Dentu (p. 57-76).


IX.


Plus tard seulement, après des extases répétées, mon esprit devint plus capable d’échanger des idées avec mes hôtes et de comprendre plus complètement des différences de mœurs ou de coutumes qui m’avaient d’abord trop étonné pour que ma raison pût les saisir ; alors seulement je pus recueillir les détails suivants sur l’origine et l’histoire de cette population souterraine, qui forme une partie d’une grande famille de nations appelée les Ana.

Suivant les traditions les plus anciennes, les ancêtres de cette race avaient habité un monde situé au-dessus de celui qu’habitaient leurs descendants. Ceux-ci conservaient encore dans leurs archives des légendes relatives à ce monde supérieur et où l’on parlait d’une voûte où les lampes n’étaient allumées par aucune main humaine. Mais ces légendes étaient regardées par la plupart des commentateurs comme des fables allégoriques. Suivant ces traditions, la terre elle-même, à la date où elles remontaient, n’était pas dans son enfance mais dans les douleurs et le travail d’une période de transition et sujette à de violentes révolutions de la nature. Par une de ces révolutions, la portion du monde supérieur habitée par les ancêtres de cette race avait été soumise à de grandes inondations, non pas subites, mais graduelles et irrésistibles ; quelques individus seulement échappèrent à la destruction. Est-ce là un soutenir de notre Déluge historique et sacré ou d’aucun autre des cataclysmes antérieurs au Déluge et sur lesquels les géologues discutent de nos jours ? Je ne sais, mais si l’on rapproche la chronologie de ce peuple de celle de Newton, on voit que la catastrophe dont il parle aurait dû arriver plusieurs milliers d’années avant Noé. D’autre part, l’opinion de ces écrivains souterrains ne s’accorde pas avec celle qui est la plus répandue parmi les géologues sérieux, en ce qu’elle suppose l’existence d’une race humaine sur la terre à une date bien antérieure à l’époque où les géologues placent la formation des mammifères. Quelques membres de la race infortunée, ainsi envahie par le Déluge, avaient, pendant la marche progressive des eaux, cherché un refuge dans des cavernes situées sur les plus hautes montagnes et, en errant dans ces profondeurs, ils perdirent pour toujours le ciel de vue. Toute la face de la terre avait été changée par cette grande révolution ; la terre était devenue mer et la mer était devenue terre. On m’apprit comme un fait incontestable que, même maintenant, dans les entrailles de la terre on pouvait trouver des restes d’habitations humaines ; non pas des huttes ou des antres, mais de vastes cités dont les ruines attestent la civilisation des races qui florissaient avant le temps de Noé ; ces races ne doivent donc pas être mises au rang de celles que l’histoire naturelle caractérise par l’usage du silex et l’ignorance du fer.

Les fugitifs avaient emporté avec eux la connaissance des arts qu’ils exerçaient sur la terre, la tradition de leur culture et de leur civilisation. Leur premier besoin dut être de remplacer la lumière qu’ils avaient perdue ; et à aucune époque, même dans la période préhistorique, les races souterraines, dont faisait partie la tribu où je vivais, ne paraissent avoir été étrangères à l’art de se procurer de la lumière au moyen des gaz, du manganèse, ou du pétrole. Ils s’étaient habitués dans le monde supérieur à lutter contre les forces de la nature, et la longue bataille qu’ils avaient soutenue contre leur vainqueur, l’Océan, dont l’invasion avait mis des siècles à s’accomplir, les avait rendus habiles à dompter les eaux par des digues et des canaux. C’est à cette habileté qu’ils durent leur salut dans leur nouveau séjour.

— Pendant plusieurs générations, — me dit mon hôte avec une sorte de mépris et d’horreur, — nos ancêtres dégradèrent leur nature et abrégèrent leur vie en mangeant la chair des animaux, dont plusieurs espèces avaient, à leur exemple, échappé au Déluge, en cherchant un refuge dans les profondeurs de la terre ; d’autres animaux, qu’on suppose inconnus au monde supérieur, étaient une production de ces régions souterraines.

À l’époque où ce que nous appellerons l’âge historique se dégageait du crépuscule de la tradition, les Ana étaient déjà établis en différents États et avaient atteint un degré de civilisation analogue à celui dont jouissent en ce moment sur la terre les peuples les plus avancés. Ils connaissaient presque toutes nos inventions modernes, y compris l’emploi de la vapeur et du gaz. Les différents peuples étaient séparés par des rivalités violentes. Ils avaient des riches et des pauvres ; ils avaient des orateurs et des conquérants ; ils se faisaient la guerre pour une province ou pour une idée. Quoique les divers États reconnussent diverses formes de gouvernement, les institutions libres commençaient à avoir la prépondérance ; les assemblées populaires avaient plus de puissance ; la république exista bientôt partout ; la démocratie, que les politiques européens les plus éclairés regardent devant eux comme le terme extrême du progrès politique et qui domine encore parmi les autres tribus du monde souterrain, considérées comme barbares, n’a laissé aux Ana supérieurs, comme ceux chez lesquels je me trouvais, que le souvenir d’un des tâtonnements les plus grossiers et les plus ignorants de l’enfance de la politique. C’était l’âge de l’envie et de la haine, des perpétuelles révolutions sociales plus ou moins violentes, des luttes entre les classes, et des guerres d’État à État. Cette phase dura cependant quelques siècles, et fut terminée, au moins chez les populations les plus nobles et les plus intelligentes, par la découverte graduelle des pouvoirs latents enfermés dans ce fluide qui pénètre partout et qu’ils désignaient sous le nom de vril.

D’après ce que me dit Zee qui, en qualité de savant professeur du Collège des Sages, avait étudié ces matières avec plus de soin qu’aucun autre membre de la famille de mon hôte, on peut produire et discipliner ce fluide de façon à s’en servir comme d’un agent tout-puissant sur toutes les formes de la matière animée et inanimée. Il détruit comme la foudre ; appliqué d’autre façon, il donne à la vie plus de plénitude et de vigueur ; il guérit et préserve ; c’est surtout de ce fluide que l’on se sert pour guérir les maladies, ou plutôt pour aider l’organisation physique à recouvrer l’équilibre des forces naturelles, et par conséquent à se guérir elle-même. Par ce fluide on se fraye des chemins en fendant les substances les plus dures, on ouvre des vallées à la culture au milieu des rocs de ces déserts souterrains. C’est de ce fluide que ces peuples extraient la lumière de leurs lampes ; ils la trouvent plus régulière, plus douce et plus saine que la lumière produite par les autres matières inflammables dont ils se servaient jusque-là.

Mais la politique surtout fut transformée par la découverte de la terrible puissance du vril et des moyens de l’employer. Dès que les effets en furent mieux connus et plus habilement mis en œuvre, toute guerre cessa entre les peuples qui avaient découvert le vril, car ils avaient porté l’art de la destruction à un degré de perfection qui annulait toute supériorité de nombre, de discipline et de talent militaire. Le feu renfermé dans le creux d’une baguette maniée par un enfant pouvait abattre la forteresse la plus redoutable, ou sillonner d’un trait de flamme, du front à l’arrière-garde, une armée rangée en bataille. Si deux armées en venaient aux mains possédant le secret de ce fluide terrible, elles devaient s’anéantir réciproquement. L’âge de la guerre était donc fini, et quand la guerre eut disparu, une révolution non moins profonde ne tarda pas à se produire dans les relations sociales. L’homme se trouva si complètement à la merci de l’homme, chacun d’eux pouvant en un instant tuer son adversaire, que toute idée de gouvernement par la force disparut peu à peu du système politique et de la loi. Ce n’est que par la force que de grandes communautés, dispersées sur de vastes espaces, peuvent être maintenues dans l’unité ; mais ni la nécessité de la défense, ni l’orgueil des conquêtes ne firent plus désirer à un État de l’emporter sur un autre par sa population.

Ceux qui avaient découvert le vril arrivèrent ainsi, au bout de quelques générations, à se partager en communautés moins considérables. La tribu au milieu de laquelle je me trouvais était limitée à douze mille familles. Chaque tribu occupait un territoire suffisant à tous ses besoins, et à des périodes déterminées le surplus de la population émigrait pour aller chercher un domaine nouveau. Il ne paraissait pas nécessaire de faire choisir arbitrairement ces émigrants ; il y avait toujours un assez grand nombre d’émigrants volontaires.

Ces États subdivisés, peu importants à ne considérer que leur territoire ou leur population, appartenaient tous à une seule et grande famille. Ils parlaient la même langue, sauf quelques légères différences de dialecte. Le mariage était permis de tribu à tribu ; les lois et les coutumes les plus importantes étaient les mêmes ; la connaissance du vril et l’emploi des forces qu’il renfermait formait entre tous ces peuples un lien si important que le mot A-vril était pour eux synonyme de civilisation ; et Vril-ya, c’est-à-dire les Nations Civilisées, était le terme commun par lequel les tribus qui se servaient du vril se distinguaient des familles d’Ana encore plongées dans la barbarie.

Le gouvernement de la tribu des Vril-ya, dont je m’occupe ici, était en apparence très compliqué, en réalité très simple. Il était fondé sur un principe reconnu en théorie, quoique peu appliqué dans la pratique sur notre terre, c’est que l’objet de tout système philosophique est d’atteindre l’unité et de s’élever à travers le dédale des faits à la simplicité d’une cause première ou principe premier. Ainsi, en politique, les écrivains républicains eux-mêmes conviennent qu’une autocratie bienfaisante assurerait la meilleure des administrations, si on pouvait en garantir la durée, ou prendre des précautions contre l’abus graduel des pouvoirs qu’on lui accorde. Cette singulière communauté élisait donc un seul magistrat suprême appelé Tur ; il était nominalement investi du pouvoir pour la vie ; mais on pouvait rarement le détourner de s’en démettre aux approches de la vieillesse. Il n’y avait rien du reste dans cette société qui pût porter un de ses membres à convoiter les soucis de cette charge. Aucun honneur, aucun insigne d’un rang plus élevé n’étaient accordés au magistrat suprême que ne distinguait point la supériorité de son revenu ou de sa résidence. En revanche, les devoirs qu’il avait à remplir étaient singulièrement légers et faciles, et n’exigeaient pas un degré extraordinaire d’énergie ou d’intelligence. Point de guerre à craindre, pas d’armée à entretenir : le gouvernement ne pouvant s’appuyer sur la force, il n’y avait pas de police à payer et à diriger. Ce que nous appelons crime était absolument inconnu aux Vril-ya, et il n’existait pas de cour de justice criminelle. Les rares exemples de différends civils étaient confiés à l’arbitrage d’amis choisis par les deux parties, ou jugés par le Conseil des Sages que je décrirai plus loin. Il n’y avait pas d’hommes de loi de profession ; et l’on peut dire que leurs lois n’étaient que des conventions à l’amiable, car il n’existait pas de pouvoir en état de contraindre un délinquant qui portait dans une baguette le moyen d’anéantir ses juges. Il y avait des règles et des coutumes auxquelles le peuple, depuis plusieurs siècles, s’était tacitement habitué à obéir ; ou si, par hasard, un individu trouvait trop dur de s’y soumettre, il quittait la communauté et allait s’établir ailleurs. Enfin on s’était insensiblement soumis à une sorte de convention analogue à celle qui régit nos familles privées, où nous disons en quelque sorte à tout membre parvenu à l’indépendance que donne la virilité : « Reste ou va-t-en, suivant que nos habitudes ou les règles que nous avons établies te conviennent ou te déplaisent. » Mais quoiqu’il n’y eût pas de lois dans le sens précis que nous donnons à ce mot, il n’y a pas dans le monde supérieur une race plus observatrice de la loi que les Vril-ya. L’obéissance à la règle adoptée par la communauté est devenue un instinct aussi puissant que ceux de la nature. Le chef de chaque famille établit pour la conduite de sa famille une règle qu’aucun de ses membres ne songe à violer ou à éluder. Ils ont un proverbe dont l’énergie perd beaucoup dans cette paraphrase : « Pas de bonheur sans ordre, pas d’ordre sans autorité, pas d’autorité sans unité. » La douceur de tout gouvernement civil ou domestique chez eux se reconnaît bien à l’expression habituelle dont ils usent pour désigner ce qui est illégal ou défendu : « On est prié de ne pas faire telle ou telle chose. » La pauvreté chez les Ana est aussi inconnue que le crime ; non pas que la propriété soit en commun, ou qu’ils soient tous égaux par l’étendue de leurs possessions, ou par la grandeur et le luxe de leurs habitations ; mais comme il n’y a aucune différence de rang ou de position entre les divers degrés de richesse ou les diverses professions, chacun fait ce qui lui convient sans inspirer ni ressentir d’envie. Les uns préfèrent un genre de vie plus modeste, les autres un genre de vie plus brillant ; chacun se rend heureux à sa manière. Grâce à cette absence de toute compétition et aux limites fixées pour la population, il est difficile qu’une famille tombe dans la misère ; il n’y a pas de spéculations hasardeuses, pas de rivalités et de luttes pour la conquête de la fortune ou d’un rang plus élevé. Sans doute, chaque fois qu’un établissement a été fondé, une portion égale a été attribuée à tous les colons ; mais les uns, plus entreprenants que les autres, avaient étendu leurs possessions aux dépens du désert qui les entourait, ou avaient augmenté la fertilité de leurs champs, ou s’étaient engagés dans le commerce. Ainsi, les uns étaient nécessairement devenus plus riches que les autres, mais nul n’était absolument pauvre, nul n’avait de privations à subir. À la rigueur, ils avaient toujours la ressource d’émigrer, ou de s’adresser sans honte et avec la certitude d’être écoutés à de plus riches qu’eux ; car tous les membres de la communauté se regardaient comme des frères ne formant qu’une famille unie par l’affection. J’aurai, dans la suite de mon récit, l’occasion de revenir sur ce sujet.

Le soin principal du magistrat suprême était de communiquer avec certains départements actifs, chargés de l’administration de détails spéciaux. Le plus important et le plus essentiel de ces détails consistait dans les approvisionnements de lumière. Mon hôte, Aph-Lin, était le directeur de ce département. Un autre département, qu’on pourrait appeler celui des affaires étrangères, se maintenait en relation avec les États voisins, surtout pour s’assurer de toutes les inventions nouvelles ; toutes ces inventions et tous les perfectionnements des machines étaient soumis à un troisième département chargé d’en faire l’essai. C’est à ce département que se rattachait le Collège des Sages, collège particulièrement recherché des Ana veufs et sans enfants, et des jeunes filles. Parmi ces dernières, Zee était la plus active, et si nous admettons que ce peuple reconnut ce que nous appelons distinction ou renommée (et je démontrerai plus tard qu’il n’en est rien), elle était placée parmi les membres les plus renommés ou les plus distingués. Les membres féminins de ce Collège s’adonnaient surtout aux études qu’on regarde comme moins utiles à la vie pratique, telles que la philosophie purement spéculative, l’histoire des siècles primitifs, et les sciences telles que l’entomologie, la conchyliologie, etc. Zee, dont l’esprit, aussi actif que celui d’Aristote, embrassait également les domaines les plus vastes et les plus minces détails de la pensée, avait écrit deux volumes sur l’insecte parasite qui habite dans les poils de la patte du tigre[1], ouvrage qui faisait autorité sur ce sujet intéressant. Mais les recherches des Sages ne sont pas confinées à ces études subtiles ou élégantes. Elles comprennent d’autres études plus importantes, entre autres sur les propriétés du vril, à la perception desquelles le système nerveux plus délicat des Professeurs féminins les rend bien plus aptes. C’est dans ce collège que le Tur, ou magistrat principal, choisit ses conseillers, dont le nombre ne s’élève jamais au-dessus de trois ; il ne les consulte que dans les cas fort rares où un événement ou une circonstance extraordinaire embarrasse son propre jugement.

Il y a quelques autres départements d’une moindre importance, qui tous fonctionnent avec si peu de bruit et si tranquillement, qu’on ne se sent pas du tout gouverné : l’ordre social est aussi régulier et aussi peu gênant que si c’était une loi de la nature. On emploie la mécanique à presque toutes sortes de travaux intérieurs ou extérieurs, et le soin incessant du département chargé de cet objet est d’en perfectionner l’application. Il n’y a ni ouvriers ni domestiques ; on prend parmi les enfants tous ceux qui sont nécessaires pour surveiller ou seconder les machines ; et cela depuis l’âge où les enfants cessent d’être confiés au sein de leur mère jusqu’à l’époque de la nubilité, c’est-à-dire à seize ans pour les Gy-ei (les femmes) et vingt ans pour les Ana (les hommes). Ces enfants sont classés par bandes et sections sous la surveillance de leurs propres chefs et chacun s’adonne à l’occupation qui lui plaît le plus ou pour laquelle il se sent le plus de dispositions. Les uns choisissent les arts manuels, l’agriculture, les travaux domestiques ; d’autres se consacrent à écarter les rares dangers qui menacent la population. Voici les seuls périls auxquels sont exposés ces tribus : d’abord ceux qu’occasionnent les convulsions accidentelles de la terre ; c’est à les prévoir et à s’en garder qu’on apporte le plus de soin ; tels sont les irruptions du feu et de l’eau, les ouragans souterrains et les gaz qui se dégagent avec violence. Des inspecteurs vigilants sont placés aux frontières de l’État et dans tous les endroits où de semblables périls sont à craindre ; ils ont à leur disposition des moyens de communications télégraphiques avec la salle où quelques Sages d’élite se relaient perpétuellement. Ces inspecteurs sont toujours choisis parmi les garçons qui approchent de l’âge de puberté, d’après ce principe qu’à cet âge les facultés d’observation sont plus vives et les forces physiques plus en éveil qu’à aucune autre époque de la vie. Le second service de sûreté, d’ailleurs moins important, consiste dans la destruction de toutes les créatures hostiles à la vie, à la culture, ou même au bien-être des Ana. Les plus formidables sont les énormes reptiles, dont on conserve dans nos musées quelques restes antédiluviens et certains animaux ailés gigantesques, moitié oiseaux, moitié serpents. Le soin de chasser et de détruire ces derniers, ainsi que d’autres animaux sauvages plus petits et analogues à nos tigres et à nos serpents venimeux, est laissé à de jeunes enfants ; parce que, suivant les Ana, il faut pour cela être sans pitié, et que plus l’enfant est jeune moins il est accessible à la pitié. Il y a une autre classe d’animaux dans la destruction desquels il faut faire de certaines distinctions ; on y emploie des enfants de l’âge intermédiaire ; ce sont les animaux qui ne menacent pas la vie de l’homme, mais qui ravagent les produits de son travail, tels que l’élan et certaines variétés de l’espèce du daim ; de petits animaux qui ressemblent assez à nos lapins, mais qui sont bien plus nuisibles aux moissons et plus habiles dans leurs déprédations. Le premier soin de ces enfants doit être d’apprivoiser les plus intelligents de ces animaux et de les habituer à respecter les clôtures, rendues pour cela très visibles, comme on habitue les chiens à respecter les garde-manger et même à veiller sur le bien de leurs maîtres. Ce n’est que quand ces animaux se montrent incorrigibles qu’on les détruit. On ne les tue jamais pour en manger la chair, ni pour le plaisir de la chasse ; mais on ne les épargne jamais quand on n’a pas d’autre moyen de les empêcher de nuire. Tout en rendant ces divers services et en s’acquittant des tâches qui leur sont confiées, les enfants reçoivent sans interruption l’éducation dont ils ont besoin. Les jeunes gens suivent généralement au sortir de l’enfance un cours d’instruction au Collège des Sages, dans lequel, outre les études générales, les élèves reçoivent des leçons spéciales selon leur vocation et selon le genre d’études qu’ils choisissent eux-mêmes. Quelques-uns cependant préfèrent passer cette période d’épreuves en voyage, ou émigrer, ou s’appliquer aussitôt aux affaires commerciales ou agricoles. Nulle contrainte ne vient gêner leurs inclinations.



  1. L’animal dont il est ici question diffère en plusieurs points du tigre du monde supérieur. Il est plus grand, sa patte est plus large, son front plus fuyant. Il fréquente les bords des lacs et des marais et se nourrit de poissons, bien qu’il n’ait pas de répugnance pour tous les animaux terrestres de force inférieure qui se trouvent sur son chemin. Il devient rare, même dans les districts les plus sauvages, où il est dévoré par des reptiles gigantesques. Je suppose qu’il appartient à l’espèce du tigre, puisque l’animalcule parasite qu’on trouve dans sa patte est, comme celui qu’on trouve dans la patte du tigre asiatique, une miniature de l’animal lui-même.