La Quêteuse de frissons/Chapitre VI

Éditions Prima (Collection gauloise ; no 94p. 22-28).

CHAPITRE vi

Leçon d’amour… inutile


Cependant que Teddy file vers Strasbourg, accompagné de Léa avec son chapeau neuf ; cependant que Geneviève, après s’être « cassé le nez » rue Saint-Merri, se prépare à aller dîner avec l’aimable fonctionnaire de la Préfecture John prend sa leçon d’amour à la « Maison Philibert » où il est retourné.

Une bouteille de champagne seulement. Un Américain averti en vaudra deux de la fois précédente.

Voici la blonde enfant dans le même peignoir de soie bleue. On la nomme Léontine.

— Mademoiselle, bonjour. Je venais pour la leçon.

— Ah ! C’est toi, John ! Quelle cuite, l’autre jour ! Ça va mieux ?

— Yes, tout à fait ! Aujourd’hui je boirai moins.

— Dis-moi, John, tu n’es pas noble ?

— Non ! Je me nommais John Cleveland.

— Quoi ? Crévelangue ? On m’avait dit que tu t’appelais John Deuf ! Oui ! Jaune d’œuf, quoi !

Elle rit, mais l’on passe bientôt à la leçon.

Je n’entrerai pas, lecteur, dans tous les détails. Un aperçu vous suffira certainement.

La scène se passe sur le large divan. La professeur et l’élève ont revêtu la légendaire tenue d’Adam et Ève avant le péché. Bien entendu, le serpent est là. Léontine en parle tout de suite :

— Dis donc, vieux ! Puisque tu veux une leçon d’amour à la parisienne et que nous voici dans la tenue de nos premiers ancêtres, tu vas d’abord laisser tranquille le serpent à sonnettes.

— Yes ! J’ai compris !

— Et tu vas t’occuper de moi. Un baiser sur le front, doucement ; deux autres sur les yeux ; encore un sur le bout du nez et un autre sur la bouche. Ce dernier doit être long, bien appuyé, bien fouillé. Parfait !

Maintenant, il s’agit de descendre peu à peu en me caressant bien partout et très doucement, de tes mains. Attention ! Arrêt aux Saints des Saints !

— ? ?

— Oui, tu comprends. Tiens, rappelle-toi la chanson de Noël de Xavier Privas :

                   Et de ton corps blanc
                   De la tête au flanc
                   En chaque fossette
                   Longtemps je becquète
                   Comme un moineau franc.

Très bien ! Ah ! Petit cochon ! Tu me chatouilles, tu me fais des papouilles.

— Tu sais, avec moi ce n’est pas la peine, mais avec une autre, tu dois insister jusqu’à ce que coulent les doux pleurs d’amour. Compris ? Avec moi, passe ! Ce n’est pas pour ta binette.

» Ah ! Ah ! Le serpent veut parler, me séduire. Il en a le droit maintenant. Mais qu’il ne prononce pas tout le discours d’une seule fois ! Qu’il s’arrête entre chaque phrase, durant que tu me biseras. Et que sa langue longtemps tourne dans la bouche.

» Mais, mon chéri ! Tu ne vas pas toujours me tenir comme cela ! Je suis fatiguée. Je voudrais un peu changer de place… J’aime tant dormir sur le côté en écoutant un beau langage ; et sur le côté gauche et sur le côté droit !

Ainsi se poursuit la leçon d’amour, non dans un parc, mais dans une chambre de la « maison aux volets fermés ».

Et vraiment John peut se prétendre bien instruit.

Il songe même à s’établir professeur à son tour dès qu’il aura rejoint New-York. Professeur d’amour…

Mais, en attendant, c’est Geneviève qu’il veut retrouver pour lui montrer sa science.

Sa science ! Elle est pourtant bien simple. Il ne fallait, après tant d’autres qu’y songer à son tour, mais voilà ! Il n’y avait pas pensé. Faire durer le plaisir, ne pas man­ger un sorbet comme on gobe une huître, tout est là ! Les condiments font toute la cuisine. Ils font goûter ce que l’on dédaignerait sans cette heureuse présentation.

En longeant les boulevards, vers la place de la Répu­blique, il songe {en dialecte américain) :

— Je vais lui dire : « Geneviève, ma chérie, recevez-moi ce soir dans votre chambre ! Je sais faire l’amour comme le Parisien le plus averti. J’ai payé ce qu’il fallait pour cela. Enfoncée ! cette vieille chère chose de Teddy ! Ah ! Vous allez voir combien est devenu lointain le temps des quinze secondes !

Tout frétillant, notre ami John déambule d’un pied léger. Il entre dans un Patéphone et se complaît à l’audition de chansons sentimentales et légères.

Il avait essayé d’imiter le taureau… (page 26).
Il avait essayé d’imiter le taureau… (page 26).
Il avait essayé d’imiter le taureau… (page 26).

Il a découvert un monde, notre bon John, un monde qui lui était resté inconnu jusqu’à ce jour.

Chez son brave homme de père, éleveur dans un coin du Texas ; il n’était bien initié, par les actions des animaux, aux phénomènes d’amour et de reproduction. Il les avait vus très simples.

Il lui était arrivé de conduire la génisse au taureau. — Ne vous préparez pas à rire, je ne ferai pas mon petit Zola, ce chef naturaliste qu’on vient de couronner devant mon maître, M. Painlevé.

Vous savez, par La Terre, les nécessités impérieuses de la bonne ordonnance des instincts génésiques chez les bovidés et comment les filles, elles-mêmes, doivent, toutes jeunes, conduire, de chacun à chacune les organes de reproduction — qui le sont aussi d’élimination — à leur place, chez ces animaux réunis pour se perpétuer en vertu d’un spasme aussi bref qu’énergique.

John avait vu cela. Il avait, comme disent chez nous quelques paysans de Touraine, héritiers de notre caus­ticité nationale, il avait tenu la chandelle toute chaude et frémissante, pour éclairer ainsi l’avenir de la race de Durham. (La meilleure race de taureaux et de génisses.)

Pensez aux dangers qu’eût pu courir un jeune homme moins placide dans une telle opération ! Non ! John s’était seulement instruit, en guidant le « bâton de la race bovine », des actes les plus élémentaires du plaisir divin dont l’appétit perpétue les espèces.

Il avait, comme de juste, essayé à son tour, dans les herbages de son brave homme de père ; il avait essayé d’imiter le taureau.

Et cela s’était accompli, facilement, en quinze secondes. John, se souciant peu, à la vérité, des plaisir qu’il pouvait procurer à sa compagne, avait multiplié les actes d’amour. Il y trouvait une profonde satisfaction qui lui « brisait les reins », comme l’on dit.

Il avait vu, un jour où l’épuisement le courbait, un quelconque docteur âgé et d’une mûre expérience.

Ce médecin lui avait dit :

— Attention ! Petit ! Tu abîmes ta moelle épinière. Je ne peux pas te donner de conseils physiologiques précis. On me traiterait de satyre comme Voronoff ! Alors tu feras plus en faisant moins si tu tiens à ne pas mourir dégingandé après quelque tabès. Tu te vois d’ici jetant tes pattes de droite et de gauche comme lés crabes… Attention !

Bon John ! Il avait vaguement compris qu’il ne fallait pas trop souvent comprendre, qu’il fallait plutôt tem­poriser comme ce vieux Romain de Fabius — le tempori­seur — qui n’investissait pas une ville sans une sévère et douce préparation.

Foin des historiens moroses qui n’ont jamais saisi comment on passait les habitants d’une cité au fil de l’épée ! Ils eussent mieux fait de cirer des bottes, comme Teddy le faisait en 1914, que-de dire des bêtises. Je vous conterai cela quelque jour.

Mais, pour notre John, voilà que mistress Geneviève All’ Keudor lui avait donné le besoin absolu de chercher une science nouvelle, afin de différencier tout à fait son amour des manifestations trop peu maniérées des animaux domestiques ou sauvages.

Donc, comme, fier de « capacités » nouvellement acquises, notre Sammy sortait de la maison où on l’avait instruit, il vit, sur le trottoir, un chat qui, sans vergogne, s’efforçait à aimer une chatte aux reins creusés, à la voix roulante et suppliante.

Cette bête ronronnante levait ses lombes pour présenter à son amant le réceptacle avide de la liqueur par quoi se perpétuent les espèce, et, en l’occurence, l’espèce féline pour le malheur des rats et des cuisinières.

John pensait aux quinze secondes d’autrefois. Il se compara à ces animaux dont il rompit l’artificielle unité Et il songea :

» Par mon intelligence, je me suis mis, maintenant, à mon rang d’homme.

» À nous deux, Geneviève ! Je vais te donner à mon tour une merveilleuse leçon, car je suis professeur, aujour­d’hui « doctor amoris causa ».

Mais, comme il arrivait à l’Hôtel Moderne, on lui apprit que « Lady All’ Keudor » venait de sortir.

Il n’y avait même pas de mot pour ce vieux John.