Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 28p. 73-108).


ACTE TROISIÈME


La scène représente l’izba de Piotr pendant l’hiver. Entre le deuxième et le troisième acte, neuf mois se sont écoulés. Anicia, en costume négligé, tisse devant un métier. Anioutka est étendue sur le poêle. Mitritch, vieil ouvrier de campagne.



Scène PREMIÈRE

ANICIA, ANIOUTKA, MITRITCH

mitritch entre lentement, et ôte son touloup.

Ah ! bon Dieu de bon Dieu ! Eh bien ? Le patron n’est pas encore revenu ?

ANICIA

Comment ?

MITRITCH

Nikita n’est pas encore rentré de la ville ?

ANICIA

Non.

MITRITCH

Il doit faire la noce là-bas. Ah ! Dieu !

ANICIA

As-tu fini de battre le blé ?

MITRITCH

Bien sûr ! J’ai arrangé la paille. J’aime pas faire les choses à moitié. Oh ! Dieu ! Saint Nicolas ! (Il gratte ses durillons aux mains.) Il devrait pourtant être de retour.

ANICIA

Il n’a pas besoin de se presser. Il a de l’argent… il s’amuse avec la fille.

MITRITCH

Dame ! S’il a de l’argent, pourquoi ne s’amuserait-il pas ? Pourquoi donc Akoulina est-elle allée en ville ?

ANICIA

Demande-lui pourquoi le diable l’a emportée là-bas.

MITRITCH

Dame ! C’est qu’en ville, avec de l’argent on a de tout. Ô Dieu !

ANIOUTKA

Moi, maman, j’ai entendu… de mes oreilles : — « Je t’achèterai un fichu, qu’il a dit, tu le choisiras toi-même, qu’il a dit. » Elle s’est bien habillée. Elle a mis son caraco de velours et un châle français.

ANICIA

On a bien raison de dire que la pudeur des filles ne dépasse pas le seuil de la porte. Aussitôt franchie, aussitôt oubliée. Oh ! l’effrontée !

MITRITCH

Bah ! de la pudeur, pourquoi faire ? Quand on a de l’argent, on s’amuse. Oh ! Dieu ! Est-ce que ce ne serait pas l’heure de souper ? (Anicia garde le silence). En attendant, je vais me chauffer. (Il grimpe sur le poêle.) Oh ! mon Dieu ! Sainte Vierge ! Grand Saint Nicolas !



Scène II

Les Mêmes, LA COMMÈRE

LA COMMÈRE, entrant.

Eh bien ? Et ton homme ? Il paraît qu’il n’est pas encore de retour ?

ANICIA

Non.

LA COMMÈRE

Il serait temps. Est-ce qu’il ne se serait pas arrêté par hasard à l’auberge ? Ma sœur Fiokla m’a dit qu’il y avait devant l’auberge beaucoup de traîneaux.

ANICIA

Anioutka ! Eh ! Anioutka !

ANIOUTKA

Quoi ?

ANICIA

Va voir à l’auberge. Tu regarderas si Nikita ne s’y serait pas arrêté, étant saoul.

anioutka saute en bas du poêle et met un fichu.

J’y vais.

LA COMMÈRE

Il a emmené avec lui Akoulina ?

ANICIA

Sans elle, il ne serait pas allé à la ville. C’est elle qui est cause de toutes ces affaires. — « J’ai à toucher de l’argent à la banque, » qu’il a dit. C’est elle qui embrouille tout.

la commère, hochant la tête.

C’est évident. (Silence.)

anioutka, sur le seuil.

S’il est là, qu’est-ce qu’il faut lui dire ?

ANICIA

Regarde seulement s’il est là.

ANIOUTKA

C’est bien, j’y cours. (Elle sort.)



Scène III

ANICIA, MITRITCH, LA COMMÈRE. Long silence.

mitritch, geignant.

Oh ! Dieu ! Nicolas le miséricordieux !

la commère, sursautant.

Oh ! Qu’il m’a fait peur ! Qu’est-ce donc ?

ANICIA

C’est Mitritch, notre ouvrier.

LA COMMÈRE

Oh ! Qu’il m’a effrayée ! Je ne pensais pas à lui. Est-ce vrai, commère ? On dit qu’on a demandé Akoulina en mariage ?

anicia quitte son métier et s’assied devant la table.

Oui, des gens de Diediovo ont fait quelques avances, mais il paraît que là-bas aussi on a eu vent de quelque chose. Ils ont fait des avances et ils se sont tenus cois. L’affaire est tombée dans l’eau. Qui est-ce qui voudrait d’elle ?

LA COMMÈRE

Et les Lizounov de Zouievo ?

ANICIA

Ils ont envoyé aussi… mais l’affaire n’a pas abouti. Il n’a pas même voulu les recevoir.

LA COMMÈRE

On devrait pourtant bien la marier.

ANICIA

Ah ! oui, il le faudrait bien ! Je suis impatiente, commère, de la mettre dehors, mais je n’ai pas de chance ! Ni l’un ni l’autre n’en ont envie. Il n’a pas encore assez de sa belle, vois-tu !

LA COMMÈRE

Oh ! quel péché ! C’est à n’y pas croire ! Cependant, c’est son beau-père ?

ANICIA

Eh ! commère ! on m’a mise dedans… et bien adroitement, il n’y a pas à dire. J’ai été bien bête de ne rien voir… quand je me suis mariée. Je n’ai rien deviné et cependant ils s’entendaient déjà.

LA COMMÈRE

Quelle histoire !

ANICIA

C’est après que j’ai commencé à voir clair. Ils se cachaient de moi ! Ah ! commère ! Si tu savais comme cela me faisait mal au cœur ! Si encore je ne l’aimais pas !

LA COMMÈRE

C’est évident !

ANICIA

Oh ! qu’il m’était douloureux de me voir offensée par lui !

LA COMMÈRE

Il paraît qu’il commence à avoir la main leste.

ANICIA

Y a de tout ! Auparavant, il n’était pas méchant quand il était ivre. Autrefois aussi, il levait le coude, mais je lui convenais tout de même ; maintenant, aussitôt qu’il est plein, il marche sur moi et il veut m’écraser sous ses pieds. Dernièrement il s’est empêtré les mains dans mes cheveux, j’ai eu toutes les peines du monde à m’en débarrasser. Quant à la fille, pire qu’un serpent ! La terre en produit rarement d’aussi canailles !

LA COMMÈRE

Eh ! commère, tu es malheureuse, je le vois bien. Ça doit être bien pénible pour toi. Tu as recueilli chez toi un va-nu-pieds et aujourd’hui, c’est lui qui te maltraite. Pourquoi ne le tiens-tu pas ?

ANICIA

Ô ma chère commère, que veux-tu que je fasse avec mon cœur ? Défunt mon mari était bien plus dur, et cependant je le retournais comme je voulais. Aujourd’hui je ne puis plus. Il me suffit de le voir pour que toute ma colère tombe. Devant lui, je ne me sens plus de courage, je suis comme une poule mouillée.

LA COMMÈRE

Eh ! commère, on t’a ensorcelée ! On dit que Matriona s’occupe de jeter des sorts. C’est elle qui l’a fait.

ANICIA

C’est ce que je pense aussi. Souvent je m’en veux. Il me semble que je le déchirerais. Sitôt qu’il apparaît, tout mon courage s’en va !

LA COMMÈRE

Il est évident que tu es ensorcelée. Il ne faut pas grand’chose pour ça. Quand je te regarde, je trouve que tu n’es plus la même.

ANICIA

Mes jambes fléchissent sous moi, et regarde cette bête d’Akoulina. Elle, toujours négligée, échevelée, regarde-la maintenant. Quel changement ! Il l’a bien habillée, elle a engraissé, et malgré sa bêtise, elle s’est mise des idées dans la tête. — « Je suis la maîtresse, qu’elle dit, la maison est à moi. Petit père voulait me marier avec lui. » Et ce qu’elle est méchante, grands dieux ! Quand elle se met en colère, elle serait capable de tout renverser.

LA COMMÈRE

Quelle vie que la tienne ! Et dire qu’il y en a qui sont jaloux de toi ! On dit que vous êtes riches, mais à ce que je vois, l’or n’empêche pas les larmes de couler.

ANICIA

Y a vraiment de quoi être jaloux ! Cette richesse, elle va s’en aller en fumée ! C’est inouï ce qu’il jette l’argent par les fenêtres.

LA COMMÈRE

Pourquoi l’as-tu laissé faire ? L’argent est à toi.

ANICIA

Ah ! si j’avais pu le prévoir ! J’ai fait une grande bêtise.

LA COMMÈRE

Moi, commère, à ta place, j’irais me plaindre au grand chef. L’argent est à toi. Comment ose-t-il le dépenser ? Des mœurs pareilles ne sont pas permises.

ANICIA

Par le temps qui court, on peut tout faire.

LA COMMÈRE

Oh ! commère, comme tu te laisses aller !

ANICIA

Oui, je me laisse aller, ma chère, tout à fait. J’ai la tête tournée ! Je ne sais plus rien. Oh ! ma pauvre tête !

LA COMMÈRE

Voilà quelqu’un qui vient. (Elle écoute, la porte s’ouvre et Akim entre.)



Scène IV

Les Mêmes et AKIM.

akim se signe devant l’image, nettoie ses laptis et enlève son touloup.

Que la paix soit dans cette maison ! Allez-vous bien ? Bonjour, petite tante !

ANICIA

Bonjour, père, tu viens de chez toi ?

AKIM

J’ai eu l’idée, oui… poussons jusque chez le fils… Je ne suis pas sorti de bonne heure… j’ai dîné… vois-tu… et puis je suis parti… le temps est bien neigeux… dur pour marcher… et voilà… comment je suis en retard… Et le fils est-il chez lui ?

ANICIA

Non. Il est en ville.

akim s’assied sur un banc.

C’est que… j’ai une petite affaire… oui, une petite affaire… Je lui ai parlé… vois-tu… dernièrement… je lui ai parlé de ma gêne… Le cheval, sais-tu, ne tient plus debout, le cheval… Alors, faudrait s’arranger… pour en avoir un autre… un cheval. Et voilà… oui… pourquoi je suis venu.

ANICIA

Oui, Nikita m’en a parlé. Il va arriver. Vous en causerez. (Se dirigeant vers le poêle.) Viens souper, en attendant qu’il arrive. Mitritch ! Eh ! Mitritch, viens souper !

MITRITCH

Oh ! Dieu ! Saint Nicolas le miséricordieux !

ANICIA

Viens souper.

LA COMMÈRE

Je m’en vais, adieu ! (Elle sort.)



Scène V

AKIM, ANICIA, MITRITCH

mitritch, descendant du poêle.

Je me suis endormi sans faire attention. Oh ! Dieu ! saint Nicolas ! Bonjour, oncle Akim.

AKIM

Eh ! Mitritch !… Tu es donc ?… Alors tu es… ça…

MITRITCH

Oui ! Je suis ouvrier chez Nikita, je suis chez ton fils.

AKIM

Eh ! alors… tu es… ça… ouvrier… chez le fils, eh ?

MITRITCH

Ces derniers temps, j’étais employé chez un marchand en ville. Seulement, j’ai bu tout ce que j’avais, et me voilà revenu au village. Comme je ne savais pas où amarrer, alors je me suis loué. (Il bâille.) Oh ! Dieu !

AKIM

Est-ce que Nikita… alors… oui… il est donc bien occupé ?… Est-ce qu’il a affaire ailleurs qu’il a pris… un ouvrier… ça… un ouvrier ?

ANICIA

Quelle affaire veux-tu qu’il ait ? Avant, il suffisait tout seul à la besogne. Maintenant il a bien autre chose dans la tête. C’est pour ça qu’il a pris un ouvrier.

MITRITCH

Puisqu’il a des sous, qu’est-ce que cela lui fait ?

AKIM

Pour ça, il a tort… il a bien tort, pour ça… il a tort. Il se dérange…

ANICIA

Il est tellement dérangé, tellement que… mon Dieu…

AKIM

Voilà… on pense pour le mieux… oui… et il en résulte pire… Dans la richesse… l’homme se gâte… dans la richesse.

MITRITCH

Même les chiens trop bien nourris deviennent enragés, comment veux-tu qu’on ne se gâte pas ? Ainsi, moi, par exemple, j’ai bamboché tant que j’ai été dans l’abondance. Je n’ai pas dessoûlé de trois semaines. J’ai bu jusqu’à ma dernière culotte. Quand je n’ai plus eu le moyen, je me suis arrêté. Maintenant j’ai juré… au diable le vin !

AKIM

Et ta vieille, alors, où est-elle ?

MITRITCH

La vieille ? Elle est placée, elle est en ville… elle court les cabarets, elle fait la belle dame avec son œil arraché et l’autre au beurre noir et sa gueule de travers. Elle ne dessoûle pas, que le bon Dieu la protège !

AKIM

Oh ! Oh ! qu’est-ce que c’est donc ?…

MITRITCH

Où veux-tu qu’on place une femme de soldat ! Elle est à sa place. (Silence.)

akim, à Anicia.

Est-ce que Nikita, oui… a porté… ça… quelque chose en ville ? Est-ce qu’il est allé vendre quelque chose ?

anicia, mettant le couvert et servant à souper.

Non, il est parti à vide. Il est allé chercher de l’argent à la banque.

akim, mangeant.

Est-ce que vous voulez… ça… le placer encore ailleurs… l’argent.

ANICIA

Non, nous n’y touchons pas. Ce n’est que vingt ou trente roubles, dont nous avons besoin. Il faut bien en aller chercher.

AKIM

Le chercher… Pourquoi donc… aller prendre… l’argent… On en prend, ça… aujourd’hui… on en prend demain… et on finit par prendre tout…

ANICIA

Non, c’est à part. Le capital reste entier.

AKIM

Entier ?… Comment ça… qu’il reste entier ? Vous en prendrez et il restera entier ? Verse la farine dans la huche ou range-la sous le hangar… prends-en… est-ce qu’elle restera entière ? C’est pas ça, non ! Ils trompent le monde… Éclaircissez cela, autrement on vous trompera. Entier !… Vous en prenez continuellement et vous voulez que cela reste entier.

ANICIA

Je ne saurais pas t’expliquer cela. C’est Ivan Mosieitch qui nous l’a conseillé. — Mettez, qu’il nous a dit, votre argent à la banque. L’argent sera en sûreté et vous aurez encore des intérêts.

mitritch, qui a fini de souper.

Il a raison. J’étais chez le négociant ; chez eux, c’est comme cela que cela se fait. On dépose son argent et on n’a qu’à s’étendre sur le poêle. L’argent vient tout seul.

AKIM

C’est drôle, ça… ce que tu dis… Comment donc recevoir… ça… toi, tu reçois… et eux donc… de qui reçoivent-ils ?…

ANICIA

Ils vous donnent l’argent de la banque.

MITRITCH

Une femme, ça ne connaît pas le fond des choses. Tiens, je vais t’expliquer tout cela. Saisis bien. Tu as, par exemple, tu as de l’argent, et moi, de mon côté, je suis au printemps, pas de quoi ensemencer ou de quoi payer les impôts. Alors, je viens chez toi et je te dis : — « Akim, prête-moi dix roubles et moi, quand j’aurai fini les travaux, je te les rendrai et pour le service que tu m’auras rendu, je te faucherai une déciatine de terre. » Tu sais que j’ai de quoi répondre, un cheval… une vache… et tu me dis : — « Pour le service, tu me donneras deux ou trois roubles. » Comme j’ai la corde au cou, j’accepte. L’automne suivant, je vends ma récolte et je t’apporte l’argent. Tu me soutires encore trois roubles. C’est à part.

AKIM

Mais… mais… ça… les paysans qui font ça… n’agissent pas justement… C’est qu’ils ont oublié Dieu… Ce n’est pas ça… non.

MITRITCH

Attends, tu vas voir. Suis bien maintenant mon raisonnement… Tu as donc fait comme je viens de te le dire, tu m’as dévalisé, mais Anicia, d’un autre côté, a de l’argent libre, elle ne sait qu’en faire… c’est une femme… elle ne sait comment le placer. Alors elle vient te trouver et elle te dit : — Ne pourrais-tu pas utiliser aussi mon argent ? — Si, que tu réponds, c’est possible. Et tu attends. L’été, je reviens. — Prête-moi encore dix roubles, que je te dis, et je t’en saurai gré. Alors tu examines mon cas. Si je ne suis pas encore tout à fait vidé et s’il est possible de me soutirer encore quelque chose, tu me donnes l’argent d’Anicia ; si, au contraire, je n’ai plus un radis, si je n’ai rien à me mettre sous la dent, tu me fermes la porte au nez, en me disant : — Que le bon Dieu t’accompagne ! Et tu en cherches un autre à qui tu donnes ton argent et celui d’Anicia, et celui-là tu l’écorches à son tour. Voilà ce que c’est que la banque. Et cela marche rondement, comme je te le dis. C’est très malin.

akim, s’échauffant.

Oui, comment ?… Ça… Mais ça… Ça, c’est une infamie ! Y a des paysans qui le font… mais ces paysans-là, vois-tu, savent bien qu’ils commettent un péché… C’est pas selon la loi… ça… oui. C’est une infamie. Comment des hommes instruits, ça…

MITRITCH

Pour eux, mon cher, c’est une affaire fort agréable. Saisis bien. Quand un homme un peu bête ou bien encore une femme ne sait pas utiliser son argent, ils le portent à la banque et eux, que le bon Dieu les protège ! ils empochent et avec cet argent-là, ils écorchent le peuple. C’est malin.

akim, soupirant.

Eh ! je vois ça, sans argent on est malheureux… avec, on l’est encore plus… Comment, le bon Dieu nous a commandé de travailler, et toi, oui… tu as mis l’argent dans la banque… et tu dors… L’argent te nourrit sans que tu fasses œuvre de tes dix doigts !… C’est une infamie, ça, ce n’est pas d’après la loi !

MITRITCH

La loi ! On s’en fiche pas mal maintenant ! On écorche proprement, voilà !

akim, soupirant.

Oh ! quel temps ! Ainsi, dernièrement… j’ai vu… en ville des cabinets d’aisances… quelles inventions ! Ils sont cirés, vois-tu, coquets comme une auberge et tout ça en pure perte… Et Dieu… on l’a oublié… on l’a oublié, vois-tu !… Oublié, nous l’avons oublié, Dieu, le bon Dieu ! (À Anicia.) Merci, ma chère, je suis rassasié, content. (Il se lève de table. Mitritch monte sur le poêle.)

anicia dessert la table et mange.

Au moins son père le sermonnait ! j’ai honte d’en parler.

AKIM

Quoi ?

ANICIA

Rien.



Scène VI

Les Mêmes, ANIOUTKA, entrant.

AKIM

Ah ! ma petite fûtée ! On se remue donc toujours ! Tu as froid, hein ?

ANIOUTKA

Oh ! oui, beaucoup ! Bonjour, petit grand-père.

ANICIA

Eh bien, est-il là-bas ?

ANIOUTKA

Non. Seulement Andriane qui est venu de la ville dit qu’il les a vus dans une auberge. — « Le petit père, qu’il a dit, est ivre-mort. »

ANICIA

Veux-tu manger, tiens !

anioutka, s’approchant du poêle.

Ah ! quel froid ! J’ai les mains toutes raides. (Akim se déchausse, Anicia lave la vaisselle.)

ANICIA

Petit père ?

AKIM

Quoi ?

ANICIA

Marina ? Vit-elle bien ?

AKIM

Pas mal. C’est une petite femme, ça… intelligente… douce… Elle vit, vois-tu… fait de son mieux… Pas mal, la petite femme… bien soigneuse, bien active et puis ça… bien modeste… pas mal du tout, la petite femme…

ANICIA

On a dit que quelqu’un de votre village, parent du mari de Marina, voulait demander Akoulina ? En as-tu entendu parler ?

AKIM

Les Mironov ! Oui… les femmes en ont causé… seulement… je ne sais pas… Les vieilles en parlaient entre elles… je n’ai pas bonne mémoire… moi, pas du tout… Quant aux Mironov… ce sont des paysans, ça… pas mal…

ANICIA

Et que je serais contente de la marier au plus tôt !

AKIM

Pourquoi ?

anioutka, prêtant l’oreille.

Le voilà arrivé.

ANICIA

Eh bien, quoi ? (Elle continue à laver les cuillers sans tourner la tête).



Scène VII

Les Mêmes, NIKITA

NIKITA

Anicia ! Eh ! la femme ! Qu’est-ce qui entre ? (Anicia le regarde et détourne la tête en silence.)

nikita, durement.

Qu’est-ce qui entre ? As-tu oublié ?

ANICIA

Assez de fanfaronnades comme ça ! Entre.

nikita, plus durement encore.

Qu’est-ce qui entre ?

anicia s’avance et le prenant par la main.

Eh bien ! c’est le mari ! Entre donc !

nikita, résistant.

Ah ! tu as compris ! Le mari ! Et comment l’appelle-t-on le mari ? Parle correctement.

ANICIA

Bon ! Nikita.

NIKITA

Ah !… ignorante. Dis le nom de mon père.

ANICIA

Eh bien ! Akimitch.

nikita, sur le seuil.

Ah !… Et mon nom de famille ? Comment ?

anicia, rit et le tire par la main.

Tchilikine. Oh ! ce qu’il est plein !

NIKITA

Ah !… (Il se tient au chambranle de la porte.) Et dis-moi de quel pied Tchilikine entre dans l’izba.

ANICIA

Assez donc ! Tu vas faire refroidir la chambre.

NIKITA

Non, dis de quel pied il rentre. C’est obligatoire.

anicia, à part.

Il va m’embêter maintenant (Haut.) Eh bien, du gauche ! Entre donc maintenant.

NIKITA

Ah !…

ANICIA

Regarde donc qui t’attend dans l’izba.

NIKITA

Le père ! Eh bien, quoi ! Je ne méprise pas mon père, je peux même lui témoigner mon estime ! Bonjour, petit père ! (Il s’incline et tend la main à Akim.) Mes respects !

akim, sans répondre.

Le vin, voilà… vois-tu… voilà ce qu’il fait… une infamie…

NIKITA

Le vin ?… Ce que j’ai bu ? Décidément, j’ai eu tort, j’ai bu avec un ami… à sa santé.

ANICIA

Va donc te coucher.

NIKITA

Femme, où est-ce que je me trouve ?

ANICIA

C’est bien, va te coucher.

NIKITA

Auparavant, je veux encore boire du thé avec le père. Fais chauffer le samovar. — Akoulina, entre donc !



Scène VIII

Les Mêmes, AKOULINA

akoulina, endimanchée, s’avançant avec un paquet vers Nikita.

Pourquoi as-tu tout jeté à droite et à gauche. Où est le fil ?

nikita

Le fil ? Le fil est par là. Eh ! Mitritch, où es-tu ? Tu dors ? Va dételer le cheval.

Akim, regardant son fils sans voir Akoulina.

Et voilà… le vieux… il est fatigué… il a battu le blé… et lui… il s’est soûlé… Et il l’envoie dételer le cheval… quelle infamie !

mitritch descend du poêle et met ses bottes de feutre.

Ô Dieu miséricordieux ! Où est-il le cheval ? Dans la cour ? Il a dû bien l’éreinter. Que la peste l’étouffe ! Comme il a pompé… il en a jusque-là ! Dieu ! Saint Nicolas. (Il met son touloup et sort).

nikita, s’asseyant.

Pardonne-moi, petit père. J’ai bu, c’est vrai, eh bien, après ? les poules boivent bien. Est-ce pas vrai ? Pardonne-moi donc. Mitritch ne s’en offense pas, il détellera.

ANICIA

Faut-il vraiment faire chauffer le samovar ?

NIKITA

Oui, j’ai mon père ici, je veux causer avec lui et nous prendrons le thé. (À Akoulina.) As-tu apporté tous les achats ?

AKOULINA

Les achats ? J’ai pris les miens. Le reste est dans le traîneau. Celui-là, tiens, n’est pas à moi. (Elle jette un paquet sur la table et elle range le reste dans un bahut. Anioutka la regarde faire. Akim ne regarde pas son fils, il met ses laptis et ses bandelettes à sécher sur le poêle).

anicia, sortant avec le samovar.

Le bahut est plein ! Et il a fallu qu’il achète encore.



Scène IX

AKIM, AKOULINA, ANIOUTKA, NIKITA

nikita, feignant d’être dégrisé.

Ne te fâche pas, petit père. Tu penses que je suis saoul. Positivement ; j’ai toujours ma raison. Je connais le proverbe : — Bois, mais ne perds jamais la tête. Je peux causer avec toi, petit père, à l’instant même… Je n’ai rien oublié. Tu m’as parlé d’argent… ton cheval ne tient plus debout, je m’en souviens très bien. C’est possible !… Tout cela dépend de moi. Si la somme d’argent était colossale, je te prierais d’attendre, mais, pour ce que tu demandes, je peux tout… Tiens !

akim continue à arranger ses bandelettes.

Eh ! petit, vois-tu, oui… ce n’est guère le moment de causer.

NIKITA

Pourquoi me dis-tu ça ? Tu veux dire qu’on ne peut pas raisonner avec un soulard ? Je ne suis pas ivre. N’en doute pas… Nous allons boire du thé. Quant à moi, je peux tout, positivement, je peux arranger tout…

akim, hochant la tête.

Eh ! Eh ! Eh ! Eh !

NIKITA

L’argent ! Le voilà. (Il cherche dans sa poche, retire d’un portefeuille chiffonné une liasse de billets, parmi lesquels il choisit un billet de dix roubles.) Tiens ! pour le cheval ! Prends pour le cheval. Je ne suis pas de ceux qui oublient leurs parents. C’est obligatoire ! Tu es mon père, je ne puis t’abandonner. Tiens ! prends ! C’est bien simple. Je ne suis pas avare ! (Il s’avance vers Akim et veut lui glisser le billet. Akim ne le prend pas. Nikita prend son père par le bras.) Prends, je te dis, quand je te le donne, je ne le regrette pas.

AKIM

Je ne peux pas, ça… prendre… et je ne veux pas… non, te parler… parce que… oui… tu n’as plus ta raison.

NIKITA

Je ne te lâcherai pas ! Prends ! (Il lui glisse le billet dans la main.)



Scène X

Les Mêmes, ANICIA

anicia entre et s’arrête.

Prends-le donc, autrement, il ne te lâchera pas.

akim prend le billet en hochant la tête.

Oh ! le vin !… On n’est plus un homme…

NIKITA

Eh bien, c’est mieux comme cela. Si tu me le rends, c’est bien ! Si tu ne me le rends pas, eh bien ! à la garde de Dieu ! Je suis comme ça, moi ! (Il aperçoit Akoulina.) Akoulina, fais voir les cadeaux.

AKOULINA

Quoi ?

NIKITA

Fais voir les cadeaux.

AKOULINA

Ce n’est pas la peine, je les ai serrés.

NIKITA

Fais-les voir, je te dis, Anioutka sera contente de les voir. Montre-les à Anioutka. Déplie le fichu, passe-le-moi.

AKIM

Ça me fait mal au cœur, rien que de le regarder. (Il grimpe sur le poêle.)

akoulina sort différents paquets du coffre et les met sur la table.

À quoi bon les montrer ?

ANIOUTKA

Oh ! qu’il est beau ! Il est aussi joli que celui de Stepanida !

AKOULINA

Celui de Stepanida ? Il n’y a pas de comparaison. (S’échauffant et le dépliant.) Regarde un peu quelle qualité. C’est un fichu français.

ANIOUTKA

Et la cretonne ? Qu’elle est jolie ! Machoutka a une robe pareille, mais elle est plus claire, sur fond bleu.

NIKITA

Ah !… (Anicia se rend d’un air fâché dans le cabinet de débarras ; elle en ressort avec un tuyau à samovar et une nappe et elle s’avance vers la table)

ANICIA

En voilà un étalage !

NIKITA

Regarde donc.

ANICIA

Regarder quoi ? Est-ce que je n’ai pas vu ? Enlève-moi ça ! (Elle jette à terre le fichu d’Akoulina.)

AKOULINA

Pourquoi le jettes-tu ? Jette ce qui t’appartient. (Elle ramasse son châle.)

NIKITA

Prends bien garde, Anicia !

ANICIA

À quoi ?

NIKITA

Tu penses que je t’ai oubliée ? Regarde ici. (Il lui montre un paquet et il s’assied dessus.) Un cadeau pour toi, seulement faut que tu le mérites. Femme, où suis-je ici ?

ANICIA

Assez de fanfaronnades ! Je ne te crains pas. Avec quel argent fais-tu la noce et achètes-tu des cadeaux à ta grosse boulotte ? Avec le mien.

AKOULINA

Oh ! le tien ! Tu voulais le voler, mais tu n’as pas réussi. Ôte-toi de là ! (Elle la bouscule pour passer.)

ANICIA

Pourquoi me bouscules-tu ? C’est moi qui vais te bousculer.

AKOULINA

Me bousculer, moi ! Viens-y donc un peu ! (Elle marche au-devant d’elle.)

NIKITA

Eh ! les femmes, là ! Assez ! (Il s’interpose entre elles.)

AKOULINA

En v’là du toupet ! Tu ferais bien mieux de te taire, si tu crois qu’on ne sait rien !

ANICIA

Dis, qu’est-ce qu’on sait ?

AKOULINA

Je sais quelque chose qui te concerne.

ANICIA

Tu es une catin ! Tu cours avec un homme marié !

AKOULINA

Et toi qui as fait mourir le tien !

ANiciA, se jetant sur Akoulina.

Tu mens !

nikita, la retenant.

Anicia, as-tu oublié ?

ANICIA

Je me fiche de tes menaces ! Je ne te crains pas.

nikita

À la porte ! (Il pousse Anicia dehors par les épaules.)

ANICIA

Où veux-tu que j’aille ? Je suis chez moi ici.

NIKITA

À la porte, je te dis, et tâche de ne pas rentrer !

ANICIA

Je ne sortirai pas ! (Nikita la pousse. Anicia pleure et crie en se cramponnant à la porte.) Comment ! On me chasse de ma maison ! Qu’est-ce que tu fais, scélérat ? Ah ! tu crois tout pouvoir faire impunément !

NIKITA

Allons ! Allons !

ANICIA

J’irai chez le starosta, chez l’ouriadnick !

NIKITA

À la porte, je te dis ! (Il la met dehors.)

anicia, derrière la porte.

Je m’étranglerai !



Scène XI

NIKITA, AKOULINA, ANIOUTKA, AKIM

NIKITA

C’est bon !

anioutka, pleurant.

Oh ! ma petite mère chérie !

NIKITA

Elle croit me faire peur ! Pourquoi pleures-tu ? Ne crains rien, elle reviendra. Va voir si le samovar bout. (Anioutka sort.)



Scène XII

NIKITA, AKIM, AKOULINA

akoulina. Elle ramasse les objets épars sur la table et les plie.

Oh ! la coquine ! Elle en fait des histoires ! Attends, je vais te couper ton caraco ! Pour sûr, je te le couperai !

NIKITA

Elle est à la porte. Qu’est-ce que tu veux de plus ?

AKOULINA

Elle m’a taché mon fichu neuf ! La chienne ! Vrai ! Si elle n’était pas sortie, je l’aurais éborgnée !

NIKITA

Ne te fâche pas ! Pourquoi te fâcher ?… Mais puisque je ne l’aime pas !

AKOULINA

L’aimer ! Est-ce qu’on peut aimer une tête carrée comme ça ? Si tu l’avais lâchée une bonne fois, tout ça n’arriverait pas. Envoie-la donc au diable ! De toutes façons, la maison est à moi et l’argent aussi. En voilà une maîtresse ! Une maîtresse, elle, c’est un assassin ! Voilà ce qu’elle est et elle en fera autant avec toi !

NIKITA

Pas moyen de boucher la gueule des femmes ! Tu bafouilles sans savoir ce que tu dis.

AKOULINA

Si je le sais. Je ne veux pas vivre avec elle, je la chasserai ! Elle ne doit pas rester avec moi ! Elle, une maîtresse ! C’est pas une maîtresse, c’est une garce à forçats !

NIKITA

Assez donc ! Tu n’as rien à partager avec elle. Regarde-moi ! C’est moi, le maître ! Je fais ce que je veux. Je ne l’aime plus, c’est toi que j’aime maintenant. J’aime qui bon me semble. C’est ma volonté. Quant à elle, aux arrêts ! Voilà le cas que je fais d’elle… (Il lève le pied en signe de mépris.) Ah ! c’est dommage qu’il n’y ait pas d’accordéon. (Il chante.)

Sur le four, y a de la galette,
Sur les marches, y a du gruau,
Et nous autres, nous vivrons
Et nous rigolerons,
Et quand la mort viendra
Nous mourrons !
Sur le four, y a de la galette,
Sur les marches, y a du gruau.



Scène XIII

Les Mêmes, MITRITCH. Il entre, ôte ses sabots et son touloup et grimpe sur le poêle.

MITRITCH

Il paraît que les femmes se sont encore empoignées. Il faut toujours qu’elles s’empoignent. Ô Dieu ! Nicolas le miséricordieux !

akim, sur le bord du poêle, prend ses bandelettes et ses laptis et se chausse.

Passe au fond, passe !

mitritch, en passant.

Elles n’arriveront jamais à s’accorder pour le partage. Ô Dieu !

nikita, à Akoulina.

Apporte la liqueur, nous en boirons avec le thé.



Scène XIV

Les Mêmes, ANIOUTKA

anioutka, entrant, à Akoulina.

Eh ! Le samovar va bouillir.

NIKITA

Et la mère ? Où est-elle ?

ANIOUTKA

Elle est dans le vestibule. Elle pleure.

NIKITA

Ah !… Ah !… Appelle-la, dis-lui d’apporter le samovar. Toi, Akoulina, donne les tasses.

AKOULINA

Les tasses ? c’est bien. (Elle prépare les tasses.)

nikita, il prend la liqueur, les biscuits et les harengs.

Ça c’est pour moi. Voilà du fil pour la femme. Le pétrole est dans le vestibule, et l’argent, le voilà. Attends ! (Il prend la machine à compter.) Il faut voir ça… Farine de froment… quatre-vingts kopecks, huile de chanvre… au petit père, dix roubles ! Petit père, viens prendre le thé ! (Silence. Akim au bord du poêle attache ses bandelettes.)



Scène XV

Les Mêmes, ANICIA

anicia, apportant le samovar.

Où faut-il le poser ?

NIKITA

Pose-le sur la table. Eh bien ? Es-tu allée voir le starosta ? C’est que voilà… faut réfléchir avant de parler. Assez de fâcheries. Assieds-toi, bois ! (Il lui verse un petit verre.) Et voilà ton cadeau. (Il lui donne le paquet sur lequel il était assis. Anicia hoche la tête et le prend sans dire mot.)

akim descend du poêle et met son touloup, il s’avance vers la table et dépose le billet de dix roubles.

Voilà ton argent, reprends-le !

NIKiTA, sans voir le billet.

Te voilà habillé ? Où vas-tu ?

AKIM

Je m’en vais, moi… vois-tu… que Dieu vous garde ! (Il prend son chapeau et sa ceinture.)

NIKITA

Voilà du nouveau ! Pourquoi t’en vas-tu comme ça, la nuit ?

AKIM

Je peux pas, vois-tu… ça… dans votre maison… je peux pas, vois-tu… y rester… je peux pas y rester… adieu !

NIKITA

Pourquoi t’en vas-tu quand le thé est sur la table ?

akim, roulant sa ceinture autour de son corps.

Je m’en vais… parce que… vois-tu… ça ne va pas bien… chez toi… vois-tu, ça, on n’est pas bien, Nikita, dans ta maison, pas bien ! Tu vas mal, Nikita, mal ! Je m’en vais !

NIKITA

Assez d’histoires ! Assieds-toi, prends du thé.

ANICIA

Quoi donc, petit père ? Nous aurons honte devant le monde. Qu’est-ce qui t’a offensé ?

AKIM

Personne ne m’a offensé, ça, personne ! Seulement, ça, je vois bien, vois-tu, que mon fils court à sa perte, mon fils… il court à sa perte…

NIKITA

Quelle perte ? Donne des preuves !

AKIM

Ta perte, ta perte ! Tu es sur le chemin de ta perte ! Qu’est-ce que je t’ai dit, l’été passé ?

NIKITA

Tu m’as parlé de pas mal de choses.

AKIM

Je t’ai parlé, ça… de l’orpheline… que tu avais offensée, de l’orpheline… Marina… Tu l’avais offensée…

NIKITA

Oh ! il s’en souvient encore ! C’est passé, ça, avec les vieilles neiges ! Une affaire finie.

akim, s’échauffant.

Finie ! Non, mon ami, ce n’est pas fini… un péché en attire un autre… et tu es embourbé, Nikita, dans le péché ! Tu es embourbé, je le vois, dans le péché ! Tu es embourbé, enfoncé…

NIKITA

Allons ! prends du thé… voilà toute l’histoire.

AKIM

Je ne peux pas, vois-tu, ça… prendre du thé… parce que ton infamie… vois-tu, ça… me fait mal au cœur… ça me fait très mal au cœur. Je ne peux pas, ça… prendre du thé avec toi !

NIKITA

Ah ! quel rabâchage ! Mets-toi donc à table !

AKIM

Tu es pris dans ta richesse, comme dans des filets, comme dans des filets, vois-tu ! Ah ! Nikita, il faut avoir de la conscience !

NIKITA

Quel plein pouvoir as-tu de venir me faire des reproches dans ma propre maison ? Pourquoi te cramponnes-tu ? Suis-je un gamin pour que tu me tires les oreilles ? On n’emploie plus ces moyens-là.

AKIM

C’est vrai… j’ai entendu dire aussi ça… qu’aujourd’hui on tire les pères par la barbe… Mais c’est la perte de l’âme… la perte.

nikita, fâché.

Nous vivons sans avoir besoin de toi. C’est toi qui es venu nous demander du secours.

AKIM

Ton argent ? Le voilà, ton argent… J’irai mendier, vois-tu, ça… mais je ne le prendrai pas !

NIKITA

Assez, je t’en prie, pourquoi te fâches-tu ? (Il le retient par la main.) Tu troubles la société.

akim, poussant un cri de colère.

Ah !… laisse !… Je ne resterai pas, je coucherai plutôt le long d’une borne… qu’au milieu de ta saleté ! Oh ! Que Dieu me pardonne ! (Il sort.)



Scène XVI

NIKITA, AKOULINA, ANICIA, MITRITCH

NIKITA

Eh bien, en voilà !



Scène XVII

Les Mêmes et AKIM

akim, ouvrant la porte.

Réveille-toi, Nikita ! C’est à ton âme que tu dois penser. (Il sort.)



Scène XVIII

NIKITA, AKOULINA, ANICIA, MITRITCH

akoulina, prenant les tasses.

Eh bien ? Faut-il verser ? (Tous gardent le silence.)

MITRITCH, beuglant sur le poêle.

Ah ! Seigneur, aie pitié de moi, pécheur ! (Tous sursautent effrayés.)

nikita, retombant sur le banc.

Oh ! Je m’ennuie, je m’ennuie ! Akoulina, où est l’accordéon ?

AKOULINA

L’accordéon ? C’est maintenant que tu t’en souviens ? Tu l’as donné à réparer. Je t’ai versé, bois !

NIKITA

Je ne veux rien ! Éteignez les lumières ! Oh ! Que je m’ennuie ! Oh ! Que je m’ennuie ! (Il pleure.)


FIN DU TROISIÈME ACTE