La Reconnaissance de Sakountala (Foucaux)/Acte V

Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
E. Picard (p. 91-111).

ACTE CINQUIÈME


Le roi, assis sur son trône. Mâdhavya est près de lui.


mâdhavya, prêtant l’oreille. Cher ami, écoutez, écoutez avec attention ! On entend dans la salle de concerts une suite d’accords modulés avec douceur et pureté.

Ah ! je sais : c’est la reine Hansapadikâ qui s’exerce à chanter.

le roi. Fais silence, pour que j’écoute.

(On chante, derrière la scène.)

« Toi qui es avide de miel nouveau, comment, après avoir donné des baisers au frais bouton du manguier, l’as-tu oublié, satisfaite à présent d’avoir pour demeure un simple lotus ? »

le roi. Combien ce chant est empreint de passion !

mâdhavya. Alors, c’est par la mélodie que le sens des paroles se fait comprendre.

le roi, souriant. Cette femme fut un jour l’objet de mes attentions. C’est pour cela que je suis, à cause de la reine Vasoumatî, l’objet d’une censure sévère de sa part.

Ami Mâdhavya, va parler de ma part à Hansapadikâ ; c’est avec adresse qu’elle me fait un reproche.

mâdhavya. Votre Majesté va être obéie.

(Se levant.) Ah ! mon ami, si elle me fait saisir aux cheveux par la main des autres, je serai battu ; et, pas plus que pour un ermite surpris par une belle nymphe, il n’y aura pas aujourd’hui de salut possible pour moi.

le roi. Va, et, prenant le langage des cours, apaise-la avec des paroles conciliantes.

mâdhavya, sortant. Que faire ?

le roi, à part. Pourquoi donc, après avoir compris le sens de ce chant, suis-je aussi attristé qu’on peut l’être, si ce n’est quand on est séparé d’une personne aimée ?

Pourtant

« Après avoir vu des choses agréables et entendu des chants pleins de douceur, l’on est attristé quoique charmé ; c’est donc que, sans pouvoir s’en rendre compte, on se rappelle des amitiés fortement gravées dans le cœur, dans des existences antérieures ? » (Il reste tout pensif.)

(Entre le chambellan de l’appartement des femmes.)

le chambellan. Hélas ! à quoi suis-je réduit ?

« Cette canne de bambou que j’avais prise autrefois, moi qui suis chargé de veiller aux appartements intérieurs du palais, en me disant : c’est un objet pour la forme, aujourd’hui qu’il s’est écoulé bien du temps, ce même bâton est devenu un véritable soutien pour mes pas chancelants ! »

Sans nul doute, rien de ce qui touche au devoir ne doit être négligé volontairement par un roi ; cependant, en ce moment où il vient de quitter son tribunal, je n’ose lui annoncer l’arrivée inopportune d’un disciple de Kanva.

Allons ! la tâche de gouverner le monde ne permet pas de repos.

Puisque

« Le Soleil, une fois ses chevaux attelés, marche toujours en avant, de même que la brise odorante qui est en mouvement jour et nuit ; puisque Cêcha[1] a toujours sur lui le fardeau de la terre, le devoir de la soutenir est aussi imposé au roi qui vit de la sixième partie de ce qu’elle produit. »

C’est pourquoi je vais faire le message. (Il fait quelques pas et regarde.)

Voici le roi.

« Après s’être occupé avec sollicitude de toutes les créatures comme de ses enfants, quand il a l’esprit fatigué, il aime la solitude, comme le chef des éléphants, brûlé par le soleil, quand il a conduit ses troupeaux aux pâturages, cherche pendant le jour un endroit frais. »

(S’approchant du roi.) Victoire ! victoire au roi ! Des anachorètes, avec des femmes, qui habitent les forêts de la vallée qui se trouve aux pieds du mont Himavat, viennent d’arriver ; ils apportent un message de Kanva.

Le roi a entendu ; il décidera ce qu’il faut faire.

le roi, avec respect. Quoi ! des gens qui apportent un message de Kanva ?

le chambellan. Oui, Sire.

le roi. Eh bien ! qu’on avertisse de ma part le prêtre de famille Sômarâta. Après avoir bien reçu ces habitants de la forêt suivant les règles prescrites par l’Écriture, qu’il veuille bien lui-même les introduire. Quant à moi, je reste ici à les attendre ; c’est un lieu convenable pour recevoir des ascètes.

le chambellan. J’obéis à Votre Majesté. (Il sort.)

le roi, se levant. Vêtravati, montre-nous le chemin de la salle du sacrifice.

vêtravati. Par ici, par ici, Sire.

le roi s’avance avec un air préoccupé d’affaires. Tout homme qui a atteint le but de ses désirs devient heureux ; mais, pour les rois, quand ils sont arrivés au but de leur ambition, ils n’en sont que plus tourmentés.

« Arriver à une dignité ne satisfait que l’ambition, mais le soin de conserver ce qu’on a obtenu est un véritable tourment ; La royauté, comme le parasol dont on tient le manche dans sa main, ne garantit d’une grande fatigue qu’au prix d’une autre fatigue. »

deux hérauts, derrière la scène. Que le roi soit victorieux !

1er héraut. « Sans souci de ton bien-être, tu te fatigues chaque jour pour le bien du monde, et c’est bien là ta véritable occupation. C’est ainsi qu’un arbre supporte avec sa tête une chaleur excessive, tandis qu’avec son ombre il en adoucit l’excès pour ceux qui se réfugient à l’abri de son feuillage. »

2e héraut. « Tu retiens ceux qui marchent dans la mauvaise voie en te servant du sceptre qui châtie ; tu apaises les querelles et tu as le pouvoir de protéger. Que tes parents soient présents au temps des grandes fêtes ; mais c’est en toi seul que l’on trouve dans toute sa perfection la bienveillance pour les peuples ! »

le roi. Nous avions l’esprit fatigué, et nous voilà comme renouvelé. (Il fait quelques pas.)

une portière. La terrasse du feu du sanctuaire, depuis qu’elle a été purifiée de nouveau, est encore plus belle, avec la génisse qui fournit le lait de l’offrande. Que Votre Majesté y monte !

le roi, s’y arrêtant après y être monté, en s’appuyant sur ceux qui l’entourent. Vêtravati, dans quel but les saints anachorètes ont-ils été envoyés vers moi par le vénérable Kanva ?

« Est-ce que les pénitences des ascètes, occupés à leurs saintes pratiques, ont été troublées par des obstacles ? ou bien quelqu’un a-t-il fait du mal aux animaux qui paissent dans les bois de l’ermitage ? Ou bien encore mes fautes ont-elles nui à l’épanouissement des fleurs des lianes ? À cette pensée, mon esprit, traversé par une foule de doutes, est rempli d’incertitudes. »

la portière. Pour moi, je crois que, heureux grâce aux belles actions du roi, les anachorètes sont venus pour lui rendre hommage.

(Les ermites entrent, accompagnés de Gâutamî et précédant Sakountalâ. Le chambellan et le prêtre de famille marchent devant eux.)

sârngarava, s’adressant à son compagnon. Sâradvata !

« Assurément, ce prince aux grandes vertus a une constance que rien n’ébranle ; personne ici ne suit la mauvaise voie, pas même celui qui appartient aux plus basses classes. Et cependant, à moi dont l’esprit est accoutumé à une solitude perpétuelle, ce palais rempli de monde apparaît comme une maison enveloppée de flamme ! »

sâradvata. C’est avec raison qu’à l’entrée de la ville une pareille idée t’est venue. Moi aussi

« Comme celui qui s’est baigné regarde celui qui ne s’est pas lavé ; comme le pur regarde l’impur, l’éveillé celui qui dort, l’homme libre en ses mouvements celui qui est attaché, voilà comment je regarde cette foule qui court après le plaisir. »

sakountalâ, indiquant par un mouvement qu’un présage se manifeste. Hélas ! voici un de mes yeux qui tremble, et ce n’est pas le gauche !

gâutamî. Ma fille, loin de toi la mauvaise fortune ! Que les divinités de la famille de ton époux te comblent de félicités !

le prêtre de famille, montrant le roi. Holà ! Anachorètes, voici Sa Majesté, le protecteur de toutes les classes et des ordres religieux. Il vient de quitter à l’instant le tribunal et il vous attend ; regardez, le voici.

sârngarava. Ô grand Brahmane, assurément voilà un sujet de joie ; mais nous, nous sommes ici des gens indifférents. Pourquoi ? Parce que

« Les arbres s’inclinent quand mûrissent leurs fruits ; les nuages s’approchent de terre quand ils sont nouvellement chargés de pluie ; les hommes vertueux ne s’enorgueillissent pas de leurs grandes richesses ; voilà le vrai caractère de ceux qui viennent en aide aux autres. »

la portière. Sire, les anachorètes semblent parfaitement calmes ; j’en conclus qu’ils viennent pour une affaire qui mérite confiance.

le roi, en voyant Sakountalâ. « Quelle est donc cette jeune femme voilée dont le corps ne s’est pas encore développé dans toute sa beauté ? Au milieu des ascètes riches en austérités, elle est comme un rameau vert au milieu des feuilles jaunies. »

la portière. Sire, la conjecture à laquelle se livre ma curiosité me paraît douteuse. Quoi qu’il en soit, la beauté de cette femme ne vous paraît-elle pas digne d’attirer les regards ?

le roi. Oui ; mais la femme d’un autre ne doit pas être regardée avec complaisance.

sakountalâ, posant sa main sur sa poitrine, à part. Ô mon cœur, pourquoi trembles-tu ainsi ? rappelle-toi l’affection de mon époux, et sois ferme !

le prêtre de famille, qui s’est approché. Ces anachorètes ont été honorés suivant la règle. L’un d’eux apporte un message de leur chef spirituel ; que Sa Majesté daigne l’entendre !

le roi. Je suis attentif.

les ermites, levant les mains. Soyez victorieux, ô roi.

le roi. Tous je vous salue !

les ermites. Gouvernez au gré de vos désirs !

le roi. J’espère que rien ne trouble les mortifications des solitaires ?

les ermites. « D’où viendraient les obstacles aux cérémonies saintes des personnes pieuses, quand vous êtes leur protecteur ? Lorsque brille l’astre aux chauds rayons, comment l’obscurité pourrait-elle se produire ? »

le roi. C’est en effet ce qui doit arriver, si le nom de roi a un sens[2]. Enfin, le bienheureux Kanva réussit-il dans sa sollicitude pour le bonheur du monde ?

les ermites. La réussite est au pouvoir de ceux qui sont saints. Il demande d’abord des nouvelles de votre santé, et ajoute…

le roi. Qu’ordonne sa sainteté ?

sârngarava. Il a dit : « Puisque Sa Majesté a, par un consentement mutuel, épousé cette jeune personne, ma fille, je donne, à cause de cela, à tous les deux mon consentement, car

« Tu es reconnu par nous comme le premier entre les gens honorables, et Sakountalâ est la Vertu même revêtue d’un corps. En unissant une jeune fille et un époux de qualités égales, Brahma, cette fois, ne s’expose pas au blâme. »

Aujourd’hui que la jeune femme porte un enfant dans son sein, qu’elle soit bien accueillie, pour accomplir en commun les devoirs religieux.

gâutamî. Seigneur, je désire vous dire quelque chose, mais mon langage pourrait bien être importun, car

« La personne du père n’a pas été attendue par la jeune fille, et aucun parent n’a été requis par vous ; la chose s’étant passée en tête-à-tête, qu’est-ce que l’un a à dire à l’autre ? »

sakountalâ, à part. Que va dire le noble personnage ?

le roi. Qu’est-ce que cette déclaration ?

sakountalâ, à part. C’est du feu, en vérité, les mots qu’il vient de prononcer !

sârngarava. D’où vient le doute de Votre Majesté ? Les personnes comme elle sont pourtant bien informées de ce qui se passe dans le monde.

« Quoique vertueuse, la femme mariée, seulement parce qu’elle demeure dans la famille de ses parents, est soupçonnée par le monde de ne pas l’être ; aussi, même quand une femme n’est pas aimée de son époux, ses parents veulent qu’elle soit près de lui. »

le roi. Ainsi, cette dame ici présente a été épousée par moi autrefois ?

sakountalâ, consternée, à part. Ô mon cœur, voilà ce que tu craignais !

sârngarava. Eh quoi ! le regret d’une chose accomplie conduit le roi à détourner les yeux de ce qui est juste ?

le roi. Mais si cette demande est un tissu de mensonges ?

sârngarava. Ces changements d’avis se montrent surtout chez ceux que le pouvoir enivre.

le roi. Et c’est juste sur moi que tombe ce blâme ?

gâutamî. Ma fille, ne rougis pas même un instant. Je vais ôter ton voile, et ton époux te reconnaîtra ! (Elle lève le voile.)

le roi, regardant Sakountalâ, à part.

« Cette beauté sans tache qu’on m’amène ainsi a-t-elle été, ou non, épousée par moi ? Je ne sais. Comme l’abeille au lever de l’aurore, près de la fleur du jasmin remplie de rosée, je ne puis ni m’en approcher ni me résoudre à l’abandonner. »

(Il reste pensif.)

la portière. Quel respect le roi a pour la loi ! À la vue d’une beauté pareille, amenée pour son plaisir, quel autre hésiterait ?

sârngarava. Eh bien, Sire, pourquoi rester ainsi silencieux ?

le roi. Anachorètes ! même en y réfléchissant, je ne me rappelle nullement mon mariage avec cette dame. Comment donc, quand il est visible qu’elle va devenir mère, et quand je doute si je suis son mari, dois-je me conduire à son égard ?

sakountalâ, à part. Le prince doute même de son mariage ! où est maintenant mon espérance qui était si haut placée ?

sârngarava, au roi. Ce n’est pas ainsi

« Qu’il doit être méprisé par vous, en vérité, le sage qui a consenti à ce que sa fille soit séduite par vous ; lui qui, en permettant qu’on lui ravisse son bien, a fait de vous un ravisseur innocent, pour ainsi dire ! »

sâradvata. Sârngarava, cesse de parler maintenant. (S’adressant à Sakountalâ.) Ce qu’il fallait dire, nous l’avons dit ; le prince a parlé de son côté. Il faut lui répondre avec assurance.

sakountalâ, à part. Quand un pareil amour en est arrivé là, à quoi bon le rappeler ? Mais je dois me justifier moi-même, il le faut.

(Haut.) Noble seigneur ! (Elle parle à demi-voix.) Mais, à présent que notre mariage est mis en doute, ce n’est pas là les mots qu’il faut employer !

Descendant de Pourou, il est indigne de vous, après avoir, autrefois, dans l’ermitage, séduit, sous la foi d’une promesse mutuelle, une personne au cœur naturellement ouvert, de la rebuter avec de semblables paroles !

le roi, se fermant les oreilles. Silence ! pas de paroles criminelles !

« Pourquoi cherches-tu, en mettant le trouble dans ma famille, à me faire déchoir, comme une rivière qui ronge ses bords trouble l’eau limpide et entraîne l’arbre du rivage ? »

sakountalâ. Soit ! Si c’est véritablement par crainte que je ne sois la femme d’un autre que tu te conduis ainsi, je dissiperai tes doutes avec un signe de reconnaissance.

le roi. C’est une noble pensée.

sakountalâ, cherchant son anneau à son doigt. Ah ! malheur, malheur ! l’anneau n’est plus à mon doigt !

gâutamî. L’anneau est tombé sans doute quand tu offrais ton hommage aux eaux de l’étang consacré de Satchî, dans l’enceinte de Sakrâvatâra[3].

le roi, souriant. Le sexe féminin a de la présence d’esprit, comme on le dit très-bien.

sakountalâ. Le destin montre ici sa puissance. Mais je te dirai autre chose.

le roi. Il est juste d’écouter le récit de ce qui s’est passé.

sakountalâ. Un jour, dans le bosquet des jasmins doubles, l’eau qui se trouvait dans la coupe que formait une feuille de lotus n’a-t-elle pas été versée dans ta main ?

le roi. Nous écoutons toujours.

sakountalâ. Alors s’est approché le jeune faon nommé Dirghâpanga, mon enfant adoptif, et tu l’as engagé avec douceur à prendre l’eau, en disant : « qu’il boive le premier ! » mais lui, qui ne te connaissait pas, ne s’est pas approché de ta main. Puis il est venu avec confiance chercher l’eau dans ma main. Alors, tu as souri en le voyant et tu as dit : « Tout être a confiance en ses pareils ; tous les deux, en effet, vous êtes des habitants de la forêt ! »

le roi. C’est par des paroles fausses et mielleuses comme celles-ci, prononcées par des femmes qui regrettent ce qu’elles ont fait, que les voluptueux sont séduits !

gâutamî. Grand roi, gardez-vous d’une pensée pareille ! Élevée dans les bois de l’ermitage, cette jeune personne ne connaît pas l’art de tromper.

le roi. Respectable pénitente,

« La ruse du sexe féminin se montre même en dehors de l’espèce humaine ; qu’est-ce donc chez les êtres doués de jugement ? Avant que leur jeune famille ne s’envole dans les airs, les femelles des kôkilas[4] la font nourrir par d’autres oiseaux. »

sakountalâ, avec colère. Homme sans honneur ! tu juges ici avec ton cœur. Quel autre, en ce moment, imiterait ta conduite, à toi qui, comme un puits caché sous l’herbe, te recouvres du manteau de la vertu ?

le roi, à part. Le courroux de cette femme, qui jette le trouble dans ma pensée, paraît exempt de toute dissimulation.

« Pendant que j’ai des pensées sévères par un défaut de mémoire qui n’admet pas l’existence d’une liaison secrète, il semble qu’au moment où les sourcils froncés de cette femme aux yeux enflammés se sont séparés, l’arc de l’amour a été brisé par sa colère ! »

(Haut.) Madame, la conduite de Douchmanta est bien connue, et je n’y vois rien de pareil à cela.

sakountalâ. Très-bien ; on fait de moi maintenant une femme volontaire ! de moi qui, sous la foi d’un serment de ce descendant de Pourou, suis tombée entre les mains d’un homme qui a du miel aux lèvres et du poison dans le cœur ! (Elle pleure en se couvrant le visage avec le bord de son vêtement.)

sârngarava. Ainsi une action faite à la hâte et en ne consultant que soi-même amène des regrets cuisants.

« C’est avec beaucoup de circonspection qu’il faut accepter une union, surtout quand elle est secrète ; quand les cœurs ne se connaissent pas, l’amitié devient inimitié. »

le roi. Ainsi, sur le témoignage de cette dame, vous nous accusez d’une foule de fautes ?

sârngarava, avec ironie. Vous avez entendu ce renversement des choses reçues :

« Une personne depuis sa naissance n’a pas été exercée au mensonge, et sa parole est sans autorité ; mais que ceux-là seuls soient dignes de confiance qui s’étudient à tromper les autres, en disant : voilà la vérité ! »

le roi. Eh bien ! véridique ermite, quand même tout serait avoué par nous, qu’advient-il de la séduction de cette femme ?

sârngarava. La déchéance.

le roi. La déchéance pour les descendants de Pourou ? Cela n’est pas croyable !

sâradvata. Sârngarava, qu’est-il besoin d’en dire davantage ? Le message de notre vénérable maître est fait. Retournons à l’ermitage. (Au roi.) « Puisque cette femme est ton épouse, abandonne-la ou reçois-la, l’autorité qu’on a sur les femmes étant regardée comme illimitée. »

gâutamî. Marche en avant.

(Ils se mettent en marche.)

sakountalâ. Comment, quand je suis trompée par ce traître, vous aussi, vous m’abandonnez, livrée à ma douleur ? (Elle veut les suivre.)

gâutamî, s’arrêtant. Mon fils Sârngarava, voilà en vérité Sakountalâ qui nous suit en pleurant amèrement. Quand son époux la repousse avec dureté, que fera ma fille ?

sârngarava, se retournant avec impatience, à Sakountalâ. Femme opiniâtre, tu veux donc agir à ta guise ? (Sakountalâ devient toute tremblante.)

« Si tu es ce que dit le roi protecteur de la terre, qu’as-tu à faire avec ton père, toi qui es à présent en dehors de la famille ? Et si tu es sûre de la pureté de ton engagement, tu dois supporter même l’esclavage dans la famille de ton époux. »

Reste donc. Pour nous, nous avons notre mission à terminer.

le roi. Anachorète ! pourquoi trompes-tu cette femme ?

« La lune n’éveille que les lotus de nuit, et le soleil ceux de jour seulement. Le devoir de ceux qui domptent leurs passions est d’éviter les liaisons avec les femmes des autres ! »

sârngarava. Puisque, par l’union avec une autre femme, Votre Majesté a oublié ce qui s’est passé autrefois, pourquoi craint-elle une injustice ?

le roi, au prêtre de famille. Je demande à ta Révérence de peser ici le fort et le faible.

« Dans le doute si je suis aveuglé ou si cette femme parle faussement, dois-je abandonner une épouse, ou devenir coupable en prenant la femme d’un autre ? »

le prêtre de famille, après avoir réfléchi. Si l’on agissait en conséquence ?

le roi. Que ta sagesse me conseille.

le prêtre. Que cette dame reste dans ma maison jusqu’à ce qu’elle soit devenue mère. Si, alors, la prédiction des sages : « Tu engendreras comme premier né un fils ayant dans la main la figure d’une roue, » se réalise, et que l’enfant de cette fille du solitaire se trouve doué d’un pareil signe, après avoir honoré celle-ci, tu la feras entrer dans ton appartement intérieur ; sinon, il faudra la reconduire auprès de son père.

le roi. Qu’il soit fait comme il convient à mes précepteurs spirituels.

le prêtre de famille. Ma fille, suis-moi.

sakountalâ. Ô terre, entr’ouvre-toi sous mes pas !

(Elle s’avance en pleurant et sort avec le prêtre de famille et les anachorètes.
Le roi, dont la mémoire est troublée par la malédiction de Dourvâsas, songe à cette visite de Sakountalâ.)

une voix, derrière la scène. Quelle chose merveilleuse !

le roi, écoutant. Qu’y a-t-il ?

le prêtre de famille, entrant avec un air étonné. Sire, une chose bien merveilleuse, en vérité, vient d’arriver.

le roi. Qu’est-ce donc ?

le prêtre. Sire, les disciples de Kanva étant partis,

« Cette jeune femme maudissait ses destinées, et s’était mise à pleurer en levant les bras…

le roi. Eh bien ?

le prêtre. « Auprès de l’étang sacré des Nymphes, une flamme ayant la forme d’une femme l’a enlevée et a disparu. »

(Tous témoignent leur étonnement.)

le roi. Révérend, cette affaire avait été déjà mise de côté par nous ; pourquoi s’en occuper inutilement ? Ayez l’esprit en repos.

le prêtre de famille, après avoir regardé. Soyez toujours vainqueur ! (Il sort.)

le roi. Vêtravati, je suis tout troublé. Montre-moi le chemin de ma chambre à coucher.

la portière. Par ici, par ici, Seigneur l (Il marche en avant.)

le roi. « En vérité, je ne me rappelle pas que la fille du solitaire soit mon épouse ; et pourtant, mon cœur fortement ému me porte à le croire ! »

(Tous sortent.)
FIN DU CINQUIÈME ACTE.
  1. Roi de la race des serpents, qui sert à la fois de couche et de dais à Vichnou, qu’il abrite avec ses mille têtes. C’est lui qui soutient le monde, qu’il porte sur ses têtes.
  2. Il y a ici un jeu sur le mot râdja (roi), qui vient du mot râdj, « briller. »
  3. Sakra étant un des noms du dieu Indra, Sakrâvatâra doit être le nom d’un lieu où il était descendu sur la terre. Satchî est le nom de l’épouse d’Indra.
  4. Le Kôkila, coucou indien, comme celui d’Europe, dépose ses œufs dans le nid d’un autre oiseau.