Édition Privée (p. 15-17).


VI.



LES bessonnes avaient maintenant douze ans et marchaient au catéchisme. Paulima faillit être renvoyée car elle était dissipée et fort ignorante en fait d’instruction religieuse.

Le vicaire chargé du cours l’interrogea un jour.

— Quelles sont les conditions pour recevoir la communion ?

Embarrassée, Paulima garda le silence.

— Pourrais-tu communier maintenant ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que j’sus en péché mortel, répondit Paulima à l’ébahissement des autres préparants et à la stupéfaction du prêtre.

En raison de son âge cependant, le curé ne crut pas devoir la remettre à une autre année et les deux sœurs annoncèrent un soir à leur mère qu’elles étaient acceptées.

Le lendemain, Mâço alla au village apportant vingt douzaines d’œufs et un panier de beurre afin d’acheter les robes blanches, les voiles, les gants, les bas et les souliers pour ses filles. Ce fut une grosse journée d’emplettes.

À quelques jours de là, Mâço résolut de teindre sa laine, et un après-midi, à leur retour du catéchisme, elle chargea Paulima et Caroline d’écorcer les tiges d’aulne que son mari avait été chercher au bout de son champ. Lorsqu’elles eurent terminé leur besogne, les deux fillettes avaient les doigts couleur café. Elles eurent beau les laver énergiquement, rien n’y fit, et c’est avec ces mains noires que deux jours plus tard, elles prirent, en s’agenouillant, la nappe blanche de la sainte table.

Pour conduire ses filles à l’église ce matin-là, Deschamps avait attelé deux chevaux à sa voiture. Il avait aussi cru convenable de se coiffer pour la circonstances de son tuyau de noces. Après la cérémonie, il amena Paulima et Caroline auprès de la vieille femme qui, installée à côté du perron de l’église avec un grand panier de sucreries, faisait accourir tout le petit monde. Il y avait foule autour de la marchande. Au moment où Deschamps tenant les bessonnes par la main arriva au centre du groupe, il se produisit un incident qui causa tout un émoi. Un garçon de dix ans avait demandé cinq bâtons de tire. Lorsqu’il les avait eus, il était parti à la course, sans payer, se coulant à travers les paroissiens avec une agilité étonnante. La vieille était devenue toute rouge de colère.

— Si c’est pas honteux… un enfant qui vient de faire sa première communion, me voler comme ça ! s’exclama-t-elle.

Et elle rageait de son impuissance à ne pouvoir gifler le gamin.

Le père invitait ses filles à choisir dans la manne ce qui leur plaisait davantage. Caroline prit un bonhomme rouge et blanc, et Paulima, une palette de gomme et quatre pipes en sucre d’orge.

La classe de l’après-midi venait de commencer lorsque les bessonnes firent leur entrée à l’école en toilette de premières communiantes. Leur apparition fit sensation.

Toute de suite, l’institutrice alla vers elles et les embrassa.

— Comme ça, vous avez fait votre première communion ? demanda-t-elle.

— Hé oui… répondirent les bessonnes.

— Vous n’avez pas eu de difficulté à avaler l’hostie ?

— Pas trop. Mais i en a un morceau qui m’a collé au palais où il a fondu, dit Paulima.

— Moi, je m’sus mirée dans l’ciboire et j’avais la figure large comme une citrouille, fit Caroline en riant.

— Et vos bottines craquent-elles ? interrogea encore la maîtresse.

— Oh oui, répondirent ensemble Paulima et Caroline.

— C’est les nôtres qui craquaient le plus, ajouta orgueilleusement la première.

Et les bessonnes firent quelques pas, tournèrent comme pour un rigodon afin de démontrer les qualités musicales de leurs souliers. On aurait cru entendre jouer de l’accordéon. Au point de vue de la sonorité, ces chaussures étaient phénoménales.

— I a fallu aller su Robillard pour en trouver, raconta Paulima. Maman nous en a fait essayer plus d’une douzaine de paires su Normandeau, mais i craquaient pas assez.

— Paulima a tout sali ses gants, observa Caroline pour se venger de ce que sa sœur n’avait pas voulu lui prêter sa gomme.

De fait, les gants de coton étaient marqués de larges taches noires.

— Ça peut se laver, déclara l’institutrice. Je vais vous donner à chacune une image et vous allez avoir congé après-midi.