La Protection légale des animaux en France/Partie 2


SECONDE PARTIE

DES ANIMAUX CONSIDÉRÉS AU POINT DE VUE DE LEUR AMÉLIORATION PHYSIQUE



§ I. — Protection des animaux domestiques en général.

La loi du 2 juillet 1850, dite loi Grammont, réprime les mauvais traitements envers les animaux domestiques : cette idée protectrice n’est pas nouvelle, et nous en trouvons l’expression dans l’antiquité ; on lit, en effet, dans Plutarque que les Pythagoriciens voulaient qu’on usât de douceur envers les bêtes, afin de s’exercer à la douceur envers les hommes ; chez les anciens, ce qui disposa le mieux à la compassion envers les animaux, ce fut la croyance à la métempsycose, doctrine d’après laquelle l’âme, après la mort, revenait animer un autre corps d’homme ou d’animal jusqu’à sa complète purification.

On comprend que dans cet ordre d’idées les hommes fussent enclins à la compassion, puisque nul ne pouvait se promettre de ne pas devenir un jour bête de somme.

Deux mille ans plus tard, cette pensée de protection, quoique procédant d’une autre source, trouvait de l’écho chez un grand citoyen qui fut en même temps un profond moraliste et un habile physicien ; je veux parler de l’illustre Franklin, à qui la science doit l’appareil qui protège nos habitations, comme les États-Unis d’Amérique lui doivent leur indépendance de la domination anglaise. Franklin disait que l’enfant qui souffre en voyant maltraiter les animaux sera bon et généreux envers les hommes ; on peut dire de lui qu’il fut le type de la protection incarnée ; par ses écrits, il protégea la faiblesse des animaux contre la brutalité de leurs maîtres ; par l’invention du paratonnerre, il protégea les édifices ; par son courage civique, il protégea son pays et lui rendit la liberté :

Eripuit cœlo fulmen, sceptrumque tyrannis.

La théorie de la métempsycose n’est certainement pas ce qui a déterminé le général de Grammont à proposer la loi qui porte son nom ; le législateur moderne s’est inspiré des doctrines philosophiques du XVIIe et du XVIIIe siècle ; il a reconnu que les animaux ne sont pas de simples automates, comme l’avait soutenu Descartes, mais des êtres sensibles à la joie comme à la douleur.

C’était, en effet, une étrange doctrine que celle qui consistait à considérer les animaux comme des mécaniques perfectionnées, mais incapables de sensibilité. Descartes qui doutait de tout ne pouvait faire aux animaux la libéralité de leur accorder une âme sensitive, comme l’avait fait Aristote ; mais la doctrine cartésienne rencontra de très vives contradictions : au siècle dernier, Condillac, dans son Traité des animaux (1755) ; Bichat, dans ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1795) ; Cuvier, dans son Traité du régime animal distribué d’après son organisation (1816) ; de nos jours, Flourens et Blatin, dans leurs études sur la psychologie, ont démontré victorieusement que les animaux sont doués de mémoire, de sensibilité et souvent d’une assez grande intelligence ; il y a, en effet, chez eux deux forces primitives, l’instinct et l’intelligence ; ces deux forces sont distinctes : dans l’instinct, tout est aveugle, invariable et particulier, rien n’est modifiable ; le castor, par exemple, bâtit toujours sa cabane de la même façon, son industrie ne peut être employée à un autre travail ; ce travail, il ne l’a point appris, il y est poussé par une force irrésistible. Dans l’intelligence, au contraire, tout résulte de l’instruction ; le chien, le cheval obéissent par intelligence, ils apprennent même la signification de certains mots, ils obéissent parce qu’ils veulent obéir.

Les animaux sentent, ils éprouvent la douleur ; il convient de la leur épargner sans nécessité ; tel a été le but de la loi de 1850 dont l’article unique est ainsi conçu :

« Seront punis d’une amende de 5 à 15 francs et pourront l’être d’un à cinq jours de prison ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques.

« La peine de la prison sera toujours appliquée en cas de récidive. »

À quelles personnes s’applique cet article ? Est-ce à tout individu qui maltraite les animaux, ou seulement au propriétaire ou au conducteur de l’animal ?

La question est controversée, et certains auteurs, se basant sur l’esprit et même sur les termes généraux de la loi de 1850, enseignent que cette loi atteint tout mauvais traitement, qu’il vienne du maître de l’animal ou d’un étranger qui n’en a ni l’usage, ni la conduite, ni la garde. Cependant la Cour de cassation (Arrêt du 4 avril 1863) a décidé que la loi Grammont n’est applicable qu’aux propriétaires des animaux domestiques ou à ceux à qui est confiée la garde ou la conduite de ces animaux.

Quant aux étrangers, il existe des dispositions protectrices spéciales dans les articles 452, 453, 454 du Code pénal, qui, suivant les cas, prononcent des peines variant de six jours à cinq ans d’emprisonnement, si l’animal a été tué ; dans la loi du 28 septembre 1791, qui punit d’un mois à six mois de prison les blessures volontaires aux animaux d’autrui ; enfin dans la loi du 15 avril 1829, sur la pêche, qui punit de trois mois de prison et 200 francs d’amende ceux qui ont jeté dans les eaux des drogues de nature à enivrer ou à détruire le poisson.

La loi Grammont punit les mauvais traitements envers les animaux domestiques ; cette dénomination est des plus générales, et la Cour de cassation (Arrêt du 14 mars 1861) a décidé qu’elle s’applique à tous les animaux qui vivent, s’élèvent, sont nourris et se reproduisent par les soins de l’homme. Il faut donc entendre par animaux domestiques tous les animaux de service, les bêtes de trait, les bêtes de somme, les bêtes de monture, le bétail, la volaille, enfin tous les animaux qui vivent à l’état domestique, qui sont acclimatés et élevés parmi nous.

Les animaux qui vivent à l’état sauvage ne sont point protégés par la loi de 1850 ; une exception est faite en faveur des oiseaux par la loi du 3 mai 1844, sur la police de la chasse ; cette loi, en effet, donne aux préfets le droit de prendre des arrêtés pour prévenir la destruction des oiseaux et du gibier en général.

Les mauvais traitements ne sont point définis par la loi Grammont ; c’est là une question de fait laissée à l’appréciation du Tribunal de simple police : parmi les actes tombant sous l’application de la loi de 1850, on peut citer le chargement ou le travail excessif, l’entassement des animaux dans les voitures, les jeux qui ont pour effet leur mutilation, en un mot, suivant les Arrêts de Cassation des 22 août 1857 et 13 août 1858, tous mauvais traitements, qu’ils résultent soit d’actes directs de violence ou de brutalité, soit de tous autres actes volontaires, lorsque ces actes ont pour résultat d’occasionner aux animaux des souffrances que la nécessité ne justifie pas.

Les combats de coqs sont aujourd’hui réprimés, mais il a fallu de longues années avant de déraciner cet amusement sauvage qui remonte à l’antiquité ; chez les Grecs, il y avait le coq de combat que l’on considérait comme un symbole de la divinité : l’histoire nous rapporte que lorsque Thémistocle assiégeait une ville, il faisait combattre deux coqs à la vue de son armée, afin d’exhorter ses soldats à se conduire avec le même courage. Cet usage s’était aussi répandu chez les Romains, et l’on raconte que Septime-Sévère ne put conquérir la Bretagne avant d’avoir excité ses principaux officiers en faisant combattre tous les jours une paire de coqs devant eux. Ce divertissement cruel est aujourd’hui réprimé par les mœurs et les lois ; le courage militaire n’a pas besoin d’un pareil excitant, et notre armée est inspirée par un sentiment plus noble et plus élevé, l’amour de la patrie.

Les mauvais traitements doivent être abusifs ; il n’y aura pas abus si la correction exercée vis-à-vis de l’animal n’a pour but que de le dresser, de le faire marcher, s’il est paresseux ; mais si un conducteur, par exemple, comme nous le voyons trop souvent dans les rues, frappe brutalement ses chevaux qui ne peuvent marcher parce que la charrette est trop chargée, il y a abus, et le conducteur doit être l’objet d’un procès-verbal.

L’abus, pour être punissable, doit s’exercer dans un endroit public, dans un lieu où il occasionne un scandale ; le motif qui a fait admettre cette restriction, c’est que le domicile des citoyens étant inviolable, il ne fallait pas faire dégénérer en inquisition la protection accordée aux animaux ; mais il suffit que les mauvais traitements puissent être aperçus par le public, comme le seraient ceux exercés dans une cour, dans un chantier, un magasin ouvert ; peu importerait même que ce fût pendant la nuit, dans un lieu peu fréquenté.

En cette matière, les contraventions ne peuvent être constatées que par des agents de l’autorité ayant qualité pour dresser des procès-verbaux ; mais lorsque la conscience publique est indignée par des actes de brutalité commis en public, le devoir de tout citoyen est de prévenir les agents de l’autorité pour faire cesser le scandale ; c’est dans ce but qu’ont été organisées les Sociétés protectrices des animaux, dont la première fut créée à Paris, et dont les membres ont pour mission de stimuler le zèle des personnes chargées de constater les contraventions.

En Angleterre, aux États-Unis, ces Sociétés sont plus nombreuses qu’en France : espérons qu’avec le temps nous verrons augmenter ces sortes d’Associations dans notre pays qui a toujours donné l’exemple des idées généreuses.

Les Sociétés protectrices des animaux rendent d’utiles services ; non seulement elles obéissent à un sentiment respectable, puisqu’elles parlent pour ces êtres qui ne peuvent parler eux-mêmes, mais elles servent aussi l’intérêt privé, puisque les animaux domestiques seront toujours la première richesse du cultivateur, et qu’il importe de ne pas abréger par des brutalités la durée de leur existence : ces Sociétés ont, par cela même, droit à la sympathie de tous les hommes de cœur et l’autorité publique a le devoir de leur prêter son concours.

§ II. — Protection des oiseaux insectivores.

Pour être complètement étudiée, la question relative à la protection accordée par la loi aux animaux doit être envisagée sous un autre point de vue : L’intérêt de l’agriculture.

Les naturalistes nous apprennent que c’est par milliers qu’il faut compter les espèces d’insectes nuisibles ; ces animaux, dont la fécondité est vraiment effrayante, vivent tous aux dépens du régime végétal, et détruisent non seulement les productions alimentaires, mais encore les arbres fruitiers et les bois des forêts.

Rien ne résiste aux ravages de ces parasites : l’olivier est attaqué par une mouche qui, munie d’une pointe fine, pique le fruit et y introduit un œuf ; de cet œuf sort une larve qui pénètre dans la chair jusqu’au noyau et finit par ronger l’olive ; les scolytes détruisent l’écorce de l’orme et du frêne : après avoir perforé l’épiderme de l’arbre, ces xylophages s’enfoncent à travers les couches corticales jusqu’à l’aubier et y creusent une galerie où ils déposent leurs œufs ; l’orme, le frêne et autres arbres de la même famille ne tardent pas à dépérir et leur fin prochaine s’annonce par des taches noirâtres qui se montrent sur la surface de leur écorce ; le bostriche commun, le charançon rongent les pins et les autres bois résineux ; le ver blanc, larve du hanneton, attaque le blé et les autres céréales ; le chêne est rongé par le lucane qui réduit les racines à l’état de tan, et par le cérambyx qui dévore les feuilles naissantes ; les courtilières coupent les racines des légumes ; enfin la pyrale se nourrit au détriment des bourgeons de la vigne, ravagée aussi par la cochylis et par le phylloxéra.

Cette énumération pourrait être multipliée : elle suffit pour démontrer l’étendue d’un mal que l’homme à lui seul est incapable de conjurer ; son œil n’est, la plupart du temps, pas même assez perçant pour apercevoir les ennemis des récoltes, et tous ses efforts seraient paralysés s’il n’avait pour auxiliaires les oiseaux insectivores.

Protéger ces oiseaux bienfaisants, c’est donc protéger l’agriculture ; leur faire une guerre aveugle, avec une multitude d’engins, c’est concourir à la propagation de tous ces ravageurs dont les mandibules et les vrilles broient et perforent les produits nécessaires à l’alimentation ou à l’utilité de l’homme.

On ne saurait prétendre que tous les oiseaux soient utiles à l’agriculture ; il en est même qui lui sont nuisibles, en ce sens qu’ils se nourrissent d’autres oiseaux insectivores. Mais, à cette exception près, qui comprend seulement l’ordre des rapaces diurnes (aigles, faucons, éperviers, vautours, milans, buses et busards), presque tous les oiseaux vulgairement appelés petits-pieds, rendent à l’agriculture les plus utiles services.

C’est ainsi, notamment, que l’hirondelle ne fait son butin qu’en volant continuellement et en poursuivant les insectes de tous côtés ; l’alouette se nourrit de vers, de larves d’insectes, de fourmis et de chenilles ; la fauvette avale de petits coléoptères, des papillons ; elle est insectivore et vermivore, et détruit la cecidomyie du blé ; la mésange dévore par an des milliers de chenilles et vaut à elle seule plus de dix échenilloirs : vive et pétillante, elle est toujours en mouvement, se suspendant aux plus faibles branches pour détacher les œufs des papillons collés sur les feuilles, détruisant ainsi plusieurs couvains d’insectes ; on prétend que chaque couple de mésanges absorbe cent vingt mille vers ou insectes pour élever ses petits ; le pinson fait la chasse aux courtilières dont les six pattes, dentées et tranchantes en dedans, coupent les racines des végétaux qui croissent dans les jardins potagers ; le rouge-gorge opère dans les broussailles, poursuit les insectes et dévore la teigne des blés ; le chardonneret consomme avidement les chardons et les empêche de se répandre dans les champs ; la bergeronnette se nourrit des vers que découvre la charrue ; elle suit les troupeaux et saisit les insectes qui les tourmentent ; le roitelet picore dans les haies et vit de larves et de vermisseaux ; il en est de même du rossignol qui se nourrit de chenilles et en fait une destruction considérable ; le pivert va becqueter jusqu’au cœur des arbres les larves des capricornes et des cossus qui se développent dans l’intérieur de l’orme, du chêne et du saule.

Les rapaces nocturnes, tels que la chouette, le hibou, l’effraye et le chat-huant, sont aussi des oiseaux utiles, car ils se nourrissent de rats, de souris, de hannetons, de musaraignes, de mulots et autres rongeurs de récoltes.

L’examen microscopique de l’estomac des oiseaux insectivores a permis de reconnaître les espèces d’insectes dont ils sont friands, et des expériences attentives ont même fixé le nombre approximatif des insectes dévorés dans un temps déterminé.

La loi du 3 mai 1844 et celle du 22 janvier 1874 protègent les animaux en ce sens qu’elles interdisent la poursuite du gibier dans la propriété d’autrui, qu’elles s’opposent à sa chasse en temps de neige, qu’elles punissent l’enlèvement des couvées, l’usage d’engins prohibés, et qu’elles subordonnent l’exercice de la chasse à certaines conditions.

Mais les prohibitions de la loi en matière de chasse sont-elles suffisamment tutélaires ? De nombreuses controverses se sont produites sur ce point. On a soutenu que la chasse ne devrait être permise qu’à tir et à courre, à cor et à cris, et qu’il y aurait lieu de supprimer le paragraphe 3 de l’article 9 de la loi du 3 mai 1844, qui donne aux préfets le droit de déterminer l’époque de la chasse des oiseaux de passage, de prendre des arrêtés pour prévenir la destruction des oiseaux et pour interdire la chasse en temps de neige. Ces prohibitions, a-t-on ajouté, devraient figurer dans la loi, au lieu d’être laissées à l’appréciation des préfets.

À mon sens, l’interdiction absolue de la chasse faite autrement qu’à tir et à courre, à cor et à cris, serait une mesure exagérée et tout à fait impopulaire ; ce qu’il faut réprimer, c’est l’abus dans la chasse aux petits oiseaux : il est donc nécessaire que les tribunaux soient sévères vis-à-vis des délinquants qui emploient des engins prohibés par la loi ou par les arrêtés préfectoraux, tels que collets, espérinques, lacets, raquettes, pièges dits léques, etc., qui détruisent des millions d’oiseaux, après les avoir fait horriblement souffrir.

Il serait à désirer que la chasse aux oiseaux de passage au moyen du filet ou de la glu fût réglementée de manière à empêcher la destruction des oiseaux utiles, mais la prohibition absolue de ce mode de chasse ne me paraît pas indispensable ; j’en dirai autant de la chasse au poste qui s’attaque surtout aux granivores. L’essentiel est de ne pas rompre l’équilibre que la nature a établi entre la production et la destruction ; ce qu’il faut, c’est ne pas créer au profit des insectes nuisibles une prépondérance qui est pour beaucoup dans les maladies dont sont atteints les végétaux : pour cela, il est nécessaire d’introduire dans la loi sur la police de la chasse des pénalités sévères et corporelles contre ceux qui détruisent les œufs et les couvées de petits oiseaux ; la loi de 1844 ne parle que des œufs et couvées des faisans, des perdrix et des cailles ; on devrait généraliser cette défense à tous les nids des petits oiseaux, au lieu de laisser aux préfets le soin de prendre des arrêtés à cet égard ; la protection des jeunes couvées serait bien plus assurée, surtout si des peines sérieuses étaient appliquées aux délinquants.

La chasse en temps de neige devrait aussi être formellement interdite par la loi, de même que la destruction de tous les oiseaux qu’un règlement d’administration publique déterminerait comme utiles à l’agriculture ; enfin, la construction, la vente de tout engin considéré comme instrument de chasse des oiseaux utiles, devrait être rigoureusement, défendue. On concilierait ainsi l’intérêt agricole avec le plaisir de la chasse qui, faite dans des conditions normales, est à la fois l’exercice d’un droit naturel et une distraction des plus légitimes.

Il fut un temps où l’on procédait judiciairement contre les animaux nuisibles ou malfaisants ; dans son commentaire de la loi du 24 décembre 1888, M. Carré (page 52) nous apprend que de 1120 à 1321, on compta quatre-vingt-quatorze procès intentés directement à des taureaux, à des vaches, à des juments, et même à des limaces ; en 1403, à Meulan, près Versailles, une truie qui avait dévoré un enfant, fut condamnée solennellement à être pendue et fut exécutée par un bourreau venu exprès de Paris, à qui l’on accorda 54 sols pour frais de voyage. Les chroniques du temps nous rapportent que des évêques de Lausanne prononçaient même l’excommunication des animaux malfaisants ; certaines officialités du moyen âge rendaient des arrêts de déguerpissement ; l’histoire n’ajoute pas que ces sentences aient été obéies, et personne n’a soutenu que les sauterelles, les hannetons et les chenilles n’aient pas continué à ravager les récoltes.

La destruction des insectes et cryptogames nuisibles à l’agriculture a fait l’objet d’une loi récente, en date du 29 décembre 1888, qu’il nous reste à parcourir sommairement.

Aux termes de cette loi, les préfets doivent prendre les mesures nécessaires pour arrêter ou prévenir les dommages causés à l’agriculture par des insectes ou cryptogames et autres végétaux nuisibles ; ces arrêtés indiquent les modes spéciaux de destruction à employer.

Les propriétaires fermiers ou colons sont tenus d’exécuter les mesures prescrites, et doivent, pour permettre la destruction, ouvrir leurs terrains clos à la réquisition des agents de l’autorité.

En cas de refus dans les délais fixés, le contrevenant est cité devant le tribunal de simple police et tenu des frais d’exécution des travaux ordonnés d’office par le maire ; il est de plus condamné à une amende de 6 à 15 francs ; en cas de récidive, un emprisonnement de cinq jours peut être prononcé.

La loi du 28 ventôse an XI sur l’échenillage est abrogée, ainsi que le § 8 de l’article 471 du code pénal, fixant la pénalité pour défaut d’échenillage.

Enfin, l’exécution provisoire du jugement peut être ordonnée nonobstant opposition ou appel, sur minute et avant enregistrement.

Comme on le voit, l’intérêt général est engagé dans la question de destruction des insectes nuisibles, et la loi du 24 décembre 1888 constitue une innovation des plus utiles à l’agriculture.

§ III. — Protection résultant des lois sur la pêche fluviale.

La police de la pêche fluviale est actuellement régie par les lois du 15 avril 1829, du 6 juin 1840, du 31 mai 1865, le règlement du 10 août 1875, le décret du 18 mai 1878, et celui du 27 décembre 1889.

De l’ensemble de ces dispositions, il résulte que l’on ne peut pêcher librement dans les fleuves et rivières faisant partie du domaine public, ni même dans les cours d’eau appartenant à des particuliers ; la permission du propriétaire est nécessaire sous peine d’une amende de 20 à 100 francs.

Aucune permission n’est nécessaire pour pêcher à la ligne dans les cours d’eau appartenant à l’État, mais la ligne doit être flottante et tenue à la main ; il y aurait donc délit si la ligne était dormante et de fond, c’est-à-dire dépourvue de flotteur et garnie de plombs qui entraînent l’appât au fond de l’eau, ainsi que l’a décidé la Cour de Lyon par arrêt du 28 novembre 1850 ; toutefois, la Cour de Douai (27 septembre 1844), la Cour de Paris (21 mai 1851 et 5 février 1862) ont jugé que, quoique dépourvue de flotteur, la ligne ne devrait pas être considérée comme dormante, si elle était constamment soumise au mouvement du flot sans pouvoir descendre au fond des eaux. Peu importerait du reste que la ligne eût plusieurs hameçons, ainsi que l’a déclaré la Cour de Paris, le 21 mai 1851, sur l’appel d’un jugement rendu par le Tribunal de Versailles, le 24 décembre 1844.

La ligne doit être tenue à la main ; il n’est donc pas permis de la déposer sur le bord du cours d’eau. (Arrêt de la Cour de Bourges, du 12 octobre 1839.)

L’article 5 de la loi du 15 avril 1829 interdit formellement toute espèce de pêches, même celle à la ligne, en temps de frai. Le temps de frai est déterminé par les décrets du 10 août 1875 et du 27 décembre 1889 ; il est fixé comme il suit : 1o du 30 septembre au 10 janvier, est interdite la pêche du saumon, de la truite et de l’ombre-chevalier ; 2o du 15 novembre au 31 décembre, celle du lavaret, espèce de truite des lacs de Suisse ; 3o du 15 avril au 15 juin, celle de tous les autres poissons et de l’écrevisse.

Un décret du 2 avril 1880 interdit de laisser les oies, les canards, les cygnes et autres animaux aquatiques susceptibles de détruire le frai du poisson, sur les cours d’eau, pendant le temps du frai.

Les préfets peuvent étendre exceptionnellement l’interdiction de pêcher, pendant le temps de frai, à toutes les espèces de poissons, augmenter la durée des périodes d’interdiction, autoriser la pêche de l’alose, de l’anguille, de la lamproie et des autres poissons vivant alternativement dans les eaux douces et les eaux salées, et enfin fixer une période d’interdiction pour la pêche de la grenouille. (Art. 2 du décret du 10 août 1875.)

Les filets traînants, les lacets ou collets sont prohibés par le décret du 18 mai 1878, article 13. L’article 14 défend d’établir dans les cours d’eau des appareils ayant pour objet de rassembler le poisson dans des noues, boires, fossés ou mares dont il ne pourrait plus sortir, ou de le contraindre à passer par une issue garnie de pièges.

La pêche à la main est formellement interdite par l’article 15 ; c’est, en effet, un procédé des plus destructeurs, puni de l’amende prononcée par l’article 28 de la loi de 1829.

On ne peut non plus se servir d’armes à feu, de poudre de mine, de dynamite ou de toute autre substance explosive ; l’emploi de la dynamite rendrait le délinquant passible des peines édictées par l’article 25 de la loi du 15 avril 1829, cette substance rentrant évidemment dans la classe des drogues de nature à enivrer ou à détruire le poisson. Une disposition analogue se trouve dans la loi du 3 mai 1844, qui punit ceux qui auront employé des drogues ou appâts de nature à enivrer le gibier ou à le détruire. Nous avons vu précédemment que l’empoisonnement des poissons dans les étangs, viviers ou réservoirs est puni de peines plus sévères (un an à cinq ans) par l’article 452 du code pénal.

Il nous a paru que l’examen des lois sur la police de la pêche fluviale devait, au même titre que l’étude des lois sur la police de la chasse, trouver place dans le travail d’ensemble que nous avons présenté sur la législation protectrice des animaux. Toutes ces lois, en effet, ont de l’analogie en ce sens que toutes tendent à la conservation des animaux ; mais les lois sur la pêche n’ont pour but que la conservation du poisson dans l’intérêt de l’homme, tandis que les lois sur la chasse protègent le gibier non seulement dans un intérêt d’alimentation, mais encore dans l’intérêt de l’agriculture elle-même.


FIN.