Hachette (p. 205-210).



XIV

la cage (suite)


Caroline sort ; Gribouille reste seul ; il réfléchit quelque temps et prend son balai.

« Ce ne sera pas commode, tout de même, de ne toucher à rien !… Moi qui avais encore des images à voir… »

Avec le manche de son balai il accroche la cage et la fait tomber.

« Là ! voilà-t-il encore du malheur ! c’est mon guignon qui me reprend… Et, dire que je ne peux pas ramasser cette cage ! Maudite cage, va ! Dire qu’elle a quatre pieds et qu’elle ne peut pas se tenir, tandis que je tiens solidement, moi qui n’en ai que deux… C’est-il gênant, cette cage, pour balayer !… Veux-tu t’en aller de là, vilaine ! »

Il donne un coup de balai à la cage, qui roule au milieu de la chambre.

« Allons ! la voilà au beau milieu du salon à présent !… C’est pour se faire mieux voir, pour me faire encore gronder !… Ah ! mais !… Je ne vais pas me laisser dominer par une cage, moi ! Je vais la rouler avec mon balai jusque sous le rideau ; lorsque Caroline sera revenue, je la prierai de la ramasser, puisque moi je suis lié par ma parole… J’ai juré et rejuré de ne toucher à rien… »



Émilie, qui est rentrée avec son frère Georges pendant que Gribouille fait rouler la cage à coups de balai, le regarde avec surprise ; elle court à lui et l’arrête.

« Mais que fais-tu donc, Gribouille ? tu vas briser ma jolie cage !

gribouille.

Ah ! mademoiselle, je n’y puis rien, moi ; elle est tombée, elle gêne le passage : il faut qu’elle roule.



georges.

Pourquoi ne la ramasses-tu pas, au lieu de la pousser comme tu fais ?

gribouille.

Je ne peux pas, monsieur ; je suis lié par ma parole. J’ai juré et rejuré.

georges.

Quelle parole ? Qu’est-ce que tu as juré ?

gribouille.

Parole sacrée, monsieur ! J’ai juré et rejuré à Mme Delmis, votre mère, ma maîtresse, qui était ici présente, de ne toucher à rien qu’à mon balai, mon plumeau et ma brosse à frotter. Et même, quant à la brosse, c’est Caroline, ma sœur, qui me l’a obtenue, pensant bien, cette bonne sœur, que je m’enlèverais la peau des pieds à frotter sans brosse. »

Georges regarde Émilie, qui regarde Gribouille ; elle lui trouve un air effaré qui l’effraye, et elle se sauve en criant :

« Gribouille est fou ! Caroline, au secours ! »

Caroline entre précipitamment ; Gribouille est appuyé sur son balai et sourit de pitié ; Georges ne sait s’il doit rire ou crier. Caroline va droit à Gribouille.

caroline.

Eh bien, Gribouille ! qu’y a-t-il encore ? Qu’as-tu fait pour effrayer Mlle Émilie ?

gribouille, avec majesté.

Rien, rien,… rien, te dis-je. Mademoiselle n’a pas compris qu’étant lié par ma parole je ne pouvais pas ramasser cette cage que mon balai a jetée par terre.

caroline, avec surprise.

Pourquoi ne peux-tu pas la ramasser ?

gribouille.

Mais tu sais bien que j’ai juré et rejuré de ne toucher à rien qu’à mon…

caroline.

Je sais, je sais ; mais tu as oublié, mon pauvre frère, que madame a dit aussi : « Tout ce qui est nécessaire à son service ».

gribouille, se frappant le front.

C’est, ma foi, vrai !… Mais tu es mon bon ange, mon sauveur, toi, ma sœur !… C’est pourtant vrai !… « Tout ce qui est nécessaire à son service. » Elle l’a dit !… Ah ! elle l’a dit ! Et moi qui n’osais pas ramasser cette cage. Suis-je bête ! suis-je bête ! Ha ! ha ! ha ! En voilà-t-il une bonne bêtise ! Ha ! ha ! ha !… Pauvre Gribouille, va ! t’es bête, mon ami ; t’es bête !

Gribouille rit aux éclats ; Georges ne comprend pas le sujet de sa gaieté ; Caroline soupire, s’aperçoit de l’étonnement de Georges, et lui explique ce qui s’est passé entre Mme Delmis et Gribouille. Georges rit à son tour et s’empresse d’aller rassurer sa sœur, qu’il voit dans une des allées du jardin. Caroline dit à Gribouille avec tristesse :

« Mon pauvre frère, moi aussi, je te demande une promesse. Travaille toujours avec moi ; quand tu auras un ouvrage à faire, appelle-moi, nous le ferons ensemble. Et à ton tour tu viendras m’aider quand j’aurai à travailler, soit à la cuisine, soit à l’appartement. De cette façon tu ne feras jamais mal et tu ne seras jamais grondé, puisque je serai là, moi, pour te conseiller et te diriger. Le feras-tu ? me le promets-tu ?

gribouille.

Oui, je te le promets, ma sœur, ma bonne sœur. Je vois, je sens que c’est toi qui es mon bon ange sur la terre. Je sens bien qu’il me manque de la raison, que je ne suis pas comme tout le monde. Mais je tâcherai, je t’assure que je tâcherai de ne plus faire de sottise ; je voudrais tant te contenter, non pas pour madame, mais pour toi, toi seule, que j’aime et qui m’aimes ! »

Gribouille embrassait Caroline, lui baisait les mains tout en parlant ainsi.

caroline.

C’est bien, mon ami ; je reçois ta promesse et je sais que tu n’y manqueras pas. Finissons le salon à nous deux, puis nous passerons à la cuisine, où tu m’aideras à préparer le déjeuner et à laver ma vaisselle.