La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 90-96).

La Petite Patrie (Dauphiné !)


À Madame Valentine Joran, Dauphinoise par dilection.

LA CHANSON DU DAUPHINÉ

À Paul Morillot.



Ah ! la chanson du Dauphiné !
Si je pouvais, prédestiné,
En syllabes d’or la traduire,
Comme aux ravines de mon cœur
Je l’écoute perler et bruire
Sur un rythme des ans vainqueur !

Car en vain les longues années,
Sous les doigts du temps égrenées,
Vont m’éloignant de mon berceau,
Sans cesse je l’entends qui chante
Source intime, jaseur ruisseau,
La chanson naïve et touchante.


Ta chanson, mon pays natal,
Roulant ses notes de cristal
En tous les coins de ma mémoire ;
Musique altière que tu fais
Dans la nature ou dans l’histoire,
Et tes hauts pics et tes hauts faits.

Une race chevaleresque
Vit en ce cadre pittoresque,
Et ton passé vaut ton décor ;
Et du grand Bayard au brin d’herbe,
Hommes et choses sont d’accord
Pour chanter romance superbe.

Et d’accord cimes… et cités
Qui, sur les sommets indomptés,
Ont dressé leurs tours indomptables ;
Cités de sourire et d’orgueil
Par leurs créneaux, très redoutables
Et très douces par leur accueil.

Et les trois roses delphinales,
Aux patriotiques annales
Fleurissent, éclatant blason ;
Et n’allez pas croire que noble
Rime au hasard et sans raison
Si richement avec Grenoble.


L’Allobroge, aux creux des torrents,
A bu le mépris des tyrans,
Mais calme et fier, il appareille
La raison et la liberté ;
Car l’Alpe joue à son oreille
Une hymne de sérénité.

Oui, sublimes sont les arpèges
Que sur le blanc clavier des neiges
Ou dans l’orgue sombre des pins
Exécute l’Alpe éternelle ;
Et des Mozarts et des Chopins
L’âme harmonique habite en elle.

Si chantante est la voix des eaux
Qui dévident leurs bleus fuseaux
Dans les prés verts, molle couchette,
Et dont le grelot ruisselant
Se marie avec la clochette
Des troupeaux roux, tachés de blanc !

Ô monts, virtuoses candides !…
Et dans les clairs matins splendides
La vallée en un pur frisson
Entend l’aubade que fredonne
Ce moine pieux, le grand Som
À cette vierge, Belledonne…


Et mon cœur aux monts dauphinois
Fait écho, mais en tapinois ;
Et le concert aux mots rebelle
Sous mon sein reste emprisonné —
Pour être dite elle est trop belle
La chanson du beau Dauphiné.