La Protection morale et légale de l’enfant en France et à l’étranger

La Protection morale et légale de l’enfant en France et à l’étranger
Revue des Deux Mondes5e période, tome 45 (p. 200-228).
LA
PROTECTION MORALE ET LĚGALE
DE L’ENFANT
EN FRANCE ET Á L’ĚTRANGER

Le sort de la veuve et de l’orphelin a excité l’intérêt des hommes, dès qu’ils se sont éveillés à la vie civilisée. Les législateurs d’Israël, d’Athènes et de Rome ont proclamé sacrée et incombant à l’État la cause de ces êtres privés de leur soutien naturel. L’Église chrétienne ne pouvait se désintéresser de cette question. N’était-elle pas l’héritière de celui qui avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfans, » et qui les avait présentés en modèle à ses disciples comme des êtres innocens, en qui l’image divine n’était pas encore ternie par les souffles impurs du monde ? Ne fut-elle pas, à l’origine, une grande société d’entr’aide ? Mais l’Église ne se contenta pas de distribuer aux orphelins l’assistance matérielle, elle s’occupa de leur éducation et étendit sur tous les enfans sa sollicitude morale ; elle devint comme la mère de tous les petits, de tous les faibles et déshérités. De là cette institution des parrains et marraines, qui sont non seulement des garans de la future instruction chrétienne des nouveau-nés, mais des assistans donnés au père et à la mère pour les seconder et, au besoin, les suppléer dans la protection de leurs enfans. L’Église, au moyen âge, continua son rôle de protectrice de la femme et de l’enfant contre les hommes à demi barbares et maint capitulaire de Charlemagne, relatif aux veuves et aux écoliers, s’est inspiré de cette miséricorde. De tous les peuples, les Français sont peut-être celui qui a témoigné le plus de pitié pour l’enfance malheureuse ; ce trait de caractère a frappé tous les étrangers, qui ont résidé quelque temps parmi nous. C’est en France qu’ont paru les plus dévoués patrons de l’enfance : saint Vincent de Paul et le vicomte de Melun, sœur Rosalie et Mme de Lamartine, Firmin Marbeau et Théophile Roussel, pour ne citer que les morts. Sous l’impulsion de ce dernier, on s’est, depuis 1871, occupé avec zèle du sauvetage de l’enfance maltraitée ou en danger moral ; crèches, asiles, garderies se sont multipliés ; le placement familial à la campagne, soit permanent, soit pendant les vacances, s’est développé sur une large échelle. Ce mouvement d’opinion en faveur de l’amélioration du sort des enfans est devenu si fort qu’il a entraîné le Parlement et, depuis 1889, les représentans du pays ont complété la législation sur l’enfance par des lois nouvelles ou corrigé les anciennes dans un sens plus humain.

Cependant, les étrangers nous devançaient ou marchaient sur nos traces : le docteur Wichern fondait près de Hambourg le Rauhe Hans, qui a servi de modèle à notre Mettray ; le docteur Barnardo et le Père Newton organisaient le sauvetage de l’enfance en Angleterre ; l’Américain Ch. L. Brace fondait la Children’s Aid Society ; Mme Hierta Retzius ouvrait ses asiles-ouvroirs à Stockholm. Suivant ce mouvement, les parlemens étrangers ont voté des lois sur la tutelle, créé des tribunaux d’enfans et ouvert des établissemens pédagogiques, appropriés aux différentes situations. En effet, à mesure que la charité devenait plus ingénieuse, on tria les enfans en catégories séparées, de manière à éviter la contagion du vice et à appliquer des remèdes mieux appropriés aux divers degrés de misère. On en admet généralement quatre : 1° Enfans sans foyer (orphelins ou abandonnés) ; 2° Enfans d’éducation négligée ou en danger moral ; 3° Enfans vicieux ou dépravés ; 4° Enfans déjà criminels et dangereux pour leurs semblables.

Il s’est établi, de la sorte, entre la France et les pays d’Europe et d’Amérique une émulation féconde pour la protection légale et l’amélioration morale de l’enfance. On comprend de plus en plus aujourd’hui qu’il n’est pas possible de traiter des enfans délinquans de quatorze à seize ans comme des criminels responsables, car le délit et même le crime, chez l’enfant, supposent presque toujours une tare chez les parens ou ascendans. Il faut donc retirer l’enfant d’un milieu dépravé, pour le soumettre à des influences salutaires. Est-il déjà semblable à un arbuste tordu ? Il faut le redresser, au moyen d’un tuteur. Est-il déjà gâté jusqu’aux racines, il faut le régénérer, si l’on ne veut pas qu’il porte des fruits amers ou vénéneux pour la société.

L’étude comparative des lois et des institutions protectrices de l’enfance en France et à l’étranger exigerait un volume ; nous nous bornerons ici à exposer la part de la France et à la rapprocher des œuvres et des lois, existant dans des pays qui offrent des affinités avec nous et où j’ai eu l’occasion de les étudier sur place : les États-Unis, la Néerlande et les pays Scandinaves.

Laissant de côté ce qui concerne la protection matérielle et médicale, en d’autres termes l’assistance physique des petits et la répression de l’enfance délinquante, nous nous occuperons spécialement des moyens préventifs et éducatifs, de ce qu’on pourrait appeler l’orthopédie morale des enfans. Nous étudierons d’abord la France.


I. — LOIS FRANÇAISES

Depuis 1850 jusqu’à 1904, six lois se sont proposé cet objet spécial, sans parler de la loi Roussel (23 décembre 1874), qui visait les enfans en nourrice et en garde. Malgré la diversité des régimes politiques, un même esprit anime le législateur, la pitié et non pas la colère, la prévoyance et la préservation plutôt que la peine infligée sans discernement. L’idée directrice est de séparer les enfans vicieux des adultes. Ces sentimens ont été exprimés, en excellens termes, par M. Corne, rapporteur du projet de loi sur l’Éducation et le patronage des jeunes détenus (15 août 1850). « Venir en aide, écrivait-il en décembre 1849, à de pauvres enfans délaissés, et entraînés à ces premiers écarts, les préparer à rentrer dans la vie, débarrassés des mauvaises impressions et des vices qui ont failli les perdre ; rendre à la société d’honnêtes et paisibles ouvriers d’agriculture, au lieu de jeter dans les carrefours de nos grandes villes de jeunes êtres pervertis et portés à toute espèce de guerre contre les lois et la société, cela rentre essentiellement dans le cercle de l’assistance et de la prévoyance publiques. A nos yeux, en effet, l’éducation morale, les idées de tutelle, patronage, régénération, l’emportent de beaucoup sur l’idée et l’intérêt de la répression ; au-delà seulement, commence le domaine pénitentiaire. »

De ce point de vue, le législateur de 1850 ordonnait que les enfans délinquans ou détenus par voie de correction paternelle, fussent gardés dans des quartiers à part des autres prisonniers et reçussent une éducation morale, religieuse et professionnelle, agricole autant que possible[1]. L’article 19 statuait que les jeunes détenus, une fois libérés, seraient placés sous le patronage de l’Assistance publique, pendant trois ans au moins. Mais, hélas ! le règlement d’administration, qui devait organiser ce service, n’a jamais paru. Ce sont des sociétés particulières qui ont comblé cette lacune, en quelque mesure. Cette loi française de 1850 eut d’ailleurs un grand retentissement à l’étranger : elle amena l’Angleterre à fonder les « Industrial Schools » et les « Reformatories, » qui de là se propagèrent en Amérique. (Acte de l’État de New-York en 1866.)

Vingt-quatre ans plus tard, l’attention des députés se porta sur les enfans employés dans les professions d’acrobates, saltimbanques, montreurs d’animaux, directeurs de cirques et autres ambulans, et la Chambre, sur le rapport de M. Talion, vota la loi du 7 décembre 1874. Les deux premiers articles frappaient de peines sévères quiconque ferait exécuter, par des enfans mineurs de seize ans, des tours de force périlleux ou les ferait jouer dans des représentations et les parens ou tuteurs, qui auraient livré leurs enfans ou pupilles aux saltimbanques. Ces derniers pouvaient faire travailler leurs propre » enfans ou pupilles à treize ans[2] ; mais, s’ils violaient la loi, ils pouvaient être déchus de l’autorité paternelle ou tutélaire. L’article 3 édictait les mêmes peines contre ceux qui emploieraient à la mendicité des enfans de moins de seize ans. Dispositions louables, tendant à protéger les mineurs contre des sévices ou des exhibitions immorales, mais insuffisantes, car on avait oublié de désigner le service public qui remplacerait les parens[3].

Or ceci n’était que le prélude des deux lois qui ont fait faire les plus grands pas à la protection des enfans martyrs ou victimes d’une éducation négligée ou vicieuse : celle du 24 juillet 1889 et celle du 19 avril 1898.

La première a pour objet la protection des enfans maltraités ou moralement abandonnés et se compose de deux titres : le premier traite de la puissance paternelle. Désormais en seront privés les parens, qui se seront rendus coupables de sévices ou de cruautés sur leurs enfans, ou qui, par leur ivrognerie habituelle, ou leur inconduite notoire, compromettront la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfans ; mais ils seront quand même tenus de payer pour eux une pension alimentaire.

Or, une fois les parens déchus de leur autorité, qui prendra soin de ses enfans ? M. Loys Brueyre, chef de la division des Enfans assistés à Paris, avait, dès 1881, créé un service spécial pour recueillir et élever ces enfans. Le législateur de 1889 a pourvu à leur tutelle : ou bien elle sera constituée suivant le droit commun ou elle sera déférée à l’Assistance publique. Celle-ci peut d’ailleurs confier la garde des mineurs à d’autres établissemens, voire à des particuliers.

Le titre II organise la protection des mineurs placés avec ou sans l’intervention des parens. Dans le premier cas, le tribunal peut décider qu’il y a lieu, dans l’intérêt de l’enfant, de déléguer à l’Assistance publique les droits de la puissance paternelle abandonnés par les parens et de confier l’exercice de ces droits à une association ou à un particulier, sous le contrôle du préfet. Dans le second cas, l’Assistance publique doit, dans les trois jours, faire une déclaration au maire de la commune où l’enfant a été recueilli. Après trois mois, si l’enfant n’a pas été réclamé par ses parens ou tuteurs, ceux qui l’ont recueilli adressent une requête au tribunal, afin d’obtenir l’exercice de tout ou partie des droits paternels. Le préfet, étant souvent trop occupé, charge de la surveillance l’inspecteur ou le sous-inspecteur de l’Assistance publique[4]. Ces tuteurs officiels doivent veiller à ce que le pupille soit placé dans de bonnes conditions d’hygiène et de moralité, qu’il fréquente régulièrement l’école et, en cas de maladie, à ce qu’il soit bien soigné. On lui fait apprendre un métier et, dès qu’il exécute un travail rémunérateur, son salaire est versé sur un livret de caisse d’épargne.

De leur côté, l’œuvre ou la famille chargée de l’enfant est tenue de fournir aux inspecteurs de l’Assistance, pour chaque enfant qui leur est confié, son bulletin de naissance, avec une notice sur le passé de l’enfant et son état de santé, copie du jugement qui a transféré à l’Assistance publique les droits paternels, enfin un livret où sont inscrites les visites médicales et celles du surveillant.

La loi du 24 juillet 1889 n’avait pour but que de défendre l’enfant contre des parens ou des tuteurs dénaturés et de remédier à un abus aussi fréquent qu’odieux : celui d’un père ou d’une mère, abandonnant leur enfant à des particuliers ou à des sociétés de bienfaisance, à l’époque où il leur est à charge, pour le reprendre, une fois éduqué, dès que, par le salaire de son travail, il peut leur rapporter un profit.

La loi du 19 avril 1898, qui en fait pour ainsi dire la contrepartie, s’étend à toute personne coupable de maltraiter les enfans. Les deux premiers articles complètent et modifient les articles 312 et 349 à 353 du Code pénal, relatifs à l’exposition et au délaissement dans un lieu solitaire d’un enfant infirme, idiot ou incapable de se protéger ; le fait d’avoir blessé volontairement ou privé d’alimens un mineur de quinze ans est érigé en délit spécial. Si les coupables sont le père ou la mère, un tuteur ou des ascendans, la peine est aggravée et, si la mort s’en est suivie, elle va jusqu’aux travaux forcés à temps. Mais la grande originalité de la loi, c’est d’avoir assimilé les enfans délinquans aux enfans martyrs, afin de les soustraire, en des cas laissés à l’appréciation des juges, à la prison ou à la maison de correction, et d’avoir donné à ceux-ci la faculté (corrigeant l’article 66 du Code pénal) de confier l’enfant coupable à l’Assistance privée ou publique, au lieu de le remettre à l’administration pénitentiaire. « Le juge d’instruction dit l’article 4, pourra en tout état de cause ordonner, le ministère public entendu, que la garde de l’enfant soit provisoirement. confiée… à un parent, à une personne ou institution charitable qu’il désignera, ou enfin à l’Assistance publique. »

On a fait observer avec raison, à propos de ces deux lois, que la procédure en est trop compliquée et, partant, trop lente. Que la déchéance de la puissance paternelle soit obligatoire ou facultative, il s’écoule en général un temps assez long entre la poursuite et le jugement[5] : en effet, l’abandon moral et les sévices sont plus difficiles à constater que l’abandon physique. Or, tant que l’enfant est auprès de parens dénaturés ou dans un milieu corrompu, il reste en souffrance et continue l’apprentissage du vice. En outre on se heurte, dans l’application, à de graves obstacles. Autrefois, en cas d’indiscipline, on envoyait l’enfant à l’école correctionnelle ou à la colonie pénitentiaire. Aujourd’hui, l’Assistance publique, n’ayant encore qu’une maison spéciale pour ces pupilles réfractaires, est réduite à les placer, comme les non-vicieux, chez des paysans. Or, qui ne voit qu’un tel placement est inefficace pour le pupille et périlleux pour les enfans du père nourricier ? Aussi ces enfans d’une catégorie spéciale et qui deviennent de plus en plus nombreux, discréditent-ils, par leur mauvaise conduite et la fréquence de leurs délits, le placement familial à la campagne. Il arrive qu’un, deux ou plusieurs villages, parfois même une région tout entière se refusent à accueillir ces enfans terribles !

Le Parlement français a mis le couronnement à son œuvre de la législation de l’enfance, en votant la loi du 27 juin 1904 sur le Service des enfans assistés et celle du 28 juin de la même année sur l’Éducation des pupilles vicieux ou difficiles de l’Assistance publique. Le sort de ces êtres déshérités n’avait pas échappé au coup d’œil pénétrant de Napoléon, et il avait pourvu à leur secours par la loi du 15 pluviôse an XIII et le décret-loi du 19 janvier 1811. Depuis, il y avait à l’Assistance publique de Paris une section des enfans moralement abandonnés, section qui, sous l’intelligente et zélée direction de M. Loys Brueyre, a rendu de si grands services et a pourvu à l’application de la loi île 1889. La loi de 1904, dont les rapporteurs au Sénat ont été Théophile Roussel et après sa mort le Dr P. Strauss, fut préparée par de mûres délibérations au Conseil supérieur de l’Assistance publique (1890-91)[6]. Le législateur a élevé de seize à vingt et un ans la limite d’âge à laquelle des enfans peuvent être mis sous la tutelle de l’Assistance publique, et divisé en trois catégories les pupilles susceptibles de lui être confiés. La première est celle des enfans secourus et en dépôt, c’est-à-dire de ceux que la mère ne peut nourrir, faute de ressources et pour l’entretien de qui elle reçoit un secours temporaire, et de ceux que l’Assistance publique recueille pendant que leurs parens sont à l’hôpital ou en prison. La deuxième comprend les enfans en garde, ou ceux qui sont confiés à l’Assistance publique en vertu des articles 4 et 5 de la loi du 19 avril 1898. Pour ceux-ci, les parens restent tenus à la dette alimentaire : la mise en garde provisoire est prononcée par le juge d’instruction, elle ne devient définitive qu’après jugement du tribunal. Enfin la troisième catégorie comprend les Enfans trouvés ou abandonnés, les Orphelins pauvres, les Enfans maltraités, délaissés ou moralement abandonnés. C’est de beaucoup la plus nombreuse : le chiffre de ces enfans s’élève à 160 000 environ pour toute la France ; ils sont mis sous la rubrique : Pupilles de l’Assistance.

L’article 7 détermine les secours temporaires qui peuvent être accordés à la mère indigente, soit qu’elle allaite elle-même son enfant, soit qu’elle le confie à une nourrice. Mais le grand mérite de cette loi, c’est d’avoir organisé d’une façon ingénieuse la réception par l’Assistance publique de l’enfant trouvé. On sait que le tour, qu’on attribue à tort à saint Vincent de Paul, fut importé d’Italie à Marseille au début du XVIIIe siècle et institué officiellement en France par le décret-loi de 1811. Il avait pour objet de faciliter l’adoption de l’enfant, en épargnant à la mère la honte de l’aveu d’une naissance illégitime, et la tentation de l’infanticide, car, en bien des cas, le respect du secret de la mère était la sauvegarde de la vie de l’enfant ; mais l’usage du tour avait de tels inconvéniens, donnait lieu à de tels abus, qu’on le laissa tomber en désuétude à Paris, en 1862, et, quelques années après, dans le reste de la France. Les articles 8 à 10 de la loi nouvelle disent que, désormais, l’enfant pourra être présenté dans un local ouvert jour et nuit, sans autre témoin que le ou la préposée au service d’admission. Ces préposés sont choisis avec le plus grand soin par le préfet, car leur rôle est très important : c’est eux qui doivent signaler à la mère ou à sa messagère, qui apporte l’enfant, les conséquences de l’abandon : le lieu où sera placé l’enfant demeure secret et on ne lui donnera de ses nouvelles que quatre fois par an, l’informant seulement de son existence ou de sa mort. Ils doivent offrir à la mère des secours de nourriture. Il dépend donc du talent de persuasion du préposé de faire revenir l’infortunée sur une résolution, prise parfois dans un moment de détresse et de désespoir. Le titre III de la loi organise la tutelle des pupilles. Celle-ci est exercée à Paris par le directeur de l’Assistance publique et, dans les départemens, par le préfet ou par son délégué l’inspecteur départemental, assistés d’un conseil de famille, qui se compose de sept membres élus par le Conseil général et renouvelés tous les quatre ans. Le conseil de famille confie à l’un de ses membres les fonctions de curateur ; c’est le trésorier-payeur général qui est chargé de la gestion des deniers pupillaires. L’article 21 dispose que les pupilles de moins de treize ans seront, en règle générale, confiés à des familles habitant la campagne ; les frères et sœurs seront, autant que possible, placés dans la même famille et, au moins, dans la même commune.

L’article 23 a institué une prime de survie pour les nourrices, et quant aux pères nourriciers qui auront bien élevé le pupille, le Conseil général pourra leur allouer une rémunération, lorsque ce dernier aura treize ans.

La loi du 28 juin 1904 pourvoit à l’éducation des pupilles de l’Assistance publique, qui, à raison de leurs défauts de caractère ou de leur indiscipline, n’auraient pas pu être confiés à des familles de paysans. Sur le rapport de l’inspecteur de l’Assistance, ils seront placés dans une « école professionnelle » qui peut être un établissement public ou privé (art. 7). Si l’enfant ne s’y améliore pas et s’il commet des méfaits graves, il sera remis à l’Administration pénitentiaire qui, après l’avoir tenu quelque temps en observation, le placera dans une colonie pénitentiaire ou dans une colonie correctionnelle (art. 2). Les départemens qui n’ont pas encore d’Ecole professionnelle doivent, dans un délai de trois ans à partir de la promulgation de la loi, traiter, pour le placement de leurs pupilles, soit avec un département voisin, soit avec un établissement privé, autorisé par le ministre de l’Intérieur (art. 3)[7]. Quant aux dépenses, le législateur a fait cette juste distinction : si le pupille est un enfant qui a été victime de délit ou crime prévu par l’article 4 de la loi du 19 avril 1898, elles incombent à l’Assistance publique ; si, au contraire, il est auteur de délit ou de crime, elles sont à la charge de l’Administration pénitentiaire.

Signalons enfin la loi du 8 juillet 1907 sur la protection et la tutelle des enfans naturels. En accordant la puissance paternelle à celui des père et mère qui a le premier reconnu l’enfant, et en organisant la tutelle de ces enfans, elle a effacé les dernières traces du préjugé (art. 1) défavorable qui, depuis le moyen âge, pesait sur ces pauvres êtres. En somme, les dernières lois ont amélioré notablement la situation des enfans moralement abandonnés, en transférant sous la tutelle « plus paternelle » de l’Assistance publique des milliers d’enfans, autrefois traités comme des criminels et confiés à l’administration pénitentiaire, et en substituant jusqu’à vingt et un ans la méthode préservatrice et pédagogique à la répression brutale.


II. — INSTITUTIONS FRANÇAISES

Comme il arrive le plus souvent, l’initiative des philanthropes a devancé les prescriptions du législateur dans l’œuvre de protection de l’enfance. Saint Vincent de Paul a eu le mérite d’organiser l’assistance des enfans trouvés et d’y intéresser les dames nobles ; c’est à lui que nous devons le premier asile pour ces pauvres créatures, et la première congrégation de femmes vouées à leur service : les « Filles de la Charité » sont devenues, par le miracle de l’amour chrétien, comme leurs secondes mères. Le législateur de 1805, celui de 1811 n’ont guère perfectionné son œuvre et n’ont eu qu’à s’inspirer de son ingénieuse sollicitude.

En 1840 et 1844, ce sont deux grands hommes de bien, un agronome et un magistrat, M. de Gasparin, ministre de l’Agriculture et M. Demetz, conseiller à la Cour de Paris, qui, émus de pitié pour ce qu’ils appelaient « d’innocens malfaiteurs, » fondèrent les deux premières colonies pour le redressement des enfans enclins au vice ou même déjà délinquans. Leur méthode consistait à améliorer la terre par l’enfant et l’enfant par la terre. M. Demetz, secondé par le vicomte de Courteilles et par M. Drouyn de Lhuys, président de la Société paternelle, et par le comte de Gasparin, fonda la Colonie agricole de Mettray, près Tours (Indre-et-Loire), en 1840.

A côté de la colonie agricole, destinée aux enfans pauvres et réfractaires, M. Demetz établit, quelques années après, la « Maison paternelle » pour les en fan s riches et insubordonnés. Chaque élève y recevait à part des leçons, sans jamais voir ses camarades ; c’était presque le régime cellulaire, appliqué à l’éducation. La colonie de Mettray tend, depuis quelques années, à perdre son cachet pénitentiaire, pour devenir une école de préservation et de réforme ; elle reçoit des pupilles difficiles de l’Assistance publique ou des garçons en danger moral, et leur fait apprendre un métier, celui de cultivateur de préférence. On s’efforce de développer chez eux le sentiment religieux, — et nous savons, hélas ! qu’on leur en fait grief, — celui de l’honneur et l’amour de la patrie. Après un séjour de trois ans au plus, le Comité d’administration les aide à se placer et continue à leur accorder son patronage bienveillant. S’ils se trouvent en détresse ou en cas de maladie, les anciens pupilles peuvent retourner à la colonie, où ils obtiennent des secours ou des soins médicaux.

Deux ans plus tard, le comte a de Gasparin, assisté de l’amiral Ver Huell et de M. André Walther, fondait à Sainte-Foy (Dordogne) une colonie analogue à Mettray (1844), pour les enfans protestans, mineurs de seize ans, soit condamnés par les tribunaux, soit acquittés comme ayant agi sans discernement, soit vicieux. Depuis 1891, la colonie a été admise à recueillir des enfans moralement abandonnés, c’est-à-dire des enfans dont les parens ont été déchus de la puissance paternelle, en vertu de la loi du 24 juillet 1889. L’établissement de Sainte-Foy, comme celui de Mettray, prolonge son action moralisatrice sur ses pupilles, après leur sortie, par le moyen d’un comité de patronage ; Mais la sollicitude des philanthropes n’a eu garde d’oublier les jeunes filles, qui, par l’effet de leur entourage ou de l’atavisme, étaient enclines au vice, ou de caractère difficile. A côté de Mettray et de Sainte-Foy, mais sur le même rang, nous devons mentionner la maison des Diaconesses et l’Atelier-Refuge de Darnetal, qui suivent la même méthode d’orthopédie morale : l’appel au sentiment religieux, pour réveiller la conscience, l’accoutumance au travail manuel, et une ferme discipline, tempérée par la bonté chrétienne. Dès 1843, Mlle Malvesin, la première diaconesse, comprit qu’il valait mieux, surtout en matière de pédagogie féminine, prévenir que réprimer ou réparer, et elle annexa à son refuge un disciplinaire pour les filles protestantes de sept à treize ans, et l’année suivante une retenue pour celles de quatorze à vingt et un ans, en ayant soin de les isoler complètement, afin d’éviter des contacts pernicieux.

De son côté, la Mère Marie-Ernestine établissait à Darnetal, près Rouen (1848), son atelier-refuge, pour des jeunes filles catholiques de caractère indiscipliné ou d’instincts dépravés. L’originalité de cette maison, qu’elle dirige depuis près de soixante ans avec un zèle éclairé, c’est que, sachant combien les travaux de couture sont peu rémunérateurs, elle a eu l’idée d’enseigner à ses pupilles le jardinage et même l’agriculture. Et ces travaux de plein air ont produit leurs effets salutaires, non seulement sur leur santé, mais encore sur leur caractère moral.

Mais surtout, c’est depuis la Commune de 1871, que sont écloses en grand nombre les institutions destinées à préserver l’enfance des mille dangers qui l’assaillent : elles portent le nom de Sociétés protectrices, de Sauvetage, de Comités de défense, de Patronages, d’Unions familiales, de Garderies scolaires. De Paris, cet élan de sollicitude pour les enfans négligés, vagabonds ou maltraités s’est communiqué aux départemens, où il a déterminé la fondation d’œuvres autonomes ou de succursales des institutions parisiennes. Nous mentionnerons quatre ou cinq des plus remarquables.

Signalons, par ordre de date, la « Société générale de protection pour l’enfance abandonnée ou coupable, « fondée en 1879 par M. Georges Bonjean, juge au tribunal civil de la Seine. On sait à quelle généreuse pensée a obéi le fondateur. Son père, le sénateur Bonjean avait été un des otages saisis par les Communards et fusillé en 1871. Après la répression, qui fut terrible, M. Bonjean fils fut ému de pitié envers les centaines d’enfans de Communards qui demeuraient orphelins. Il résolut d’en adopter le plus grand nombre et de leur faire donner, avec des principes religieux, une instruction professionnelle, et les établit à Orgeville, près de Pacy-sur-Eure, où il avait une ferme. Outre cette colonie pénitentiaire privée, M. Bonjean a fondé la société de protection de l’enfance qui rend les plus grands services. Il, est assisté dans cette œuvre par son fils et sa fille. Encouragé par les premiers résultats, il a continué à recevoir des filles et des garçons, âgés de douze ans environ, orphelins moralement abandonnés ou insoumis, qui lui sont adressés par la Préfecture de police, les tribunaux, les hospices ou les administrations départementales.

Dix ans après, deux femmes de cœur, deux mères émues de miséricorde pour de nombreux enfans, qu’on rencontrait mendiant au coin des rues et qui, souvent, n’osaient pas rentrer chez eux de peur d’être battus par les parens, quand ils ne rapportaient pas une somme suffisante, fondèrent l’Union française pour le Sauvetage de l’enfance. Jules Simon se fit l’avocat éloquent de ces « orphelins dont les parens sont encore vivans, » et secondé par des administrateurs éminens, MM. Henri Monod et Loys Brueyre, la société, au bout de peu d’années, prit son essor et fut reconnue d’utilité publique en 1891. Elle a pour objet de rechercher, de signaler au Parquet, ou de recueillir les enfans mineurs de treize ans, qui sont maltraités et en danger moral, sans distinction de sexe ni de culte. Après avoir tenu quelque temps les enfans en observation dans un asile temporaire et les avoir guéris, s’ils sont malades, elle les place à la campagne. Sous l’intelligente direction de M. C. Gayte, la société a déjà sauvé de l’enfer de Paris des centaines de jeunes garçons et de jeunes filles, dont elle a fait de bons laboureurs, d’habiles artisans ou des ouvrières honnêtes. Elle accorde une dot importante aux pupilles à l’époque de leur mariage.

Le Patronage des jeunes garçons protestans fut fondé en 1896, en connexité avec la Société de patronage des libérés, fondée par feu le pasteur Robin, un véritable apôtre de la protection de l’enfance. M. Etienne Matter, qui en est la cheville ouvrière, après avoir gardé les enfans en observation pendant quelques semaines, les place chez des paysans de l’Ardèche et de la Lozère ; il a par cette méthode préventive, obtenu des résultats extraordinaires, La Société, qui avait débuté avec cinq ou six enfans, en a recueilli et exporté la dixième année, trois cent vingt-deux.

L’année 1890 a vu naître deux sociétés de caractère assez différent, mais tendant au même but : substituer une saine pédagogie à la répression impitoyable, et qui perdrait l’enfant irréparablement. Le regretté juge Ad. Guillot est l’initiateur de ce nouveau système de préservation.

Le Comité de défense des enfans traduits en justice a été fondé au Palais de Justice, par quelques avocats émus de pitié en présence d’enfans de douze à quinze ans, jugés comme des adultes et envoyés parfois à la Petite Roquette, où, en mauvaise compagnie, ils devenaient tout à fait pervers. Elle se propose d’améliorer les lois et la procédure applicables aux mineurs de seize ans ; d’organiser, avec le concours du barreau et l’appui des pouvoirs publics, la défense des enfans arrêtés, d’étudier toutes questions de préservation ou réhabilitation de l’enfance et de provoquer la création d’institutions similaires[8]. Elle se réunit tous les quinze jours, au Palais, sous la présidence du bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel. Depuis dix-sept ans, elle a grandement contribué à préparer des lois de 1898 et de 1904 et à encourager le patronage des enfans enclins au mal.

Le Patronage de l’enfance et de l’adolescence, fondé en 1896 par M. Henri Rollet, avocat à la Cour d’appel, prend les garçons un peu plus âgés que le Sauvetage, à partir de douze ans jusqu’à dix-huit ; il suffit qu’ils soient abandonnés ou en danger moral ; mais, en principe, il ne faut pas qu’ils aient déjà subi une condamnation. A l’office du patronage est annexé un atelier, où les pupilles, par un travail facile, peuvent gagner de quoi payer en partie leur gîte et leur nourriture. Le patronage de M. Rollet s’est en outre chargé, depuis un an, de faire surveiller, dans leurs familles, de jeunes délinquans acquittés par le tribunal.

A côté de ces œuvres d’initiative privée, il faut mentionner les créations récentes de l’Etat.

L’Asile temporaire d’observation a été ouvert, en 1893, à la suite d’une entente entre la magistrature, le Conseil général de la Seine et l’Assistance publique, dans les locaux de l’hospice dépositaire des Enfans Assistés, rue Denfert-Rochereau. Il est sous le contrôle immédiat de M. May, directeur de l’hospice. Il a pour but de recevoir des inculpés de moins de seize ans, qui paraissent dignes d’intérêt et aptes à être redressés. On les y garde pendant deux à trois semaines, on les occupe à des travaux d’intérieur, on observe leur caractère. Au bout de ce temps, s’ils sont radicalement vicieux, on les remet à la disposition de la justice ; s’ils sont améliorés, on les rend à leur famille, ou on les garde comme pupilles de l’Assistance publique. En 1905, sur cinquante-cinq enfans soumis à l’observation, dix ont été remis aux juges d’instruction ; trente-deux rendus à leurs parens ou au département d’origine ; douze immatriculés comme pupilles, et un s’est évadé.

N’oublions pas l’École Théophile Roussel, fondée par le Conseil général de la Seine, à Montesson (Seine-et-Oise). L’établissement servait autrefois de colonie pénitentiaire ; mais, en 1902, par l’effet de l’opinion qui tend de plus en plus à substituer l’éducation à la répression, elle a été transformée en École de préservation. En vertu des lois de 1898 et de 1904, on y admet les enfans mineurs de seize ans, appartenant aux catégories suivantes : enfans indisciplinés des écoles primaires de la Seine ou détenus par voie de correction paternelle ; pupilles indisciplinés de l’Assistance publique ; enfans confiés à l’École, par les magistrats instructeurs ou les tribunaux, en vertu des articles 4 et 5 de la loi.

Il existe encore, tant à Paris que dans les départemens, une centaine de sociétés et d’œuvres de préservation, patronage, ou de relèvement de l’enfance, privées, qui suppléent à l’insuffisance de nos établissemens d’Assistance publique et sont pour elle de précieux auxiliaires[9].


III. — LOIS ET INSTITUTIONS ÉTRANGÈRES

ETATS-UNIS. — Si de France nous passons à l’étranger, notre attention est d’abord attirée sur les Etats-Unis de l’Amérique du Nord, à cause de leur hardie initiative et de leurs institutions originales pour la protection de l’enfance. La question n’avait pas échappé au regard pénétrant d’Horace Mann, le philanthrope et le jurisconsulte éminent mort en 1859[10], qui a consacré la majeure partie de sa vie à la création des écoles normales et à l’éducation morale du peuple américain. C’est lui qui l’un des premiers a posé ce principe, devenu l’idée directrice de la pédagogie moderne : « que la sévérité du jugement sur la faute ne doit jamais entraîner la dureté de la répression, car l’enfant doit être traité comme un homme imparfait. »

Les Sociétés qui se sont distinguées dans ce domaine : la Children’s Aid Society et la Société for the preventing of cruelty towards Children, ont toutes deux leur siège à New-York. Le fondateur de la première est M. Ch. Loring L. Brace, simple citoyen de cette ville, qui était indigné des rigueurs de la police à l’égard des gamins de rues et ému de pitié pour ces « innocens criminels (vers 1852). » Il commença par inviter ces petits vagabonds, que les Américains qualifient d’Arabes, à des réunions du dimanche, où il leur lut des passages de la Bible, qu’il accompagnait d’exhortations familières. Mais ces sermons laïques n’eurent aucun succès. Il recourut alors à une autre méthode : il créa pour ces pauvres enfans sans foyer un asile de nuit, où, moyennant la modique somme de 20 à 23 centimes, il leur donnait bon souper et bon gîte. Après s’être tenus quelque temps sur leurs gardes, ces petits nomades, pressés par la faim et le froid, y vinrent de plus en plus nombreux. Au souper, il avait avec eux une causerie familière, paternelle. Un jour, il les informa qu’on lui avait offert une place de commis, à 3 dollars par semaine. Pas un d’eux, hélas ! ne savait écrire. Il leur proposa alors d’ouvrir une école du soir, qui fut acceptée avec empressement et les mit en état de remplir de tels emplois. Enfin, à l’occasion de l’enterrement d’un homme célèbre, mort prématurément, il reprit la première idée d’un Sunday meeting qui, cette fois-ci, trouva de l’écho chez ces sauvages, déjà humanisés par sa bonté et par un commencement d’instruction. Dès lors, l’institution des « Logemens d’enfans abandonnés » devint populaire : elle ne fit que croître et embellir. En 1874, elle s’installait dans un beau local, du 4e quartier de New-York, au carrefour de cinq rues passagères ; aujourd’hui, elle a son Office central, 4e rue, près de la place Lafayette.

Dès 1854, M. L. Brace, s’inspirant de l’axiome du fondateur de Mettray : « améliorer l’homme par la terre et la terre par l’homme, » expédiait ces petits vagabonds, au fur et à mesure qu’ils étaient un peu disciplinés et instruits, » dans les États d’Illinois, Michigan, Missouri, chez des cultivateurs. Dans les vingt premières années, pas moins de 32 400 de ces « Arabes » furent soustraits à la contagion des grandes villes et reçurent chez des fermiers, à la fois, le bienfait de la vie de famille et l’apprentissage de l’agriculture.

La « Société pour empêcher les cruautés commises sur les enfans, » qui, en certaines villes, à Chicago par exemple, a pris le nom de Société humaine[11], a entrepris, depuis quelques années, de patronner les mineurs de seize ans, traduits devant les tribunaux. Elle y joue un rôle analogue à nos « Comités de défense des enfans traduits en justice. » C’est elle qui, actuellement, fournit le plus grand nombre d’agens de surveillance, pour les jeunes délinquans remis à leur famille.

Ceci nous amène à parler de l’institution la plus originale qui ait été créée récemment aux Etats-Unis, les Tribunaux d’enfans (1892). En voici l’origine. La situation légale des enfans : vagabonds et vicieux, avant cette date, était déplorable dans toutes les grandes cités, entre autres à Chicago. Au-dessous de dix ans la loi les ignorait ; au-dessus, elle les assimilait à des adultes. Ils étaient arrêtés, jetés dans la prison préventive pêle-mêle avec les voleurs et les criminels de profession, jugés par les tribunaux ordinaires et, si leur culpabilité était démontrée, subissaient leur peine dans les prisons communes. Après leur libération, la plupart commettaient la récidive. En 1891, l’opinion des citoyens éclairés s’émut de cette situation et proposa de remettre ces jeunes délinquans à des institutions charitables afin de les redresser ; mais en vain. Quelques années après, la Société pour les visites et l’entraide reprit la campagne, et, secondée par les clubs de femmes et par le barreau de Chicago, elle présenta un nouveau projet de loi à la législature de l’Etat d’Illinois. Cette fois, il fut voté et la loi entra en vigueur le 1er juillet 1899. Quatre ans après, le parlement de Pensylvanie décida, à son tour, la création de tribunaux d’enfans et aujourd’hui plus de vingt-deux États ont adopté ce nouveau genre de tribunal. D’Amérique, l’institution s’est répandue à Toronto (Canada), à Belfast et Dublin (Irlande), à Birmingham (Angleterre) et jusqu’à Adélaïde (Australie).

Voici les caractères distinctifs de ces tribunaux : 1° Un juge est spécialement chargé de tous les cas concernant des enfans : procédure et salle d’audience sont absolument séparées de celles des adultes ; 2° Il est interdit, sous quelque prétexte que ce soit, de mettre l’enfant au « violon » ou dans une prison proprement dite ; 3° S’il n’est pas tout à fait vicieux et que ses parens ne soient pas foncièrement mauvais, l’enfant est rendu à sa famille. A son foyer, il est l’objet de visites régulières d’agens, dits probation officers qui surveillent sa conduite et secondent ses parens dans leur tâche éducatrice.

Ce système de mise en liberté surveillée suppose trois conditions : que la famille, à qui on rend le jeune réfractaire, ait une certaine moralité ; que le juge, chargé des causes juvéniles, soit un homme doué de tact et de sagacité, aimant les enfans et leur inspirant confiance ; enfin, que les agens de surveillance soient bien qualifiés et s’acquittent de leur tâche, non pas en mercenaires, mais en amis de la jeunesse.

Aussi est-ce en général chez les femmes qu’on recrute les meilleurs probation officers. Or ces conditions ont été jusqu’ici réalisées, aux États-Unis, grâce aux qualités de cœur et d’esprit de magistrats tels que le juge Lindsey (de Denver) et le juge Tuthill. De 1899 à 1904, plus de la moitié des enfans placés sous le contrôle de ces inspecteurs n’ont pas commis de récidive. A Indianapolis, le nombre des récidivistes n’a été que de 10 pour 100. A Denver (Colorado), sur 554 délinquans, mis en liberté pendant les deux premières années, 31 seulement, soit 5,6 pour 100, tous les garçons ont dû être renvoyés devant le tribunal, à cause du milieu dépravé où ils vivaient. A New-Jersey, il y a eu décroissance marquée dans le chiffre des enfans traduits en justice. Mais il ne faudrait pas juger du succès de ce système par ce dernier chiffre ; à Denver, en effet, le prestige du juge Lindsey a attiré plus de 150 petits vagabonds à se présenter spontanément devant lui, pour lui avouer leurs méfaits sans l’intervention de la police[12].

PAYS-BAS. — Revenons en Europe et visitons les Pays-Bas. Cette contrée a été depuis longtemps fameuse pour ses béguinages, ses orphelinats et ses œuvres d’assistance aux vieillards et aux vagabonds. Amsterdam eut, dès 1595, ses Rasp-huise et ses Spin-huise[13], c’est-à-dire des asiles où l’on offrait l’hospitalité aux misérables, hommes ou femmes, moyennant un travail manuel. De là, cette utile institution se propagea en Belgique, en Allemagne et jusqu’en Danemark.

Mais jusqu’en 1901, les enfans trouvés, les petits vagabonds, etc., étaient traités comme en France, c’est-à-dire qu’à partir de douze ou de treize ans les jeunes délinquans étaient enfermés dans la prison commune, traduits en justice et puis menés à la maison de correction. Or, depuis une dizaine d’années, on s’aperçut de l’inefficacité du système, aux signes suivans : jeunesse de plus en plus indisciplinée, nombre croissant de jeunes gens des deux sexes condamnés pour méfaits graves ; impuissance à punir les parens, qui avaient dressé eux-mêmes leurs enfans à la mendicité ou à la prostitution et, partout, augmentation des dépenses de police et de l’administration pénitentiaire. La situation devenait inquiétante.

C’est pour y remédier qu’ont été portées les lois des 6 et 12 février 1901, dites « lois des enfans ; » seulement, par une mesure de prudence, que notre Parlement devrait bien imiter, elles n’ont été mises en vigueur que cinq ans plus tard (1er déc. 1905), afin de donner à l’État le temps d’aménager et de construire les maisons d’éducation et de discipline prévues par le législateur. En voici les dispositions principales. D’abord, on a effacé toute différence légale entre les enfans majeurs de dix ans et ceux de dix-sept à dix-huit ans. C’est au juge d’apprécier la part de responsabilité qui incombe à l’enfant et celle qui revient aux parens. Les deux buts poursuivis ont été : d’empêcher, autant que possible, les enfans de se pervertir, et de remettre en droit chemin ceux qui ont déjà mal tourné. La préservation doit s’appliquer avant tout à l’égard de la famille, qui est, dans la plupart des cas, la vraie coupable. Aussi la loi a-t-elle admis que les parens pourraient être soit déchus, soit déchargés de la puissance paternelle, suivant les cas.

Dans les deux cas, le tribunal fait sortir l’enfant du foyer domestique contaminé et le place dans une famille honnête, confiant sa tutelle à un particulier de bonne volonté ou à une Société de bienfaisance autorisée : les parens, d’ailleurs, sont tenus de payer la pension alimentaire de l’enfant qu’on leur a retiré.

Les conseils de tutelle sont composés de personnes des deux sexes s’intéressant à la protection de l’enfance, leurs bureaux sont ouverts à quiconque voudrait leur signaler un délit commis sur ou par des enfans. Ils ont le droit, qu’ils partagent avec le ministère public, d’adresser au tribunal la demande en décharge ou déchéance des droits paternels. Quant aux jeunes réfractaires, la loi néerlandaise a mis à la disposition du juge les moyens que voici : la réprimande de l’enfant et la mise en liberté conditionnelle dans sa famille, en chargeant un particulier de le surveiller ; si la faute est plus grave, envoi dans une maison de correction ; enfin, si l’enfant se montre incorrigible, école de discipline. Il y a actuellement, en Néerlande quatre de ces établissemens : trois pour garçons, un pour filles. Pour les enfans mineurs de quatorze ans, l’internement dans une école de discipline ne peut excéder six mois[14].

En résumé, le législateur néerlandais a voulu prévenir le développement du vice ou du crime, pour n’avoir pas à le réprimer plus tard. Ayant reconnu que, dans la plupart des cas, c’est la famille ou le milieu social qui porte la plus grande part de responsabilité, il s’est efforcé de soustraire l’enfant à ces influences démoralisantes, en le plaçant dans un asile ou dans une famille, sous le contrôle d’un tuteur ou d’un conseil de tutelle.

DANEMARK. — En Danemark, comme en France, les œuvres préservatrices de l’enfance ont de beaucoup devancé les lois. Dès le début du XVIIIe siècle, le roi Frédéric IV, qui a tant contribué au développement des écoles[15], établit à Copenhague un orphelinat (1714) sur le modèle de celui qu’Hermann Francke avait créé à Halle (1698). Ensuite, une maison d’éducation pour jeunes filles pauvres fut ouverte à Christianshavn (1755) par les soins de Mme Van Plessem Berkentin, la dernière dame d’honneur de la reine Caroline-Mathilde. Enfin, un simple marchand de gants d’Odensee, Jean-Mathieu Lahn, léguait par testament une grosse part de sa fortune et sa maison, pour donner asile à des enfans de cette ville, pauvres et souffreteux, principalement à des orphelins, et leur procurer une éducation, qui en fît des citoyens utiles à l’État (1802). Après un siècle, par suite du développement de l’Assistance publique et des écoles d’Odensee, la fondation Lahn a cessé d’être un orphelinat, sauf exception, pour devenir une sorte d’asile-ouvroir. Les enfans de famille indigente n’y viennent que pour y prendre deux repas et recevoir, en dehors des heures de classe, l’enseignement professionnel.

C’est de 1891 que date le mouvement législatif pour la protection des enfans négligés ou en danger moral. Une loi du 9 août de cette année, dite « loi des pauvres, » imposa à l’Assistance publique le devoir d’exercer une surveillance attentive sur la façon dont les parens assistés élèvent leurs enfans. Au cas où les parens, malgré des avertissemens répétés, leur font manquer l’école, les envoient mendier ou les maltraitent, le bureau de bienfaisance a le droit de les leur enlever pour les placer dans un autre foyer domestique.

La surveillance des enfans mineurs de quatorze ans, mis en garde moyennant finance chez des pères nourriciers, déjà tentée par la loi du 20 avril 1888, a été définitivement organisée par la loi scolaire du 2 mars 1895. Elle doit être exercée, dans chaque commune, par un ou plusieurs hommes ou femmes bien qualifiés, que le conseil municipal délègue à cet effet. Pourtant, ce dernier peut exempter les intéressés de ce contrôle, quand il est déjà exercé par la « Société des asiles d’enfans, » ou que le mobile de l’intérêt paraît étranger aux motifs qui ont amené le père nourricier à prendre l’enfant. La loi scolaire de mars 1899 frappe d’amende les père et mère qui négligent d’envoyer leurs enfans à l’école et, en cas de récidive, permet de les leur ôter.

La loi du 11 avril 1901, sur le travail dans les manufactures, interdit d’y employer des enfans au-dessous de l’âge de douze ans et au-dessus, jusqu’à dix-huit ans ; elle limite à six heures leur temps de travail et ordonne aux patrons de les envoyer régulièrement à l’école.

Mais ce sont surtout les lois du 1er et du 15 avril 1905 qui ont entouré l’enfance de tout un réseau de mesures protectrices.

La première, dite « intérimaire, » modifie les articles du Code pénal sur les enfans délinquans. L’article 15 exempte formellement de punition les infractions à la loi commises par des mineurs de quatorze ans. Après que l’enquête judiciaire a été faite, le tribunal doit leur appliquer les mesures suivantes : avertissement adressé à l’enfant ou à son éducateur, surveillance exercée par une personne de confiance sur ses parens ou son tuteur. Si le pupille, malgré ces avertissemens ou des châtimens infligés à domicile, ne s’améliore pas, le tribunal ordonne de l’enlever à ses gardiens et de le placer dans une école industrielle ou dans un internat correctionnel.

Si les parens y consentent, le placement hors du foyer peut être ordonné : en province, par le président du tribunal du district, et à Copenhague, par le préfet de police. Sinon, c’est l’autorité supérieure seule, à savoir le préfet ou le ministre de la Justice, qui a le droit d’ordonner le transfert de l’enfant réfractaire dans un autre foyer et de déléguer l’autorité éducative à d’autres que le père ou la mère. On recommande, sauf des cas exceptionnels, d’épargner à l’enfant le séjour à la prison préventive.

De beaucoup plus importante est la loi du 14 avril 1905 sur le traitement des enfans et adolescens négligés et délinquans, car c’est elle qui a organisé partout les Conseils de tutelle. Elle se divise en huit titres ou chapitres. Le premier spécifie les mineurs, à qui elle s’applique et qu’elle divise en quatre catégories : 1° Adolescens mineurs de dix-huit ans, ayant commis des actes coupables, témoignant de leur dépravation, mais qui, en raison de leur âge, sont exempts de peine ; 2° adolescens de quinze à dix-huit ans qui, par suite d’une éducation défectueuse, manquent de la maturité de raison normale ; 3° enfans mineurs de quinze ans, moralement corrompus ou en danger moral par suite de l’entourage ; 4° enfans mineurs de quinze ans, maltraités ou souffrant dans leur développement physique et moral.

En outre, les enfans d’âge scolaire, en cas de fautes répétées en classe, voire de paresse invétérée, peuvent être enlevés à leur famille, pour une durée de six mois au plus, et placés dans une Ecole de discipline.

D’après le chapitre II, des Conseils de tutelle sont établis dans toute commune rurale ou urbaine de moins de 10 000 âmes. Ce conseil se compose de cinq membres : trois élus par le Conseil municipal, dont deux peuvent être des femmes, le pasteur de la paroisse, l’instituteur ou l’institutrice. A Copenhague et dans les villes de province de plus de 10 000 âmes, il y a autant de Conseils de tutelle que le ministre de la Justice le décide et chacun se compose de sept membres, dont un médecin et une femme élus par le Conseil municipal. Il y a en outre un Conseil supérieur de tutelle, composé de trois membres et siégeant à Copenhague, chargé de surveiller et de coordonner l’activité des Conseils de tutelle et de trancher les cas graves. — L’Assistance publique, de son côté, a le devoir de contrôler l’éducation donnée aux enfans des indigens qu’elle secourt. De sorte, qu’en fait, il n’y a pas moins de trois autorités chargées de la protection des enfans : le bureau de bienfaisance et les divers agens de l’Assistance publique ; le Conseil municipal ; le Conseil de tutelle.

C’est le titre III de la loi du 14 avril 1905 qui détermine les mesures que le Conseil de tutelle doit prendre pour l’enfant en détresse. Le point capital est d’intervenir en temps utile, car, suivant la juste remarque de M. Axel Petersen[16], « mieux on préservera, moins il restera à sauver. » Le législateur danois a d’ailleurs sagement gradué les moyens d’action. D’abord, le président du Conseil de tutelle adressera un avertissement aux parens, au tuteur ou à l’enfant, et, s’il y a eu déjà faute grave, cela sera noté sur un registre. En cas de nécessité, le Conseil pourra donner à l’enfant un tuteur spécial : pour une fille ou un enfant de moins de sept ans, ce sera toujours une femme qui, volontairement, s’engage à surveiller la façon dont l’enfant est traité dans sa famille et éduqué à l’école. Si ce tuteur ou si la tutrice s’aperçoit que la misère est la cause principale du manque d’éducation dont l’enfant souffre, il en informe tout de suite le Conseil qui, en ce cas, sollicite un secours du bureau de bienfaisance. Si, au contraire, il constate qu’il y a mauvaise volonté de la part des parens, le Conseil de tutelle, avisé, adressera à ceux-ci une injonction plus formelle, et, au besoin, pourra décider que le pupille soit envoyé dans une école professionnelle ou un asile-ouvroir. Si l’enfant est déjà tellement vicieux que son contact pourrait contaminer ses camarades, on le retirera de l’école publique, pour le placer dans un internat correctionnel. Enfin, au cas où tous ces moyens seraient infructueux, le Conseil a le droit, pour prévenir une dépravation pire, de retirer son pupille du foyer corrompu et de le placer dans un asile d’enfans ou dans un internat correctionnel, et, quand il sera amélioré, dans une famille honorable. Le choix du lieu de placement du pupille ainsi enlevé à ses père et mère doit toujours être soumis à la ratification du Conseil supérieur de tutelle. Les chapitres IV à VIII traitent de l’exécution des mesures autorisées par ladite loi, des asiles d’enfans et autres maisons d’éducation, de la cessation des mesures prises, de la détermination des peines et de la manière de pourvoir aux dépenses occasionnées par la loi.

Trois caractères nous ont paru dignes de remarque dans cette législation : d’abord, la multiplicité des autorités chargées de protéger l’enfant : l’Assistance publique, les Conseils municipaux, les Conseils de tutelle ; pour éviter les conflits entre elles, le législateur a bien délimité leurs attributions respectives et les a soumises à un arbitre suprême : le ministre de la Justice. En deuxième lieu, la large part faite aux femmes et aux ministres du culte dans les conseils de tutelle. Enfin la variété des institutions servant à préserver ou à redresser l’enfant. En voici rémunération : la crèche ou garderie de petit enfans (Asyl), l’asile-ouvroir (Arbejdstue ou Fortsettning-Asyl), l’asile d’enfans (Bœrnchjem), l’asile d’observation (Optagelsehjem), l’école industrielle (Dagarbedskole), la maison d’éducation (Opfostringhjem), l’internat correctionnel (Skothjem), etc. Voici deux des plus originales : l’Optagelsehjem, qui n’existe sur une large échelle qu’en Danemark ; c’est une maison où l’on place l’enfant réfractaire ou de nature sournoise pendant des semaines ou des mois, afin de l’observer de plus près, de déchiffrer son caractère et de savoir à quel régime on doit le soumettre. L’école-jardin (trœgaardskole), créée par M. Lindholm, instituteur à Copenhague, est une manière ingénieuse d’intéresser les écoliers à la culture des végétaux en guise de récréation et, en même temps, de leur donner des notions utiles sur les plantes et sur les insectes.

Les plus nombreuses de ces « pédagogies » sont les asiles d’enfans, créés par les sociétés particulières ; il n’y en a pas moins de trente-six, dans tout le Danemark, répartis dans toutes les villes de province. Le premier fut fondé à Copenhague en 1837, sous le titre de « Société pour le sauvetage des enfans négligés. » Tout en gardant leur autonomie, ces divers asiles se sont groupés, en 1894, en une organisation commune, afin de coordonner leurs efforts. Ils comptaient, en 1906, près de 3 000 enfans, en cours d’éducation, pour l’entretien desquels ils avaient dépensé 278 748 couronnes[17]. On aurait pu craindre que la loi du 14 avril 1905, entrée en vigueur en octobre de cette année, en organisant la tutelle officielle des moralement abandonnés, ne nuisît à ces œuvres d’initiative privée. Il n’en a rien été ; cette loi, au contraire, a excité chez ces Sociétés d’asiles pour enfans un nouveau zèle, afin d’être en mesure de fournir aux Conseils de tutelle des asiles bien appropriés aux diverses catégories de pupilles. N’est-ce pas un trait distinctif du Danemark et digne d’être imité par notre pays, que cet appel fait par l’État aux Sociétés d’initiative privée, laïques ou confessionnelles, et cette confiance réciproque des Sociétés et du législateur en vue de la protection morale de l’enfance ?

NORVEGE. — Nous serons brefs sur la législation norvégienne de l’enfance, parce qu’elle offre de grandes analogies avec celle du Danemark. C’est le 6 juin 1896 qu’ont été votées les lois sur l’enfance ; mais, par une coutume prudente, que nous avons déjà remarquée en Néerlande, elles ne sont entrées en vigueur que plusieurs années plus tard, le 1er septembre 1900.

Le législateur a élevé de dix à quatorze ans l’âge de la responsabilité pénale. Au-dessus de cet âge, si l’enfant a commis une faute grave, il peut être puni ; toutefois, jusqu’à seize ans, le tribunal, à côté de la peine, peut lui appliquer une mesure éducative. — Ces lois ont établi, dans toutes les communes, un Conseil de tutelle, composé de sept membres et revêtu des mêmes attributions qu’en Danemark.

Si l’enfant n’est encore qu’enclin au mal, le Conseil peut le placer dans une famille autre que la sienne ou dans un Asile d’enfans. Si l’enfant est déjà dépravé et peut corrompre ses camarades d’école, ou qu’il soit incorrigible, on le place dans un des trois établissemens suivans :

L’école correctionnelle (Tvangskol) : cette mesure a un caractère provisoire, au plus six mois, et l’école peut servir de lieu d’observation ;

L’internat à régime moins sévère (Skolehjem) : cette mesure s’applique à des enfans, mineurs de douze ans, dont l’inconduite n’est pas de nature grave ; on ne peut les y retenir au-delà de dix-huit ans ;

L’internat correctionnel à régime sévère : cette mesure s’applique aux enfans de plus de douze ans, ayant commis un délit et dont la mauvaise conduite accuse une grave démoralisation.

SUEDE. — Si de Norvège nous passons en Suède, nous y trouvons la protection de l’enfance exercée par l’État, de concert avec l’Eglise luthérienne, qui est, comme on sait, la religion nationale et officielle. C’est en 1902 et dans le même mois de juin qu’ont été votées les cinq lois qui régissent la matière. Nous ne nous arrêterons pas aux lois des 6 juin et 27 juin, qui s’occupent spécialement de la protection des enfans mineurs de sept ans, placés en nourrice ou en garde, moyennant finance, ou qui modifient les articles du Code pénal, ou la procédure à l’égard d’enfans délinquans, comme ne rentrant pas dans notre sujet. Il faut, en revanche, insister sur la loi du 13 juin 1902, sur les enfans moralement négligés au-dessous de quinze ans, et les enfans déjà dépravés au-dessus de cet âge. Elle institue dans chaque district scolaire un Conseil de tutelle (Barnavärdsnämd), chargé de veiller de près sur ces deux catégories d’enfans. A l’âge requis, le Conseil doit faire apprendre à son pupille un métier rémunérateur. Si l’enfant est difficile et s’il exerce une influence démoralisante sur ses camarades, le Conseil peut le placer dans un asile de protection (Skyddshem), dont chaque arrondissement doit être pourvu en nombre suffisant[18]. Si l’enfant, au contraire, est maltraité et risque d’être perverti par sa propre famille, il a le droit de l’y soustraire pour le placer dans une autre famille honnête ou dans un asile d’enfans. Si les parens ont des ressources, ils sont tenus de payer pour lui une pension. S’ils sont indigens, l’entretien du pupille est à la charge du bureau de bienfaisance. L’éducation de ces pupilles a pour base la religion et pour objet d’en faire de bons citoyens et d’habiles ouvriers. Comme en Danemark, d’ailleurs, l’Etat suédois ne craint pas de faire appel au concours de l’Eglise, des municipalités et des sociétés d’initiative privée.

L’Eglise luthérienne est chargée de l’inspection générale des écoles primaires et primaires supérieures, elle a toujours considéré comme son premier devoir le patronage des garçons et des jeunes filles, à l’époque critique de la sortie de l’école et de l’apprentissage. En conséquence, elle a fondé ou encouragé les « Unions d’anciens catéchumènes » et les « Sociétés de la jeunesse. » Là, sous la présidence du pasteur, les adolescens de chaque paroisse étudient les questions morales, littéraires ou sociales et ils trouvent des jeux et des moyens de récréation saine, qui les préservent des mauvaises compagnies. Il faut mentionner, en outre, l’ « Organisation nationale de la jeunesse, » qui a des succursales dans chaque province et est particulièrement vivante en Dalécarlie. Plusieurs de ces sociétés publient des bulletins mensuels, qui servent de trait d’union entre les anciens et les nouveaux membres[19].

La plus remarquable de ces institutions suédoises est, à mon sens, celle des asiles-ouvroirs pour enfans (Arbetsstugor for Barn) fondée à Stockholm en 1886, par Mme Anna Hierta-Retzius, en vue de préserver les enfans pauvres de sept à quatorze ans du vagabondage, en dehors des heures de classe et de leur inculquer le goût du travail manuel. A cet effet, elle a ouvert dans les dix paroisses ou quartiers de Stockholm des salles de travail capables de recevoir de 60 à 200 enfans. Ce sont les instituteurs ou institutrices d’école primaire, qui font la sélection des enfans les plus indigens ou les plus négligés. Les plus jeunes, de sept à dix ans, sont recueillis de onze heures à une heure après-midi et y prennent le dîner qui, en Suède, se fait à cette dernière heure. Les aînés, de dix à quatorze ans, viennent à l’ouvroir de cinq à sept heures du soir et y prennent le souper. Un certain nombre d’enfans y sont gardés de une à sept heures et demie du soir : ceux-ci, les privilégiés, sans doute parce que les plus déshérités en fait de vie de famille y dînent, font leurs devoirs ou apprennent leurs leçons, et s’exercent au travail manuel[20]. Ces pauvres écoliers sont très fiers de montrer à leurs parens leur premier ouvrage, et de gagner un peu d’argent ; ils s’attachent beaucoup à leurs ouvroirs.

Les résultats, obtenus par Mme Hetzius, au point de vue du vagabondage et des délits qui s’ensuivent, ont été si considérables au bout de quelques années que la plupart des conseils de paroisse ont résolu de lui fournir gratuitement les locaux et que le Conseil municipal de Stockholm a alloué à son œuvre une subvention de 20 000 francs par an. De la capitale, cette utile institution s’est répandue dans toutes les villes de Suède, où l’on compte maintenant soixante-dix de ces ouvroirs.

L’idée de garder les enfans, pendant l’absence des parens hors de leur foyer, qui a son prototype dans la crèche créée par F. Marbeau en 1840, est si juste et répond à un besoin si général, qu’elle est venue à l’esprit de philanthropes de pays divers : en 1880, Mlles Malan, les filles de César Malan, le théologien bien connu, fondaient à Genève une garderie scolaire et nous apprenons qu’à Paris MM. Henri Monnier et H. de Peyster sont en train d’en organiser de semblables. Le journal « la Française » vient aussi de convier les dames du monde à consacrer une journée par semaine à la garde des écoliers, dans les mêmes conditions.


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Essayons, en terminant, de comparer les lois et les institutions françaises avec celles des Pays-Bas et des pays Scandinaves. Ces dernières, en effet, sauf des nuances de détails, offrent beaucoup de ressemblance et peuvent être groupées ensemble. La législation sur l’enfance, y étant de date plus récente, est plus homogène et mieux coordonnée. Elle donne aux autorités municipales, judiciaires, ou à l’Assistance publique plus de facilité pour retirer l’enfant en danger moral à des parens vicieux et permet, sans déclarer ceux-ci à jamais déchus de leurs droits paternels, de les en décharger provisoirement ; enfin, elle fait une plus large part aux femmes dans les inspections et dans-les conseils de tutelle. Outre les écoles de réforme et les internats correctionnels, il y a dans ces pays du Nord une grande variété d’asiles privés correspondant à toutes les notes du clavier de la misère des enfans. Mais, ce qui nous y a frappés surtout, c’est l’appel fait par l’Etat au concours des Eglises et des associations privées, et l’entente féconde régnant entre les diverses autorités qui concourent au sauvetage de l’enfance moralement abandonnée.

Chez nous, au contraire, la part faite à l’Etat, c’est-à-dire à l’Assistance publique, est beaucoup trop considérable et tend à s’accroître encore, depuis trois ans, de tout ce que les lois de juin 1904 ont retiré à l’Administration pénitentiaire. Le système d’inspection et de tutelle est maintenant bien organisé, mais par l’effet de la tendance à tout laïciser, l’Etat montre une méfiance de plus en plus grande, et souvent peu justifiée, à l’égard des colonies et des autres institutions de préservation à base religieuse. Notre magistrature, par un respect scrupuleux pour l’autorité paternelle, qui l’emporte sur le souci de l’enfance malheureuse, répugne à prononcer la déchéance en vertu de la loi du 24 juillet 1889. Enfin, faut-il l’avouer ? il y a souvent peu d’accord entre le Parquet et la Préfecture de police, entre les juges d’instruction et l’Assistance publique, pour les mesures de préservation à appliquer. À ce point de vue, les Etats-Unis d’Amérique sont en avance sur nous, par leur création des tribunaux d’enfans, qui, d’ailleurs, ont reçu en France un commencement d’exécution.

Après avoir marqué les différences, voici les traits communs aux législations française et étrangères. L’enfant de douze à dix-huit ans, enclin au vice, n’est plus assimilé à un adulte ; il est traité comme un être non encore formé, ou plutôt déformé par la faute des éducateurs et souvent victime de tares héréditaires. Il y a dès lors, une tendance générale à le confier aux établissemens d’assistance publique ou privée, pour le préserver ou le redresser, et c’est seulement en cas d’extrême indocilité ou de dépravation irrémédiable qu’on le remet à l’Administration pénitentiaire. Le système d’amélioration qui a partout donné les meilleurs résultats, c’est le placement à la campagne, dans des familles de paysans. Une expérience de plus d’un demi-siècle n’a fait que confirmer la vue profonde de M. Demetz : « améliorer la terre par l’homme et l’homme par la terre, » et cela est aussi vrai pour les jeunes filles que pour les garçons.

Lors d’une des inondations maritimes qui ravagèrent la Hollande au moyen âge, on raconte que seules quelques barques de pêcheurs et quelques berceaux d’osier renfermant des nourrissons échappèrent à la catastrophe, qui en une nuit engloutit soixante-douze villages avec leurs habitans. Deux ou trois enfans, nouveaux Moïses, survécurent, et, en mémoire de la digue où le flot porta leur nacelle, le lieu garde encore le nom de Kinderdyk, c’est-à-dire la « digue des enfans. » Dans le flot fangeux de vices et de crimes, qui inonde nos grandes villes et menace de submerger la population honnête, les asiles protecteurs de l’enfance jouent le rôle de ces berceaux et de ces digues. Multiplions-les, afin de préparer à la France de l’avenir des générations de bons citoyens.


GASTON BONET-MAURY.

  1. Le législateur avait, d’ailleurs, été précédé dans cette voie par les grands philanthropes qui s’appellent A. de Gasparin, Demetz et la Mère Marie-Ernestine, qui venaient d’ouvrir les premières maisons de correction par le travail agricole.
  2. L’article 2 a été heureusement modifié par la loi du 19 avril 1898, qui a élevé de douze à seize ans la limite d’âge, jusqu’à laquelle les acrobates peuvent faire travailler leurs enfans.
  3. Cette lacune a été comblée par la loi du 24 juillet 1889.
  4. Voyez la loi du 15 pluviôse an XIII. Le règlement, prévu par l’article 22 de la loi de 1889 et qui devait déterminer le mode de surveillance du préfet et de la tutelle de l’Assistance publique, n’a été rédigé qu’en 1905, sous l’administration de M. L. Mirman, et a été soumis, le 2 décembre de cette année, à l’examen du Conseil supérieur de l’Assistance publique, qui a nommé M. Brueyre rapporteur, Il a été promulgué par décret, rendu en Conseil d’État, le 12 avril 1907.
  5. Voyez pourtant l’article 5 de la loi du 24 juillet 1889, qui permet à la Chambre du Conseil d’ordonner des mesures provisoires pour la garde et l’éducation de l’enfant.
  6. Voyez le lumineux rapport de M. L. Brueyre dans les fascicules 27 et 31 des Procès-verbaux dudit Conseil.
  7. Le Conseil d’État est saisi d’un projet de décret pour la création de ces maisons.
  8. Elle a créé, à l’instar du Comité de Bruxelles, un sous-comité de jeunes avocats, présidé par M. le conseiller Flandin et qui se répartissent les dossiers des jeunes délinquans dont ils prennent la défense.
  9. Voyez-en la liste longue et pourtant incomplète, à la fin du Code de l’enfance traduite en justice. Paris, 1904, chez Rousseau.
  10. Voyez l’article de M. J. Gaufrés, dans le Dictionnaire de Pédagogie, de F. Buisson, Paris, 1887.
  11. Elle a pour président M. John Shorthall, avocat, et publie un bulletin mensuel appelé « Humane Advocate ».
  12. On essaie, en ce moment, en France, ce mode de mise en liberté nouvelle ; mais il faut attendre encore quelque temps avant de se prononcer sur son efficacité.
  13. Dans le Rasp-huis les hommes étaient employés à râper du bois de campêche pour la teinture et dans le Spin-huis les femmes niaient la laine.
  14. Nous devons ces renseignemens à M. Adrien Van Hamel, fils de l’éminent professeur de droit et criminaliste d’Amsterdam.
  15. Il n’y en avait pas moins de 240 sous son règne.
  16. Tous nos renseignemens sont empruntés à deux volumes de M. Axel Petersen, juge-adjoint au tribunal criminel de Copenhague, qui font autorité dans la matière. Samfundet og Bœrnene (la Société et les enfans), Copenhague, 1904 et Det offentlige Bœrnetilsyn efler lovene of 1 og 14 april 1905 (la Surveillance publique des enfans d’après les lois du 1er et du 14 avril 1905).
  17. La couronne vaut environ 1 fr. 38.
  18. Un tel asile ne doit pas recevoir plus de 30 enfans.
  19. Ces informations précieuses nous ont été obligeamment fournies par M. X. Söderblom, ancien pasteur de l’église suédoise à Paris, actuellement professeur à l’Université d’Upsal.
  20. On enseigne aux garçons le découpage et la sculpture du bois (Slojd), la vannerie, la menuiserie, la réparations des chaussures (savetiers) ; quant aux jeunes filles, elles y apprennent la couture, les soins du ménage.