Librairie socialiste internationale (p. 32-33).
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XII

Que les prolétaires des villes et des campagnes, décimés par la famine au sein de richesses incommensurables, prennent encore exemple sur la tactique des Irlandais.

C’est à leurs révoltes incessantes et à la terreur qu’ils ont semée jusqu’au centre même de la capitale anglaise, c’est aux exécutions multipliées de landlords qu’ils doivent un commencement de succès.

Au dire d’un statisticien gouvernemental, M. Bertillon, la misère couche en France, chaque année, 90, 000 personnes au cimetière.

Parmi ces infortunés, des milliers mettent fin à leurs tortures par le suicide.

Mourir pour mourir, nous le répétons, pourquoi ne suivraient-ils pas l’exemple des O’Donnell, Florion, Cyvoct, Stellmacher et Reinsdorf ?

« Quand le dernier des Gracques expira, assassiné par la main des nobles, dit Mirabeau, il jeta de la poussière au ciel, et de cette poussière mêlée de sang naquit Marius, Marius moins grand d’avoir vaincu les Cimbres que d’avoir anéanti l’aristocratie de Rome. »

Pourquoi les sacrifiés d’un ordre social inique, au lieu de jeter de la poussière au ciel, ce qui ne nous semble guère pratique, avant de cracher leur vie ne cracheraient-ils pas des balles dans le ventre de leurs affameurs [1] ?

N’est-il pas abominable que l’on puisse trouver des centaines de millions pour des aventures lointaines ne rapportant que la peste et la honte, et qu’on abandonne à la plus atroce détresse des centaines de milliers de plébéiens ?

Des malandrins qui gaspillent ainsi la fortune de la France et le plus pur de son sang, et qui ne trouvent pas un centime pour donner un asile et du pain à ceux qui subissent des misères inénarrables, ne sont-ils pas les derniers des criminels ?

Répondre aux angoisses des damnés de l’enfer social par des coups de sabre et de casse-tête est un piètre argument qui n’absoudra pas, au jour de la justice populaire, les tripoteurs ministériels des folies tonkinoises et madagascaresques.

La bourgeoisie agonise, et comme dans certaines maladies, avant l’heure dernière, elle tombe en pourriture.

Que faudrait-il pour hâter sa fin et lui donner la sépulture qu’elle mérite, c’est-à-dire lui faire comme elle nous fit pendant la semaine de Mai, la jeter à la voirie ?

Imiter les légionnaires de César, « frapper à la tête », ou autrement dit, le moment venu, que les prolétaires, condamnés par la bourgeoisie à la mort sans phrases, se ruent sur la Banque de France, jettent au feu Le Grand-Livre et le Code, et, en guise d’apothéose, fassent faire au Palais-Bourbon un petit saut dans les nuages.

La plume et la parole préparent notre délivrance : la dynamite et le pétrole pourront l’achever.

« Il faut que l’épée tirée, comme l’affirmait Babeuf, le fourreau soit jeté au loin. »

Mieux vaut mourir libre que vivre esclave.

Ceux qui ne sont pas avec nous pour socialiser les forces productives sont contre nous : qu’on s’en souvienne à l’heure où, sous le choc du marteau révolutionnaire, sonnera la suprême revanche du prolétariat.

Ô République sociale,
Accours enfin nous affranchir,
Et pour l’Internationale,
Sachons encor vaincre ou périr !
Rangés sous nos rouges bannières,
Brisons à jamais les tyrans :
Plus de prisons, plus de frontières,
Et la potence aux conquérants [2].

  1. La Chambre infâme n’a plus rien à envier à l’ancien régime : elle vient de rétablir le Pacte de famine. Sous l’habile prétexte de protéger l’agriculture nationale, mais, en réalité, pour défendre les fermages de quelques gros terriens, elle n’a pas hésité à mettre un impôt sur la nourriture du pauvre, le pain. La viande a naturellement suivi. La poire mûrit pour Philippe VII. Que les partisans de la forme républicaine veillent et se préparent au grand coup de balai !
  2. Gabriel Rives. — Les Iniquités sociales, chant révolutionnaire.