Librairie socialiste internationale (p. 30-32).
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Quelle est, en résumé, la condition des producteurs, sur quelque point du globe qu’on porte les yeux, en face de l’opulence et de la tyrannie des pasteurs d’hommes ?

Dans la mansarde et la chaumière, l’indigence et le fétichisme ; au champ et à l’usine, faible salaire et long labeur ; la plupart des êtres humains pliant sous la charge des impôts, humiliés sous les avanies des créanciers, des buveurs d’or et de sang : un présent désastreux, un avenir plus sinistre encore.

Allons, éternels vaincus, préparons-nous, par la Solidarité, à la dernière bataille, celle qui doit nous affranchir du salariat et de l’oppression séculaire !

Détruisons le cloaque où nous enferment la propriété individuelle, la religion et le militarisme.

Aérons-le à coups de canon, si nous ne voulons y mourir étouffés, anémiques.

Il nous faut de l’air et de la poudre !

Comme l’a dit Vallès, « dans la bataille sans éclairs qui se livre entre les murs d’usine calcinés et noirs, ou entre les cloisons des maisons gâtées, le plomb à ordures fait autant de victimes que le plomb à fusil ! »

Comment faire la trouée dans ce monde d’iniquités sociales ?

Par la Révolution internationale, dont les sourds grondements se perçoivent déjà d’un pôle à l’autre

D’où est venue notre grande révolte nationale de 89 ? De la masse. Comment a-t-elle réussi ? Par des milliers de révoltes locales contre les tout petits souverains de châteaux, d’églises, de monastères.

La prise de la Bastille — quelque chose comme un meurtre de despote élégamment accompli — eût été complètement inutile sans les « brigandages » de province.

C’est à la lueur des châteaux, aux clameurs de révolte universelle, que nous devons la nuit du 4 août, la mise en marche définitive de la Révolution.

Si elle n’a pas encore porté ses fruits, on le doit à la confiance naïve de nos frères d’alors qui, pendant qu’ils couraient à la frontière, furent dépouillés, par la mauvaise foi bourgeoise, de leur part légitime des biens nationaux.

Avant d’aller guerroyer sur le Rhin ou sur le Tibre, ils auraient dû exiger la mise en commun des valeurs territoriales immenses reprises à bon droit sur les prêtres et les nobles, qui les avaient eux-mêmes, pendant le cours des siècles, extorquées aux pauvres.

Quand vint, plus tard, la conjuration des Égaux, dont l’épilogue fut la mort héroïque, sur l’échafaud de Vendôme, de Babeuf et de Darthé, le communisme était moins facile à établir, les paysans avides et les gredins de la bourgeoisie ayant eu le loisir de se cantonner solidement sur leurs nouveaux fiefs.

Sans la délation d’un ignoble traître du nom de Grisel — officier de troupe et soldat de police comme le roussin Pottery[1] — peut-être eût-on vu son triomphe.

C’est à recommencer, en se souvenant du mot de Saint-Just :

« Les gens qui font les Révolutions à demi n’arrivent qu’à se creuser une tombe. »

  1. Ce misérable provocateur, à la suite de l’échauffourée de La salle Levis, où il fut houspillé de la belle manière, a fait condamner, entre autres militants d’avant-garde, le compagnon Millet et notre confrère Piéron, malgré l’éloquente plaidoirie d’un avocat socialiste, le citoyen Argyriadès.