La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 173-175).

LE NOM D’EMMANUEL

À mon neveu Emmanuel G…


I


Emmanuel ! de ce nom qui fut le nom d’un frère
Mort très jeune, j’avais pieusement nommé
Un héros de roman, un enfant littéraire,
Pour rappeler l’enfant réel par nous aimé.

Mais mon pâle héros mourut au lieu de vivre ;
Et repris de nouveau par le hâtif oubli,
Le cher nom fraternel, sans éclat dans mon livre,
Ainsi qu’en une tombe était enseveli.

Alors, voyant cela, ma sœur et mon amie
Formèrent un complot exquis et triomphant,
Et se dirent tout bas, en un jour d’harmonie :
« Pour mieux sauver le nom, ressuscitons l’enfant ».

Et l’amie ajouta : « Je serai la marraine ».
« Par suite, je serai la mère », dit ma sœur…
C’est ainsi qu’en ce jour, dans l’église sereine,
Comme aux bords du Jourdain saint Jean-le-Précurseur,


Un prêtre a baptisé cet enfant de la terre,
Et fait, selon le rite auguste, un fils du ciel,
Par un peu d’huile sainte et d’onde salutaire,
En disant : « Sois chrétien : je te nomme Emmanuel ! »


II

Emmanuel ! nom sacré que les mères bibliques
Ne prononçaient, dit-on, qu’en courbant les genoux,
Car en langage hébreu ses syllabes mystiques
Signifiaient aux cœurs : Dieu descend parmi nous !

Emmanuel ! nom très pur comme un jour de baptême,
Qui fut psalmodié depuis les temps anciens,
— N’est-ce pas un des noms qu’on donne à Jésus même ?
Dans les pieux versets de tous les paroissiens.

Qu’il te porte bonheur, doux convive au teint rose,
Héros de cette fête et roi de ce festin,
Ange paré comme une idole, fleur éclose
Au sein de ta nourrice en un nid de satin.

Pour ton âme de lys et ton corps de colombe,
Qu’il soit un talisman suave et précieux,
Afin que loin du mal, du berceau vers la tombe,
Tu marches toujours droit, sur la route des cieux.


Puisses-tu rappeler, enfant qui seras homme,
Ton père et ton parrain, travailleurs valeureux !
Puisses-tu quelque jour aimer et charmer, comme
Ta marraine aux yeux noirs et ta mère aux yeux bleus !

Et du poète aussi recevant quelque chose,
Puisses-tu, successeur à demi filial,
Cultiver après moi — mais mieux que moi — la Rose
De Justice et d’Amour au jardin d’Idéal !


29 août 1896.