La Question des Torpilleurs
Revue des Deux Mondes3e période, tome 75 (p. 880-902).
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LA
QUESTION DES TORPILLEURS

I.
LES TORPILLEURS EMPLOYÉS COMME GARDES-COTES.

Plus de vaisseaux ! Des torpilleurs ! tel est le cri que font entendre ceux qui, se laissant éblouir par le côté le plus saillant de la guerre navale future, et trop impressionner par le plus émouvant des épisodes qu’elle pourra nous offrir, ne tiennent pas un compte suffisant de toutes les conditions si diverses qu’une marine militaire doit remplir, de tous les services auxquels elle doit satisfaire. Les succès obtenus par les torpilles portées contre les navires au mouillage, turcs ou chinois, dans les récentes guerres, aussi bien que les expériences faites dans nos ports, ne leur laissent aucun doute sur les succès certains des torpilles automobiles contre les bâtimens en marche, à la mer, à quelque nation qu’ils appartiennent. Ils ne paraissent pas songer aux mécomptes auxquels on doit s’attendre dans la pratique de théories dont l’épreuve seule d’une guerre peut nous montrer sûrement les résultats et qui, jusque-là, ne reposent que sur des suppositions, sur des inductions et sur des raisonnemens.

Toujours entraînée par les idées nouvelles résumées dans des aphorismes précis et faciles à saisir, l’opinion publique, à la suite de quelques écrits et d’articles de journaux, s’est emparée de cette formule radicale : Plus de vaisseaux! Des torpilleurs! Comme à l’ordinaire, jugeant de tout sans pouvoir rien approfondir, elle salue hautement les promoteurs de cette idée, ou ceux qui passent pour l’être, comme les apôtres de la jeune marine, destinée à régénérer une organisation vieillie (elle date d’hier!) et elle regarde ceux qui font seulement des réserves comme des esclaves de la routine, comme des esprits étroits ou usés, incapables de comprendre l’importance, la puissance et l’avenir de ce merveilleux engin : la torpille automobile ! A quoi bon, dit-elle, toute cette flotte qui coûte des millions? A quoi bon ces cuirassés, ces croiseurs, ces puissantes machines, cette formidable artillerie, ces vaillans équipages, puisqu’ils sont fatalement destinés à devenir la proie d’un myrmidon imperceptible qui, au moment où ils y penseront le moins, leur enverra sous l’eau une torpille qui les fera couler ?

Telle est l’absolue confiance que le public met dans la torpille automobile, sur la foi de certains enthousiastes et sur les conclusions tirées d’exercices qui ne peuvent et ne doivent trancher la question au point de vue de l’attaque sérieuse des bâtimens à la mer. On ne se dit pas qu’il y a bien des circonstances, dans la guerre comme pendant la paix, où la torpille ne peut être d’aucune utilité et dans lesquelles le concours de vaisseaux pourvus d’une artillerie convenable et d’un équipage important sera indispensable; que d’ailleurs, si les cuirassés gigantesques paraissent devoir être abandonnés, rien n’est plus simple que de les remplacer par une force navale plus rationnelle eu égard aux circonstances actuelles ; on ne se dit pas que torpiller pour exercice un but immobile ou d’une petite vitesse, dans des eaux tranquilles ou peu agitées, n’est pas la même chose que torpiller au large et pour de bon un vaisseau qui se meut avec rapidité et qui possède contre son adversaire la ressource d’une manœuvre habile, d’une artillerie puissante et de pointeurs parfaits; on ne se dit pas que, dans le premier cas, la torpille peut quelquefois manquer son coup, et qu’elle le manquera souvent dans le second ; que d’ailleurs nous n’avons jamais encore eu l’exemple d’une lutte à la mer entre un torpilleur et un vais- seau[1], que la guerre seule peut nous le donner, que tous les exercices du monde ne pourront en tenir lieu, et que, tout en s’organisant et en prenant ses précautions, il serait sage d’attendre les résultats d’une semblable expérience avant de proclamer le triomphe certain, infaillible, général, toujours et partout, à la mer du torpilleur. Enfin, on ne se dit pas beaucoup d’autres choses que nous allons passer en revue le plus brièvement possible.


I.

Énonçons d’abord, pour fixer les idées, les principales propositions que j’espère démontrer.

1° Le rôle des torpilleurs autonomes actuels ne peut être que celui de garde-côte ; pour des raisons péremptoires que j’exposerai plus loin, le domaine de la haute mer leur est pratiquement interdit, quoique je ne leur conteste pas la faculté de tenir convenablement la mer, dans les gros temps ordinaires et, tant que leur machine, fonctionnant convenablement, leur permettra de bien gouverner.

2° La terreur que l’attaque d’un torpilleur doit, dit-on, inspirer à tout navire, ne peut, dans tous les cas s’entendre que des navires au mouillage, et ils n’y seront exposés que dans les rades ouvertes ; quant à l’attaque d’un torpilleur à la mer contre un bâtiment bien armé, bien commandé, d’une excellente marche et évoluant bien, elle ne doit pas, à mon avis, préoccuper ce dernier plus que ne ferait l’attaque d’un bâtiment ennemi en tout semblable à lui-même.

3° Une réunion nombreuse de torpilleurs à la mer en vue d’une entente commune et d’une manœuvre combinée, à la poursuite d’une flotte ennemie, ne pourra que difficilement remplir son objet, et seulement par un temps à souhait ; dans une nuit obscure ou par un temps sombre ou couvert et pluvieux, surtout s’il s’y ajoute une mer grosse et un vent frais, cette réunion n’aboutirait le plus souvent qu’à une mêlée d’aveugles dans laquelle les torpilleurs se feraient plus de mal à eux-mêmes qu’ils n’en feraient aux ennemis[2]. Il est douteux que l’on se risque à faire des expériences de ce genre dans des circonstances capables de les rendre décisives ; on ne saurait établir aucune comparaison, sous le rapport de l’ordre, de la sécurité, de la facilité d’entente et de la préservation des abordages, entre une réunion de bâtimens ordinaires et une réunion de torpilleurs tels que ceux dont il s’agit.

4° De la première proposition il résulte que, dans le cours de leur navigation dans la haute mer, les bâtimens de guerre ou de commerce n’auront pas à craindre la rencontre des torpilleurs actuels ; ils n’auront affaire qu’à des torpilleurs de nouvelle création, avisos, croiseurs et autres, et je dis qu’il n’en résultera pas pour ces bâtimens une situation sensiblement différente de celle que leur a créée jusqu’ici, en temps de guerre, la rencontre à la mer des avisos, croiseurs ou cuirassés ordinaires.

5° Il y aura toujours une foule de circonstances dans la guerre, aussi bien que dans la paix, où les torpilleurs ne seront d’aucune utilité et dans lesquelles le concours de grands bâtimens de guerre montés par un équipage important et disposant d’une forte artillerie sera indispensable.

Voilà des affirmations nettes et précises ; elles sont fondées sur l’expérience des choses de la mer, sur l’observation de la manœuvre des torpilles, sur une longue pratique de celle des vaisseaux et sur de mûres réflexions ; elles me semblent de nature à faire le jour dans la question, si, comme je l’espère, je parviens à les appuyer d’argumens assez solides; si je n’y réussis pas, mes convictions sont telles, que j’en rejetterai la faute, non sur le manque de bonnes raisons, mais sur mon insuffisance à les faire valoir, et j’en appellerai aux résultats de la guerre future ; car, jusqu’à ce que nous ayons vu des torpilleurs autonomes, tels que ceux dont je m’occupe, et des vaisseaux (européens) armés et à la mer, lutter entre eux pour l’existence, et l’un des adversaires périr, aucun exercice, aucun vain simulacre ne changera mon sentiment.

Autour de ces propositions principales viendront s’en grouper quelques autres moins importantes, à mesure qu’elles se présenteront sous ma plume dans le cours de cette étude.

Je reconnais parfaitement toute l’importance des torpilleurs, les grands services qu’on en peut attendre et je trouve très à propos qu’on les multiplie; je reconnais toute la valeur de cette arme terrible ; ce n’est donc pas plus pour en nier la puissance que pour en combattre l’emploi que je prends la plume ; je ne le fais que pour exprimer le vœu que cet emploi soit judicieusement réglé et que l’on agisse sans précipitation. Sur la foi de l’infaillibilité d’une arme qui n’a pas fait ses preuves et qui ne pourra les faire qu’à la guerre, on ne doit pas se hâter de sacrifier celle que nous avons appréciée depuis longtemps, alors que le bon sens et la logique disent de les utiliser, de les perfectionner toutes les deux.

Si j’en juge par ceux que j’ai consultés, je crois que la plupart des marins partagent mon avis. j’écris donc surtout pour les personnes qui, n’appartenant pas à la marine, peuvent se laisser plus facilement prévenir par des théories hasardées, lesquelles leur sont présentées avec un esprit vif et dans un style brillant et imagé, bien fait pour les séduire. Depuis que les revues et les journaux ont soumis au public ces questions techniques, plusieurs de mes amis m’avaient engagé à émettre mon avis là-dessus. Je m’étais abstenu par suite de ma répugnance à me mettre en avant et à soutenir des polémiques, quelque courtoises et impersonnelles qu’elles puissent être, car il est bien entendu que seules les doctrines sont en jeu et jamais les personnes[3].

Celle que j’ai soutenue il y a quelques années pour les jetées de la rade de Toulon, dont j’étais un des chauds partisans, et dont, conjointement avec les membres distingués de la commission que j’avais l’honneur de présider, j’ai fait adopter le tracé, prouve que j’appréciais déjà toute la puissance de la torpille; c’est pour elle que je luttais alors contre ceux qui, ne la prenant pas suffisamment au sérieux, ne pouvaient se résoudre à déparer la rade de Toulon. Dans cette circonstance comme aujourd’hui, je n’ai cédé qu’à l’amour que j’ai toujours porté aux choses de la marine et à l’intérêt dévoué que je leur porterai jusqu’à mon dernier jour[4].

Alors j’étais en avant ; aujourd’hui je suis en arrière ; mais je ne me déjuge nullement pour cela ; c’est qu’il y a une différence immense entre l’attaque des torpilleurs contre des bâtimens au mouillage et cette même attaque contre des bâtimens à la mer; dans le premier cas, c’est une question jugée ; dans le second, c’est une question pendante et qui ne cessera de l’être qu’après l’expérience sérieuse d’une guerre.

Des impatiens font une affaire d’entraînement et de passion d’une question où tout ne doit procéder que d’une étude lente et consciencieuse, d’une conviction froide et mûrie et dans laquelle bien des considérations diverses doivent être mises en compte. Ils s’indignent que toutes leurs idées ne soient pas acceptées a priori et d’enthousiasme; ils eussent voulu que tous nos officiers se précipitassent comme un seul homme à leur suite et votassent d’acclamation le triomphe absolu de la torpille et la déchéance complète du canon. Comme ils ne pouvaient pas dire que les jeunes officiers fussent arrêtés par la routine et aveuglés par le culte du passé, et que d’ailleurs ils tiennent à les mettre de leur bord, ils ont eu soin de les laisser de côté et de réserver ces accusations pour leurs aînés. Ils ont fait deux parts de la marine : les officiers généraux et supérieurs sont des arriérés dont on ne peut rien tirer; les lieutenans de vaisseau seuls sont bons à quelque chose[5].

Ces accusations ont été jetées, depuis plus d’un an, à la face de la France et de l’Europe, aux officiers généraux et supérieurs de la marine française, à ces mêmes officiers qui, vivement préoccupés du danger des torpilles, ont insisté avec tant de persévérance et de succès pour assurer, contre l’attaque des torpilleurs, la défense de la rade de Toulon et des flottes qu’elle abrite ; voilà ceux qu’on représente comme ne prenant nul souci de la torpille et ne se préoccupant que du canon. Leur crime est tout simplement de penser que la question de la torpille, comme arme de combat à la mer, ne peut être assez élucidée avant l’expérience d’une guerre, pour qu’il y ait lieu d’adopter dès aujourd’hui un parti radical en reléguant, sur l’heure, nos vaisseaux dans le musée naval du Louvre et nos canons dans les galeries du musée d’artillerie. On qualifie d’obstacle la prudence réfléchie avec laquelle ils demandent qu’on agisse.

Voilà où peut mener la passion d’une idée dans une spécialité que l’auteur de ces amères critiques ne pouvait connaître que superficiellement, car, dans la torpille, il y a deux objets à considérer : l’engin en lui-même et son usage à la mer. Je lui abandonne l’engin ; mais je dis que, dans les résultats de l’usage à la mer, l’habileté des manœuvres, les ressources de l’audace et celles de la ruse, l’animation du combat, l’extrême rapidité de la marche des deux adversaires, l’influence de la houle et celle des courans, enfin, les difficultés pratiques qui se rencontrent toujours dans l’application, à un combat réel, des opérations les plus simples en théorie ou dans un exercice, je dis que tout cela introduira des élémens qui pourront modifier les résultats prévus, élémens que les marins seuls peuvent soupçonner, mais ne pourront eux-mêmes apprécier à leur juste valeur qu’après l’expérience de combats pour de bon. Par les marins j’entends non-seulement quelques individualités plus ou moins marquantes et enthousiastes et le petit nombre d’adhérens que l’influence de leur situation peut grouper autour d’elles, mais la généralité.

Ainsi donc, tout ce qui est au-dessus du grade de lieutenant de vaisseau, tout ce qui a plus de trente-cinq à quarante ans (sauf, bien entendu, les adeptes), est considéré comme un obstacle au progrès ; il serait logique d’en tirer la conséquence naturelle et de demander la mise à la retraite de tout ce monde-là. Puisqu’il ne constitue qu’un impedimentum, sa présence dans le corps ne peut qu’être contraire aux intérêts du pays. En agissant ainsi tous les dix ou quinze ans, on serait assuré d’avoir toujours une marine jeune, incapable de s’endormir dans la routine, dans le culte des vieilles idées et disposée à se lancer à toute vapeur, sans regarder ni à droite, ni à gauche, dans la voie du progrès. On réaliserait ainsi le double avantage de pouvoir donner un avancement plus rapide aux officiers intelligens et de ne jamais être gêné par la voix de l’expérience et celle du bon sens, réclamant sans cesse pour que tout changement se fasse avec une prudente mesure et après de mûres réflexions.

Ces accusations contre les officiers généraux et supérieurs sont mal fondées : il n’y a, dans la question des torpilles, ni jeune, ni vieille marine, ni routine, ni préjugés, ni attachement aux «vieilles » idées en opposition avec le progrès. En ce qui concerne l’emploi de la torpille contre les navires au mouillage, il n’y a qu’une voix : tout le monde est d’accord, la cause est entendue. Pour ce qui concerne son usage contre les bâtimens à la mer, ce n’est qu’une affaire d’appréciations individuelles, auxquelles chacun cède plus ou moins, selon les déductions de son raisonnement ou les entraînemens de son imagination, indépendamment de l’âge. Celui qu’on représente, à tort ou à raison, comme le promoteur de la prédominance absolue de la torpille et du délaissement des vaisseaux, est dans sa soixantième année, et il connaît trop bien le savoir et le mérite du corps des officiers de vaisseau, dont il est un membre distingué; il sait trop avec quel soin la plupart des officiers, dans le cours de leur carrière, et quel que soit leur âge, se tiennent au courant de tous les progrès, de toutes les innovations, de toutes les expériences, pour ne pas être convaincu, j’en suis certain, qu’il n’y a ici en présence ni jeunes, ni vieux, ni progressistes, ni arriérés, mais seulement des gens également instruits, également éclairés, également dévoués au bien de la marine, comme à la gloire du pays, et différant simplement, sur certains points essentiels ou accessoires, et notamment sur la question de mesure et d’opportunité. Quelques officiers, autant jeunes que vieux, peuvent être exagérés dans un sens ou dans l’autre; mais la masse, la grande masse, veut le développement de l’arme nouvelle, sans condamner absolument l’ancienne. Elle veut le progrès, elle est capable de le comprendre et de le réaliser ; mais elle le veut allié à la prudence et à la mesure, qui seules peuvent le rendre certain et l’empêcher d’être accompagné d’erreurs et suivi de mécomptes.

II.

Avant d’entrer en matière, il est indispensable de rappeler certaines notions sur les torpilles, afin que chacun, dans le public, puisse être à même de comprendre la valeur des expressions en usage et se rendre un compte suffisant de la question dont on lui parle taux.

Tout le monde, sans doute, sait qu’une torpille est, suivant la définition du Manuel des défenses sous-marines, « un vase métallique clos et bien étanche, rempli de poudre ou de toute autre matière explosible et qu’on fait éclater sous l’eau, au contact ou dans le voisinage de la coque d’un navire ennemi. » Mais bon nombre de personnes n’ont pas eu l’occasion d’en apprendre davantage là-dessus, quelle que puisse être leur instruction sous un autre rapport. C’est ainsi que j’ai entendu confondre entre elles les torpilles, entre eux les torpilleurs, et attribuer aux uns les propriétés et les exploits des autres ; prendre, par exemple, les torpilleurs porte-torpilles de l’escadre de l’amiral Courbet, dont quelques-uns n’étaient que les canots du vaisseau le Bayard, auxquels on avait adapté l’appareil nécessaire, pour les torpilleurs lance-torpilles actuellement en expérience dans l’escadre de la Méditerranée, et croire que ceux-ci faisaient partie de l’escadre de Chine et naviguaient avec elle. Comment ceux qui commettent une confusion semblable y et qui ne distinguent pas entre la torpille portée et la torpille automobile, peuvent-ils se faire une idée saine de la question qui s’agite ? Et cependant il s’en trouve beaucoup, parmi ceux-là, qui n’hésitent pas à se prononcer de confiance et chaudement pour la torpille à outrance et contre les vaisseaux. Telle est l’influence que le courant de l’opinion peut exercer sur la solution des questions les plus graves et les plus spéciales. On voudra donc bien m’excuser d’allonger cette étude en la faisant précéder des courtes explications qui suivent :

Toutes les torpilles en usage comme arme de guerre peuvent se rattacher à cinq espèces : 1° la torpille fixe, qui est dormante ou mouillée ; 2° la torpille mobile ; 3° la torpille portative ; 4° la torpille remorquée ; 5° la torpille automobile.

La torpille fixe est appelée dormante si elle repose sur le fond de la mer, et mouillée si elle est maintenue entre deux eaux au moyen d’ancres et de chaînes. La torpille dormante est reliée au rivage par des fils métalliques au moyen desquels l’opérateur y met le feu à volonté par l’électricité ; c’est pourquoi elle est dite torpille électrique. L’opérateur saisit, pour la faire éclater, le moment ou un navire ennemi passe au-dessus ou très près de la torpille. La torpille mouillée, dans les mêmes conditions, est dite également torpille électrique; elle est dite électro-automatique si l’électricité n’agit qu’au moment où il se produit contre le navire ennemi un choc qui ferme le circuit électrique; enfin, elle est dite automatique si le choc seul produit l’inflammation.

La torpille fixe est une arme purement défensive ; elle défend à l’ennemi l’accès des rades, ports, fleuves et les abords des côtes. Ces torpilles sont disposées à l’avance sur le fond ou mouillées dans les passes, dans un ordre et dans des dispositions déterminées. Les torpilles électriques sont manœuvrées de l’intérieur d’observatoires établis à terre et dissimulées dans les buissons ou dans les rochers du rivage afin que l’ennemi ne puisse les détruire à coups de canon. La seconde espèce de torpille est la torpille mobile, qui est abandonnée à la dérive au-dessus du vent ou du courant de la flotte ennemie et portée, par leur action, sur ses vaisseaux. Cette torpille est automatique, elle éclate en heurtant le navire. La troisième espèce de torpille est la torpille portative, qu’une embarcation porte au contact même du navire ennemi. On a créé dans ce dessein un genre spécial d’embarcation dite torpilleur (porte-torpille), mais le premier canot venu d’un bâtiment quelconque peut au besoin servir de torpilleur ; il suffit de le munir de l’installation nécessaire, laquelle est très simple. Tels sont les torpilleurs qui ont joué un rôle glorieux dans la dernière guerre qui a eu lieu entre les Turcs et les Russes, et entre nous et la Chine[6]. La torpille portée est à la torpille lancée ou automobile ce que le poignard est à la balle ; c’est une arme terrible et qui ne peut manquer son but si l’assaillant ne périt pas avant de l’atteindre, et il y risque toujours sa vie. L’homme qui tire sur son ennemi, fût-ce de très près, peut le manquer ; celui qui court à son rival, le prend corps à corps et lui plonge son fer dans la poitrine, l’atteindra sûrement s’il ne tombe lui-même mourant à ses pieds. Aussi je doute que l’attaque d’un semblable torpilleur puisse réussir contre des vaisseaux européens autrement qu’à la faveur de la nuit et par surprise ; ceux qui à Fou-Tchéou ont été, à la face du soleil et d’une flotte ennemie, porter leur engin contre le flanc de deux vaisseaux chinois, auraient péri sans doute s’ils avaient eu affaire à des vaisseaux anglais ou français; les boulets eussent criblé les torpilleurs, et les fusils, les mitrailleuses eussent frappé les hardis équipages. Les torpilles portées ne peuvent être utilisées que contre des navires au mouillage ou marchant lentement aux abords d’une rade.

La quatrième espèce de torpille est la torpille remorquée, qui est traînée à la remorque d’un bâtiment et amenée par des manœuvres convenables au contact du bâtiment attaqué. On dit aussi torpille divergente la disposition de la remorque la faisant marcher par le côté et non dans les eaux du remorqueur. L’usage de cette torpille à la mer n’est possible que par un temps favorable et lorsque le bâtiment qui la traîne possède une marche très supérieure à celle de l’ennemi, et même dans ce cas c’est une opération très délicate et difficile. L’ennemi, par d’habiles manœuvres, peut de jouer les efforts de l’assaillant et le cribler de projectiles en se faisant chasser[7].

Je n’ai mentionné ces quatre espèces de torpilles et ces deux genres de torpilleurs que pour éviter toute confusion possible dans l’esprit des personnes étrangères au métier, car aucune de ces torpilles, aucun de ces torpilleurs n’est intéressé dans la question qui nous occupe ; cette question ne concerne que le cinquième engin que je vais expliquer et qui est la torpille automobile.

Au moyen d’un tube de lancement et d’un appareil spécial installés soit à terre, soit dans un canot ou à bord d’un bâtiment, on donne à la torpille automobile la première impulsion dans une direction déterminée ; elle chemine ensuite sous l’eau, à une profondeur réglée (généralement 3 mètres) par l’effet d’un moteur intérieur. La seule adoptée en France est celle qui a été inventée par un officier de la marine autrichienne et perfectionnée par M. Whitehead, d’où lui est venu le nom de torpille whitehead. Son atelier de fabrication est établi à Fiume, en Illyrie, sur les bords de la mer Adriatique. C’est là que, depuis douze ans environ, nous nous approvisionnons de torpilles, en attendant que nous ayons conclu avec l’inventeur une convention qui nous permette d’en construire chez nous.

La torpille whitehead affecte à peu près la forme d’un cigare aminci par les bouts ; la longueur du type adopté jusqu’à présent pour les torpilleurs autonomes est de 4 m,40[8]. Elle marche au moyen d’une petite hélice mue par l’air comprimé emmagasiné dans son intérieur. Sa vitesse peut être d’à peu près 12 mètres par seconde pendant les 400 premiers mètres parcourus. Elle porte à son arrière un petit gouvernail qui sert à lui conserver sa direction et son immersion. Ces torpilles peuvent être lancées de l’intérieur d’une embarcation quelconque, canot ou bâtiment, mais, comme il est essentiel, pour assurer le succès d’une pareille attaque, que l’assaillant possède une marche tout à fait supérieure et qu’il soit de dimensions assez réduites pour échapper à l’attention de l’ennemi, le surprendre ou s’approcher assez près sans être aperçu, on a créé pour cet objet un genre particulier de bâtiment ou plutôt d’embarcation dont les premiers plans sont dus à MM. Thornycroff et Cie, constructeurs à Chiswick, sur la Tamise, plans modifiés depuis, dans certaines parties, par divers constructeurs en France et à l’étranger[9].

Il y en a de petits qui ne pouvaient s’éloigner de leur lieu de refuge et du centre de leurs approvisionnemens. Il en est de plus grands capables d’accomplir un trajet considérable et de se suffire à eux-mêmes pendant un temps donné, ce qui les rend maîtres de leurs mouvemens et leur a fait donner la qualification d’autonomes; mais ils sont encore assez petits pour se dissimuler facilement et surprendre l’ennemi en lui offrant le moins de prise possible. Ce sont ces derniers pour lesquels l’opinion se passionne en ce moment, ce sont les seuls dont je m’occupe, parce que c’est pour eux et à leur sujet qu’a pris naissance le procès entre les torpilleurs et les cuirassés, ces derniers étant considérés par la nouvelle école comme chassés virtuellement de la mer, en temps de guerre, par la création des torpilleurs autonomes, tant elle les regarde comme incapables de soutenir la lutte.

Il est donc entendu que tout ce que je vab dire se rapporte à ce type : quand je parlerai de torpilleur, il s’agira du Thornycroft autonome, et quand je voudrai parler d’un autre genre de torpilleur, j’aurai soin de le caractériser par un terme complémentaire.

C’est ce torpilleur qui a déjà été et qui est encore en expérience dans l’escadre d’évolutions ; c’est celui qui vient d’être envoyé des ports du nord à Toulon, où on en réunit une flottille[10].

Afin d’éviter toute équivoque et de mieux préciser, nous allons en donner les dimensions principales. La longueur est de 33 mètres; la largeur au maître-couple de 3 m,32; le creux de 2 m,64 ; le tirant d’eau en charge : arrière 1 m,93 ; avant 0 m,63. Le plat bord est peu élevé au-dessus de la flottaison, mais une espèce de carapace percée de hublots règne au-dessus du pont presque d’un bout à l’autre du bateau : sur l’avant du centre, cette carapace est coupée et surmontée par un petit kiosque dont le sommet est élevé de 1 m,64 au-dessus du niveau de la mer. Dans ce kiosque, où des hublots sont ménagés pour voir à l’extérieur, se tiennent à la mer le capitaine et l’homme de barre. La cheminée de la machine est élevée au-dessus de la flottaison de 4m,18 ; ce tuyau est le seul objet saillant.

Ces torpilleurs n’ont que quatre torpilles à bord ; après quatre coups leurs munitions sont épuisées. Leur déplacement est de 45 tonneaux. Leur approvisionnement de charbon est de 8 tonneaux ordinairement, et de 10 à 11 au maximum. Cet approvisionnement leur permet de faire un trajet d’autant plus long que leur vitesse est plus modérée; leur plus grande vitesse est de 21 nœuds, environ 40 kilomètres à l’heure. En réduisant cette vitesse à 12 nœuds, soit 22 kilomètres à l’heure, leur charbon leur permettra de parcourir un trajet d’environ 1,200 milles marins, soit 400 lieues marines, ou 2,222 kilomètres. Mais ils ne peuvent embarquer que deux jours d’eau pour la machine, ce qui limite beaucoup le trajet qu’ils pourraient accomplir s’ils étaient munis d’un bouilleur destiné à leur fournir de l’eau à volonté. Ils peuvent, à la rigueur, embarquer vingt jours de vivres de campagne. Leur équipage, officiers compris, est de treize hommes en équipage réduit et de dix-neuf au complet[11].

Par ces renseignemens le lecteur se rendra plus facilement compte de la discussion qui va suivre.

Les voilà, ces fameux torpilleurs autonomes que leurs enthousiastes regardent comme tellement redoutables, toujours, partout et à coup sûr, en pleine mer, aussi bien que sur les côtes, aux vaisseaux de guerre comme aux navires du commerce, et comme ayant eux-mêmes si peu à redouter qu’ils affirment que leur apparition est le signal de la retraite ou de la destruction de ces vaisseaux ! Ils supposent, en conséquence, que la multiplication de semblables torpilleurs doit en temps de guerre provoquer chez les belligérans le désarmement général des flottes militaires et des flottes du commerce, ou amener la perte certaine de tous les bâtimens qui oseront quitter le port; ils se flattent que, par l’effet terrible des armes nouvelles et par la rigueur impitoyable qui sera déployée dans leur usage, le régime de la future guerre devant être dépouillé de tous les tempéramens qui jusqu’ici pouvaient en adoucir les maux, l’excès de ces maux engagera les nations à s’entendre pour supprimer le fléau de la guerre lui-même et pour trouver un moyen moins cruel et plus raisonnable de régler leur différends.

La question vaut la peine assurément d’être éclaircie ; elle nous paraît très nettement posée dans un extrait de l’Étude sur la guerre navale, publié récemment dans plusieurs journaux. On voit par cette publicité combien ces idées ont été répandues dans un monde qui, étranger aux choses de la marine, ne peut les contrôler par lui-même, et combien il est naturel et à propos que les gens du métier qui ont été mêlés activement à ces questions et qui pensent qu’il y a bien des réserves à faire, les produisent au grand jour[12]. Voici d’abord l’extrait dont nous parlons.

« Demain la guerre éclate ; un torpilleur autonome, — deux officiers, douze hommes d’équipage, — a reconnu un de ces paquebots porteurs d’une cargaison plus riche que celle des plus riches galions d’Espagne; l’équipage, les passagers de ce paquebot s’élèvent à plusieurs centaines d’hommes,.. le paquebot répondrait par un obus bien pointé qui enverrait au fond le torpilleur... Donc le torpilleur suivra de loin, invisible, le paquebot qu’il aura reconnu et, la nuit faite, le plus silencieusement et le plus tranquillement du monde, il enverra aux abîmes paquebot, cargaison, équipage, passagers ; et, l’âme, non-seulement en repos, mais pleinement satisfaite, le capitaine du torpilleur continuera sa croisière.

« Tous les cœurs sensibles que le XVIIIe siècle nous a légués peuvent gémir, tous les congrès de la paix peuvent tenir leurs assises humanitaires, tous les diplomates peuvent, en des congrès aussi pratiques, édicter de nouveaux codes de lois de la guerre ; par cela seul que la guerre éclatera entre deux nations maritimes, et parce que le lion est lion pour déchirer sa proie surprise sans défense, le torpilleur est torpilleur pour torpiller les navires ennemis surpris sans défense, chaque nuit couvrira de ses ombres silencieuses et protectrices, chaque point de l’océan verra s’accomplir de pareilles atrocités. D’autres peuvent protester ; pour nous, nous saluons en elle la sanction suprême de cette loi supérieure du progrès dans laquelle nous avons une foi ardente et dont le dernier terme sera l’abolition de la guerre... »

Ce tableau saisissant de la funeste destinée promise à tout bâtiment ennemi assez audacieux pour s’aventurer à la mer en temps de guerre est bien fait pour produire sur l’esprit public une impression profonde, mais que nous n’aurons pas de peine à ramener à des proportions beaucoup moindres. Qu’on se rassure donc; il y a une bonne dose de poésie et d’imagination, non-seulement dans cette foi ardente en l’abolition de la guerre, mais aussi dans la peinture émouvante de cette sinistre toute-puissance d’un côté, de ce péril universel de l’autre, qui nous montre les torpilleurs voués toujours à des triomphes faciles et les vaisseaux de guerre ou de commerce à une perte inévitable.

Il se tromperait d’une étrange façon, il émettrait le plus pernicieux des paradoxes, le philanthrope imaginaire qui viendrait nous dire : Accroissons les maux de la guerre jusqu’à les rendre intolérables; poussons-en les horreurs jusqu’à l’extrême, et nous marcherons ainsi vers le dernier terme de la loi du progrès, vers l’abolition de la guerre. Par un accord unanime des peuples, le nom de la guerre sera rayé de la liste lamentable des fléaux ; nous serons les bienfaiteurs de l’humanité.

Celui qui parlerait ainsi serait un poète, un rêveur plutôt qu’un philosophe. ; il ne se rendrait compte ni du caractère de l’homme, ni des conditions de la société humaine. Est-ce que la vue des ravages qu’ils font a pu abolir le vice et la débauche ? Est-ce que jadis le supplice épouvantable de la roue avait aboli le vol de grands chemins? Est-ce que de nos jours le spectacle sanglant de la guillotine a aboli l’assassinat? Pourquoi donc la pensée de maux passés ou avenir suffirait-elle pour abolir la guerre?

Rien n’abolira la guerre; les passions, les intérêts, les besoins, les ambitions, les rivalités, les haines, croyez-vous que tout cela va s’arrêter à jamais devant le souvenir facilement effacé des malheurs subis par ceux qui nous ont précédés, ou devant la crainte de maux qu’on espère toujours d’infliger aux ennemis et auxquels on se flatte de pouvoir échapper soi-même? Les peuples éprouveront des momens de lassitude et le besoin du repos, mais ce ne sera que pour réparer leurs forces ; plus la guerre aura été terrible, plus ils auront souffert, plus se développera dans leur sein le désir de la revanche.

Les leçons du passé n’ont jamais empêché les hommes d’obéir à leurs passions et de suivre le penchant de leur nature ; la guerre ne cessera jamais d’être, en certains momens, regardée comme une nécessité, tantôt par les gouvernemens qui y précipiteront les peuples, tantôt par les peuples qui y pousseront les gouvernemens, les uns et les autres agissant, soit pour céder à d’irrésistibles entraînemens, soit pour sauvegarder leur honneur, leur situation, leurs moyens d’existence ou leur existence même.

Voilà la vérité. Ce serait un grand malheur si l’idée se répandait que de l’excès des horreurs de la guerre doit naître le règne de la paix perpétuelle et que, par conséquent, il n’y a pas, à la guerre, de cruauté inutile, et qu’il est même bon de les multiplier. Ne pensez pas cela ; croyez, au contraire, que les rigueurs inutiles à la poursuite du but de la guerre sont, non-seulement des crimes, mais encore des fautes qui se retournent toujours contre ceux qui les commettent. Combien de fois avons-nous vu les sentimens qu’elles excitent changer la face des affaires, et des vainqueurs de la veille faire les vaincus du lendemain ! Combien de fois la soif de la vengeance a rendu éphémère une paix qui sans elle eût été durable ! Il n’est ici nullement question de la sensiblerie du XVIIIe siècle; si cette sensiblerie à l’égard des rigueurs nécessaires a paru ridicule, une froide indifférence pour toutes les horreurs de la guerre ne paraîtrait pas plus de saison et serait odieuse.


III.

Montrons maintenant que l’action de ces torpilleurs ne sera pas aussi générale ni aussi funeste qu’on paraît le supposer.

Et d’abord retirons-leur le domaine de la haute mer ; dénions-leur la faculté de se livrer à toute autre navigation qu’à celle du cabotage, sauf dans quelques circonstances exceptionnelles; disons qu’ils ne pourront naviguer que sur les côtes et avec des relâches fréquentes comme ont fait ceux qui ont été expédiés récemment de Cherbourg, de Brest, de Lorient à Toulon, où s’opère leur concentration en vue d’exercices combinés avec l’escadre d’évolutions[13]. Ce n’est pas qu’ils ne soient capables de bien tenir la mer ; ils ont montré qu’ils naviguaient avec une sécurité suffisante, du moins dans les gros temps ordinaires et de peu de durée, et lorsque la machine, fonctionnant régulièrement, les mettait à même de gouverner à souhait. Mais le gros temps dure en général, au large, plusieurs jours, et, sans être extraordinaire, il peut obliger les bâtimens à certaines précautions, à prendre la cape courante, par exemple ; dans ce cas, si le torpilleur se trouve à portée de la côte, il se hâtera d’y chercher un refuge, ou il attendra la fin du mauvais temps, au grand soulagement de l’équipage et à celui de la machine. s’il est absolument en pleine mer, il lui faudra, comme disent les marins, étaler le coup. Il en sera très gêné ; ne pouvant pas faire marcher sa machine assez doucement pour filer moins de neuf nœuds environ contre une mer très grosse, il pourra en être fatigué, et, comme on dit, dévoré par la lame ; le service de la machine, celui de la barre, la surveillance extérieure et la situation même de l’équipage deviendront très pénibles.

En supposant que, manœuvrant avec habileté, il puisse dominer la mer tant qu’il gouvernera, et que les mécaniciens et l’équipage résistent pendant quelques jours à la fatigue d’une telle vie, sans repos et sans nourriture convenable, par l’impossibilité de faire la cuisine, le torpilleur se trouvera à la merci de la moindre avarie de machine, qui l’obligerait à stopper. Aussitôt le bateau, cessant de gouverner, tombera en travers de la lame, et nul ne peut répondre qu’il ne sera pas couvert, inondé, roulé par elle, son tuyau enlevé, son kiosque démoli, et qu’en fin de compte il n’y périra pas. Que faut-il pour cela? Une de ces petites avaries comme il s’en produit si souvent, qui empêchent la machine de marcher, mais qui sont insignifiantes à bord d’un bâtiment ordinaire, parce que là, en tout temps, quelques instans suffiront pour les réparer et pour. rétablir la situation de la machine et celle du navire dans leur état normal. A bord du torpilleur, l’avarie sera irréparable; c’est déjà beaucoup que les mécaniciens aient pu se maintenir jusque-là en équilibre de manière à faire convenablement leur service ; devenu corps inerte, battu par la mer du travers, le bateau éprouvera des secousses si violentes, des mouvemens si excessifs qu’aucun travail de réparation à bord ne sera possible; la perte du navire ou la cessation subie ou prompte du mauvais temps pourront seules mettre fin à cette situation critique, que tout autre navire supporterait sans péril, à moins d’une circonstance de tempête dont il n’est pas ici question.

Dans le trajet que viennent d’accomplir ces torpilleurs pour venir des ports du Nord à Toulon, un seul passage était délicat; c’était la traversée du golfe de Gascogne, qui d’ailleurs devait être courte (vingt-quatre heures suffisant pour cela), avec la vitesse modérée de route ; naturellement, pour l’entreprendre, ils ont attendu dans les ports de la Bretagne un temps assuré; mais à la mer, rien n’est certain : si l’un d’eux avait été surpris par un de ces gros temps de la partie du sud-ouest, si fréquens pendant la mauvaise saison et qui, en deux ou trois heures, amènent une mer énorme et un temps sombre et pluvieux à ne pouvoir rien distinguer autour de soi, il eût pu être compromis, et il l’eût été certainement si, dans de telles conditions, le moindre accident fût arrivé à sa machine.

Un bâtiment dont, dans le gros temps le plus ordinaire, la moindre avarie de machine compromettrait le salut, ne peut pas être déclaré un navire marin et apte à toute navigation.

Dans leur traversée du golfe de Gascogne, ces torpilleurs ont eu beau temps, la mer n’était houleuse que comme elle l’est d’habitude ; je sais cependant que l’un d’eux (je pense qu’il en a été de même pour les autres, mais je ne m’occupe que de celui-ci) n’a pu se servir de sa boussole, tant elle était affolée par les mouvemens imprimés au bateau par la navigation ; il a dû se passer de cet instrument indispensable et se diriger au jugé. Heureusement, la nuit fut belle et le ciel clair, et, grâce à l’étoile polaire, à l’aide de laquelle il put se donner une direction approchée, il atteignit la côte d’Espagne, mais à l’aventure, et il atterrit dans un port autre que celui sur lequel il voulait se diriger. Les observations nécessaires pour la navigation hauturière eussent été impossibles; la seule qui eût été praticable, quoique difficile, était la hauteur méridienne de manière à se donner une latitude passable. On ne peut pas davantage considérer comme marin un bâtiment qui ne peut pas se servir de la boussole, où l’on ne peut faire d’observations ni de calculs astronomiques, et si peu élevé au-dessus de l’eau que, son horizon étant nul et la vue arrêtée par la crête des lames, il est impossible de voir autour de soi, de reconnaître les terres, les écueils, les navires et de savoir en un mot ce qu’on fait; dans ces conditions, on irait en aveugle.

Ce peu d’élévation au-dessus de la mer, ce défaut d’horizon est compensé par le grand avantage, au point de vue de la guerre, d’échapper par sa petitesse à l’attention des ennemis, mais il en résulte un bien grave inconvénient au point de vue de la navigation. Nous voyons tant de collisions arriver chaque jour entre de grands navires portant haut des feux de toutes les couleurs et ayant dans leurs mâtures des vigies qui interrogent au loin l’horizon, que ces myrmidons, s’aventurant au large, pourront être facilement victimes de semblables accidens. Même en temps de guerre, les mers seront sillonnées par les bâtimens neutres, et d’autant plus activement qu’une partie du commerce effectué jusque-là par les belligérans leur sera dévolue. Les grands paquebots qui filent jusqu’à 27 kilomètres à l’heure, s’ils rencontrent un de ces torpilleurs, ne le verront pas sans doute d’assez loin pour détourner le coup ; ils peuvent même ne pas l’apercevoir du tout et le couper en deux sans en avoir connaissance que par un petit choc et quelques cris confus sortant du sein des flots, comme cela arrive assez souvent à des navires plus considérables. Si, au lieu de croiser leur route, le paquebot et le torpilleur se trouvent suivre une même ligne en sens contraire, fait assez fréquent, tout extraordinaire qu’il paraisse, ils se rapprocheront l’un de l’autre avec une vitesse vertigineuse de 900 mètres à la minute ; et, comme ils ne se verront certainement pas dans la nuit, dans la plupart des circonstances, avant de n’être qu’à 2,000 mètres l’un de l’autre, une collision sera inévitable, car deux minutes ne suffisent pas pour reconnaître la situation, donner un ordre, faire sentir l’action du gouvernail et arrêter, en stoppant ou même en renversant la vapeur, l’erré du navire.

Mais, dit-on, la mer est large ; comment tomber exactement sur un point de rencontre? Sans doute ; mais le fait est là, il est indéniable, il est de tous les jours, de tous les instans. Du temps de la marine à voiles, le péril était plus facilement conjuré, à telles enseignes qu’on ne songeait pas à s’éclairer la nuit par des feux destinés à révéler la présence du navire ; il périssait alors plus de bâtimens du fait de la mer et de celui des échouages que du fait des abordages. L’introduction de la vapeur a changé la proportion ; par des raisons très faciles à montrer, mais qui n’entrent pas dans mon sujet, le nombre des sinistres provenant de collisions s’est accru d’une manière effrayante, et les risques sur mer se sont tellement augmentés de ce chef que cet accident est devenu la principale préoccupation de la navigation ; il constitue un péril sérieux, surtout pour des bateaux aussi longs, aussi étroits, aussi ras sur l’eau et aussi rapides que les torpilleurs actuels.


IV.

Toutes les raisons que je viens d’exposer seraient suffisantes pour les confiner le long des côtes et ne pas en faire des bâtimens de croisière et de navigation ; mais il en est d’autres qui, pour appartenir à un ordre d’idées différent, n’en sont pas moins péremptoires ; c’est que la vie prolongée à la mer, à bord de ces bateaux, est au-dessus des forces de l’homme.

Que la science ait un pouvoir indéfini sur la matière, je l’accorde, mais elle n’en a qu’un bien limité sur la condition humaine ; elle ne parviendra jamais à faire de l’homme un chiffre, une abstraction. Dans un capitaine, un mécanicien, un matelot, il n’y a pas seulement le capitaine, le mécanicien, le matelot, il y a l’homme, il y a une intelligence et un corps ; en quelque situation qu’on le place, quelque fonction qu’on lui attribue, quoi qu’on lui demande, on ne devra pas oublier que c’est un être qui pense et qui sent, et on devra tenir compte des exigences de sa nature et des besoins aussi bien que des faiblesses de son corps ; le zèle dont il s’enflamme, l’excitation qu’on provoque en lui par le sentiment de l’honneur et du devoir ou par tout autre, peuvent le porter à se raidir momentanément contre ces exigences, ces besoins, cette faiblesse, mais si cela dure trop, il se rebute, quelquefois se révolte ou il en meurt, ce qui est non-seulement douloureux, mais va à l’encontre du but quand ce sont des services et non sa vie qu’on lui demande. Ces exigences de la condition humaine, ces besoins, ces faiblesses du corps, d’où dépendent, dans une si large mesure, la lucidité de l’esprit, la promptitude du coup d’œil et l’énergie de l’âme, sont incompatibles avec la vie à bord des torpilleurs à la mer, d’où résulterait pour eux, dans une attaque, après plusieurs jours de croisière, une infériorité relative que nous examinerons plus loin.

Pendant l’été, de beau temps et en calme, la situation serait plus supportable, en faisant cependant une première réserve pour le séjour à l’extérieur au sujet de la ventilation excessive produite, si près de la surface de la mer, par la rapidité de la marche du bateau, ventilation à laquelle s’ajoute une pluie continuelle de gouttelettes salées, et une seconde réserve au sujet du séjour dans l’intérieur où, dans un manque total de bien-être, d’espace, d’air, et de tout genre de commodité, on se trouve les uns sur les autres comme dans une boîte; mais enfin on vivrait. Mais le calme n’est pas habituel, il constitue l’exception ; généralement il y a du vent et la mer est agitée. Si l’on se trouvait dans un de ces petits navires à voiles dans lesquels ceux qui sont étrangers à la marine s’étonnent qu’on puisse braver la mer, on ne souffrirait nullement ; le navire, appuyé par une voiture convenable, s’élevant doucement sur la lame, vous berce sans fatigue, et à moins d’un mauvais temps sérieux on est fort bien ; dans un petit bateau à vapeur sans mât, ni voiles, filant de 12 à 20 nœuds contre la lame, on est au supplice. On ne peut goûter un moment de repos dans aucune position, ni debout, ni assis, ni couché; constamment ballotté, attaché, cramponné pour se maintenir, on ne peut ni lire, ni écrire, ni faire la cuisine, ni recevoir en cas d’indisposition ou de maladie les soins les plus indispensables, et encore moins en cas d’une blessure qui peut être causée par le roulis, par la machine ou tout autre accident. Nous avons déjà vu qu’on ne pouvait ni utiliser la boussole, ni faire des observations astronomiques, ni se servir sans doute de la longue-vue, instrument de première nécessité, afin de se rendre compte des bâtimens et des terres qui peuvent se trouver en vue.

Remarquez que je ne dis pas qu’il faille pour cela du mauvais temps ; cette situation résulte de la trépidation et des mouvemens causés par les temps ordinaires du large ; les torpilleurs qui viennent d’arriver à Toulon des ports du Nord n’ont pas supporté de gros temps ; ils n’ont tenu la mer que par un temps maniable, et cependant ils ont éprouvé tous ces inconvéniens. L’impossibilité de faire la cuisine à la mer a causé une grande privation aux hommes, surtout dans une saison froide et humide, au cœur de l’hiver.

Ces braves gens, brisas de fatigue, non par un exercice salutaire et auquel le marin aime à se livrer, mais par le supplice d’une immobilité agitée sans aucune trêve, dépourvus de la ressource d’un bon sommeil pour reposer leur corps et de celle du travail pour occuper leur tête, ces braves gens n’avaient même pas, pour réchauffer leur estomac, un bol de cette bonne soupe fumante et agréable à l’odorat qui est, pendant l’hiver, distribué par les fourneaux économiques de nos villes à nos laborieuses populations; le tafia de la cambuse la remplace mal ; c’est un excitant momentané, mais il ne restaure pas, et le biscuit en permanence est un maigre régal surtout à une époque où les plus petits bâtimens faisant campagne sont installés de manière à se passer à la mer le luxe du pain frais tous les jours, au moins à un repas; mais cela ne serait pas possible à bord de ces torpilleurs. Heureusement que, dans cette longue traversée, on a relâché sur plusieurs points où les équipages ont pu se dédommager un peu de leurs privations et prendre un repos nécessaire[14].

Cela est justement ce qui convient à ce genre de navire ; la navigation seulement sur les côtes, de fréquentes et de courtes sorties, tel est le vrai rôle à imposer aux torpilleurs autonomes; ils ne peuvent être que des gardes-côtes. Ils seront excellens pour surveiller et défendre l’accès des ports, rades, rivières, les passages et les détroits, aussi bien que pour détruire par surprise les bâtimens ennemis dans leurs rades et sur leurs côtes dans notre voisinage, en abandonnant aux torpilleurs plus petits portés sur des vaisseaux, mis à la mer au moment de l’action et repris à bord ensuite, l’attaque des navires sur les côtes lointaines. La France est merveilleusement placée au centre des puissances maritimes pour se servir contre leurs flottes des torpilleurs autonomes; vis-à-vis de l’Angleterre, enveloppant l’Espagne, touchant l’Allemagne et l’Italie, tenant d’un bras l’Océan et de l’autre la Méditerranée, elle peut, en quelques heures, lancer inopinément nos torpilleurs sur les ports de ces puissances et leur rendre périlleuse la navigation sur leur propre côte ; l’œuvre de destruction accomplie, nos torpilleurs pourraient regagner aussitôt l’abri de nos ports. Telle est la véritable mission, offensive et défensive, des torpilleurs autonomes ; quant aux croisières au large et à la grande navigation, cela n’est pas leur affaire.

Cependant on affirme « que ce torpilleur autonome (33 mètres, 45 tonneaux) est, quoi qu’on dise, un bateau très marin, propre à tous les voyages, » et on répond à ceux qui ne sont pas de cet avis qu’ils oublient « l’exemple des flottilles antiques et celui de Christophe Colomb, qui a traversé l’Atlantique avec de simples caravelles. » Cet argument montre que tout le savoir, toute l’intelligence possible, ne peuvent donner la connaissance des choses de la mer à ceux qui, n’étant pas du métier, n’en ont pas l’expérience. Jamais un marin n’aurait eu l’idée de comparer ces excellens petits navires à voiles uniquement construits en vue de la navigation à de petits navires à vapeur sans mâts ni voiles, construits en vue d’un objet spécial dont les deux principales conditions sont d’offrir à la vue le moins de prise possible au-dessus de l’eau et d’obtenir une vitesse de 38 à 40 kilomètres (20 nœuds 5) à l’heure, et dont la forme et les dimensions ont été combinées dans ce dessein, alors que celles des petits navires à voiles le sont dans un dessein tout différent, qui est de bien tenir la mer, d’y fatiguer le moins possible et d’offrir à l’équipage toutes les commodités compatibles avec les exigences de la navigation et nécessaires au maintien du moral et de la santé des hommes.

D’abord les flottilles de l’antiquité n’ont rien à faire ici, puisqu’elles ne se livraient qu’au cabotage et qu’il s’agit d’attribuer aux torpilleurs en question la grande navigation; laissons-les donc de côté et arrivons au temps où la boussole fut connue en Europe et permit d’entreprendre les voyages de long cours.

En ce qui concerne les simples caravelles de Christophe Colomb, il faut remonter aux sources et ne pas s’en tenir à la légende populaire; d’abord très petites, les caravelles avaient vu s’accroître leurs dimensions; leur pont, comme cela s’est longtemps pratiqué, même pour de forts bâtimens, était interrompu au milieu et relié de chaque côté, par un passavant, aux gaillards d’avant et d’arrière ; cette disposition a fait dire par certains auteurs qu’elles étaient pontées, et par d’autres qu’elles ne l’étaient pas. On lit dans l’Archéologie navale de Jal : « En 1492, la caravelle était devenue un bâtiment moyen, ponté et pourvu d’un château d’avant et d’un château d’arrière. » On y lit encore : « Ils (les trois navires de Colomb) ne ressemblaient en rien à ces barques informes, non pontées, que l’imagination de quelques biographes avait créées pour faire plus périlleuse et, par conséquent, plus glorieuse encore qu’elle ne fut l’entreprise de l’amiral. » On voit dans le même ouvrage que la chaloupe de la Santa Maria[15] avait 10 mètres de longueur ; toutes les trois portaient des embarcations solides et capables de transporter à terre et de promener le long des côtes des hommes armés ; cela ne suppose pas de trop petits navires. Dans une lettre qu’il écrivait au moment d’en faire l’armement dans le port de Palos, Colomb les qualifiait de « trois bâtimens très convenables. »

Qui ne sait, d’ailleurs, que les petits navires à voiles de 50 à 100 tonneaux sont d’excellens navires, capables de naviguer partout avec sécurité, et qu’ils ne peuvent être compromis que par un accident, une fausse manœuvre ou un mauvais temps exceptionnel, tel qu’un cyclone ? Quel est le navire qui tient mieux la mer et la cape que les goélettes de 50 tonneaux qui naviguent sur les côtes tempétueuses des États-Unis du Nord et de Terre-Neuve ? Il en est de même pour les cotres de la Manche, qui étalent sans fatigue les coups de vent de la Mer du Nord et de la Mer d’Irlande, et dont les équipages robustes et satisfaits jouissent à bord de tout le bien-être nécessaire au maintien de leur santé, de leur vigueur et de leur moral. Il est vrai que ces goélettes, que ces cotres n’ont qu’une marche médiocre, qu’ils sont larges, relativement vastes, qu’ils ont un arrimage bien combiné, qu’ils ne fendent pas la lame et s’élèvent légèrement dessus, dans un berceau d’écume, comme une mouette ; mais aussi leurs mouvemens sont doux, leurs équipages sont convenablement logés et nourris, et, dans les intervalles de leurs travaux, peuvent dormir paisiblement ; que le plus gros mauvais temps survienne, une bonne voile de cape, la barre dans une position convenable, et ils pourront attendre patiemment et sans souffrir qu’il plaise au vent et à la mer de se calmer.

Et c’est de l’exemple de semblables navires, véritables oiseaux des mers, qu’on se prévaudrait pour attribuer toutes les qualités nautiques aux torpilleurs autonomes, à ces engins (car ce ne sont pas des bâtimens) qui traversent la lame comme une flèche et glissent dans l’eau plutôt que sur l’eau ? Qu’ont de commun les incomparables petits navires à voiles, qui sillonnent les parages les plus périlleux, avec ces boîtes de fer, aussi étroites qu’allongées, qui tourmentent, qui excèdent leurs équipages, sans leur permettre un moment de repos, par une trépidation désespérante et par une continuité et une exagération de mouvemens saccadés qui, joints à toutes les privations, rendraient fou l’homme soumis pendant longtemps à un pareil supplice ou le délivreraient par la mort d’une telle existence? Voyez-les, sans nourriture chaude et convenable, sans le bien-être le plus élémentaire, le plus indispensable à l’homme, sans autre occupation possible que celle de se cramponner à tout et de compter les heures qui les séparent du moment de leur délivrance, ainsi que font des naufragés sur une épave, et, en fin de compte, se disant que, si dans une grosse mer, si fréquente au large, la machine s’arrêtait un moment par suite de l’avarie la plus facile à réparer ailleurs, mais là irréparable, sauf dans le calme complétais seraient menacés de sombrer, dévorés et roulés dans les volutes de la lame du travers?

Non, non, ne les comparez pas aux caravelles qui ont ouvert la route du Nouveau-Monde et bravé ses tempêtes, ces torpilleurs autonomes qui jusqu’ici n’ont accompli que des parades et dont, sur la foi de ce que vous attendez d’eux, vous faites les tyrans de la mer. Ces torpilleurs, dont la présence, dites-vous, doit eu balayer tous les vaisseaux, ainsi qu’un vent impétueux, auquel rien ne résiste, balaie la poussière des chemins; laissez-les sur les côtes, où ils pourront dresser leurs embuscades et revenir, après avoir frappé leur ennemi, se préparer à un nouveau combat, ainsi qu’un lion victorieux revenant s’accroupir dans sa tanière : leur rôle est de défendre nos côtes et de désoler celles de nos voisins sans aller braver la mer.

Et vous, vaillans vaisseaux de guerre, riches paquebots du commerce, ne tremblez pas encore : si la guerre éclate, prenez sans crainte, comme toujours, possession de ces solitudes où l’œil, pendant des semaines entières, n’aperçoit que des flots, toujours des flots; si les détroits vous sont fermés, descendez l’Atlantique, contournez l’Afrique ou l’Amérique du Sud, et si vous vous approchez de parages douteux où des torpilleurs ennemis peuvent guetter votre passage, ne croyez pas en être fatalement la proie sans espérer de salut et sans lutte; comptez pour quelque chose, comptez pour beaucoup les ressources que vous offrent votre sang-froid, votre intelligence, votre habileté de manœuvre, votre artillerie, les hasards de la mer et la fortune de la guerre.


DU PIN DE SAINT-ANDRÉ.

  1. Nous n’avons même que deux exemples de torpilles automobiles employées à la guerre contre des vaisseaux au mouillage; dans la dernière guerre des Russes contre les Turcs, les premiers firent deux tentatives à Sinope contre un vaisseau turc qui n’eut aucun mal dans la première et fut coulé dans la seconde, parce que ce vaisseau n’exerçait aucune surveillance.
  2. Depuis que ce travail a été écrit, les abordages sérieux qui ont eu lieu près de Toulon, du 6 au 15 mai, sont venus confirmer cette proposition.
  3. j’ai gardé le silence tant que les circonstances ne m’ont pas paru pressantes.
  4. Ma réponse aux violentes critiques adressées aux jetées de la rade de Toulon et publiées, sous le pseudonyme d’un Vieux marin, par quelqu’un qui ne l’était pas, dans un journal de Toulon, forme une série de vingt-huit articles publiés dans ce même journal du 5 avril au 5 décembre 1880. Suivant le désir exprimé plus tard par le ministre de la marine, sous les yeux duquel furent mis ces articles, je remaniai ce travail de manière à faire disparaître tout ce qui ressemblait à une polémique et à le convertir en un petit traité intitulé : la Rade de Toulon et sa défense, exposant l’historique de la question et l’objet de ces jetées. Ce travail fut, par l’ordre du ministre, publié dans la Revue maritime et coloniale (septembre, octobre et novembre 1881), dans la partie scientifique et littéraire du Journal officiel (n° du 22 octobre, 6 novembre, etc., 188P, et publié aussi en brochure.
  5. Lire la page 881 de la Réforme de la Marine, dans la Revue du 15 décembre 1884. Le présent travail était remis à la Revue un mois avant la mort de l’auteur de la Réforme de la Marine, enlevé si prématurément à la science et aux lettres.
  6. A Fou-Tchéou, c’étaient des torpilleurs ; à Shei-Poo, c’étaient des canots du vaisseau le Bayard, installés en torpilleurs.
  7. Il est question de la suppression chez nous de cette espèce de torpille.
  8. Les résultats n’en étant pas jugés satisfaisans, on a demandé la transformation des tubes afin qu’ils puissent lancer les torpilles de 5m,75, type déjà adopté pour les torpilleurs de 27 mètres.
  9. Il y a aussi des thornycrofts porte-torpilles.
  10. Il ne faut pas oublier que ceci était écrit au mois de février.
  11. c’est ce torpilleur qui, dans la toute récente classification officielle qui vient d’avoir lieu, a reçu la dénomination de torpilleur de haute mer.
  12. l’auteur a présidé, pendant deux ans, la commission des défenses sous-marines à Brest et à Toulon et a assisté en cette qualité, étant officier général, à de très nombreuses expériences.
  13. Malgré toutes ces relâches, les équipages ont en général beaucoup souffert dans cette traversée.
  14. La Revue maritime vient de publier le rapport du capitaine du torpilleur n° 61 sur sa traversée de Brest dans la Méditerranée, du 30 janvier au 24 février dernier. Ce rapport est particulièrement optimiste, soit que les circonstances de mer ou les qualités spéciales au bateau en aient été la cause, soit que le personnel embarqué se soit trouvé moins sensible aux incommodités de l’habitation d’un semblable bâtiment à la mer. Quoi qu’il en soit, ce rapport, émanant d’un officier très expérimenté et ayant un caractère de sincérité incontestable, devient, par cela même, un précieux argument en faveur de ma thèse, car, tout optimiste qu’il est, il en arrive aux mêmes conclusions pratiques que moi-même, à savoir que le personnel peut seulement supporter quelques jours d’une telle navigation et que ces bateaux ne sont faits que pour opérer sur les côtes à portée d’un point de ravitaillement et de repos. N’est-ce pas, en effet, la conséquence nécessaire des trois déclarations suivantes : Page 15. « On peut certainement vivre à bord du torpilleur et y supporter quelques jours de mer?» Page 18 : « Avec 9 tonnes de charbon à bord, nous pouvons marcher quarante-huit heures à 13 nœuds, si ce sont des briquettes d’Anzin ; avec le cardiff, nous brûlons beaucoup plus, la chauffe est plus pénible, les escarbilles sont plus gênantes; on pourrait donc, à quelques milles d’une côte ou d’un ravitailleur qu’on viendrait de quitter, avec tout son plein d’eau et de charbon, tenir une croisière de trois ou quatre jours, mais c’est alors que l’eau devient nécessaire si on est obligé de stopper souvent. » Page 21 : « En somme, on peut naviguer et vivre à la mer sur un torpilleur, si on n’exagère pas le nombre de jours à lui faire passer au large sans qu’il vienne se ravitailler et donner en même temps à son personnel un repos devenu nécessaire après quelques jours de croisière. » j’abuserais en multipliant les citations; cependant, à ceux qui veulent se rendre bien compte des qualités des torpilleurs autonomes, je signale à la page 9 l’observation qui concerne cette trépidation continuelle qui vous remue sans cesse; à la page 17, l’inconvénient sérieux que trouve le capitaine à ce que les torpilleurs ne puissent diminuer leur vitesse au-dessous de 8 à 9 nœuds contre le gros temps, inconvénient que l’auteur de la Réforme de la marine, qui n’est pas marin, apprécie comme un avantage (p. 884), tandis qu’au contraire il peut, à un moment donné, compromettre le salut du bateau; enfin, à la page 21, la manière dont souffrent et fatiguent personnel et matériel avec la mer de l’avant. Du reste, plus heureux que ceux dont j’ai déjà parlé, le 61 a toujours pu faire la cuisine, gouverner sur la boussole, faire des observations nautiques, mais non utiliser à bord les chronomètres (p. 20).
  15. La caravelle que montait Christophe Colomb en personne.