Librairie socialiste internationale (p. 8-9).
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II

Ce que veulent les travailleurs éclairés, c’est que des ambitieux ou des sots ne soient point cause que la plus grande partie du produit de leur labeur aille s’engouffrer dans la bedaine des Vautours.

Sauf quelques exceptions dont nous parlerons plus loin, demander, en économie sociale, au riche de défendre la cause du pauvre, au puissant de respecter le faible, n’est-ce pas comme si l’on demandait au frelon de protéger l’abeille, à l’âne de roucouler comme la fauvette ?

Autant demander à Ferry d’être honnête homme, autant vouloir que Galiffet ne soit un assassin.

Les socialistes égalitaires affirment que tout être humain jeté dans ce monde a droit à la vie large et belle, en un mot au bonheur.

Mais est-ce possible ?

— Non, s’empressent de répondre les parasites qui ont monopolisé les fruits de cette terre.

— Si, répliquent les déshérités conscients qui les font croître en les arrosant de leurs sueurs.

À l’ouvrier qui produit la richesse et n’a rien à se mettre sous la dent, on prêche le respect de la boulangerie ; à lui qui, d’un bout de l’année à l’autre, a le corps exposé à toutes les intempéries, on recommande de ne pas entrer dans les magasins qui regorgent de vêtements ; à lui qui loge dans un galetas, on défend de jeter un coup d’œil sur ces habitations salubres où il peut voir à toute seconde des écriteaux indiquant qu’elles sont vides.

À ce sujet, que penser de la condamnation de Louise Michel, cette vaillante entre les vaillantes, cette Jeanne d’Arc socialiste, dont le peuple gardera le souvenir ?

Vit-on jamais semblable audace : conduire, paraît-il, sous les plis du drapeau noir, une colonne d’affamés, réclamant du travail ou du pain, au sac d’une boulangerie réactionnaire ?

En vérité, toutes les foudres mêmes d’un Q. de Beaurepaire n’atteindront jamais à la hauteur d’un pareil « forfait. »

Nos dirigeants, qui ne pillent pas de boulangeries, se contentant de mettre la main dans les caisses publiques, alimentées par ces meurt-de-faim qu’ils traquent, emprisonnent et déportent, nos dirigeants ignorent-ils donc le proverbe russe :

« Quand le pope a faim, il vole comme le moujik »[1] ?

Si la bourgeoisie est assez ignorante pour croire que si tout le monde mangeait à sa faim, elle, bourgeoisie, manquerait de quelque chose, c’est tant pis pour elle ; c’est une preuve de plus qu’elle doit disparaître comme classe dominante. Si elle ne peut comprendre que dans chaque coin de la terre il y a des forces incalculables à mettre en mouvement, nous n’y pouvons rien ; mais est-ce à dire que nous devons éternellement subir son crétinisme ?

S’agit-il de la construction de chemins de fer ou de l’exploitation de forces motrices qui devraient servir à soulager ceux qu’elle contraint à peiner longuement pour la nourrir, elle temporise. Mais, s’agit-il d’envoyer dans des contrées lointaines des frères massacrer leurs frères, oh ! alors, elle n’hésite plus, la question est sérieuse : Il faut ouvrir un nouveau débouché à son commerce !

Brigandage commercial et brigandage militaire se valent : le premier, où domine la fraude, est-il plus honorable que le second, où domine la violence ?

  1. Un philosophe italien, Beccaria, l’auteur du célèbre Traité des délits et des peines, ne craignait pas de dire au siècle dernier :

    « Le vol n’est d’ordinaire qu’un délit de la misère et du désespoir, le délit de cette partie infortunée des hommes à qui le droit de propriété, droit terrible et non nécessaire peut-être, n’a laissé qu’une existence dépourvue de tout. »