La Science et l’Agriculture - La Terre arable/01

La Science et l’Agriculture - La Terre arable
Revue des Deux Mondes4e période, tome 147 (p. 640-672).
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LA SCIENCE ET L'AGRICULTURE

LA TERRE ARABLE

L’expérience a montré depuis un temps immémorial que toutes les terres n’ont pas la même valeur ; que, s’il en est de fertiles, d’autres sont ingrates ; et cependant il faut arriver jusqu’à la moitié de ce siècle pour voir la science agricole se constituer et l’étude méthodique de la terre arable servir de guide aux praticiens.

Les progrès de cette étude ont découlé d’abord de la connaissance, lentement acquise, des conditions d’existence de la plante, notamment de son alimentation ; nous savons aujourd’hui que les végétaux ne prospèrent qu’autant qu’ils trouvent à portée de leurs racines des matières azotées solubles : nitrates, ou sels ammoniacaux, et en outre, certaines substances minérales : phosphates, sels de potasse, de chaux, et de magnésie. De ces notions nouvelles, est né le commerce des engrais. On a compris que, pour tirer de la terre d’abondantes récoltes, il fallait ajouter les alimens végétaux qui y font défaut, et on a constaté, en effet, que leur épandage élevait les rendemens dans une mesure inespérée.

On a cherché des gisemens des matières premières propres à la fabrication de ces engrais ; on les a trouvés, et comme notre pays est aujourd’hui couvert d’un réseau de chemins de fer à mailles serrées, il est facile de faire arriver les engrais jusqu’aux champs où ils doivent être épandus.

Le commerce de ces matières fertilisantes s’est moralisé, par suite accru, et on peut dire, sans aucune exagération, qu’aujourd’hui la question des engrais est résolue[1]. Elle est résolue au point de vue scientifique, et à ce point de vue seulement ; si la science a ouvert la voie, les praticiens sont encore bien loin de s’y engager partout, et si l’emploi des engrais commerciaux est fréquent dans la région septentrionale et en Bretagne, il est très restreint dans le centre et une grande partie du midi de la France. Cependant la vulgarisation des nouvelles méthodes se poursuit ; les professeurs d’agriculture, disséminés dans tous les départemens, s’y emploient activement ; ils multiplient les champs d’expérience et de démonstration, ils entraînent les praticiens à utiliser les nouveaux engrais : les cultivateurs s’instruisent peu à peu, et comme les syndicats qu’ils ont établis leur vendent les matières fertilisantes à bas prix, et les mettent à l’abri des fraudes dont ils ont été si longtemps victimes, l’utilisation des engrais commerciaux s’accroît chaque année. La marche en avant est lente, mais continue, et les agronomes, tranquilles de ce côté, peuvent porter leur attention sur d’autres sujets.

Si la plante, en effet, s’alimente de nitrates, de phosphates, de sels de chaux et de potasse, elle consomme de l’oxygène pour sa respiration et, en outre, elle transpire d’énormes quantités d’eau ; elle ne se développe normalement qu’à la condition d’enfoncer sa racine dans un sol aéré, et d’y trouver de puissantes réserves d’humidité.

Des expériences de laboratoire, faciles à répéter, ont montré que les végétaux périssent, bien que leurs tiges et leurs feuilles s’épanouissent dans l’air, quand la terre où pénètrent les racines est privée d’oxygène. Ces expériences démontrent, en outre, qu’une graminée comme l’orge, l’avoine, ou le blé, transpire de 250 à 300 grammes d’eau pendant le temps qu’elle met à élaborer 1 gramme de matière sèche ; d’où l’on déduit que : lorsque I hectare a produit 30 quintaux de grains de blé et 60 quintaux de paille (c’est-à-dire 9 000 kilos, se réduisant à 8 000 kilos de matière sèche), il a dû fournir à cette récolte 2 400 mètres cubes d’eau environ. La hauteur de la pluie sous le climat de Paris atteint de 500 à 600 millimètres, ce qui représente de 5 000 à 6 000 mètres cubes par hectare. La quantité d’eau tombée est donc supérieure à celle que consomment les récoltes, mais elle est très inégalement répartie entre les saisons, et la pluie que reçoivent les plantes pendant leur période de végétation est très souvent insuffisante pour fournir à la transpiration végétale ; or, aussitôt que les racines n’envoient plus aux feuilles assez d’eau pour que sa transformation incessante en vapeur empêche leur échauffement au soleil, elles se dessèchent et cessent tout travail.

A bien des reprises différentes, nous avons répété ici même que la feuille est la petite usine dans laquelle s’élabore la matière végétale. C’est dans les cellules à chlorophylle dont elle est formée que se réduisent acide carbonique et nitrates, et que prennent naissance, d’une part, les hydrates de carbone : sucres, amidon, cellulose, etc., et, d’autre part, les matières azotées. Si la feuille se flétrit, l’usine chôme, sa production s’arrête et la récolte s’amoindrit.

Une terre fertile n’est donc pas seulement un magasin bien pourvu de matières alimentaires, c’est surtout un réservoir, un régulateur d’humidité. La terre doit, pendant les périodes pluvieuses, emmagasiner l’eau et la conserver, afin que les plantes traversent les sécheresses, sans en pâtir. Une terre chargée de nitrates, de phosphates, etc., ne donnera que des récoltes misérables, si elle est incapable de former d’importans approvisionnerions d’eau.

Cette faculté maîtresse du sol, condition essentielle de fertilité, dépend de sa constitution même, des proportions dans lesquelles sont réunis les divers élémens dont il est formé ; elle est liée, en outre, à l’épaisseur de la couche ameublie, à la nature du sous-sol sur lequel elle repose. C’est à l’étude de la constitution physique du sol et des qualités ou des défauts qui en dérivent que nous consacrons ce premier article.


I. — FORMATION DES TERRES ARABLES

A l’origine, la Terre formait une masse fluide, fondue, qui lentement, au cours de son éternel voyage à travers des espaces célestes, s’est refroidie. Les substances de faible densité formant la surface de la masse liquide s’y sont figées et ont fini par former une croûte continue.

On désigne sous le nom de roches primitives les pierres qui ont recouvert le liquide en fusion, comme le laitier couvre la fonte dans le creuset d’un haut fourneau. Si nous prenons, comme exemple de ces roches primitives, une pierre bien connue par sa dureté, le granit, nous le trouvons formé par l’association de divers minéraux : le quartz, en masses grises ; le mica, en paillettes brillantes ; le feldspath, souvent en cristaux isolés, reconnaissables à leur couleur rosée.

L’acide silicique ou silice (formé par la combinaison d’un corps simple, le silicium, avec l’oxygène) fait partie intégrante du mica et du feldspath ; isolé, il constitue le quartz. C’est parfois une matière admirable, transparente, bien cristallisée et désignée sous le nom de cristal de roche[2] ; dans les petites paillettes feuilletées du mica, la silice est unie à de l’alumine, à de l’oxyde de fer, à de la chaux ; et dans le feldspath, encore à de l’alumine, mais, en outre, à de la potasse, de la soude, de la magnésie, ou de la chaux. Le feldspath est fusible aux températures élevées et quand il est blanc, on l’emploie à former la couverte, ce vernis vitreux qui rend les objets en porcelaine imperméables aux liquides.

Les autres roches primitives, telles que les pegmatites, les porphyres, les syénites, bien que différentes du granit, présentent, au point de vue spécial où nous nous plaçons, des propriétés analogues. Quand ces roches sont intactes, qu’elles se sont conservées au travers des âges, elles sont dures, compactes ; l’eau glisse sur leur surface sans les pénétrer. Si elles avaient persisté à cet état sans subir aucune métamorphose, la vie n’aurait pu apparaître à la surface du globe.

Il n’en a pas été ainsi ; ces roches sont, au contraire, altérables ; elles se fendillent, se brisent, tombent en poudre, elles se décomposent même, et la terre que nous cultivons est formée par leurs débris.

Au premier abord, on a quelque peine à concevoir comment des roches aussi dures que le granit, que nous voyons persister intact dans les monumens égyptiens depuis des milliers d’années, aient pu donner nos terres meubles, formées de particules impalpables… Essayons cependant de nous figurer comment cette métamorphose s’est produite, et dès le début, rappelons-nous que, dans les phénomènes géologiques, il faut toujours faire entrer en considération le temps !

Quand une matière, fondue par l’action du feu, est brusquement refroidie, elle reste après sa solidification extrêmement friable. Toutes les personnes qui ont visité des verreries ont été sollicitées par les petits apprentis, les gamins, de leur acheter des larmes bataviques. Elles ont l’apparence de petites poires, terminées par une queue grêle et recourbée ; on les obtient en coulant du verre fondu dans de l’eau froide ; si on place les larmes dans un linge épais, de façon à éviter les éclats et qu’on brise la pointe recourbée avec une pince, on entend un craquement et en ouvrant le linge, on en tire une fine poudre de verre. Il a suffi d’un ébranlement dans la masse, pour amener non seulement sa rupture, mais sa pulvérisation complète.

Dans les cours de chimie, on montre l’instabilité des matières fondues, brusquement refroidies, on coulant en couche mince du borax sur une plaque métallique ; quelques instans après sa solidification, la masse se brise en projetant des éclats ; la surface vitreuse, qui tapisse le creuset dans lequel a eu lieu la fusion, fait entendre pendant plusieurs minutes un craquement continu, et quand on l’examine, on la trouve entièrement fendillée.

Dans la fabrication des glaces, on évite la rupture des grandes plaques de verre, laminées lorsque à la sortie du four la masse est encore pâteuse, en ne les laissant arriver à la température ordinaire qu’avec une extrême lenteur, en les recuisant. Si leur refroidissement est brusque, elles se fendent et sont perdues.

Ces phénomènes de rupture ne se produisent pas seulement dans les laboratoires ou les usines, on les observe également dans les laves qui s’écoulent des volcans. Les nombreux touristes, qui font chaque année l’ascension classique du Vésuve voient les coulées qui couvrent les flancs du volcan fissurées, fendillées, brisées en fragmens : les laves anciennes montrent également ces fissures, et les baigneurs de Royat, en Auvergne, les ont constamment sous les yeux.

Les roches primitives, les laves parvenues fondues à la surface de la terre, puis exposées à un brusque refroidissement, ont donc une tendance naturelle à la rupture ; si cependant aucune autre force n’était entrée en jeu, les pierres n’auraient sans doute pas subi les altérations profondes qui les ont amenées à l’état de terres végétales ; d’autres causes, en effet, ont contribué à leur désagrégation.

A mesure qu’au cours des âges notre planète s’est refroidie, une croûte solide a séparé du noyau central, encore incandescent, l’atmosphère dont le globe est entouré. Cette atmosphère était formée de toutes les matières volatiles à ces températures élevées et notamment d’une énorme quantité de vapeur d’eau. Quand la température a baissé, cette vapeur s’est condensée à l’état liquide, et roulant ses vagues sur la surface dure, anguleuse des roches, elle a commencé à les disloquer, à les corroder, à les entraîner dans ses mouvemens incessans. L’abaissement de la température a non seulement transformé la vapeur en eau liquide, mais encore en glace. Or, au moment où elle se solidifie, où elle gèle, l’eau augmente de volume, et la force, développée par ce changement d’état, est suffisante pour exfolier les roches les plus dures : d’où l’expression employée pour caractériser les froids rigoureux : « il gèle à pierre fendre ».

Lorsqu’une roche commence à se fissurer, elle est condamnée à être brisée, réduite en fragmens, pulvérisée même ; l’eau, en effet, pénètre dans ces fissures, s’y gèle et agit comme un coin pour écarter les parois de la crevasse ; celle-ci s’élargit, devient plus profonde, et la désagrégation s’accélère… les fragmens de la roche restent parfois en place, mais au moindre effort, ils se détachent et tombent.

Quand la glace se forme dans les petites cavités des pierres, elle exerce déjà une dislocation puissante ; elle agit cependant encore avec une bien plus grande énergie, lorsque, réunie en grande masse, elle descend des hautes montagnes. Dans le mouvement lent mais continu qui les entraîne des sommets vers les vallées, les glaciers usent, polissent la surface des rochers sur lesquels ils s’écoulent. Les fragmens de pierre qui tombent sur la glace s’y enfoncent peu à peu par suite de la fusion que provoque l’élévation de leur température au soleil et, quand ils ont pénétré jusqu’au lit pierreux sur lequel glisse le glacier, ils agissent comme un outil solidement encastré ; ils strient, rabotent la roche. Dans leur mouvement continu, les glaciers atteignent les parties basses où l’eau reprend l’état liquide, ils abandonnent alors des fragmens de roche, des graviers, du sable, et ces moraines sont comme les témoins de l’usure qu’a subie la montagne. Les fragmens de roches, s’éboulant des hauteurs et tombant dans les parties basses, sont souvent charriés pendant de longs parcours par les eaux des torrens ; on trouve dans la Crau des débris rocheux, provenant des Alpes, que la Durance a entraînés à 240 kilomètres ; pendant ces transports, les cailloux se frottent les uns contre les autres, s’usent, perdent leurs aspérités, s’arrondissent et prennent l’aspect caractéristique des cailloux roulés… le sable est le résidu de cette usure. Sa formation se poursuit sous nos yeux ; à marée haute, sur toutes les plages à galets de la Manche, au bruit sourd de la vague, régulier comme une respiration, succède le cliquetis des cailloux roulant les uns sur les autres ; ils se polissent par le frottement, et les plages, couvertes du sable provenant de leur usure, s’allongent au-dessous des grèves à galets.

La rupture spontanée des roches brusquement refroidies, leur fendillement par suite des changemens de température qu’elles subissent, leur exfoliation par la gelée, leur usure pendant qu’elles sont charriées par les eaux, amènent leur pulvérisation, déterminent la production de l’élément principal de nos terres cultivées, le sable.

Le deuxième élément dominant, l’argile, ne provient plus d’une simple désagrégation mécanique des roches primitives, mais bien d’une altération plus profonde, d’une décomposition chimique.

Les feldspaths, qui font partie intégrante des granits, sont des silicates d’alumine et d’une autre base, comme la potasse, la soude, la chaux, etc. Or, ces derniers silicates sont très attaquables par l’acide carbonique que renferme encore notre atmosphère, mais en bien moindre proportion qu’aux époques géologiques.

Pour montrer dans un cours combien cette attaque est rapide, on emploie une dissolution étendue de silicate de potasse, de ce produit que les anciens chimistes désignaient sous le nom expressif de « liqueur de cailloux », parce qu’ils l’obtenaient en faisant fondre du gravier dans du carbonate de potasse ou de soude liquéfié par l’action du feu. L’acide silicique, à la température rouge, déplace l’acide carbonique de ses combinaisons ; à froid, c’est la réaction inverse qui se produit.

On verse dans une éprouvette haute et étroite une dissolution étendue de silicate de potasse, puis on y dirige un courant d’acide carbonique. Quand il a traversé pendant quelque temps le liquide, un trouble y apparaît ; il augmente peu à peu, transformant la dissolution en une masse gélatineuse, au travers de laquelle les bulles de gaz ont peine à se frayer un passage ; cette masse est formée de silice ou acide silicique en gelée. Cette matière affecte donc des états très différens : anhydre, cristallisée, c’est le quartz ; agglutinée en masses compactes, c’est le silex ; réduite en poudre, c’est le sable ; hydratée, enfin, c’est une substance légère à apparence gélatineuse, qui se durcit parfois, présente de jolies irisations et devient pierre recherchée, sous le nom d’opale.

La décomposition du silicate de potasse, dissous par l’acide carbonique, est terminée en quelques instans ; bien plus lente et plus difficile est celle de ce même silicate quand, uni au silicate d’alumine, il constitue le feldspath. On conçoit cependant que cette même réaction détermine la dissolution de la potasse, l’entraînement de la silice, laissant comme résidu du silicate d’alumine ou argile. Ses aspects varient ; la décomposition des feldspaths ne renfermant pas d’oxyde de fer donne cette argile blanche admirablement plastique, employée sous le nom de kaolin, à la fabrication des porcelaines : l’altération des feldspaths ferrugineux produit la terre glaise des potiers, ou l’argile de nos champs : grise, quand l’oxyde de fer qu’elle renferme n’est pas suroxydé, elle devient rouge par la cuisson, et c’est alors la brique, ou reste simplement ocreuse quand, exposée à l’air humide dans nos sillons, lentement elle se sature d’oxygène.

Les roches primitives, les basaltes ou les trachytes des volcans, renferment tous du silicate d’alumine et, par suite, donnent par leur altération de l’argile ; on conçoit dès lors que, très répandue, elle soit partie intégrante de la couche meuble que nous cultivons.

Le troisième élément qui la constitue provient de réactions semblables ; il est dû à l’altération des silicates renfermant, outre l’alumine, une forte proportion de chaux, tels que le pyroxène, l’amphibole, le péridot. Soumises à l’influence des eaux chargées d’acide carbonique, ces substances se sont décomposées abandonnant, d’une part, de l’argile ; de l’autre, du calcaire.

Les notions précédentes suffisent à faire concevoir comment, sous l’influence des agens atmosphériques, les roches se sont altérées, corrodées, décomposées, de façon à laisser, comme résidu de leur décomposition, un mélange de sable, d’argile et de calcaire assez meuble pour être entamé par nos instrumens, retenir l’humidité et porter des récoltes. Mais si dans quelques-unes de nos provinces : Bretagne, Limousin, Vosges, Auvergne, la culture s’établit sur la mince couche de terre végétale produite par l’altération des roches primitives, dans un grand nombre d’autres contrées, la terre, plus épaisse, provient de la désagrégation des roches sédimentaires, infiniment plus tendres, plus faciles à entamer que les roches anciennes.

Les géologues nous apprennent que pendant des milliers et des milliers d’années les eaux ont corrodé, disloqué, entraîné, dissous les roches primitives, puis lentement aux époques de calme, ont abandonné dans les profondeurs des océans les matériaux soustraits aux parties émergées. Des sables, des argiles, des calcaires se sont déposés au fond des mers, y ont formé des couches de centaines de mètres de hauteur ; puis, quand par suite des dislocations de la croûte terrestre, ces mers se sont retirées, les épais sédimens qu’elles avaient formés ont émergé. A leur tour, ils ont été attaqués, creusés par les eaux qui constamment ont roulé sur leur surface.

Echauffée par les radiations solaires, l’eau de l’Océan se transforme en vapeur ; la voilà mobile : participant à tous les mouvemens de l’atmosphère, elle arrive au-dessus des continens ; invisible d’abord, au moindre refroidissement elle devient brouillard, puis nuage et, si la température baisse encore, se condense en pluie. L’eau atteint le sol et, entraînée par la pesanteur, retourne vers la mer, dont elle provient. Cette circulation incessante de l’eau de l’Océan à la terre, puis de la terre à l’Océan, a profondément modifié le relief des terrains. En descendant les pentes, l’eau leur arrache des matériaux, quelle abandonne ensuite lorsque, à son arrivée dans les parties basses, elle ralentit son mouvement. Il suffit de voir, après un orage, les quantités de limons qui viennent des hauteurs, pour comprendre que, soumises pendant des siècles à ces remaniemens constans, les roches sédimentaires qui couvrent la plus grande partie de notre planète aient formé, à l’aide de tous les matériaux susceptibles d’être charriés par les eaux, un mélange de sable, d’argile et de calcaire, en proportions infiniment variables.

Aux substances ainsi arrachées aux roches par action chimique ou mécanique, s’ajoute un quatrième élément provenant de l’activité des êtres vivans qui, depuis les temps géologiques, se sont succédé à la surface du globe. La vie y est partout répandue. Il n’est pas de pierre qui, dans les pays humides, ne soit recouverte d’une mince couche de lichens ; ils prélèvent sur l’atmosphère de l’acide carbonique, avec l’aide des bactéries de l’azote, et laissent à leur mort un premier résidu de matières organiques. Les végétaux d’un ordre plus élevé abandonnent aussi des débris qui sont successivement la proie d’une série de cryptogames et de bactéries. Avant d’arriver aux formes simples : acide carbonique, eau, ammoniaque, la matière organique en voie d’altération parcourt une série d’étapes ; à Tune des dernières, elle affecte une forme assez stable et porte alors le nom d’humus. L’humus est particulièrement abondant dans les terres où l’air ne pénètre que difficilement, dans les bas-fonds où les eaux séjournent ; les débris végétaux y sont la proie de bactéries analogues à celles qui pullulent dans le fumier et y produisent, par décomposition d’un des principes immédiats les plus abondans dans les plantes, la cellulose, le gaz combustible nommé actuellement par les chimistes formène ou méthane, mais désigné autrefois sous le nom caractéristique de gaz des marais. Il est probable que ces mêmes bactéries sont entrées en jeu lors de la formation de la houille ; on trouve, du moins, confiné entre ses assises, ce même gaz des marais ; c’est le grisou des mineurs, qui" occasionne parfois de terribles accidens.

L’humus ne prend pas naissance seulement au sein des eaux dans les marais tourbeux, il se produit encore dans les terres médiocrement humides ; mais, dans ce cas, la décomposition des débris végétaux est plutôt due à l’action des champignons et des lombrics, ou vers de terre, qu’à celle des bactéries.

Sur les fragmens de feuilles, de racines, de fruits, abandonnés à l’air humide, apparaissent des champignons, des moisissures qui s’assimilent les matières végétales, en brûlent partiellement le carbone par leur respiration et utilisent la matière azotée à la formation de leurs propres tissus. Parmi les principes immédiats constitutifs des végétaux, les enveloppes des cellules, la cellulose, les sucres qui y sont contenus, disparaissent par combustion lente, tandis qu’au contraire la matière très riche en carbone qui forme les parois des vaisseaux, la vasculose, persiste ; elle se déshydrate, s’oxyde, acquiert la propriété de se dissoudre dans les alcalis, d’où le nom d’acide humique, sous lequel elle est souvent désignée.

Les vers de terre contribuent également à la formation de l’humus. L’illustre naturaliste anglais, Darwin, a insisté plus que tout autre sur le travail très curieux qu’ils exécutent ; ils entraînent dans leurs trous les feuilles, les débris végétaux ; ils s’en nourrissent et rejettent, mélangés à de la terre, des résidus ayant encore les caractères de l’humus. Une énorme quantité de terre, trente tonnes par hectare, d’après Darwin, circule chaque année au travers du tube digestif des vers qui parsèment de leurs déjections, en petits monticules, les allées humides des parcs, les prairies, les champs cultivés. Les espèces tropicales, plus vigoureuses que celles des régions tempérées, rejettent parfois des cônes de terre de 10 centimètres de hauteur. L’ameublissement du sol qui résulte de leur travail est jugé si avantageux, par quelques peuplades de la Guinée, qu’elles n’ensemencent que les terres dans lesquelles pullulent les lombrics.

La végétation, s’emparant de toutes les terres humides, y abandonne des débris qui, soumis aux causes d’altération que nous venons de décrire, ajoutent au sable, à l’argile, au calcaire le quatrième élément constitutif de nos terres : l’humus.

Si sur les plateaux à surface horizontale la composition du sol ne varie guère, il n’en est plus de même dans les pays accidentés. Les eaux, qui descendent brusquement les pentes déboisées, entraînent non seulement les terres meubles, mais transportent même à de grandes distances des blocs rocheux, des cailloux, qu’elles déposent lorsque, arrivées dans les parties plates, leur cours se ralentit. On évalue à 21 millions de mètres cubes la quantité de matières solides que le Rhône entraîne chaque année jusqu’à la mer.

Aussitôt qu’ils atteignent la mer, les fleuves abandonnent les limons qu’ils ont charriés pendant leur parcours ; au contact des eaux marines, l’argile se coagule, n’est plus miscible à l’eau et se dépose rapidement ; à peu de distance de l’embouchure d’un fleuve limoneux, la mer conserve sa limpidité.

Cette précipitation des limons forme des terres nouvelles ; tous les grands fleuves du globe ont engendré des deltas et ne se fraient que difficilement un passage au travers des boues qu’ils ont accumulées à leur embouchure. Le Rhin, le Rhône, le Pô, le Fleuve Rouge du Tonkin, l’Amazone, l’Orénoque, ont des bouches multiples ; les alluvions du Mississipi ont couvert un espace de 31 800 kilomètres carrés, et le delta du Hoang-Ho, ou Fleuve Jaune de la Chine, s’étend au moins sur 250 000 kilomètres carrés. Ces dépôts, accumulés pendant des siècles, forment en général des terres d’une extrême fertilité ; les limons abandonnés par le Nil sur les terres qu’il recouvre au moment des grandes crues, ceux qu’il laisse dans les canaux d’irrigation, ont fécondé le sable du désert, et le vieux dicton, « l’Egypte est un présent du Nil », est aussi vrai aujourd’hui que par le passé.

En résumé, les terres meubles que nous cultivons présentent des constitutions qui varient tellement avec la nature des roches qui les ont formées et avec les remaniemens que les eaux leur ont fait subir, que, pour arriver à une connaissance précise de ces terres, pour établir judicieusement leur culture, pour décider quels amendemens, quels engrais leur conviennent, il est nécessaire de déterminer leur composition, de procéder à leur analyse.


II. — ANALYSE DES TERRES

Aussitôt que, vers 1820, les chimistes eurent imaginé les procédés de l’analyse minérale, ils les appliquèrent à l’étude des terres arables ; ils y dosèrent minutieusement tous les élémens dont elles sont formées : la silice, l’alumine, la chaux, l’oxyde de fer, la magnésie, la potasse, etc. Contrairement à ce qu’on avait espéré, ce long et fastidieux travail se trouva inutile ; on reconnut qu’il n’y avait aucun rapprochement à faire entre la composition élémentaire d’une terre et sa fertilité.

Les analyses de terre n’éclairèrent les praticiens que lorsque, les conditions de vie de la plante ayant été découvertes, on put préciser la nature des alimens que le sol doit lui fournir.

Sa faculté de retenir l’eau dérive des proportions dans lesquelles y sont mélangés le sable, l’argile, le calcaire et l’humus ; la détermination de ces principes présente, par suite, un vif intérêt. Leur dosage, l’analyse physique de la terre, même quand elle indique la prédominance exagérée d’un élément sur les autres, ne conduit pas toujours à la résolution de modifier artificiellement sa composition. Ajouter du sable aux terres très argileuses, ou de l’argile à celles qui sont chargées de sable, est en général trop coûteux pour que l’opération soit fructueuse. Il n’en est plus de même pour le calcaire et l’humus ; quand leur insuffisance est signalée par l’analyse, il est avantageux de marner, de chauler ; ou encore d’enfouir des engrais verts et de forcer les doses de fumier. Les analyses physiques des terres sont complétées par la recherche des substances qui servent d’alimens aux végétaux. On dose : l’azote, qui forme un des principes constitutifs de l’humus ; l’acide phosphorique, la potasse et, plus rarement, la magnésie. Ces dosages donnent déjà quelques renseignemens précieux. Si on trouve, ce qui arrive fréquemment, qu’une terre ne renferme que de minimes proportions d’acide phosphorique, si l’analyse en décèle moins d’un millième, l’acquisition et l’épandage des engrais phosphatés sont indiqués ; si on reconnaît que la potasse fait défaut, ce qui est infiniment plus rare, ou introduira du sulfate ou du chlorure de potassium.

Il faut bien reconnaître cependant que ces dosages laissent parfois le cultivateur indécis sur la résolution qu’il doit prendre. En effet, nous avons habituellement recours, pour exécuter nos analyses, à des réactifs énergiques, nous les portons à des températures élevées et si ces méthodes sont excellentes pour déterminer avec exactitude les proportions d’azote, d’acide phosphorique, ou de potasse contenues dans un kilogramme de la terre analysée, les nombres trouvés indiquent seulement que tel ou tel aliment végétal est rare ou abondant. S’il est rare, son addition s’impose ; s’il est abondant, toutes les incertitudes reparaissent.

On se rappelle, en effet, quelle erreur a commise Liebig quand, frappé des quantités considérables d’azote combiné que renferment les terres arables, il a voulu proscrire les engrais azotés. J’en ai trouvé un exemple frappant dans la Limagne d’Auvergne. J’y ai dirigé longtemps des cultures importantes. L’analyse décelait 2 à 3 grammes d’azote combiné par kilogramme de terre et, comme l’épaisseur de la couche arable dépasse 1 mètre, 1 hectare renfermait 10 000 mètres cubes de terre, pesant environ 42 000 tonnes, de 1 000 kilogrammes ; on trouvait donc, dans un hectare, de 24 000 à 36 000 kilogrammes d’azote combiné.

Une très bonne récolte de betteraves n’exige guère que 100 kilogrammes d’azote. Il semblait donc que la terre en renfermât une quantité infiniment supérieure à celle qui était nécessaire, et cependant on n’atteignait les hauts rendemens de betteraves, que par l’addition de 300 à 350 kilogrammes de nitrate de soude par hectare. Preuve évidente de l’insuffisance des indications de l’analyse.

En effet, l’azote, l’acide phosphorique, la potasse, se trouvent dans le sol à différens états, engagés dans des combinaisons, dont les unes sont assimilables par les végétaux, tandis qu’ils ne tirent aucun parti des autres, de telle sorte que l’analyse élémentaire ne suffit pas à guider le cultivateur, il faut y joindre l’analyse immédiate, c’est-à-dire chercher la nature de la combinaison dans laquelle les principes précédens sont engagés.

Boussingault s’y est employé avec ardeur et, à sa suite, par des procédés plus précis que ceux dont il a fait usage il y a quarante ans, nous distinguons : l’azote de l’humus, bien souvent inerte, de celui qui fait partie intégrante des nitrates, ou du carbonate d’ammoniaque. Cette recherche même ne conduit pas encore à des conclusions solides ; en effet, les nitrates sont essentiellement solubles dans l’eau, ils disparaissent après les pluies ; si on prélève pour l’analyse un échantillon d’une terre lavée par de nombreuses averses, on ne trouvera pas de nitrates, tandis qu’à un autre moment, la même terre en accusera de notables quantités.

Nous avons indiqué ici même, et nous y reviendrons, que les nitrates sont produits dans le sol par une fermentation qui sera d’autant plus active, que les conditions d’humidité, de température, d’aération seront plus favorables ; la quantité de nitrates contenue dans une terre variera, non seulement avec ces conditions, mais aussi avec les lavages que le sol aura subis. Ce n’est donc pas par un dosage isolé qu’on arrive à connaître l’aptitude d’une terre à former des nitrates, mais bien par une série de recherches continuées pendant plusieurs mois.

Hâtons-nous d’ajouter que l’impuissance de l’analyse n’est complète que lorsqu’elle porte sur les matières azotées ; quand elle s’adresse aux phosphates, ses indications sont plus efficaces.

Pour comprendre comment l’analyse doit être conduite, il faut savoir d’abord que les phosphates se présentent sous les aspects les plus variés. Rien n’est plus facile que de le montrer. Le phosphate de chaux, désigné sous le nom d’apatite, est une pierre dure, compacte, complètement insoluble dans l’eau. Elle se dissout, au contraire, dans les acides énergiques, comme l’acide chlorhydrique, ou l’acide azotique. Si dans cette dissolution on verse de l’ammoniaque, on voit apparaître un précipité floconneux, gélatineux, qui reste en suspension dans l’eau ; c’est encore du phosphate de chaux cependant, mais on conçoit que, si les racines des végétaux sont presque impuissantes à utiliser le phosphate dur et compact de l’apatite, elles pourront peut-être, malgré son insolubilité, s’emparer du phosphate gélatineux que nous venons de précipiter.

Nous n’en sommes pas, au reste, réduits sur ce sujet à de simples conjectures. La grande industrie de fabrication des superphosphates ne prospère que parce qu’elle fournit aux cultivateurs de l’acide phosphorique assimilable. Or, les superphosphates ne produisent d’effet utile qu’autant qu’ils sont répandus sur des terres assez riches en calcaire pour précipiter, sous forme gélatineuse, l’acide phosphorique soluble dans l’eau, mais très caustique, que renferme le produit fabriqué. En effet, l’insolubilité de ce phosphate précipité n’est absolue que dans l’eau pure ; l’eau le dissout aussitôt qu’elle est légèrement chargée d’acides faibles dont il faut chercher l’origine. Ils proviennent : soit de l’oxydation de l’humus du sol, soit de l’activité vitale de la plante elle-même. Toutes les terres renferment de l’acide carbonique que produit incessamment la combustion lente de l’humus, provoquée par les microrganismes. Quelques-unes, riches en débris organiques, contiennent même de l’acide acétique, et j’ai proposé, il y a longtemps déjà, de doser l’acide phosphorique assimilable des terres en les attaquant par l’acide acétique.

Ce mode de recherche s’est trouvé d’accord avec les résultats fournis par l’emploi des superphosphates sur diverses terres. A Grignon et dans la Limagne d’Auvergne, les superphosphates ne produisent aucun effet ; leur épandage n’augmente pas les récoltes ; ces terres renferment donc de l’acide phosphorique assimilable ; à l’analyse, elles en cèdent, en effet, une proportion notable à l’acide acétique ; il en est de même du limon du Nil. Une terre du département du Nord qui, au contraire, ne donne de bonnes récoltes qu’autant qu’elle reçoit des superphosphates, n’abandonne à l’acide acétique que des traces de phosphates.

On peut donc être guidé dans l’emploi des engrais phosphatés, enjoignant au dosage de l’acide phosphorique total, celui de l’acide phosphorique soluble dans l’acide acétique.

À cette méthode de recherche s’en est ajoutée récemment une seconde, qui repose sur l’action dissolvante qu’exercent les racines elles-mêmes ; elles sécrètent un acide assez énergique pour corroder le marbre. La preuve en a été donnée depuis longtemps par le physiologiste allemand Sachs ; rien n’est plus facile que de répéter sa jolie expérience. On dépose une plaque de marbre bien poli au fond d’une de ces terrines larges et peu profondes qu’emploient les jardiniers pour leurs semis ; on recouvre de sable, on arrose et on sème quelques graines, des haricots par exemple ; les jeunes radicelles ne tardent pas à venir buter contre la plaque de marbre, elles y rampent, s’y incrustent et y tracent, en dissolvant le calcaire, de légers sillons, qui reproduisent jusque dans leurs moindres détails les fines ramifications du chevelu.

Quel est cet acide sécrété par les racines ? On ne le sait pas bien. D’après un agronome anglais, M. Dyer, ce serait de l’acide citrique, et, s’appuyant sur cette hypothèse, M. Dyer a proposé de doser les phosphates assimilables que renferme le sol en laissant une centaine de grammes de celui-ci pendant quelques heures en contact avec de l’eau additionnée d’un centième d’acide citrique. On suppose que son action dissolvante serait analogue à celle des acides des racines, et de fait, les conclusions déduites de ce mode de recherche cadrent bien avec celles que fournit la culture des terres examinées.

Bien qu’une importante fraction de la potasse contenue dans la terre provienne, ainsi qu’il a été dit plus haut, de la décomposition des roches feldspathiques par l’acide carbonique, que cette potasse se trouve par conséquent dans le sol à l’état de carbonate de potasse essentiellement soluble, on n’en dissout ordinairement que des quantités insignifiantes quand on se borne à laver la terre avec un faible volume d’eau ; le carbonate de potasse résiste à l’action dissolvante parce qu’il est retenu par une propriété particulière de la terre, désignée sous le nom de propriété absorbante, facile à mettre en évidence. Si, en effet, on fait filtrer une dissolution de carbonate de potasse d’une teneur bien déterminée, au travers d’une terre placée dans un entonnoir, on reconnaît que l’eau d’égouttement est plus pauvre que la dissolution primitive. Il ne s’agit là que d’une simple attraction capillaire, facile à vaincre. On y réussit, soit en employant au lavage de la terre un volume d’eau cinq à dix fois supérieur au sien, ou encore (comme je l’ai montré depuis plusieurs années déjà) en substituant à l’eau pure des dissolutions de sulfate de chaux ou de magnésie qui métamorphosent en sulfate, très mal retenu, le carbonate de potasse de la terre. Par l’une ou l’autre de ces méthodes, on extrait de la plupart des terres des quantités notables de potasse. L’eau, aiguisée d’acide citrique, imitant l’action des racines, en dissout également, et on conçoit qu’avant de se résoudre à acquérir des engrais de potasse, on commence par chercher, à l’aide d’un des procédés indiqués, si la terre analysée n’est pas assez riche pour rendre cette acquisition inutile.

En résumé, on voit que, si dans certains cas l’analyse chimique fournit des renseignemens absolument précis, dans d’autres, au contraire, elle laisse quelque indécision dans l’esprit. On comprend donc que les cultivateurs aient recours, pour se guider dans l’acquisition des engrais, à l’expérimentation directe sur le sol. Elle a été régularisée sous le nom d’ « analyse par les engrais incomplets ». On trace, sur un champ bien homogène, des parcelles d’un are d’étendue, et pour ne pas s’exposer à attribuer à l’influence des engrais répandus les surcroîts de récolte qui peuvent être dus à des causes toutes différentes, telles que la profondeur de la couche arable, ou le passage d’eaux souterraines, on s’astreint à répandre le même engrais analyseur sur deux parcelles éloignées l’une de l’autre. Elles sont soumises exactement aux mêmes travaux, elles sont ensemencées le même jour, avec des poids égaux des mêmes graines. Veut-on décider, par exemple, si l’acquisition des sels de potasse est avantageuse ? on répandra sur deux parcelles 2 kilogrammes de chlorure de potassium, correspondant à 200 kilogrammes à l’hectare, et on laissera deux autres parcelles sans cette addition. Habituellement, quand on apporte à un sol un élément qui lui fait défaut, l’expérience parle d’elle-même, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la pesée de la récolte. Supposons, ce qui arrive bien souvent, que les parcelles qui ont reçu le chlorure de potassium n’aient donné qu’une récolte semblable à celle des terres qui en ont été privées, on en pourra conclure que la potasse assimilable ne fait pas absolument défaut. Cette expérience ne prouve pas cependant encore, que l’acquisition des engrais de potasse ne serait pas avantageuse. La faible récolte, obtenue sur les parcelles qui n’ont reçu que du chlorure de potassium, n’a utilisé que les nitrates formés spontanément dans le sol et les phosphates assimilables qui y étaient renfermés. Si on avait répandu une bonne dose de nitrates, additionnée de superphosphates, la récolte fût devenue plus forte, et rien ne prouve, avant l’expérience directe, que la potasse, suffisante pour alimenter une faible récolte, aurait été capable de soutenir une végétation beaucoup plus vigoureuse. On ne sera donc convaincu de l’inutilité des engrais de potasse qu’autant qu’on aura obtenu des récoltes semblables de parcelles qui auront reçu : les unes, nitrate de soude, superphosphate et chlorure de potassium ; les autres, nitrate de soude et superphosphates seulement. Si cet engrais incomplet fournit les mêmes rendemens que l’engrais complet, la preuve est faite. Isolée, cette méthode d’analyse du sol par les engrais incomplets n’a qu’une portée très restreinte, elle ne s’applique qu’au champ sur lequel l’expérience a été faite, et à la plante essayée ; associée à l’analyse du sol, elle prend, au contraire, une portée générale.

J’ai constaté, par exemple, nombre de fois à Grignon, que les récoltes sont identiques quand on emploie du nitrate de soude seul, ou du nitrate mélangé de superphosphate ; j’en conclus que ma terre renferme une quantité d’acide phosphorique suffisante et que je dois m’abstenir d’acquérir des superphosphates. Cette notion n’est utile qu’à moi ; mais j’analyse mon sol, je trouve que ma terre renferme 1gr, 5 d’acide phosphorique par kilogramme et 0gr, 2 d’acide phosphorique soluble dans l’acide acétique ; il y a déjà là une liaison intéressante entre la composition du sol et l’influence des engrais ; mais, grâce aux renseignemens que m’ont fournis nombre de mes anciens élèves, j’ai pu comparer la composition des sols qu’ils cultivent à l’influence des engrais qu’ils emploient, et je suis arrivé à formuler cette règle générale : « Les superphosphates ne sont pas utiles dans les sols contenant plus d’un millième d’acide phosphorique total et plus de deux dix millièmes d’acide phosphorique soluble dans l’acide acétique. » Cette règle est d’une application facile, elle évite de lourdes dépenses, ou conduit à des acquisitions efficaces.

L’analyse du sol au laboratoire ne donne que des indications, la méthode des engrais incomplets que la solution de cas particuliers ; c’est par leur association qu’on arrive à dicter des règles de conduite précises. Les établissemens d’enseignement agricole qui n’ont pas de champ d’expérience sont aussi impuissans à les établir, que les fermes dépourvues de laboratoire.


III. — COMPOSITION DES TERRES ARABLES

Nous avons envoyé à une station agronomique un échantillon de terre prélevé avec soin, nous recevons en retour un bulletin d’analyse. Que contient-il ? quelles résolutions va-t-il nous faire prendre ?

Ce bulletin comprend deux parties ; le chimiste a procédé d’abord à l’analyse physique du sol, puis il a dosé les substances qui servent d’alimens aux végétaux. L’analyse physique nous enseigne dans quelles proportions sont réunis les quatre élémens constitutifs du sol : sable, argile, calcaire et humus ; or, chacun de ces éléments exerce, sur la circulation régulière de l’eau et de l’air, indispensable au développement régulier des végétaux, une action spéciale qu’il importe de définir.

Les petites particules de sable restent toujours indépendantes les unes des autres ; elles sont incapables de se lier en une boue imperméable ; l’air circule aisément dans les interstices qu’elles laissent entre elles ; les combustions sont actives dans les sols sablonneux qui, suivant l’expression énergique des praticiens, dévorent les engrais ; les fumures organiques fréquentes y sont nécessaires. Cette incapacité des molécules de sable de former des masses continues et résistantes les rend mobiles ; la pluie les affouille, lèvent les entraîne ; il a fallu planter les dunes pour arrêter leur marche envahissante.

L’eau filtre au travers du sable sans s’y arrêter, la faible quantité de liquide qui adhère à chacune des particules n’est que faiblement retenue, elle s’écoule ou s’évapore, la dessiccation est rapide et complète. Aussi le sable s’échauffe-t-il rapidement sous l’influence des radiations solaires ; les terres très chargées de sable sont sèches et brûlantes ; quand elles ne sont pas arrosées, toute végétation disparaît : c’est le désert, qui se convertit comme par enchantement en vertes oasis, aussitôt que l’eau arrive : soit qu’elle descende des montagnes, comme à Biskra ; soit que l’industrie humaine la fasse surgir des profondeurs, comme dans l’Oued-Rir.

Les propriétés de l’argile sont absolument opposées à celles du sable, ses molécules se soudent facilement les unes aux autres et forment une boue plastique et imperméable retenant une grande quantité d’eau ; aussi les terres très chargées d’argile sont-elles froides. L’eau, en effet, ne s’échauffe que lentement ; les physiciens désignent cette propriété par une expression très heureuse et qui fait image : ils disent que l’eau a une grande capacité calorifique, la chaleur s’y accumule, s’y engloutit en quelque sorte. On conçoit par suite que les terres argileuses, naturellement humides, ne s’échauffent pas comme les terres sablonneuses, où l’eau ne séjourne pas. Au moment où, lentement, elle se dessèche, l’argile éprouve un retrait considérable, les terres argileuses se fendillent pendant les sécheresses, et les racines emprisonnées dans ces masses compactes se brisent au moment où les fentes se produisent ; les terres argileuses sont discontinues. Quand le calcaire est terreux, il participe des propriétés de l’argile ; comme elle, il se délaie dans l’eau, mais sans former des masses aussi compactes, aussi bien soudées, de telle sorte que, lorsque l’eau qui y est contenue se gèle, des plaques se soulèvent ; par la dessiccation, les particules du calcaire deviennent indépendantes et le vent les entraîne aisément ; pendant l’été, les feuilles des arbres de la Provence calcaire sont couvertes de poussière. Le calcaire dur est souvent fendillé, l’eau le traverse facilement, et les plantes y pâtissent du manque d’humidité. L’humus enfin est surtout intéressant par l’énorme quantité d’eau qu’il peut absorber : il forme une véritable éponge, mais il retient l’eau avec une grande énergie, de sorte que toute celle qu’il renferme n’est pas utilisable par la végétation. Quand on sème des graines de même espèce dans du sable, de l’argile, du calcaire ou de l’humus, puis qu’après avoir bien humecté pour assurer la levée, on abandonne les jeunes plantes sans aucun arrosage, on les voit se flétrir d’autant plus lentement que l’approvisionnement d’eau des divers élémens constitutifs de la terre a été plus considérable ; elles se fanent plus vite dans le sable que dans l’argile, plus vite dans l’argile que dans l’humus. Si, au moment où les plantes s’inclinent, puis se couchent, on détermine l’humidité restante dans ces diverses matières, on reconnaît que le sable a cédé aux racines toute l’eau qu’il renfermait, tandis que l’argile, et surtout l’humus, retiennent encore des quantités d’eau notables, que les jeunes plantes ont été incapables de leur arracher ; quoi qu’il en soit, la fraction de l’eau totale que ces derniers élémens mettent à la disposition des végétaux est considérable, et, ainsi qu’il vient d’être dit, ils résistent bien mieux à la sécheresse dans les terres argileuses ou humifères que dans les sables.

Quand on délaie de la terre dans de l’eau distillée, on voit l’argile rester en suspension et le sable tomber au fond ; au premier abord, on ne conçoit pas comment les élémens disparates dont la terre est formée résistent à l’action de l’eau qui constamment s’infiltre dans les profondeurs, ou ruisselle à la surface ; comment l’argile et le calcaire ne sont pas entraînés, laissant seulement en place le sable et l’humus.

Cet effet ne manquerait pas de se produire si l’argile ne prenait dans la terre la forme coagulée, sous laquelle elle n’est plus entraînable par l’eau ; cette utile coagulation est due à l’action qu’exercent les sels de chaux, et on comprend dès lors l’influence décisive de l’élément calcaire sur la stabilité du sol. Cet élément, toutefois, n’agit qu’autant qu’il est dissous ; or, insoluble dans l’eau pure, il resterait inutile si, par sa combustion lente, l’humus ne fournissait constamment de l’acide carbonique, qui assure la dissolution du calcaire. Si donc la composition de la terre ne varie pas à chaque averse, si les eaux qui la traversent s’écoulent limpides, sans se charger d’argile, c’est que les micro-organismes toujours en travail brûlent l’humus et en dégagent de l’acide carbonique ; l’eau qui s’en empare dissout le calcaire, l’argile est maintenue coagulée, elle s’agglutine autour des grains de sable et les enveloppe, comme la pulpe d’un fruit entoure le noyau.

Jamais une terre n’est uniquement formée d’un des quatre élémens dont nous venons d’indiquer les propriétés ; cependant, quand on a essayé de classer les terres arables, on en a fait d’abord quatre genres : terres sableuses, argileuses, calcaires, ou humifères, ainsi nommées d’après l’élément qui domine sur les autres ; puis, reprenant ensuite les terres argileuses et sableuses, qui sont les plus communes, on y a distingué des espèces qu’on a désignées d’après l’élément le plus abondant après celui qui domine. Les terres argileuses, appelées encore terres fortes, comprennent les terres argilo-sableuses, argilo-calcaires, argilo-humifères, et les terres dans lesquelles le sable est l’élément dominant, les terres légères, ont été nommées sablo-argileuses, sablo-calcaires et sablo-humifères. Enfin, on a désigné sous le nom de terres franches, celles dans lesquelles les quatre élémens sont réunis dans les proportions les plus favorables à la bonne circulation de l’air et de l’eau.

Dans une bonne terre franche, les petites molécules composées des quatre élémens : le sable, l’argile, le calcaire et l’humus, forment des agrégats assez indépendans les uns des autres pour laisser entre eux des interstices dans lesquels l’eau s’infiltre sans former de flaques à la surface ; elle pénètre, descend par les petits canaux que les molécules laissent entre elles, se loge dans les vides, sans les combler, et l’air y circule.

En temps normal, une terre semblable est continue ; il est rare cependant qu’après les chaleurs elle ne montre pas quelques fentes dues au retrait qu’éprouve l’argile pendant la dessiccation. Celle-ci n’est jamais assez complète pour que le vent soulève la terre franche et l’entraîne ; elle n’est pas mobile comme le sable, la gelée la durcit, mais au dégel, on n’y voit pas de plaques soulevées comme dans les terres calcaires. La terre franche immobile, continue, offre un appui solide aux racines, qui n’y sont pas découvertes par le vent, comme dans les sables, ou brisées par les retraits que subissent, pendant la dessiccation, les terres trop argileuses ; ces racines trouvent à s’abreuver dans les réserves d’humidité qui se logent entre les particules de terre et les micro-organismes y travaillent, car l’air s’y renouvelle sans peine.

Toutes ces qualités précieuses s’amoindrissent dans les terres où les quatre élémens ne sont plus dans un juste équilibre, mais où l’un d’eux domine. Les terres sablonneuses, formant le groupe des terres légères, sont très filtrantes ; l’approvisionnement d’eau est souvent insuffisant, les plantes pâtissent des longues sécheresses ; dans celles, au contraire, où l’argile domine, c’est l’excès d’humidité qui est à craindre, comme il l’est dans les terres humifères, qui ne deviennent fertiles que lorsqu’elles sont assainies par des drains ou des fossés.

Le bulletin d’analyse nous donnant la composition physique du sol, nous indique à quelle classe il appartient, et nous en pouvons déduire la nature des travaux à effectuer, des amendemens à répandre ; il nous donne en outre la composition chimique du sol ; l’analyste y a inscrit la quantité d’azote, d’acide phosphorique, de potasse, que renferme un kilogramme de la terre étudiée.

La richesse en azote des terres arables varie entre des limites très écartées ; elle dépend bien plus de la nature des cultures que de l’abondance des engrais distribués.

Les terres des prairies permanentes sont de beaucoup les plus riches ; on y trouve, par kilogramme : 5, 7, 9 et 10 grammes d’azote, faisant partie intégrante de l’humus. Les fermens fixateurs d’azote de M. Berthelol y pullulent depuis des siècles, et comme les agens de mobilisation de l’azote, les fermens nitriques qui amènent la matière organique azotée à une forme essentiellement assimilable par les végétaux, mais aussi entraînable par les eaux, ne peuvent s’y établir, l’enrichissement dépasse de beaucoup la déperdition, et la matière azotée s’accumule. On trouve jusqu’à 9 millièmes d’azote dans les sols des montagnes d’Auvergne dont l’herbe est pâturée par les vaches pendant toute la belle saison ; ils n’ont jamais reçu d’autres engrais que les déjections des animaux qui, naturellement, ne restituent qu’une fraction de l’azote contenu dans l’herbe consommée, et cependant leur teneur en azote est considérable. Je connais une prairie de l’Oise, fauchée tous les ans, dont le sol accuse 10 millièmes d’azote combiné.

L’enrichissement en azote des sols de prairie est assez rapide pour que l’on puisse l’observer ; sir J. B. Lawes et sir H. Gilbert l’ont constaté à Rothamsted, et moi-même à Grignon. On a pensé à profiter de ces connaissances pour introduire la prairie permanente dans les assolemens, de façon à enrichir les terres sans dépense d’engrais azotés. Il ne faudrait pas, cependant s’engager dans cette voie sans avoir la preuve, par des essais tentés sur de petites surfaces, quelle est profitable : un sol de prairie renferme un nombre incalculable d’insectes variés vivant des débris de toutes sortes que laisse la végétation continue ; quand on détruit cette végétation et que, voulant profiter de la richesse acquise, on ensemence une plante annuelle, on n’obtient souvent que des levées irrégulières : les graines, les jeunes plantes sont dévorées par les insectes, privés de leur nourriture habituelle ; en outre, les fermens nitriques ne prennent que lentement possession de ces sols très chargés de matière organique et, tous comptes faits, l’opération est souvent onéreuse.

Les terres labourées tous les ans ne renferment guère, même lorsqu’elles reçoivent d’abondantes fumures, que 1 à 2 millièmes d’azote combiné, les fermens fixateurs d’azote luttent contre les bactéries nitrifiantes, et il s’établit une sorte d’équilibre ; si on cultive sans engrais pendant une longue suite d’années une terre renfermant à l’origine 2 millièmes d’azote combiné, très vite’ sa teneur descend à 1 millième 5, et diminue encore quelque peu, mais l’épuisement n’est jamais complet ; en introduisant, comme on l’a fait à Rothamsted, des engrais azotés solubles en quantités bien supérieures aux exigences des récoltes, on n’observe aucun enrichissement ; l’azote que la plante n’utilise pas est entraîné par l’eau de drainage, où l’analyse le retrouve facilement.

La fertilité d’une terre n’est nullement proportionnelle à sa teneur en azote ; cette fertilité découle de la facilité que présente la matière azotée à se mobiliser sous l’influence des fermens, et c’est là ce que l’analyse, ainsi qu’il a été déjà dit, est impuissante à établir. On ne réussit à obtenir une notion précise sur ce sujet qu’en dosant pendant plusieurs saisons les nitrates entraînés par les eaux de drainage des terres maintenues sans végétation.

On trouve sur le bulletin d’analyse la teneur des terres en acide phosphorique, et c’est là un renseignement des plus précieux ; le commerce offre, en effet, aujourd’hui, l’acide phosphorique à si bas prix qu’aussitôt qu’on trouve moins d’un millième, il faut se hâter d’acquérir et de répandre des phosphates dont la nature doit être appropriée aux sols qui les reçoivent[3].

En général, les terres provenant de la désagrégation des roches primitives sont pauvres en acide phosphorique ; la culture de la Bretagne, celle du Limousin, ont été transformées par l’emploi des phosphates. Les terres d’origine volcanique, au contraire, sont riches en acide phosphorique, et son épandage est généralement inutile. Bien que l’analyse décèle les phosphates dans toutes les terres d’alluvion, ils y sont en proportions si variables qu’il y a toujours avantage à y essayer les engrais phosphatés.

La potasse est bien plus répandue que les phosphates ; cependant elle fait généralement défaut dans les terres calcaires et dans les sables, où les engrais potassiques ont bien plus de chance de réussir que sur les terres argileuses.

C’est encore à l’analyse chimique qu’il faut avoir recours pour connaître les causes qui, accidentellement, amènent la stérilité. Vœlcker, longtemps chimiste consultant à la Société royale d’Angleterre, en a signalé un cas intéressant. Un cultivateur hollandais acquiert un domaine, provenant du dessèchement du lac de Harlem, qui n’avait fourni jusqu’alors que de médiocres récoltes. Espérant élever ses rendemens, le nouveau venu attaque vigoureusement la terre avec de puissantes charrues et aboutit à un échec complet ; ses récoltes ne sont même plus médiocres, elles sont nulles. Très embarrassé, il adresse un échantillon de terre à Vœlcker, qui n’eut aucune peine à y découvrir une forte dose de sulfate de fer. Celui-ci provenait de l’oxydation de la pyrite blanche, sulfure de fer très altérable, répandu par places dans le sous-sol du domaine nouvellement acquis. Tant que les labours n’avaient été que superficiels, cette pyrite, n’étant pas arrivée à l’air, n’avait pu donner naissance au sulfate de fer, très vénéneux aussitôt qu’il se trouve dans le sol en proportions sensibles, mais les labours profonds ayant mélangé la pyrite à la couche arable, la pyrite s’était oxydée à l’air, et l’action corrosive du sulfate de fer avait détruit la végétation. En chaulant, on décomposa le sulfate de fer, et la culture redevint possible.

Une dose un peu forte de sel rend aussi le sol stérile ; parfois le sel n’apparaît que par places isolées dont la nudité contraste avec la végétation puissante du reste du champ. Ce sont les salans communs dans les plaines basses de l’Hérault. L’eau de la mer s’infiltre dans le sous-sol et, là où la terre est tassée, remonte jusqu’à la surface, s’y concentre par évaporation et amène la mort de toutes les plantes.

Quand tout le sous-sol est occupé par des eaux salées, la culture n’est possible qu’autant qu’on procède à un dessalage régulier. C’est le cas de la Camargue. Formé par les alluvions du Rhône, son sol présente une grande richesse, mais les eaux souterraines chargées de sel remontent par capillarité jusqu’à la surface, s’y évaporent et abandonnent une multitude de petits cristaux de sel qu’on voit miroiter au soleil.

Pour tirer parti de ces vastes régions longtemps abandonnées, il faut dessaler les couches superficielles et empêcher que les sels des parties basses ne les envahissent de nouveau. M. Hardon, ingénieur des arts et manufactures, a réussi à établir un luxuriant vignoble sur une propriété voisine du Rhône, en faisant arriver ses eaux limoneuses à la surface des champs à assainir ; après avoir déposé les matières solides qu’elles charrient, les eaux s’infiltrent et dissolvent le sel ; on évacue ces dissolutions par de nombreux fossés, par des drains jusqu’à un émissaire dont les eaux sont rejetées au Rhône à l’aide d’une machine élévatoire. Pendant les premières années, il faut maintenir le sol constamment humide ; on peut cependant utiliser les terres détrempées en y établissant des rizières, dont les produits couvrent partiellement les dépenses d’assainissement ; c’est seulement quand celui-ci est complet, qu’on plante la vigne.

Il faut toujours être en garde contre les retours possibles des eaux salées ; on ne se borne pas à arroser souvent, à maintenir les drains et les fossés en parfait état, on couvre encore le sol de ces roseaux, communs dans les parties marécageuses de la Camargue, et en outre, après chaque arrosage, on ameublit la surface du sol pour rompre la capillarité et empêcher l’ascension de l’eau souterraine jusqu’à la surface, sans cesse desséchée par les rayons d’un soleil brûlant.

M. Gaston Gautier a donné aussi un très bel exemple de mise en culture de terrains salés. Comme M. Hardon, il a pu, à l’aide d’une machine à vapeur, se débarrasser des eaux salées en les rejetant en dehors du domaine.

C’est là ce qui n’est pas possible dans les terres que domine le barrage de l’Habra, dans la province d’Oran ; M. Berthault, professeur à l’Ecole de Grignon, qui depuis plusieurs années dirige la culture de cette immense propriété, n’a pu planter de vignes que dans les terres où des arrosages fréquens ont fait descendre à une certaine profondeur le plan des eaux salées. Aussitôt que la proportion des sels atteint 1 à 2 grammes par kilogramme de terre à un mètre de profondeur, la vigne dépérit.

En résumé, l’analyse nous décèle la présence, heureusement rare, des matières qui rendent parfois les terres stériles ; elle nous enseigne la composition chimique de notre sol et nous guide dans l’emploi des engrais ; elle nous indique même à quelle espèce appartient la terre examinée. Ces renseignemens si précieux doivent être complétés cependant par une dernière investigation : l’examen attentif du domaine qu’il s’agit d’acquérir ou d’exploiter. Cet examen doit non seulement porter sur le bon groupement des pièces, sur leur orientation, sur l’entretien des fossés d’assainissement et la viabilité des chemins d’exploitation, mais aussi et surtout sur la terre elle-même.


IV. — EXAMEN DES TERRES EN PLACE. — ÉPAISSEUR DE LA COUCHE ARABLE. — NATURE DU SOUS-SOL

Une terre n’est fertile, nous ne saurions trop le répéter, qu’autant qu’elle conserve un approvisionnement d’eau qui suffise, d’une part, à l’énorme consommation qu’entraîne la transpiration végétale ; de l’autre, à l’entretien de la vie des bactéries du sol ; qu’autant enfin que, malgré cette haute dose d’humidité, la circulation de l’air est assurée.

Or, ces conditions sont liées, non seulement à la constitution même de la terre, que l’analyse nous a fait connaître, mais aussi à son épaisseur et à la nature du sous-sol sur lequel repose la terre ameublie.

Dans les pays accidentés, les arrachemens qu’a laissés le passage des routes en contre-bas facilitent les constatations ; dans les pays plats, il faut procéder à des fouilles méthodiques poussées jusqu’à une profondeur qui dépasse un mètre. Cette recherche ne devient inutile que lorsque l’aspect du pays suffit à déterminer la nature du sol. Quand on traverse, par exemple, la partie du département de la Marne, désignée sous le nom de Champagne pouilleuse, qu’on voit de vastes espaces déserts parcourus par quelques bandes de moutons qui broutent une herbe rare et courte, il n’est pas besoin de fouiller pour être certain qu’on se trouve sur un sol absolument perméable, où l’eau s’infiltre dans les profondeurs. Souvent on ne tire parti de ces sols secs qu’en les boisant d’arbres résineux dont les aiguilles dépensent peu d’eau par leur transpiration. Si, par place, le calcaire devenant marneux retient un peu d’eau, et que des puits suffisans pour les besoins de la ferme puissent être creusés, on cherche à diminuer la perméabilité du sol en y accumulant autant de fumier qu’on en pourra produire, afin d’augmenter les proportions d’humus et, par suite, l’approvisionnement d’eau. On distribue, en outre, des sels de potasse, car, habituellement, cette base fait défaut dans les sols calcaires.

Quand l’aridité qu’entraîne l’extrême perméabilité du sol et du sous-sol est moins complète, mais qu’il faut cependant encore boiser pour tirer parti du terrain, on peut joindre aux arbres résineux des bouleaux, des charmes ou des tilleuls. C’est ce qui a été fait dans les parties sablonneuses de la forêt de Chantilly, léguée par M. le Duc d’Aumale à l’Institut de France. Le sol y est formé d’une terre légère reposant sur un calcaire fendillé ; aussi l’eau y est-elle rare et, pour conserver les faisans, est-on obligé de disposer dans les massifs des baquets remplis d’eau. La végétation forestière n’atteint jamais dans ces sols arides la puissance qu’elle montre dans des terres plus humides.

Les terres légères filtrantes pâtissent par manque d’humidité ; si elles peuvent être arrosées, leur principal défaut disparaît et on en tire grand profit. Les prairies montagneuses des Vosges reçoivent, sans inconvénient, d’énormes quantités d’eaux d’arrosage ; précisément parce qu’elles s’infiltrent avec facilité dans le sous-sol. L’emploi de ces grandes masses de liquide exige cependant beaucoup d’habileté pour conduire l’eau partout sans la laisser séjourner nulle part.

C’est surtout quand le sous-sol est perméable que l’épaisseur de la couche arable exerce une influence décisive sur la fertilité. Le domaine de Grignon, où est établie l’École nationale d’agriculture, en fournit un exemple frappant. La propriété comprend les deux flancs et le fond d’une vallée ; le sous-sol de calcaire grossier, très filtrant, est recouvert par une terre franche un peu légère ; or, sur les deux pentes des coteaux ravinés par les pluies, la terre végétale ne forme qu’une mince couche au-dessus du calcaire ; aussi les parties boisées ne portent-elles qu’une végétation chétive : des acacias, des ailantes, des merisiers, quelques arbres verts ; plus bas, un banc d’argile, coupé au moment de l’érosion de la vallée, arrête les eaux du plateau et donne naissance à plusieurs sources ; aussitôt, la végétation devient puissante : les hêtres, les platanes, les ormes atteignent de grandes dimensions.

Sur la partie des pentes mises en culture, le mince manteau de terre végétale, parfois déchiré, laisse voir le calcaire sous-jacent. Malgré de copieuses fumures sans cesse renouvelées depuis soixante ans, la perméabilité est extrême et les récoltes absolument à la merci des saisons : très médiocres pendant les années sèches, elles deviennent passables quand les pluies sont abondantes, et il n’y a pas lieu de s’en étonner ; mais il est intéressant de constater que l’influence du sous-sol perméable se fait encore sentir dans les terres profondes du fond de la vallée. Il faut souvent creuser plus d’un mètre pour trouver le calcaire et cependant les rendemens varient encore avec l’abondance des pluies. J’ai fait ma meilleure récolte de blé en 1888, année pluvieuse où la moisson a été retardée jusqu’au milieu d’août ; en 1889, année chaude et sèche où tout était terminé à la fin de juillet, le déficit sur l’année précédente a atteint un tiers. Pour obvier à la dessiccation qu’amène la nature du sous-sol, il faut toujours employer le fumier de ferme ; si on essaie de le remplacer par des engrais chimiques, l’échec est complet ; le mode de culture à suivre est ainsi dicté par la nature du sous-sol. Sa proximité exerce, en outre, une influence marquée ; il est telles parcelles du champ d’expériences qui donnent des récoltes plus faibles que d’autres, parce que l’épaisseur de la couche arable y est moindre.

Il est facile de concevoir qu’il en soit ainsi ; une terre franche comme celle du champ d’expériences est formée d’une multitude de petits agrégats de sable, d’argile, de calcaire et d’humus, laissant entre eux des espaces, dans lesquels s’infiltre l’eau de la pluie ; elle ne séjourne pas à la surface, mais au contraire, descend lentement, partiellement retenue au passage par l’attraction capillaire qu’exercent les molécules de terre ; on trouve habituellement, en effet, de 15 à 18 centièmes d’humidité suspendus dans le sol, sur toute sa hauteur, et on comprend que l’approvisionnement d’eau sera d’autant plus grand que cette hauteur de terre, au-dessus du sous-sol filtrant, sera plus considérable.

La sécheresse est donc l’ennemie des terres reposant sur un sous-sol perméable ; quand ce sous-sol devient imperméable, c’est le défaut contraire qui apparaît, les terres sont exposées à se gorger d’eau et à n’être plus bien aérées ; cet inconvénient ne se rencontre toutefois que si le sous-sol imperméable est horizontal ; s’il est incliné, l’égouttement se produit et les terrains ainsi disposés sont prédestinés, ainsi que nous le verrons, à l’établissement des prairies permanentes.

Quand une terre d’une médiocre épaisseur repose sur un sous-sol imperméable et plat, les travaux d’assainissement s’imposent ; tant qu’ils ne sont pas exécutés, les eaux restent stagnantes, forment des marécages, l’insalubrité est extrême.

Les landes de Gascogne en fournissent un exemple célèbre : elles sont formées d’une grande plaine unie, dont le sol sablonneux repose sur un agrégat de sable et de matière organique, absolument imperméable, désignée sous le nom d’alios. Entre cette plaine et la mer se dresse un cordon littoral de dunes, aujourd’hui boisées, qui oppose un obstacle absolu à l’écoulement des eaux vers l’Océan ; or, les vents d’ouest amènent sur le pays, pendant tout l’hiver, des pluies abondantes ; elles formaient des mares stagnantes, et, pour les éviter, les habitans avaient pris l’habitude de se jucher sur des échasses. Pendant l’été, les eaux de ces marécages s’évaporaient laissant par places des flaques, dans lesquelles pullulaient les miasmes paludéens ; la population clairsemée, misérable, était consumée pas la fièvre.

C’est ce pays qu’a transformé l’ingénieur Chambrelent, que nous n’avons possédé que pendant peu d’années à l’Académie des sciences ; appelé par son service des ponts et chaussées dans le département des Landes, il reconnut que quelques plantations de pins maritimes, ne donnant que des sujets souffreteux dans les lieux bas, présentaient au contraire une croissance régulière dans les endroits élevés, par suite plus secs. Visiblement, pour mettre le pays en valeur, il fallait tout d’abord le débarrasser des eaux stagnantes ; Chambrelent reprit le nivellement de toute la contrée, reconnut que, contrairement à l’opinion admise jusque-là, les Landes s’inclinaient légèrement au nord vers la Gironde, au sud vers le bassin d’Arcachon ; il fit creuser un vaste réseau de fossés d’écoulement, à profil très évasé, pour empêcher les sables de les combler, et quand le pays eut été assaini, il le boisa de pins maritimes. Leurs racines, incapables de perforer l’alios, s’infléchissent sur la surface, y rampent, s’y incrustent et trouvent dans cette masse dure, mais spongieuse, assez d’humidité pour subvenir à leur faible évaporation. Cette vaste contrée est transformée aujourd’hui en une immense forêt de pins maritimes fournissant de la résine, des étais de mines, des poteaux télégraphiques et du bois de chauffage.

C’est aussi en pins maritimes qu’on avait planté les plus mauvaises terres de la Sologne. On se rappelle que pendant le dur hiver de 1879-80 ces arbres furent gelés en grand nombre ; on a replanté depuis en pins sylvestres, moins sensibles aux grands abaissemens de température.

Les terres un peu vallonnées, à sous-sol imperméable, se prêtent à la création des étangs ; ils étaient nombreux naguère, aussi bien en Sologne que dans la partie du département de l’Ain désignée sous le nom de Dombes. Au commencement du siècle, ils couvraient encore le cinquième de ce pays ; les propriétaires non-résidens en tiraient un revenu supérieur à celui que donnait la culture de ces terres ingrates : « brique en été, boue en hiver ». Les miasmes paludéens y pullulaient, la population rare, malingre, ne fournissait jamais à l’armée son contingent de conscrits. La plus grande partie des étangs a disparu, on les a remplacés par des prairies naturelles. Pour qu’elles prospèrent, il faut, ainsi qu’il a été dit, qu’une terre de faible épaisseur repose sur un sous-sol imperméable et incliné. Les graminées, qui composent la prairie permanente, n’ont que de courtes racines, et, sous peine de dépérir, elles doivent trouver l’eau à leur portée. Pendant la grande sécheresse de 1893[4], la pénurie de foin fut excessive, et les pertes de bétail énormes, l’herbe avait complètement disparu. Or, des déterminations d’humidité que je fis exécuter à cette époque à Grignon et au Muséum montrèrent que la couche superficielle de la terre jusqu’à 25 centimètres était seule desséchée ; plus bas, on trouvait encore 15 centièmes d’humidité environ ; aussi les récoltes du blé, celles mêmes des légumineuses des prairies artificielles à racines profondes, restèrent passables.

Quand l’eau s’écoule lentement sur un sous-sol en pente, elle abreuve les courtes racines des graminées, aussi bien sur les parois des coteaux qu’au fond des vallées où se rassemblent les eaux descendant des plateaux. Les herbes de bonne qualité ne croissent que là où l’eau se renouvelle ; si elle séjourne, la prairie est envahie par les plantes grossières des marécages.

Les prairies naturelles couvrent les pays à pluies abondantes, comme la Normandie ; elles s’étendent de plus en plus en Bretagne et en Limousin, où un sous-sol rocheux et accidenté est recouvert d’une mince couche de terre maigre et filtrante. Dans la Haute-Vienne, très vallonnée, on pratique les irrigations, qui deviennent plus rares sous le climat humide de la Bretagne.

L’eau, nécessaire à la végétation de la prairie, ne suffit pas à la rendre luxuriante, il faut lui apporter en outre les alimens que la terre elle-même est incapable de lui fournir. S’il est généralement inutile de s’occuper d<e l’alimentation azotée, à laquelle suffit le travail des bactéries, il faut pourvoir à l’alimentation minérale ; malgré ses pluies abondantes, la Bretagne est restée couverte d’ajoncs et de bruyères, tant que l’épandage du noir animal, puis de la poudre de phosphates fossiles, de scories de déphosphoration et de chaux, n’a pas apporté à ses terres, provenant de la désagrégation du granit, les élémens qui y faisaient défaut. Il en a été de même du Limousin, qui n’a pu nourrir copieusement son excellente race bovine qu’après l’établissement du chemin de fer, lui amenant à bas prix la chaux du Berri.

Quand les terres fortes, à sous-sol imperméable, présentent une certaine épaisseur, elles portent de bonnes récoltes de froment à la condition qu’on ménage aux eaux, qui ne s’infiltrent que difficilement, un écoulement superficiel. Il y a trente ans, la Brie, dont le sous-sol est essentiellement argileux, était cultivée en billons formant des planches très bombées, séparées les unes des autres par des rigoles d’écoulement qui déversaient leurs eaux dans des fossés entourant toutes les pièces de terre. Les parties trop difficiles à travailler ont été boisées ; les forêts de Crécy, d’Armainvillers, s’étendent sur le plateau limité entre la Seine et la Marne. Au milieu des pièces, on trouve même des petits bois, des remises très favorables au gibier ; il abonde dans ce pays où l’eau ne manque nulle part. Les plus belles chasses des environs de Paris sont réunies sur ces terres fortes, que les travaux de drainage ont, au reste, singulièrement améliorées. En déterminant l’écoulement des eaux souterraines, il a été possible de labourer à plat et, par suite, d’employer les semoirs, les moissonneuses qui fonctionnent mal sur des planches bombées.

Lorsque le sous-sol imperméable est recouvert d’une épaisse couche de terre végétale, la culture du blé rencontre des conditions absolument favorables. Tel est le cas de la Limagne d’Auvergne, dont les récoltes de blé étaient déjà célèbres à l’époque romaine.

A bien des reprises différentes, j’y ai fait exécuter des fouilles pour suivre le développement des racines ; celles du blé, fines, menues, d’une extrême longueur, descendent verticalement jusqu’à plus d’un mètre et, dans plusieurs pièces, atteignent une couche de sable toujours humide, car elle repose sur un lit d’argile. Par places, l’eau est si abondante que les roseaux se mêlent aux épis ; ces deux plantes ne se gênent pas, et j’ai vu, dans d’admirables champs de blé, la couleur verte des roseaux se marier aux nuances dorées de la moisson en pleine maturité.

L’eau souterraine remonte difficilement dans cette terre noire, pulvérulente, où les forces capillaires sont peu énergiques, et les betteraves, qui n’envoient pas leurs racines jusqu’à la couche humide, pâtissent en Limagne pendant les années de sécheresse.

La couche arable est parfois si épaisse dans les terres fortes du Nord et du Pas-de-Calais que sa hauteur annule l’influence du sous-sol, et qu’on draine partout avec avantage. Après ce travail, ces terres toujours humides, mais bien aérées, présentent les conditions les plus favorables à la culture des céréales et des racines ; j’y ai vu l’hectare produire de 40 à 45 tonnes de betterave à sucre et, dans les bonnes années, près de 50 quintaux de blé ; récoltes admirables que je n’ai jamais constatées que dans cette partie de la France.

Ce n’est cependant pas encore dans ces sols argileux, où l’approvisionnement d’eau est suffisant pour la grande culture, que s’établissent les praticiens qui savent tirer du sol le maximum de matière végétale.

Il faut à la culture maraîchère des arrosages constans ; aussi elle ne prospère que là où les eaux abondantes peuvent être aisément remontées à la surface du sol ; comme son nom l’indique, elle choisit pour ses jardins les sols assainis, riches en humus, des anciens marais.

Ce n’est plus 1 000 ou 1 500 francs que les jardiniers font produire à l’hectare, c’est 2 000, 3 000, jusqu’à 5 000 francs. Ils y réussissent en ne laissant jamais reposer leurs terres, copieusement fumées ; aussitôt qu’une plante est enlevée, une autre lui succède ; ils y réussissent en maintenant élevés leurs prix de vente, car, s’il est facile de faire arriver des pays d’outre-mer des sacs de blé, ou même des animaux vivans, les légumes frais et les fleurs ne supportent que les rapides trajets en chemins de fer, et les horticulteurs n’ont pas à craindre la concurrence américaine ; ils y réussissent parce qu’ils apportent à leur travail cette ingéniosité, cette habileté, ce goût qui font rechercher partout leurs gerbes de fleurs, ou leurs paniers de fruits ; ils y réussissent enfin par d’incessans arrosages.

En résumé, les terres sont stériles quand l’eau leur fait défaut ; à mesure que l’approvisionnement d’humidité augmente, la fécondité s’accroît ; les plus belles récoltes naissent sur les terres humides, qu’il faut assainir par le drainage ; enfin, la plus productive de toutes les cultures, la culture maraîchère, ne s’établit que sur les terres basses où l’eau est abondante.

La circulation régulière de l’eau dans le sol est donc la condition même de la fertilité. J’ai essayé de le faire voir dans les pages précédentes, j’y reviendrai encore dans une prochaine étude où je montrerai que le cultivateur n’ameublit sa terre, par un travail constant, que pour y maintenir de puissantes réserves d’humidité.


P.-P. DEHERAIN.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet et du 15 août 1894.
  2. Un des plus beaux exemplaires connus se trouve à l’entrée de notre galerie de minéralogie du Muséum d’histoire naturelle. Il a fait partie des objets rapportés d’Italie par Bonaparte en 1796. — Soigneusement caché en 1814-1815, au moment des revendications des alliés, il nous est resté.
  3. Voyez la Revue du 15 août 1894, ou les Engrais et les Fermens de la terre 1 vol. in-12 ; chez Rueff et Cie.
  4. Voyez la Revue du 15 octobre 1893.