La Promenade du Cours (1630)




La Promenade du Cours1 à Paris.
M.DC.XXX.

Ces carosses dont la rencontre
Contente si fort nos esprits,
Tous ces beaux objects que Paris
Meine au Cours pour en faire montre,
Tirsis, est-ce pas un plaisir
Qui merite que ton plaisir
Luy donne une heure en la journée ?
Comme l’hyver meme au printemps,
Le travail de la matinée
Nous convie à ce passe-temps.

Le Cours n’est pas chose nouvelle,
Puisque tout court en l’univers
Et que ses mouvemens divers
En rendent la face plus belle.
Ne voyons nous pas mesme un cours
Au ciel, aux planettes, aux jours ?
Les eaux courent dessus la terre,
Les vents courent parmy les airs ;
Voit-on pas rouler le tonnerre
Après le signal des esclairs ?

Entrons dans ce palais de Flore2
Où son soin entretient des fleurs
Avec de plus vives couleurs
Que les lumières de l’aurore :
On diroit, à voir l’ornement
De ce pompeux ameublement,
Que la terre toute orgueilleuse
Veuille combattre avec les cieux,
En cette saison amoureuse,
À qui se parera le mieux.

Ce champ de tulipes diverses
Retire l’ame du soucy,
Et plusieurs viennent perdre icy
La mémoire de leurs traverses.
La nature en ces beaux effects,
Pour nous rendre plus satisfaits,
Semble avoir usé d’artifice :
Mesme elle en tire de son sein
Quelques fois plutost par caprice
Que non pas avec du dessein.

Mais ce sont subjets d’inconstance
Qui se laissent aller au temps ;
Cherchons des objets plus constans
Et qui luy lassent resistance.
Toute cette confusion
N’est qu’une vaine illusion :
Au sentiment des hommes sages,
Un esclat qui dure si peu
Vaut bien moins que ces beaux visages
Qui cachent un cœur tout de feu.

À voir du haut de la Bastille
Tant de carosses à la fois,
Qui ne croiroit que quatre roys
Font leur entrée en ceste ville ?
Le soleil, dans l’estonnement
De les voir si superbement
Fouler une mesme carrière,
Voudroit bien descendre icy bas
Avec son coche et sa lumière
Pour y prendre aussi ses esbats.

Icy les dames plus discrettes
Communiquent à leurs amans,
Par de certains allechemens,
L’effect de leurs fiames secrettes.
De leurs regards, sans discourir,
Elles nous font vivre et mourir ;
Et cette aggreable licence
De s’entendre avec leurs appas
Est si juste que l’innocence
Ne nous en destourneroit pas.

Tirsis, tu seras idolatre,
De ce bel œil qui va passer.
Pour moy, je viens de trepasser
Devant ceste gorge d’albastre ;
Cette déesse a des cheveux
Qui me ravissent mille vœux ;
Mais que cet autre objet me touche !
Celui-cy sera mon vainqueur,
Mon ame est desjà sur ma bouche,
N’as-tu point veu sortir mon cœur ?

Tu cognois bien cette rieuse ?
Son roquentin3 n’est pas mal faict :
Vrayment, j’ay l’esprit satisfait ;
Mon humeur devient plus joyeuse
À voir cette bouche et ces yeux.
Le ciel ne sauroit faire mieux ;
On peint ainsi les belles choses,
Comme le soleil et l’Amour,
Ou l’Aurore en un lict de roses
Quand elle accouche d’un beau jour.

Ce resveur au fond du carosse
Medite sur ses pensions,
Et ses plus fortes passions
Regardent la mithre et la crosse ;
S’il voit venir un cardinal
C’est là le seul objet fatal
Qui passe jusques dans son ame ;
Et, comme il est ambitieux,
Cette vive couleur de flame
Est la plus charmante à ses yeux.

Amy, voicy venir les reines4,
Avec autant de majestez
Que toutes les divinitez
Qui sortent du bois de Vincennes.
Il faut que tant d’astres errans
Qui paroissent dessus les rangs
Deviennent fixes à leur veue :
Il se faut descouvrir icy.
Que Cloris n’est-elle venue ?
Je la verrois sans masque aussy5 !

Qui vit jamais une des Graces,
Et tout ce qu’elle avoit de beau,
Dira que voicy son tableau,
Que ce visage en a les traces.
Encor si ce fascheux cocher,
Quand nous le pouvons approcher,
Rendoit sa course un peu plus lente !
Que n’ay-je quelque invention
Pour arrester ceste Athalante,
Où j’ay mis mon affection !

Cette coquette, à la portière,
Fort mal instruite en son devoir,
Dans l’impatience de voir,
Regarde devant et derrière ;
On l’accuse de tous costez,
Et des collets qu’elle a gastez,
Et de la peine qu’elle donne ;
Mais, son esprit suivant ses yeux,
Elle est sourde, et n’entend personne
Que ses desirs trop curieux.

Qu’Aminthe sera regardée !
Mais je n’en ay point de soucy,
Pourveu qu’on n’emporte d’icy
Que sa memoire et son idée ;
Pourveu qu’elle garde sa foy,
Sa constance et ses feux pour moy,
Je me plairay dans sa victoire,
Et ceux que j’en verray mourir,
Je m’empescheray bien de croire
Qu’ils en puissent jamais guerir.

Ce fanfaron croit que les dames
Ne vont au Cours que pour le voir,
Et qu’on ne peut pas concevoir
Combien il leur donne de flame.
Ce cavalier vit de credit,
Car ces jours passez il perdit
Tous ses biens dessus une carte.
Cet autre, durant tout le Cours,
N’a songé qu’a la fièvre quarte,
Qui l’a quitté depuis huict jours.

Considère cette mignarde :
Elle a de quoy se faire aymer,
Et ses yeux me pourroient charmer
Si ce n’estoit qu’elle se farde.
Enfin, tous ses attraits pipeurs,
Se reduisans en des vapeurs,
Se perdront comme une fumée,
Et ceste merveille en beauté
N’aura plus que la renommée
De l’avoir autrefois esté.

Ce faiseur de vers, que l’estude
A rendu si pasle et défaict,
Est bien dans le Cours en effect,
Mais comme dans sa solitude ;
Il medite certaines loys
Qu’il mesure dessus ses doigts,
Et roule dans sa fantaisie
Quelques vieux fragmens mal appris,
Que la meilleure poësie
Condamne aux Chansons de Paris.

Approuve-tu cette fantasque,
Qui n’a point d’attraicts si puissans
Qu’elle en puisse ravir les sens,
Et ne met pourtant point de masque ?
Regarde ces petits amours
Dessus des carreaux de velours :
Que j’ayme ces jeunes visages,
Qui dans la fleur de leur printemps
Donnent desjà de beaux presages
De se faire aymer en leur temps !

Ces gens d’estat et de finances
Passent dedans le souvenir
Tous les moyens de parvenir
Et d’asseurer les espérances.
Ces cordons bleus, dans leurs discours,
Au milieu des plaisirs du Cours
Parlent du succez de la guerre ;
Ils condamnent les factieux ;
Et ces petits dieux de la terre
Font des desseins dignes des cieux.

Que ces deux mouches à la face
Et sur le beau sein de Philis,
Parmy les roses et les lys,
Luy donnent une bonne grace !
Cette autre avec tout son caquet
Fait plus de bruit qu’un perroquet ;
Je la trouve un peu trop folastre,
Et tous ses gestes affetez
Ressentent trop l’air du theatre
Pour arrester mes volontez.

Ces respects, ce profond silence,
Ces devoirs, et ces doux regards
Qu’on eslance de toutes pars
Avec un peu de nonchalance,
Ces charmes, ces enchantements,
Sont-ce pas des contentements
Qui flattent doucement une ame
Et la font resoudre à chérir
Tous les mouvemens d’une flame
Que la raison ne peut guerir ?

Cependant le jour diminue ;
Luy mesme a tantost fait son cours,
Sans avoir donné du secours
À nostre fievre continue.
À moins que d’aymer des prisons,
On ne doit rentrer aux maisons ;
Mais chacun retourne à la sienne.
Ô douceurs ! plaisirs sans pareils !
Dieux ! se peut-il que la nuit vienne
Au milieu de tant de soleils ?




1. Ce cours, dont nous avons déjà parlé (t. VII, p. 200, note), n’est pas le Cours-la-Reine, mais celui qu’on appeloit le cours « hors la porte Saint-Antoine ». En 1630, c’étoit encore la promenade par excellence. Pour lui disputer la vogue, celui de la reine-mère étoit encore trop nouvellement planté. (V. à ce sujet les Lettres patentes du 2 avril 1628, et Lemaire, Paris ancien et moderne, t. III, p. 386). Quand le succès de l’un, dû surtout à Bassompierre, s’il falloit en croire ce que dit Tallemant (1re édit., t. III, p. 18), eut remplacé le succès de l’autre, le cours de la porte Saint-Antoine ne fut pourtant pas tout à fait abandonné ; chacun eut sa saison. Quelle étoit celle de l’un, quelle étoit celle de l’autre ? C’est ce que tout homme du bel air ne devoit pas se permettre d’ignorer ; aussi proposoit-on,dans les Loix de la galanterie (édit. L. Lalanne, p. 20), de dresser un Almanach où « les vrais galands » eussent vu, entre autres choses, « quand commence le cours hors la porte Saint-Antoine et quand c’est que celuy de la reyne-mère a la vogue. » Vers 1672 le cours de la porte Saint-Antoine fut définitivement délaissé, les promeneurs restèrent dans la ville, lorsque, par un arrêt du 7 septembre de cette année-là et par un autre du 11 mars 1671, il eut été décidé qu’un nouveau cours seroit dressé et planté à quatre rangées d’ormes, à partir de la porte Saint-Antoine jusqu’à la porte Saint-Martin. C’est aujourd’hui le boulevard. (Germain Brice, Description de Paris, 1752, in-8, t. II, p. 242.)

2. C’est du jardin de l’Arsenal qu’il doit être ici question. Il régnoit en effet, dit G. Brice (t. II, p. 296), « sur le fossé de la ville », et avoit par conséquent vue sur le Cours. De toutes les parties de l’Arsenal, c’est ce jardin qui occupoit l’espace le plus considérable ; aussi Cl. Le Petit disoit-il dans son Paris ridicule :

Le sujet quadre-t-il au nom ?
On y compte plus de mille arbres,
Et l’on n’y voit pas un canon.

Les jardins ne manquoient pas d’ailleurs à proximité de ce cours. Un célèbre opérateur de ce temps-là, le dentiste Dupont, dont parle Tallemant (édit. in-12, t. X, p. 136), en avoit ouvert un à la Roquette, qui fut le Pré-Catelan du 17e siècle. Il y donnoit des fêtes publiques, avec danses, feu d’artifice, etc. Les piétons payoient une livre, les carrosses en payoient deux. C’étoit trop cher, il fut forcé de diminuer ses prix de moitié. (V. Loret, juin 1664.)

3. C’est-à-dire le muguet qui lui fait la cour. Ce mot rocantin avoit des sens bien différents : il signifioit tantôt une espèce de chanson, tantôt un jeune beau à la mode ; plus tard, quand les galants qu’il avoit servi à désigner eurent vieilli sans cesser de vouloir plaire encore, il partagea leur ridicule. On n’employa plus le mot rocantin sans le faire précéder de l’épithète de vieux, et il devint ainsi le synonyme de vieux fat.

4. Marie de Médicis et Anne d’Autriche. Quand le roi étoit à Saint-Maur, celle-ci, pour l’aller trouver, suivoit le Cours, et tous les prisonniers alors dans la Bastille montoient à la terrasse pour la regarder passer. Souvent il s’en trouvoit qui étoient là pour son service, et elle tâchoit, par quelque bon regard, de les consoler de cette captivité dont elle étoit la cause. La Porte fut dans ce cas, et voici ce qu’il raconte : « La reine vint à Paris, et passa par la porte Saint-Antoine, pour aller trouver le roi à Saint-Maur ; de quoi ayant été averti, je montai sur les tours pour la voir passer. Aussitôt qu’elle m’aperçut, elle descendit du devant de son carrosse et se mit à la portière pour me faire signe de la main, et me témoigner autant qu’elle pouvoit par ses signes de tête qu’elle étoit contente de moi et de ma conduite. » (Mémoires, anc. édit., p. 182.)

5. On sait que l’usage des dames étoit alors de porter le masque dans les promenades, et que les bourgeoises, en cela comme en toutes choses, s’efforçoient de les singer. (Caquets de l’Accouchée, p. 47, 105.) C’est en France surtout que cette mode étoit répandue ; aussi disoit-on en Espagne que c’étoit une mode françoise. (Roman comique, édit. V. Fournel, t. I, p. 49.) Quand les reines passoient, les hommes se découvroient, les dames ôtoient leurs masques.

6. Sur la mode des mouches, V. t. VII, p. 9, etc.