La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 166-168).


LA FÊTE D’UN AMI

traduit de tibulle (Élégies, II, 2.)


Au poète André Bellessort.



Voici du jour natal le cher anniversaire.
Portons nos offrandes aux dieux ;
Et vous tous, observant le rite nécessaire,
Gardez un silence pieux.

Pieusement, brûlons au foyer des dieux lares
Le propitiatoire encens,
Et sur les saints trépieds, brûlons les parfums rares
De l’Arabe aux yeux languissants.

Que Génius, lui qui veille à ta destinée,
De ces honneurs prenne sa part ;
Qu’il ait de roses fleurs la tête couronnée
Et le front parfumé de nard.

Offrons-lui le gâteau fait avec l’huile sainte,
Le miel et le froment divin ;
Dans sa coupe versons, non la stérile absinthe,
Mais le vin généreux, le vin.


Verse aussi devant lui ta prière, ô Cérinthe,
Car il voudra ce que tu veux ;
Implore sans retard et demande sans crainte,
Lui demande à remplir tes vœux.

Ton cœur rêve d’abord — du moins je le suppose, —
L’épouse au vœu loyal et sûr ;
Et déjà, je le crois, les dieux savent la chose,
Et bientôt le fruit sera mûr.

Et que te font à toi les domaines immenses
Qu’envahit l’immense labour
Sous les rustiques mains porteuses de semences ?
— Ta seule richesse est l’Amour.

Et que te fait aussi que la mer Rouge étale
Sous la clarté du firmament
Pour le noir Indien la perle orientale ?
— L’Amour est ton seul diamant.

Ah ! puisse donc l’Amour, visitant ta demeure,
Vous apporter avec l’hymen
La douce chaîne d’or qui sans cesse demeure,
Nouant ta main avec sa main ;

Qui demeure toujours, même aux heures arides
Où, tardive pour tous les deux,
La vieillesse mettra sur votre front les rides
Et la neige sur vos cheveux.


Puisse alors revenir cette fête bénie
Pour les deux aïeuls triomphants,
Et s’ébattre à vos pieds la troupe réunie
De vos nombreux petits-enfants !