Calmann-Lévy, éditeur (p. 81-84).


X


« Monsieur,

» Votre lettre, si gracieuse et si encourageante, m’est parvenue hier seulement, à Chartres, chez une vieille parente dont l’hospitalité m’a été douce après un deuil cruel.

» Il y a six mois que j’ai quitté Paris et rompu toutes attaches avec le Monde féminin. Est-ce bien moi qui ai fait cet article sur la Travailleuse ?… Je n’en suis plus très certaine… Tant et tant de choses m’ont fait oublier ma vie d’autrefois, la besogne maussade que M. Foucart m’imposait, les bonnes chances trop rares qui me permettaient d’écrire, dans un petit coin du journal, mon humble pensée !…

» Que cette pensée — exprimée naïvement — ait rencontre la vôtre, j’en suis très flattée, et d’autant plus flattée que je ne suis pas une femme de lettres. Mon article était, presque, un début… Je sentais, en l’écrivant, mon inexpérience. Mais, si les maladresses de la forme gênaient l’expression du sentiment, le sentiment était sincère, et j’ose dire qu’il pouvait vous intéresser, parce qu’il n’était pas personnel : j’ai dit ce que beaucoup de femmes pensent — ou ce qu’elles penseraient, si elles étaient, toutes, des travailleuses. — Et que vous vous déclariez féministe ou non, il n’importe, puisque vous l’êtes, de fait… Cela devrait suffire à vous attirer des lectrices. Mais ne vous étonnez pas si je souhaite que vous ayez surtout des lecteurs ! Puissiez-vous les rendre plus justes — je ne dis pas plus indulgents — pour la femme.

» Hier matin, j’étais bien loin du féminisme, et je vous avouerai que la « rebelle », inclinait à la résignation. Oui, je me décidais presque à ne plus quitter Chartres, à ouvrir une petite école, bien que le métier d’institutrice ne me plût qu’à moitié. Mais j’ai reçu, en même temps que la vôtre, une lettre de M. Foucart. Dois-je attribuer au hasard ou à votre intervention la bienveillance imprévue de mon ancien directeur ?

» Je n’hésite pas… Je connais M. Foucart. Il est sensible aux jugements d’autrui, et sans doute il pense, à cette heure, tout le bien qu’on lui a dit de moi.

» Il me semble, monsieur, que je ne dois pas vous laisser ignorer ces choses, et ce serait fort mal à moi de ne pas vous remercier.

» JOSANNE VALENTIN. »

« Je connais Chartres, madame… Je connais la place où vous demeurez… Quand j’ai lu votre lettre, tout à l’heure, dans la rue, appuyé contre la grille du Baptistère, j’ai vu, tout à coup, une vieille ville, une petite maison, une cathédrale dressée, avec ses flèches différentes, et son beau toit de cuivre vert, l’automne qui vient, le jour qui s’en va, et, sur toutes ces choses, la douceur de France…

» J’ai vu cela ; puis j’ai relu votre lettre, et la vision s’est effacée, parce que j’ai essayé de vous voir, vous. Une âme est plus émouvante qu’un paysage, et il me semblait que je devinais la vôtre, jeune, grave, douce, énergique, une âme de France, elle aussi. — Ce n’était pas vous offenser par une curiosité vaine, puisque j’avais eu, de votre aveu, une petite part au changement de vos projets, et que cela me donnait l’ombre d’un droit, l’ombre d’une responsabilité, dont j’étais tout ému et tout fier… Vraiment, madame, je ne prévoyais pas que la Travailleuse me procurerait ce plaisir-là…

» Il serait bien gâté, si je devais vous le taire. Je l’exprime donc, comme je le sens, et je vous demande, à titre de confrère, — je n’ose dire à titre d’ami, — la permission de vous donner un conseil. Allez à Paris ; voyez Foucart. S’il ne persiste point dans ses bonnes dispositions, avertissez-moi : je pourrai très probablement vous introduire soit à Femina, soit à la Vie heureuse.

» Disposez donc de moi, madame, en toute simplicité, et recevez mes très respectueux hommages.

» NOËL DELYSLE. »


« Monsieur,

» J’ai rassemblé tout mon courage : je suis allée à Paris ; j’ai vu Foucart. Brusquement, roidement, il m’a dit :

» — Je ne vais pas remercier une collaboratrice pour vous faire plaisir, mais, puisque vous voulez écrire un peu proprement (sic), je vous colle au reportage.

» Cette phrase, où vous reconnaîtrez le style de M. Foucart, a décidé de mon destin. Je quitte Chartres. Ma bonne tante gardera près d’elle mon petit garçon. Et moi, j’irai interviewer les gens célèbres.

» Je vous avoue que cela me fait peur, — très peur, — moins que les austères joies de l’enseignement, — moins que la vie de province…

» De la chambre où je vous écris, j’aperçois le porche latéral de Notre-Dame, sa rose flamboyante, ses statues couronnées, et son « beau toit de cuivre vert », où luit un reflet de lune. Vous aimez ce paysage ?… Moi, je n’ai pas pu l’aimer. Il s’associe, dans ma pensée, à trop de deuil et de tristesse. C’est là, pourtant, que votre franche et bonne sympathie est venue vers moi, comme un heureux présage. Merci encore, et de tout cœur.

» JOSANNE VALENTIN. »