Les Symboles, nouvelle sérieL. Chailley (p. 189-219).


LA ROSE D'OR


 

PRÉLUDE


Ainsi que la terre pâmée,
Ses cheveux fleuris dans le vent,
Vers le calme soleil levant
Exhale sa vie embaumée,

Ainsi vers toi j’élèverai,
Dans l’azur de ton ciel mystique,
Le parfum de ce pur cantique
Par ton âme seule inspiré.

Ta voix me pénètre, et c’est elle
Qui par ma bouche aura chanté
L’hymne pieux à ta beauté,
Visible Esprit, chair immortelle !


Je devinerai le secret
De ces magiques harmonies
Où, sous tes doigts, vibrent unies
La mer, mon âme et la forêt.

Dissipant les langueurs moroses.
Les rêves dont j’ai cru mourir,
Toi seule en moi fis refleurir
De suaves et nobles roses.

Quand tes yeux les reconnaîtront
Tu souriras de mon offrande,
Car j’en veux faire une guirlande
Pour couronner ton chaste front.

Frais parfums, hymnes, fleurs tressées,
Tout vient de toi : reprends ton bien.
Que mon cœur te parle du lien,
Et contemple en moi tes pensées.



I

Rose pleine de grâce, es-tu sainte Cécile ?
Afin de m’exalter par un chant séraphique,
As-tu quitté le Ciel d’où le remords m’exile,
Toi dont l’âme suave est faite de musique ?

Oui, je t’ai vue, aux jours de pureté sereine,
Déployer l’or vivant des riches harmonies ;
J’ai vu tes belles mains, tes nobles mains de reine,
Interroger un orgue aux splendeurs infinies…

Les fleurs avaient tissé nos tuniques de gloire ;
L’amour ne m’était pas une cruelle angoisse ;
Près de toi j’ignorais la flamme expiatoire,
La tendresse qui saigne et qu’un sourire froisse.

J’aimais à suivre, sur le diamant des touches,
Tes doigts qui donneraient une âme aux choses mortes ;
Le psaume s’élançait de millions de bouches ;
Le Ciel mélodieux sentait frémir ses portes.


L’ineffable cantique, à travers l’étendue,
Allait verser la joie aux Sphères immortelles ;
Tu souriais, amie, en tes songes perdue,
Et les purs Séraphins t’éventaient de leurs ailes.

Alors la Vérité s’épanchait comme un fleuve.
L’orgue enivré d’amour, d’extase et de prière
Disait les cœurs souffrants que tourmente i’épreuve
Et leur ascension dans la chaste lumière :

Les martyrs à genoux qui chantent leur supplice,
La pudique beauté des vierges de la terre,
Le poète élevant son cœur vers la justice
Et de Dieu pressenti bénissant le mystère.

Tandis qu’autour de toi les splendides phalanges
Étincelaient dans l’or virginal des armures,
Tu louais le terrible éclat des sept Archanges
Qui maîtrisent l’enfer aux ténébreux murmures.

Dans tes hymnes de feu, la divine Sagesse
Glorifiait l’Amour divin qui la féconde,
Et l’Être, ne pouvant contenir sa richesse,
En torrents de beauté s’épanchait sur le monde.


Tel, s’élevait ton chant vers le Père sublime
Qui se recueille sous d’impénétrables voiles
Pour engendrer sans fin le Sauveur de l’abîme,
L’Enfant mystérieux qu’adorent les étoiles.

L’arc-en-ciel diaprait vos flottantes écharpes,
O Vertus, radieux Esprits, Trônes de flamme !
Et l’orgue au chant profond, les clairs accords des harpes,
Les rayons, les parfums, tout devenait mon âme.

Mystiques voluptés, fleurs aux pures corolles,
Je respirais en vous l’essence de Dieu même ;
Vous n’étiez pas, ainsi que nos froides paroles,
Un effort douloureux vers notre fin suprême…

Je me suis souvenu de ces heures bénies
En écoutant les sons de l’orgue magnifique,
Soutenu par un vol flamboyant de Génies
Qu’enivre la beauté de ton chant séraphique ;

Et, loin du Paradis, d’où le remords m’exile,
Reconnaissant tes yeux, je te dis à voix basse :
« Ame délicieuse, es-tu sainte Cécile,
Et viens-tu me sauver, Rose pleine de grâce ? »



II

J’accuse injustement le Ciel quand je me plains,
Chère âme, de ne pas t’avoir plus tôt connue ;
Il ne tenait qu’à moi de hâter ta venue
En livrant ma pensée à des rêves divins.

Lorsque j’ai pressenti que j’allais te connaître,
Déjà je n’aimais rien qui ne fût immortel,
Et pour toi je parais mon cœur comme un autel
Où l’adorable Enfant du miracle va naître.

Je n’étais pas encor digne de nommer Dieu,
Mais je répudiais la sagesse factice ;
Mes lèvres bénissaient la sereine Justice
Et je pleurais devant le ciel chastement bleu.

J’invoquais l’idéal qu’en toi je glorifie ;
Mes songes lentement le revêtaient d’un corps ;
Par de mystérieux et suaves accords
J’apprenais chaque jour l’approche de ma vie.


J’ai connu ta splendeur par les yeux de la foi ;
J’ai mérité ta vue, âme chère et sacrée ;
Seul, j’ai fait mon bonheur, et je t’ai rencontrée
Le jour où ton image était vivante en moi.



III

Tu souffres parmi nous, mais comment puis-je croire
Que le signe fatal fut marqué sur ton front,
Et qu’en un douloureux élan vers la victoire
Tes ailes saigneront ?

Rien ne souilla jamais ta pureté native ;
Tu vins de la clarté sans connaître le mal ;
Ton âme, au chant lointain des sphères attentive,
Respire l’idéal.

Si tu daignas vêtir d’une forme charnelle
L’ineffable substance où rayonne ton Dieu,
C’est que tu caressais, dans la joie éternelle,
Cet humble et chaste vœu :

Dépouillant tes cheveux de leur claire auréole,
Tu voulais, en dépit du vivace péché,
Faire fleurir la grâce et la bonne parole
Dans un cœur desséché.


Tu quittas, sans pleurer, les régions divines ;
Tu choisis ton calvaire et ton cœur fut joyeux ;
Il te plut de sentir la couronne d’épines
Ensanglanter tes yeux.

D’un esprit résigné, tu souffres le martyre
De ne retrouver Dieu que par un lent effort ;
Tu subiras avec un patient sourire
L’angoisse de la mort.

Du moins, puisque j’ai foi dans ta gloire future,
Puisqu’en tes yeux j’ai lu ta sainte mission,
Laisse-moi, partageant ta divine torture,
Avoir ma Passion.

Je veux boire à mon tour le vin du sacrifice,
Porter ta lourde croix lorsque tu fléchiras,
Pacifier ton cœur sur l’arbre du supplice
Où se tordront tes bras…



IV

Toi qui rayonnes de bonté,
Toi que tout mon être désire
Dans un esprit de vérité,

Ne me blâme point de redire
Que j’aimerai jusqu’à la mort
Tes lèvres et ton pur sourire.

Aiguillonné par le remord,
Je monte vers le ciel sublime
Avec un violent effort.

Quand j’ai vu la plus haute cime
Se perdre dans le gouffre bleu,
Qui m’a soutenu sur l’abîme ?

Qui m’a baptisé dans le feu ?
Qui m’a nourri de sa parole
Et fortifié contre Dieu ?


Ce n’est point une vaine idole ;
C’est la justice et la beauté
Dont ta chair n’est que le symbole.

Toi dont mes hymnes ont chanté
Le jeune et radieux visage,
N’es-tu pas l’immortalité ?

Mon enthousiasme sauvage
S’est élancé comme la mer
Baignant d’écume son rivage.

Moi, pétri de sang et de chair.
Pouvais-je embrasser une idée
Subtile et vaste comme l’air ?

Avec les mages de Chaldée
Mon âme élève un chant joyeux
Vers l’étoile qui l’a guidée.

Je bénis ta bouche et tes yeux,
Ton souffle exquis, ta voix si pure,
Tes beaux cheveux noirs et soyeux.


Car vous êtes ma nourriture
Dans le triste empire des jours
Où la faim du Ciel me torture,

O mes immortelles amours.



V

Parfois ma bien-aimée est comme l’alouette
Qui monte, le matin, de la plaine muette,
Et chante, aux sources d’or d’où s’épanche le jour,
Un chant de triomphe et d’amour.

J’oublie en t’écoutant la chaste Philomèle ;
Tu fais étinceler des diamants comme elle,
Et tu donnes une âme au silence des bois,
Que semble illuminer ta voix.

Mon amie est souvent un cygne plein de grâce
Dont le beau vol de neige émerveille l’espace,
Et qui dans le lac bleu vient goûter un sommeil
Bercé par l’onde et le soleil.

N’es-tu pas comme l’aigle aux ardentes prunelles
Qui, baignée en un flot de clartés éternelles,
Contemple impunément le triangle de feu ?
Tu palpites aux pieds de Dieu.


Mais, parce que ton cœur est toujours solitaire,
Tu ne ressembles point aux oiseaux de la terre ;
Tu ne saurais verser les trésors de ta foi
Dans une âme digne de toi.

Qui froissera jamais les roses de ta couche ?
Qui pourrait, sans mourir, entendre de ta bouche
La musique des lents et suaves aveux ?
Qui baisera tes beaux cheveux ?

Au pays de l’encens, du nard et de la myrrhe,
Voici que le Phénix impatient soupire
Après l’heure où son corps doit périr consumé ;
Lui non plus n’aura point aimé.

Un héroïque amour de sa forme future
Fait qu’il salue ainsi sa prochaine torture :
« Viens me purifier des souillures du temps ;
Jaillis, ô flamme, je t’attends. »

O radieux Phénix, je comprends ta tristesse.
Rien ne te guérira de l’amour qui te blesse ;
Car, seule de sa race en un monde trop vil,
Ton âme y souffre un dur exil…


Mais, lorsque mon regard au fond du tien se noie,
Ne sens-tu pas ton cœur attendri par ma joie,
Et ne trouves-tu pas je ne sais quelle paix
Dans le bonheur que tu me fais ?



VI

Voici l’aube dans sa grâce.
Les feuilles sifflent ; le vent
Ranime la terre lasse,
Qui soupirait en rêvant.

Le rossignol se repose ;
L’alouette prend l’essor
Dans un ciel bleu pâle et rose,
Fleuri de nuages d’or.

Souriant avec malice,
La brune Titania
Se blottit dans le calice
D’un large pétunia.

Que la reine des féeries
Disparaisse avec sa cour !
Ses changeantes pierreries
Pâliraient dans l’or du jour.


Les beaux yeux de la pervenche
Reflètent le firmament,
Et dans chaque rose blanche
Scintille un pur diamant.

O les caressants murmures
De ce vent frais dans les blés !
Chuchotements des ramures,
Cris d’éveil, rythmes ailés

Le cantique de la terre,
Psyché rêveuse l’entend.
Ah ! sans doute il faut me taire ;
Elle pleure en l’écoutant.

L’air qui souffle dans ses ailes
Lui porte, sur la hauteur,
Un chant de violoncelles
Modulant avec lenteur.

Quelle vague d’harmonie
Vient baigner son pâle front !
Quelle tendresse infinie !
Quel soupir humble et profond !


Dans la forêt vaporeuse
Je suis muet et caché ;
Mais c’est bien ma vie heureuse
Qui monte vers toi, Psyché.



VII

Les fleurs de ton désir réjouissent tes yeux
Quand tu presses l’anneau magique sur ta bouche,
Et devant toi s’élève un château merveilleux.

En souriant, tu vois se dresser sur sa couche
Ta sœur aux blonds cheveux, la Belle au bois dormant,
Si ta baguette d’or légèrement la touche.

Tu lui dis d’espérer en son royal amant.
Et tu sais l’endormir ensuite avec tendresse,
Toi qui ne connais pas les chaînes du serment.

D’un peuple délicat ton âme est la maîtresse ;
Les papillons d’argent, les sylphes et les fleurs
T’appellent dans le bois que la lune caresse.

Elle pare ton front de divines pâleurs ;
Et toi qui prends pitié des êtres et des choses.
Tu dis au rossignol d’exhaler ses douleurs.


Des songes lumineux ou des métamorphoses
Délassent ta pensée et charment tes instants ;
Dans l’ombre tes cheveux sont frôlés par les roses.

L’air de la nuit est doux, mais moins que tes vingt ans ;
Le long des verts buissons brillent des lucioles,
Et tout salue en toi la grâce du printemps.

Voici que, te berçant de suaves paroles,
Des anges, près de toi, font doucement vibrer
Les théorbes, les luths et les tendres violes.

Leurs frêles instruments ne font que murmurer.
Tu rêves au bonheur et ton âme soupire ;
Le silence et la nuit te disent de pleurer.

Ta fantaisie est reine et te crée un empire ;
J’oublierais sans remords, pour écouler ta voix,
Les poètes aimés et mon divin Shakspeare.

Les étoiles du ciel palpitent sous tes doigts ;
Des clochettes des fleurs tu sors comme une fée :
Tes cheveux ont gardé l’arôme exquis des bois.


La Nature t’adore et se souvient d’Orphée,
Car tu sais, en prêtant la vie aux sept roseaux,
Faire un hymne éternel de sa plainte étouffée.

Quand tu chantes ainsi, merveille des oiseaux,
C’est qu’ayant trop donné de ton amour au monde,
Tu mérites enfin cette heure de repos.

Recueille-toi, cher cœur, dans une paix profonde,
Jusqu’à l’heure où, sortant de son palais de feu,
Le Soleil étreindra la Terre jeune et blonde.

Laisse errer tes désirs dans le pâle ciel bleu ;
Égrène au vent du soir tes lentes rêveries ;
Écoute les concerts des beaux anges de Dieu.

Je me consolerai, pourvu que tu souries,
D’être exilé longtemps de ta céleste cour ;
Et, pour mêler mon âme à tes chastes féeries,

J’attendrai que l’amour éveille enfin l’amour.



VIII

La rose que tu m’as donnée,
Est-ce ton cœur délicieux ?
D’un parfum subtil et joyeux
Elle embaume la matinée.

J’ai, sur sa robe satinée,
Mis des baisers longs et pieux.
La rose que tu m’as donnée,
Est-ce ton cœur délicieux ?

Quand les heures l’auront fanée,
Doit-elle refleurir aux cieux ?
Et présage-t-elle à mes yeux
Un indissoluble hyménée,
La rose que tu m’as donnée ?



IX

La blanche Vénus brille au bord du ciel ;
Les doux liserons au parfum de miel
Ferment leurs calices.
La terre soupire et dit aux forêts
De mélodieux et tendres secrets :
Viens, ô mes délices.

Que le soir est calme et silencieux :
Un vent frais se lève ; il baise les yeux
Des fleurs endormies.
Étoiles d’amour, timides encor,
Vous nous souriez de vos trônes d’or.
O chastes amies.

Viens : le ciel s’anime et s’épanouit ;
Voici qu’il rayonne au front de la nuit
Comme un diadème.

Laisse-moi presser doucement ta main
Et te raconter mon âme en chemin…
Je t’aime ! Je t’aime !



X

Ta splendeur virginale illuminait mon rêve ;
Des flûtes et des chants résonnaient sur la grève ;
Les pins embaumaient l’air de leur vive senteur ;
Et des groupes erraient avec grâce et lenteur
A travers les bosquets mystérieux de l’île.
Que cette après-midi fut joyeuse et tranquille !
Tandis qu’une mer bleue aux flots étincelants
Mouillait mon front d’écume et baisait tes pieds blancs,
Non loin de nous, l’essaim des Dryades légères
Dansait pudiquement dans les hautes fougères.
Couché sur le rivage et regardant tes yeux,
Je laissais mon amour, pur et silencieux,
S’élever jusqu’à toi pendant ces heures saintes.
Tes cheveux, couronnés de grappes d’hyacinthes,
D’un flot brillant et noir baignaient ton cou neigeux.
Bercée au bruit lointain des chansons et des jeux,

Ton âme apparaissait dans ton vague sourire ;
Et les flûtes mêlaient aux accords de la lyre
D’harmonieux sanglots et des plaintes d’amour.
Tu me l’abandonnais, ton âme, sans retour ;
Et, mes profonds désirs perdant leur violence,
Heureux, je contemplais, dans un pieux silence,
Les lèvres qui m’avaient tenté cruellement.
Les saphirs de la mer et le beau ciel clément
Rayonnaient au soleil immortel de la Grèce ;
De longs soupirs passaient dans l’air plein de tendresse ;
La souffrance et le mal nous étaient inconnus,
Et moi, comme la mer, je baisais tes pieds nus.



XI

O toi que la beauté revêt, pare et couronne,
Si la substance de ton corps,
Tout entière empruntée à ce qui t’environne,
Résulte des secrets accords
De l’eau chaste et du vent qui murmure et qui passe,
De la terre et du feu, rouge fleur de l’espace ;

Si tu dois rendre au monde, en fuyant invisible,
Les éléments qu’il t’a prêtés,
Afin qu’il les transforme en eau fraîche et paisible
Aux frémissements argentés,
En moissons d’or, en fleurs splendides, en lumière,
En célestes parfums, doux comme une prière ;

Ta forme t’appartient, ta forme est immortelle !
La terre ne la connaît pas,
L’onde, l’air et le feu se taisent devant elle
Et rien ne l’enchaîne ici-bas,

Car, dans l’éternité, ton âme souveraine
A créé librement cette forme sereine.

Tendre et profond regard, lèvres délicieuses,
Grâce de ce visage altier,
Cou flexible et poli, boucles capricieuses,
La merveille du corps entier,
Tout cela, dépouillé lentement comme un voile,
Revivra pour jamais dans une pure étoile !

Elle rayonnera plus tendre et plus profonde,
La flamme de tes sombres yeux ;
Le sourire qui fut la douceur de ce monde
S’épanouira pour les deux ;
Et tu ceindras l’auguste et brillant diadème
Sans que rien ait changé de la forme que j’aime.



XII

Je rêve à toi, couché sur la haute falaise,
A l’ombre d’un pommier, le long du seigle mûr.
La mer, rosée encore et du plus tendre azur,
Frémit comme une vierge au soleil qui la baise ;
La mer à peine bleue, et rose de l’éveil,
Laisse errer sur son corps les lèvres du soleil.

Je rêve que je vois planer deux nobles cygnes.
Ils suspendent leur vol en palpitant un peu ;
L’air exquis du matin les pénètre de bleu ;
Et je regarde, avec mes prunelles indignes,
Dans le jour grandissant le pur saphir des eaux
Azurer de reflets ces merveilleux oiseaux.

Je rêve que je vois deux Esprits de lumière,
Paisibles, s’approcher de la terre en rêvant.
Leurs chastes robes d’or tourbillonnent au vent.
Un parfum de bonté, de grâce, de prière,

S’exhale des Esprits légers et bienheureux ;
Et, penchés l’un vers l’autre, ils murmurent entre eux.

Ils murmurent entre eux, les deux êtres de gloire.
« O mon âme, dit l’un, contemple ces moissons !
J’entends chanter en moi de lointaines chansons ;
Terre, je te bénis. Ma pieuse mémoire
Garde le souvenir de tes plus humbles fleurs,
Où brilla la rosée amère de mes pleurs. »

En souriant répond le plus beau des deux anges :
« Le Ciel m’avait laissé de trop cuisants regrets ;
Mais j’aimais, comme toi, la mer et les forêts.
La prière des fleurs se mêlait aux louanges
Qui, plus haut que la terre et que l’espace bleu,
S’élevaient de mon cœur vers le cœur de mon Dieu. »

Les deux êtres divins soupirent sans tristesse.
« J’ai rêvé bien souvent, dit enfin le premier,
Le long du seigle mûr, à l’ombre d’un pommier,
Qu’un jour tu me rendrais tendresse pour tendresse.
Je bénissais un mal qui m’enivrait de toi ;
Dans mes yeux, tu l’as dit, resplendissait ma foi. »


« Tu m’appelais ta vie et l’âme de ton âme,
Reprend avec lenteur l’ange plus gracieux ;
Mais moi, que tourmentait la vision des Cieux,
J’ai voulu t’arracher au sombre lac de flamme.
Je t’aimais, ô mon frère, et je t’ai fait souffrir,
Afin que notre amour pût librement fleurir. »

Et celui qui jadis, sur la haute falaise,
Rêvait à son aimée en face de la mer,
S’écrie éperdûment, tandis qu’ils fendent l’air :
« Lèvres, je vous respire ; ô cheveux, je vous baise !
Ailes, vous palpitez dans mes ailes ; beaux yeux,
Si j’ai souffert par vous, je vous possède mieux…

« Viens, mon âme, la mer céleste nous appelle.
Au-dessus de l’eau bleue et des blondes moissons,
Fuyons vers le soleil. » L’autre chante : « Unissons
Nos voix à cette voix, si profonde et si belle,
Que le vent du matin porte vers le Béni ;
Viens, et que notre joie emplisse l’infini ! »