La Puissance des ténèbres/07
Scène PREMIÈRE
Faudrait bien partir ! L’église est loin d’ici.
Attends un peu ! Le beau-père va venir donner sa bénédiction. Mais où est-il donc ?
Il va venir tout de suite, mes chers. Prenez donc encore un verre… ne me refusez pas.
Pourquoi ne vient-il pas ? Il y a bien longtemps que nous l’attendons.
Il va venir, il va venir tout à l’heure. Il sera là dans moins de temps qu’il n’en faut à une femme chauve pour se peigner. Prenez donc, mes chers ! (Elle offre du vin.) Il vient tout de suite. Chantez donc, mes belles, quelque chose en attendant.
On a déjà chanté tout ce qu’on savait. (Les femmes chantent. Nikita et Akim entrent.)
Scène II
Va, mon père ! Je ne peux pas me passer de toi.
Je n’aime pas, vois-tu, ça…
Assez, taisez-vous ! (Il regarde tout le monde.) Marina, es-tu ici ?
Allons, prends l’image et donne ta bénédiction.
Attends un peu ! (Il regarde de nouveau.) Akoulina, es-tu ici ?
Pourquoi fais-tu l’appel ? Où peut-elle être ? Il est drôle.
Ah ! mes amis, mais il est pieds nus !
Père, tu es ici, regarde-moi ! Chrétiens, mes frères ! Vous êtes tous ici, et moi, me voilà ! (Il tombe à genoux.)
Mon petit Nikita, qu’as-tu donc ? Ô ma tête !
Eh bien en voilà !
Je l’ai bien dit, il a trop pris de vin français ! Réveille-toi. Qu’est-ce que tu fais ! (Elle veut le relever, mais il ne fait attention à personne et regarde droit devant lui.)
Chrétiens, mes frères, je suis coupable ! Je veux me confesser !
Es-tu fou ? Mes chers, il a l’esprit dérangé, il faut l’emmener.
Laisse ! Et toi, père, écoute ! Et d’abord, Marina, regarde ici ! (Il se prosterne devant elle et se relève.) Je suis coupable envers toi ! Je t’avais promis le mariage, je t’avais séduite ! Je t’ai trompée, je t’ai lâchée ! Pardonne-moi, au nom du Christ ! (Il s’incline de nouveau.)
Qu’est-ce que c’est que toutes ces histoires ? Ça ne te va pas du tout. Personne ne te demande rien. Lève-toi ! Assez de farces !
Oh ! Il est ensorcelé ! Que lui arrive-t-il ? On lui a détraqué le cerveau ! Lève-toi ! ne dis pas de bêtises ! (Elle le tire.)
Ne me touche pas ; pardonne-moi, Marina ! J’ai péché envers toi, pardonne, au nom du Christ ! (Marina se cache le visage et ne répond rien.)
Lève-toi, je te dis, ne fais pas d’histoires ! Voilà maintenant qu’il s’est mis à se rappeler… J’ai honte ! Ô ma tête ! Est-ce qu’il est fou ?
Akoulina, c’est à toi que je parle maintenant ! Écoutez, chrétiens, mes frères ! je suis damné ! Akoulina, je suis coupable envers toi ! Ton père n’est pas mort de sa bonne mort. On l’a empoisonné.
Ô ma tête ! Qu’est-ce qu’il fait !
Il n’a plus sa tête ! Emmenez-le donc ! (On s’approche, on veut l’emmener.)
Attendez ! Vous, braves gens, voyez-vous… ça… Attendez !…
Akoulina, c’est moi qui l’ai empoisonné ! Pardonne-moi, au nom du Christ !
Il ment ! Je connais le coupable.
Qu’as-tu donc ? Reste assise !
Oh ! mon Dieu, quel péché, quel péché !
Empoignez-le ! Envoyez-moi le starosta ! Je vais dresser procès-verbal. Lève-toi, viens ici !
Eh ! vois-tu, ça… toi… l’homme aux boutons d’argent… ça, vois-tu, attends ! Il va parler… ça.
Toi, mon vieux, ne te mêle de rien. Je dois dresser procès-verbal.
Ah ! quel homme !… Je te dis, attends ! Ne parle pas de procès-verbal, vois-tu, ça… C’est d’une affaire de Dieu qu’il s’agit ici ! Un homme se confesse ! Et toi, ça, tu viens parler de procès-verbal !
Le starosta !
Laisse finir l’affaire de Dieu… Et après, vois-tu, ça, fais ton devoir !
J’ai encore à confesser, Akoulina, un grand péché envers toi ! Je t’ai séduite… pardonne-moi, au nom du Christ ! (Il s’incline.)
Laissez-moi ! Je ne veux plus me marier ! C’est lui qui me l’avait ordonné ! Maintenant, je ne veux plus !
Répète ce que tu as dit.
Attendez, monsieur l’Ouriadnick, laissez-moi finir !
Dis, mon enfant, dis tout !… Tu t’allégeras… Confesse-toi à Dieu ! Ne crains pas le monde ! Dieu ! Dieu ! Le voilà !
J’ai empoisonné le père, j’ai séduit la fille, moi, misérable que je suis ! J’avais pouvoir sur elle et j’ai tué son enfant !
C’est la vérité !
Dans la cave, j’ai écrasé son enfant sous une planche. Il était sous moi… Je l’ai écrasé et ses petits os craquaient. (Il pleure.) Et je l’ai enfoncé dans la terre ! C’est moi qui l’ai fait… moi seul !
Il ment ! C’est moi qui le lui ai ordonné !
Ne me défends pas ! Maintenant, je ne crains personne ! Chrétiens, mes frères, pardonnez-moi ! (Il se prosterne. Une pause.)
Liez-le ! Votre noce, braves gens, est finie ! (On s’approche de Nikita et on le lie avec des ceintures.)
Attendez ! Vous aurez le temps ! (Il se prosterne devant son père.) Père chéri, pardonne-moi aussi, moi, le damné ! Tu m’as bien averti, quand j’ai commencé à me débaucher, tu m’as bien dit : — « Une fois que la patte est engluée, l’oiseau est bientôt pris ! » Et moi, misérable que je suis, je n’ai pas écouté ta voix et ce que tu as prédit est arrivé ! Pardonne-moi, au nom du Christ !
Dieu te pardonnera, mon enfant chéri ! (Il l’embrasse.) Tu ne t’es pas épargné ! Il t’épargnera. Dieu ! Dieu ! Le voilà !
Scène III
Des témoins, il y en a assez ici.
Nous allons l’interroger tout à l’heure ! (On lie Nikita.)
Je dirai toute la vérité. Interrogez-moi aussi.
Il n’y a pas à l’interroger. C’est moi qui ai tout fait. C’était mon idée, je l’ai accomplie. Menez-moi où vous voudrez. Je ne dirai plus rien !