas davantage.

  1. Le cirage joue un grand rôle dans l’armée. Cela nous rappelle un officier d’une compagnie d’infanterie de marine qui fit annoncer à ses hommes qu’ayant du boni à l’ordinaire, on allait augmenter les vivres : dès le lendemain, il devait leur faire toucher… du cirage et de l’encaustique !