La Première campagne de Condé
Revue des Deux Mondes3e période, tome 56 (p. 721-750).
◄  01
03  ►
LA
PREMIERE CAMPAGNE DE CONDE
1643

II.
ROCROY.


VI. — MARCHE DES FRANÇAIS.

Le 15 mai, le duc d’Anguien, développant son plan de se rapprocher à la fois du détachement à rallier, des places à secourir, de l’ennemi à joindre, descend dans la vallée de l’Oise ; puis il dépasse Guise et remonte le cours de la rivière, se dirigeant vers l’est. Gassion est en avant et sur la gauche, avec deux mille chevaux ; il a liberté de manœuvre, ordre de chercher l’ennemi, de pourvoir aux incidens. Le convoi et une partie de l’infanterie forment la colonne de droite. Le 16, l’armée de Picardie s’arrête aux environs de Vervins, un de ses centres d’approvisionnement. Landrecies, Guise, La Capelle, n’étant plus menacés, ont rendu les détachemens qui avaient temporairement renforcé leurs garnisons ; Espenan a rejoint avec une bonne partie de ses troupes ; le quartier-général est à Foigny[2], antique abbaye de bernardins, sur le Thon, affluent de l’Oise. Dans cette journée, le duc d’Anguien apprit en même temps que Louis XIII était mort[3] et que depuis la veille la tranchée était ouverte devant Rocroy. Écoutons-le ; il dira mieux que nous quelle impression il reçut de cette double nouvelle et quelle résolution elle lui inspira. « Je ne saurois peindre, écrit-il au premier ministre, le desplaisir que toute cette armée a de la mort du Roy. J’espère que les ennemis de cet estat ne se prévaudront pas de ce malheur ; mais je vous puis assurer que cette armée ira droit, et contre ceux du dehors et contre ceux du dedans, s’il y en a d’assez meschans pour l’estre. Je marche demain (17) à Rocroy que les ennemis assiègent depuis hier (15) et serai là après demain (18). Je vous asseure que nous n’azarderons rien mal à propos, mais que nous ferons tout ce que nous pourrons pour le secourir[4]. » Nulle hésitation, mais pas d’illusion, ni de forfanterie ; le jeune prince est résolu, mais il se possède et termine sa lettre en indiquant ce qu’on devra faire du côté de la Bourgogne et de Thionville « pour donner jalousie aux ennemis si nous sommes assez malheureux pour ne pas réussir. » Puis il expédie à Gassion un ordre net et concis dans lequel respire la fermeté de son âme, lui donnant rendez-vous pour le lendemain à Bossus-lès-Rumigny, où rejoindront également les derniers détachemens en arrière. « De là, tous ensemble, nous marcherons aux ennemis[5]. »

Marcher aux ennemis ! sa pensée est tout entière dans ces trois mots que répète chacune de ses lettres depuis son arrivée à Amiens.

Le 17 mai, les voitures et une partie de l’infanterie, quittant les environs de Vervins, prennent une route un peu longue, mais abritée contre toute tentative des partisans, masquée par La Haye-d’Aubenton, un de ces massifs boisés aux pentes raides qui portent le nom de Haye dans le nord-est de la France. A Brunhamel, cette colonne rallie les derniers contingens tirés de la Champagne. Le gros des troupes, conduites par le général en chef et prêtes à combattre, suit la route extérieure et remonte la riante vallée du Thon. Vers midi, toute l’armée est concentrée dans un espace de 6 kilomètres, à Aubenton, Bossus et Rumigny ; il n’y a pas à compter sur un homme ou un cheval de plus. Le duc d’Anguien est à Rumigny, où il a réuni son lieutenant-général L’Hôpital, les deux maréchaux de camp Espenan et La Ferté, le maréchal de bataille[6], les doyens » des mestres de camp, Sirot pour la cavalerie et Persan[7] pour l’infanterie, le commandant de l’artillerie La Barre. — Gassion, vient d’arriver avec ses escadrons ; il descend de cheval, entre au conseil. et rend compte de ce que le lecteur a déjà, en partie deviné. Depuis trois jours, il n’a pas quitté la. selle, ni la piste des ennemis. D’abord, il a évité de les serrer de trop près pour ne pas leur donner l’éveil. Quand il les a vus établis devant Rocroy, il s’est approché, les a trouvés non retranchés, sans défiance et se gardant à peine. Dans la dernière nuit (16 au 17), il a pu pousser jusqu’aux glacis et jeter sur le chemin couvert, cent vingt fusiliers commandés par Saint-Martin, premier capitaine du régiment. En même temps, il a tâté les quartiers des ennemis, ramené quelques-uns de leurs postes, et le Gascon reparaît dans cette assertion un peu risquée : « Sans un petit marais j’aurais défait une bonne partie de leur infanterie[8]. » L’alerte donnée, il a fait rapidement, reculer sa troupe, l’a mise à l’abri ; lui-même, caché dans les bouquets De bois, il a attendu le jour pour bien lire le terrain et compléter sa reconnaissance. Il estime la force des ennemis à moins de trente mille hommes, décrit le site, l’accès difficile du plateau, les défilés, les bois et les marais, les avantages que la configuration du sol assure à l’assiégeant pour arrêter une armée de secours, l’emplacement des camps espagnols, la forme, l’étendue et les abords des positions qu’on peut se disputer en cas de bataille livrée près de la place. Quant à la place elle-même, elle serait peut-être prise sans le secours qu’elle a reçu ; si. elle, n’est promptement délivrée, elle sera rendue ou enlevée d’assaut avant trente-six heures., Et Gassion termine son rapport sans autre conclusion.

Après quelques mots de félicitation adressés au mestre de camp général de la cavalerie, le duc d’Anguien annonce à ses lieutenans la mort du roi, qui n’est encore connue que par une vague rumeur. Il expose brièvement la gravité des circonstances, le péril de l’état : toutes les forces disponibles sont réunies ; celles des Espagnols peuvent augmenter ; tout délai serait funeste, on ne peut, à l’aurore d’un règne, laisser l’ennemi pénétrer au cœur du royaume sans faire un effort pour l’arrêter. Le maréchal de L’Hôpital est d’avis qu’il faut tenter le secours de Rocroy, mais en évitant un engagement général. Les environs de la ville assiégée lui paraissent présenter un terrain favorable à la petite guerre ; autant il est difficile d’approcher de la place avec toute une armée, autant il est facile de pousser des partis jusqu’aux portes ; l’armée cependant prendra position sans entrer dans les bois, prête à recevoir l’ennemi si celui-ci veut franchir les défilés. Le maréchal voit un grand péril à tenter une aventure dont l’issue en ce moment peut être fatale. Chacun garde le silence ; personne, Gassion lui-même, n’ose conseiller la bataille. Le prince reprend la parole. Il démontre que l’opération restreinte ferait courir à l’armée tous les risques de la défaite sans aucune chance de victoire, et que tenter le secours, sans être résolu à livrer bataille, ne mènerait qu’à un désastre. Il faut aller chercher l’ennemi sous la muraille pour lui faire lâcher prise. Au reste, il ne s’agît pas de sauver Rocroy, mais de sauver l’état de France et la couronne du jeune roi.

Le langage du général en chef entraîne Gassion ; s’il n’a pas cru pouvoir émettre le premier un avis aussi hardi, il tient le parti pour bon. Il ajoute quelques détails topographiques sur les passages, sur les lieux en général ; puis il indique par quels procédés tactiques on peut atteindre le plateau et y prendre position. Sirot, la meilleure tête du conseil, Persan, homme d’action et ami personnel du prince, opinent comme Gassion. L’Hôpital persiste dans son sentiment ; les autres officiers l’appuient, ou se taisent. Le duc d’Anguien met fin à la conférence en donnant pour le lendemain l’ordre de marche, l’ordre de bataille et la distribution des commandemens. Ses instructions sont complètes et précises ; rien n’est omis, et « chacun, dit Sirot dans ses Mémoires, fut mis en pleine possession de ce qu’il devait faire. »


VII. — LES DEUX ARMÉES EN PRÉSENCE.

Le 18 mai, au jour, l’armée prit la direction de Rocroy. La revue d’effectif, passée la veille, avait donné un chiffre de vingt-trois mille combattans, dont quinze à seize mille hommes de pied, six à sept mille cavaliers, soit dix-huit bataillons et trente-deux escadrons. Les bagages restent à Aubenton ; les convois venant de la Champagne sont dirigés sur Aubigny. Vers huit heures du matin, la tête de colonne arrive au pied des versans boisés du plateau ; l’ennemi n’en a pas gardé les abords. Deux chemins mènent au sommet, l’un et l’autre médiocres ; à gauche, on trouvera plus de fondrières, à droite, des taillis moins clairs et des passages étroits, mais un sol ferme. Tandis que l’armée prend l’ordre de bataille pour faire halte, cinquante Croates, lancés en avant, éclairent les deux routes. Plusieurs « manches » de mousquetaires, enfans perdus, conduits par les sergents-majors des régimens[9], se répandent dans les bois et les fouillent, se servant des sentiers frayés par les pâtres et les bestiaux. L’avant-garde commandée par Gassion (quinze cents chevaux) suit le mouvement par la route de droite. Nul ennemi dans les bois. En arrivant au terrain découvert, nos éclaireurs rencontrent les premières vedettes espagnoles, soutenues par de petits postes qui sont facilement délogés par Gassion. Celui-ci déploie sa troupe, et marchant sur les traces des gardes ennemies en retraite, arrive au sommet de la pente, d’où il découvre, à 2,500 mètres environ, le clocher de Rocroy et quelques-uns des camps de l’ennemi. Déjà il peut voir aux abords de la place des troupes qui s’agitent.

Chevers, maréchal des logis de la cavalerie, est allé au galop informer le général en chef que les chemins sont libres, les abords du plateau dégagés et que l’armée espagnole n’est ni retranchée ni même rassemblée. Bientôt M. le Duc rejoint l’avant-garde avec deux mille chevaux de l’aile droite et les mousquetaires qui ont fouillé les bois. Il ne perd pas un instant pour jalonner sa ligne de combat ; car il a été si prompt, si habile et si heureux, que déjà il tient la position signalée par Gassion, et où il rêvait plutôt qu’il n’espérait de pouvoir livrer bataille.

Les fusiliers à cheval sont à gauche au-dessus d’un petit étang ; à droite, les Croates occupent une hauteur au milieu de bouquets de bois clairsemés. La cavalerie de l’aile droite se déploie en ordre étendu entre ces deux troupes, et les manches de mousquetaires se placent dans les intervalles des escadrons. Au-delà d’un pli de terrain où se sont arrêtées les vedettes espagnoles, le duc d’Anguien distingue en face de lui un groupe de cavaliers qui observent.

C’est don Francisco Melo, que nous avons laissé entouré de ses généraux, en avant de son front de bandière, cherchant à deviner l’importance, la profondeur de cette ligne serrée d’infanterie et de cavalerie, qui vient de se déployer sur la crête où il avait songé à porter son armée. Il était environ deux heures de l’après-midi.

Cependant la tête de l’infanterie française débouche du bois, tandis que le second corps de cavalerie arrive par la gauche. Les officiers-généraux et l’état-major se rendent auprès du général en chef. Celui-ci, jugeant que le terrain jalonné est trop étroit et qu’une de ses ailes pourrait être facilement tournée, pousse les Croates à droite et les fait soutenir par les cuirassiers de Gassion, car c’est la clé de la position qu’il faut occuper, et les piquets ennemis se sont repliés de ce côté en assez grand nombre ; mais ils reculent, sans résistance sérieuse, et la ligne de bataille est décidément tracée. Tandis que devant le front quelques cavaliers détachés, des deux armées échangent des coups de feu inoffensifs pour entretenir l’escarmouche, le duc d’Anguien donne ses ordres, indique aux maréchaux de camp et sergens de bataille la position des ailes de cavalerie, ainsi que les points où doivent être dirigées les deux colonnes d’infanterie qui se formeront concentriquement : celle de droite, « Picardie » en tête, fera vers la gauche en avant en bataille ; cette de gauche suivra « Piémont » pour faire vers la droite en avant en bataille[10]. Espenan commande la « bataille, » c’est-à-dire l’infanterie au centre ; La Ferté, la cavalerie de la gauche ; Gassion celle de la droite ; Sirot la réserve. Le général en chef a marqué sa place à la droite, entre l’infanterie et les troupes de Gassion. Son lieutenant-général occupe un poste semblable vers la gauche, près des escadrons de La Ferté.

Voici quelle est la disposition générale de l’armée française : au centre quinze bataillons en masse, de huit à neuf cents hommes chacun, disposés en échiquier sur deux lignes, avec intervalles assez larges pour permettre le jeu des réserves et le déploiement des lignes de feu ; l’artillerie (douze pièces) devant le front ; aux ailes, vingt-trois escadrons d’environ deux cents chevaux chacun, formant deux doubles lignes de colonnes ; avec trois escadrons en flèche à la droite et deux en observation à la gauche ; en réserve, trois bataillions et quatre escadrons intercalés ; en tout, dix-huit bataillons et trente-deux escadrons, donnant de vingt-deux à vingt-trois mille combattons, dont six ou sept mille cavaliers[11]. Le front, orienté du nord-ouest au sud-est et refusant la gauche, se développe à environ 2,000 mètres de la place assiégée sur une étendue de 2,500 mètres, dont 1,000 occupés par la bataille, c’est-à-dire par l’infanterie du centre.

Tout est « rièze, » c’est-à-dire lande, devant et autour de la ligne de combat, sauf vers la droite. Là, nos troupes postées en face d'une large arête qui conduit de plain-pied aux murs de Rocroy, sont rapprochées de la forêt qui s'étend jusqu'à la Meuse et dont se détachent quelques bouquets de bois clairsemés. Le terrain s'abaisse et se découvre graduellement devant le centre ; il devient marécageux vers la gauche, qui est arrêtée derrière un petit étang, aujourd'hui disparu, et que nous avons déjà mentionné. Cet étang est le seul obstacle naturel qui sépare les deux armées.

Le déploiement commencé entre trois et quatre heures s'acheva sous le feu du canon ennemi. L'armée du roi catholique, forte de vingt-six à vingt-huit mille combattans, s'établissait, le dos à Rocroy, sur une ligne à peu près parallèle au front de l'armée française, à environ 900 mètres, et en ordre moins étendu. Ses dix-huit pièces sont en batterie assez en avant et commencent à tirer entre quatre et cinq heures. Au centre, les tercios viejos, en cinq gros bataillons, ont : à leur droite, les Italiens, à leur gauche, les Comtois ou Bourguignons, et derrière eux, sur deux lignes, les Wallons et les Allemands. C’est « la bataille. » Rien de plus imposant que cette masse de dix-huit à vingt mille hommes resserrés sur un front de 800 mètres et formant comme une phalange, où l’œil distingue à peine l’écart des trois lignes et les intervalles qui séparent entre eux les huit bataillons de la première ligne. Fontaine est à la tête de cette redoutable infanterie ; parmi ceux qui le secondent on ne saurait oublier l’héroïque Velandia, les mestres de camp Ribeaucourt, Visconti, Ritberghe et Grammont, dont le nom est si connu dans la vallée de la Saône ; aujourd’hui encore les régimens espagnols Zamora (8e de ligne), Soria (9e) et Galice (19e) sont fiers de la généalogie militaire qui les rattache aux tercios commandés en 1643 par Garcies, Villalva et le sergent-major Juan Perez de Peralta.

Les cent cinq cornettes de cavalerie de don Francisco Melo sont aux deux ailes. A la gauche, le duc d’Albuquerque conduit les compagnies des Flandres et du Hainaut groupées en quinze escadrons ; il a auprès de lui don Juan de Vivera et don Pedro de Villamer. A la droite, le vaillant comte d’Isembourg amène la cavalerie d’Alsace, troupe éprouvée ; ses quatorze escadrons, qui étaient campés de l’autre côté de la place, arrivent successivement. D’une extrémité à l’autre de la ligne espagnole, on mesure un peu plus de 2,000 mètres. C’est vers sa gauche qu’elle est débordée par l’armée française. Cependant, le capitaine-général, entouré de ses gentilshommes, de ses écuyers et secrétaires, se place près de son aile droite. Il juge que le marais, l’étang, quelques ravins qui les avoisinent, peuvent favoriser une tentative de secours ; il veut y regarder de près ; car il incline toujours à croire que tout cet attirail de l’ennemi peut bien n’avoir d’autre but que de retarder la prise de Rocroy. Ce n’est peut-être pas un résultat proportionné à l’effort ; mais les Français sont si glorieux ! On lui offre un cartel ; sera-t-il forcé de l’accepter ? N’a-t-il pas vu, l’année précédente, deux maréchaux de France mettre leurs armées en bataille devant ses lignes et se retirer sans combat après lui avoir laissé prendre La Bassée sous leurs yeux ? En tout cas, il faut attendre les troupes du Luxembourg. Éternelle légende du corps d’armée qui doit décider la victoire et qui n’arrive jamais !

Le canon espagnol continue de tirer et soutient son feu depuis une heure quand les douze pièces françaises peuvent être mises en batterie pour riposter ; elles sont moins bien servies, de moindre calibre et font peu de dommage, tandis que nos pertes sont sensibles. Cette canonnade nous enleva de trois à cinq cents hommes sans troubler l’ordre et la précision de nos mouvemens. Un peu avant six heures, les troupes des deux lignes étaient en place ; les détachemens qui avaient formé le cordon étaient rentrés à leurs corps respectifs, et la réserve, qui avait tenu l’arrière-garde, achevait de s’établir à 200 mètres en arrière du centre. On avait encore trois heures de jour devant soi ; le duc d’Anguien voulait en profiter. Il craignait l’effet prolongé du canon ennemi sur ses troupes, et son adversaire ne lui semblait pas complètement préparé. Assurément Beck n’était pas là, et toutes les troupes du corps du siège n’étaient pas encore entrées en ligne. Placé à la droite, le général en chef étudie avec Gassion les dernières dispositions à prendre pour marcher en avant par l’arête large qu’il a devant lui, lorsqu’il voit sa gauche s’ébranler et quitter la position défensive qu’il lui avait assignée.

L’Hôpital ne désespérait pas d’épargner à l’armée les risques d’une bataille qui deviendrait sans but, selon lui, si on parvenait à secourir la place. Resté près de La Ferté, il lui fit remarquer que l’aile droite des ennemis n’était pas encore au complet et lui montra certains ravins qui permettaient de pousser un parti jusqu’aux portes de Rocroy. La Ferté, émule un peu jaloux de Gassion, désireux de se signaler, accepta de grand cœur les encouragemens du lieutenant-général et poussa quelques troupes au travers du marais, tandis qu’il essayait de contourner l’étang avec une partie de sa cavalerie ; découvrant ainsi le centre de l’armée et faisant un assez grand vide dans la ligne de bataille. Anguien voit le péril et court à sa gauche pour arrêter ce malencontreux mouvement.

Tandis qu’il y vole, un grand bruit d’instrumens de guerre frappe ses oreilles. Les tambours et trompettes de l’ennemi battent et sonnent la charge ; l’armée espagnole tout entière s’avance. En quelques secondes, dans un de ces instans d’anxiété poignante que connaissent ceux qui ont exercé le commandement, le jeune prince devine ce qui le menace : le détachement de La Ferté enlevé, la gauche délogée, le corps de bataille pris de flanc et de front par un ennemi très supérieur, point de retraite, un désastre plus complet que celui qu’il devait infliger le lendemain aux Espagnols. Il presse son cheval pour essayer de parer ce coup terrible, ou mourir au premier rang et disparaître dans la fumée de sa première bataille.

Mais don Francisco n’était pas de ces hommes rares qui saisissent l’occasion aux cheveux, et qui, par une improvisation rapide, changent sur le terrain un plan arrêté d’avance. Or le combat immédiat n’entrait pas dans son plan. C’était le vieux Fontaine qui, voulant gagner une centaine de mètres pour rectifier sa position et donner plus d’espace à sa seconde ligne, avait ordonné cette démonstration offensive comme une sorte de marche d’essai. Le résultat obtenu, il s’arrêta. Déjà M. le Duc, arrivé près de la gauche, avait pris quelques bataillons de la seconde ligne et les avait placés en écharpe pour recevoir le premier choc. Déjà, les troupes de La Ferté revenaient, décousues et plus vite que le pas, suivies au trot par la cavalerie d’Alsace, qui entrait en ligne. Mais cette cavalerie fit halte comme le reste de l’armée espagnole, sans dépasser le marais. Le calme était rétabli, et le courroux du général en chef s’était aussi apaisé quand il reçut les excuses de son lieutenant.

Il est trop tard pour rien entreprendre, il faut attendre l’aube. L’armée passera la nuit en ordre de bataille, prête à recevoir l’ennemi, en cas d’attaque nocturne, ou à commencer le combat au point du jour. Le duc d’Anguien répète ses instructions à L’Hôpital et à La Ferté, qui resteront à l’aile gauche. Leur rôle pour la journée du 19 est d’engager l’escarmouche et de soutenir le combat sans prendre l’offensive, avant que l’aile droite ait obtenu un avantage marqué. Tous deux assurent leur général qu’ils rempliront exactement ses intentions. La Ferté exprime de nouveau son regret du faux mouvement qui a failli compromettre le salut de l’armée ; il devait retomber exactement dans la même erreur le lendemain matin.

Le duc d’Anguien veut donner lui-même l’ordre aux officiers et passer devant le front des troupes en retournant au poste qu’il a choisi. Il trouve d’abord des visages assombris ; le tir effectif de l’artillerie espagnole, la faiblesse de la riposte de l’artillerie française, le trouble qui s’était produit à notre aile gauche, la fière allure de l’infanterie ennemie s’avançant au pas de charge, tous ces incidens avaient rappelé les fâcheux souvenirs des campagnes précédentes. L’attitude résolue du général en chef, les mâles paroles qu’il sut adresser à tous ramènent un peu de cette confiance qu’avaient fait naître le bon ordre de la marche, l’heureux passage des défilés.


VIII. — LA REVUE DU 18 MAI ET LA NUIT DU 18 AU 19.

Louis de Bourbon était de stature moyenne, mince, bien proportionné, d’apparence délicate, mais musculeux et rompu aux exercices du corps, au maniement des armes et du cheval. La moustache naissante recouvrait à peine une lèvre un peu épaisse ; la bouche était grande, le menton fuyant, les pommettes saillantes ; le profil très arqué exagérait ce qu’on est convenu d’appeler le type bourbonien ; il avait le front superbe, les yeux bleu foncé, un peu à fleur de tête, mais très beaux, le regard pénétrant, et dans toute sa personne un charme étrange qui saisissait et subjuguait. Suivons-le dans cette revue émouvante, passée en présence de l’armée ennemie en bataille, à la veille d’une journée qui peut décider du sort de la France.

La Motte Saint-Cyr lui présente les anciens dragons de Richelieu, que leur nouvel armement a fait nommer fusiliers ; c’est la troupe légère par excellence ; elle flanque l’extrémité de notre ligne ; il lui manque les cent vingt hommes que Gassion a jetés dans Rocroy. Dans cette cavalerie de la gauche qui achève de se remettre en ordre, les Liégeois du marquis de Beauvau figurent à côté des escadrons français de Guiche, de La Ferté, d’Harcourt, d’autres moins connus et du régiment de Marolles, un des derniers levés et déjà un des meilleurs. Marolles, dit le Brave, condamné à mort après un duel fameux[12], vient de passer en exil dix années employées à servir la France hors de France ; il est fort apprécié du duc d’Anguien, qui lui envoie un salut amical et qui salue aussi pour la dernière fois le brillant comte d’Ayen. Henri de Noailles[13] sera tué le lendemain, à la tête des chevau-légers de Guiche.

Voici, à la gauche de l’infanterie, le sombre drapeau des « bandes noires, » souvenir de Jean de Médicis et des guerres d’Italie. Il flotte au premier rang de « Piémont, » le plus populaire, le mieux exercé de nos régimens. Aucun corps ne pratique aussi bien la tactique de l’ordre étendu et des mousquetaires déployés. Les Espagnols l’ont surnommé el Bizarro, le vaillant entre les vaillans, et ils le connaissent bien ; car c’est lui qui a arrêté leur essor à Corbie en 1636 ; ils l’ont retrouvé ailleurs ; s’il avait été soutenu quand il attaquait le bois de La Marfee en 1641, ou quand l’année suivante il défendait l’abbaye d’Honnecourt, le sort de ces deux journées aurait pu être différent. Comme les autres « vieux régimens » français ou suisses, Piémont a plusieurs compagnies détachées en garnison et des officiers supérieurs employés comme gouverneurs de places. Le chef de corps, Gaspard de Coligny[14], dont le nom sera souvent mêlé à la vie de notre héros, n’est pas présent ; le lieutenant-colonel, Puységur, fait prisonnier l’année précédente, est encore chez les ennemis ; ils sont remplacés par le premier capitaine. Tous les officiers d’infanterie sont dans le rang ; les mestres de camp et sergens-majors sont seuls en dehors, sur le flanc de leur troupe, à pied et la pique à la main.

Auprès de Piémont, le premier des « petits vieux, » Rambure, dont le nom depuis Ivry est synonyme de bravoure. Ces deux régimens sont presque toujours ensemble. René de Rambure, quatrième mestre de camp de ce nom, vient de remplacer son frère, tué à Honnecourt. Le duc d’Anguien passe ensuite devant le front de quelques régimens moins célèbres, parmi lesquels nous remarquons celui du comte de Bussy-Rabutin, qui ne sert pas pendant cette campagne. Au centre, à la place fixée par les ordonnances, il trouve les Écossais et les Suisses ; parmi les étrangers, ce sont ceux que la plus vieille fraternité d’armes unit aux troupes françaises ; le roi vient d’accorder ou plutôt de maintenir aux premiers le rang des gardes[15]. Molondin[16], de Soleure, se fait remarquer par la belle apparence de ses deux bataillons ; le mestre de camp est un manœuvrier émérite. Puis M. le Duc va voir les troupes de la troisième ligne, surtout les gendarmes qui sont le fond et le nerf de cette réserve, beaux chevaux, braves cavaliers, dont plusieurs sont ses amis. Montcha[17], guidon des gendarmes de la reine, a le commandement des six compagnies qui forment deux escadrons.

Après s’être entretenu quelques momens avec Sirot du rôle assigné à la réserve dans la journée du lendemain, M. le Duc retourne à la première ligne. La Fressinette[18], lieutenant-colonel, présente le régiment de Persan ; le prince apprend avec douleur qu’on vient d’emporter le mestre de camp, son ami et un des meilleurs officiers d’infanterie de l’armée, grièvement blessé d’un coup de canon. « Picardie » a la « droite de tout, » c’est le doyen de l’infanterie française. Dans les récriminations auxquelles donna lieu la bataille de Thionville, la conduite de ce régiment avait été sévèrement jugée ; il va se relever brillamment le 19 mai. Le mestre de camp, de Nangis, tué en 1644, et Maupertuis, lieutenant-colonel, tué quelques mois plus tard[19], sont présens. « Picardie » est soutenu par « La Marine, » créé en 1636 et déjà classé parmi « les vieux. » C’était le corps favori du cardinal de Richelieu, qui en a donné le commandement à un chef éprouvé, le marquis de La Trousse[20], père de l’ami de Mme de Sévigné.

Soixante ans plus tard, devant Turin, « La Marine » ayant à sa tête son colonel, Le Guerchois, et le duc d’Orléans, donnera trois fois au plus épais de l’ennemi, et trois fois on relèvera le futur régent de France, roulant sous son cheval tué, puis blessé à la hanche, renversé enfin par une balle qui lui a fracturé le poignet. Dans cette sombre journée du 7 septembre 1706, La Marine ne donnera pas la victoire, mais sauvera l’honneur des armes. Les régimens qui portent aujourd’hui ce glorieux nom dans l’armée française n’ont pas dégénéré.

La nuit était survenue et les flammes des foyers allumés par les troupes brillaient sur un fond sombre, lorsqu’Anguien s’arrêta sans aller jusqu’à la cavalerie de l’aile droite, qui était déjà au repos. Il y avait là de véritables corps d’élite : « Royal, Mestre de camp général, » ou cuirassiers de Gassion, d’autres encore, sans oublier les bons régimens étrangers de « Leschelle » et « Vamberg. » Les gardes de M. le Duc ne sont pas auprès de lui, mais à l’extrême avant-garde de la droite, où ils renforcent les deux régimens de Croates. Les aides-de-camp et les volontaires font au prince une brillante escorte. Gassion vient les joindre avec quelques officiers ; tous mettent pied à terre « au feu de Picardie. »

Le silence était profond (alto silenzio)[21] ; les gardes veillaient échangeant le mot de ralliement : Anguien ; « nos soldats, couchés en bataille sur leur armes, n’attendaient qu’un signe pour se lever, souffler sur la mèche et l’abattre sur le serpentin. » (Sirot.) L’ordre étonnant (sdipenda ordenanza) maintenu dans le camp français fut pour les contemporains un objet d’admiration. Le prince s’étendit sur la terre et s’endormit profondément. Bossuet a peint cette nuit et ces deux armées « enfermées dans les bois et dans des marais pour décider leur querelle comme deux braves en champ clos. » Le lecteur ne nous pardonnerait pas de changer un seul mot dans ce récit dont l’éloquence ne surpasse pas l’exactitude. Voici pourtant un détail à compléter : ce n’est pas le matin « à l’heure marquée, » c’est en pleine nuit qu’il fallut « réveiller cet autre Alexandre. »

Un cavalier vient de se présenter à nos avant-postes ; c’est un Français qui avait pris parti chez les Espagnols. On l’amène, il se jette aux pieds du prince et implore sa grâce, bien payée d’ailleurs par l’importance des renseignemens qu’il apporte : l’ennemi attend Beck le 19 vers sept heures du matin et attaquera immédiatement ; toujours préoccupé d’une tentative de secours venant de notre gauche, il a ramené une partie de la cavalerie d’Alsace dans son ancien quartier à l’ouest de la place ; si l’aile droite française est assez hardie pour s’engager la première, elle sera bien reçue par mille mousquetaires qui passent la nuit « sur le ventre » dans les bouquets de bois tout près d’elle. Le cavalier achève à peine son récit que déjà M. le Duc a modifié certaines parties de son plan et donné de nouveaux ordres d’exécution. Puis il demande son cheval, ses armes, revêt sa cuirasse et met sur sa tête un chapeau orné de cette plume blanche qu’avait illustrée Henri IV, et qui est restée dans l’armée française l’insigne du commandement en chef.

Il faisait encore obscur lorsque les escadrons de première ligne de l’aile droite montèrent à cheval pour appuyer à droite et dégager le front de la seconde ligne. Au même moment, les soldats de Picardie se levaient en silence et s’avançaient sans bruit, laissant auprès des feux quelques hommes dont les ombres passant devant la flamme dissimulaient le départ du régiment. Les enfans perdus, conduits par le sergent-major de Pédamont, pénètrent dans les bouquets de bois, surprennent les mousquetaires ennemis dans cet instant critique où un lourd sommeil s’empare de l’homme qui a veillé. Quelques coups de feu retentissent, les fantassins espagnols se lèvent en désordre, la panique les saisit ; les uns sont frappés par les soldats de Picardie ; les autres se jettent hors du bois et tombent dans un flot de cavaliers ; aucun n’échappa. La lueur grise de l’aurore succédait aux ténèbres de la nuit. Il était trois heures du matin, le 19 mai 1643.

IX. — BATAILLE DE ROCROY, 19 MAI.

La cavalerie de l’aile droite a suivi le mouvement des enfans perdus ; son front est doublé ; tous les escadrons sont en première ligne. Gassion en conduit sept et prend à droite, Anguien à gauche, un peu en arrière avec huit ; le bouquet de bois les sépare et les masque quelque temps. Les cavaliers ennemis ont sauté en selle à la première alerte ; c’est la troupe de Gassion qui se montre d’abord. Albuquerque veut lui faire face ; au moment d’en venir aux mains il est tourné par le duc d’Anguien et pris de flanc en flagrant délit de manœuvre. Le choc fut dur ; les cornettes abordées ne s’en remirent pas et disparurent du champ de bataille suivies par nos Croates. Albuquerque, entraîné par les fuyards, arrivait à Philippeville[22] dès huit heures du matin. « Il a dû partir de bonne heure et aller vite, » ajoutait Fabert en donnant ce renseignement à Mazarin.

Les lieutenans du général de la cavalerie espagnole, Vivera et Villamer, prennent sa place et reforment leur seconde ligne derrière la gauche de leur infanterie ; les escadrons français sont ralliés ; un nouveau combat s’engage avec la même issue que le premier. Au milieu de la fumée et de la poussière, plusieurs cornettes ennemies passent sans rencontrer nos cavaliers et arrivent jusqu’à « Picardie, » qui, le bois nettoyé des mousquetaires, se trouvait isolé en avant de notre ligne de bataille. Le régiment enveloppé se forme en octogone[23] et montre une grande fermeté.

L’aile gauche de l’armée espagnole est dispersée. En moins d’une heure le duc d’Anguien s’est révélé ; il a conquis sur ses cavaliers cet ascendant qu’une sorte de courant rapide donne au chef digne de commander sur des soldats dignes de le suivre. Il peut maintenant arrêter sa troupe sans diminuer son courage, la faire manœuvrer au milieu de l’action, lui rendre l’élan sans qu’elle lui échappe ; il va avoir besoin de toute son autorité. Le succès de notre aile droite avait amené le général en chef sur une ondulation d’où, en se retournant, il dominait le terrain occupé par le reste de son armée. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux était fait pour troubler une âme moins ferme.

Les coups de mousquet partis de notre droite avaient mis fin à la « trêve de Dieu » maintenue toute la nuit par une sorte d’accord tacite ; les postes placés entre les deux armées avaient aussitôt commencé le feu ; les piquets étaient accourus ; deux lignes de tirailleurs avaient couvert tout le centre d’un nuage de fumée ; bientôt le canon mêle sa voix tonnante aux éclats de la mousqueterie. A notre gauche, les premières clartés du jour avaient montré à La Ferté l’aile droite des ennemis dégarnie ; en effet, Isembourg, avec presque toute la cavalerie d’Alsace, avait passé la nuit dans son camp à l’ouest de la place, à la tête des tranchées, pour mieux garder les avenues et repousser cette tentative de secours qui, jusqu’au dernier moment, resta le grand souci de l’état-major espagnol. Voyant ce vide devant lui, La Ferté oublia et l’échauffourée de la veille et les recommandations de son général ; de nouveau, il voulut franchir le marais et tourner l’étang. Comme la veille, Isembourg survint avec ses escadrons, mais cette fois il ne s’arrêta pas ; prenant le galop à bonne distance, favorisé par la pente, il tombe sur la cavalerie française, la met en désordre, la sépare de l’infanterie et la pousse vivement devant lui. La Ferté combat avec vaillance ; atteint d’un coup de pistolet, percé de deux coups d’épée, il reste aux mains de l’ennemi. L’ardeur de la poursuite, l’attrait du pillage, l’espoir d’arriver jusqu’aux bagages des Français entraîne au loin bon nombre de cavaliers allemands. Encore aujourd’hui on retrouve des armes brisées jusque dans les rièzes de Regniowez.

Avec le gros de sa troupe, Isembourg tourne à gauche, culbute nos mousquetaires, nos artilleurs et s’empare du canon ; La Barre est tué sur ses pièces. L’Hôpital, homme d’honneur, un peu responsable du malheur de La Ferté, essaie d’y remédier. Il rallie quelques cavaliers, se met à la tête des bataillons de notre gauche et reprend le canon perdu. Mais aux cornettes qu’Isembourg a gardées sous la main se réunissent celles qui, venant de l’autre aile, se sont un moment égarées et qui, après avoir tâté Picardie, ont coulé derrière les tirailleurs espagnols du centre. L’infanterie italienne les soutient. Les troupes de l’Hôpital sont entourées ; un coup de feu lui casse le bras ; ses cavaliers l’entraînent en arrière ; quelques bataillons fuient ; Piémont et Bambure font ferme ; ils sont très maltraités et obligés de reculer, abandonnant le canon une seconde fois.

L’ennemi a maintenant trente bouches à feu pour battre notre centre, qui n’avait pas encore été sérieusement engagé ; nous n’avons plus une pièce pour répondre. Nos mousquetaires, formés sur deux rangs en avant des bataillons, continuent leurs salves, mais ils perdent du terrain. L’anxiété est profonde ; la gauche est battue, chacun le voit ; la droite a disparu, le général en chef avec elle ; quelques coups de feu, un nuage de poussière jalonnent la direction qu’elle a suivie ; elle est aux prises avec la cavalerie ennemie ; mais est-elle victorieuse ? Toute cette infanterie, qui souvent déjà s’est vue abandonnée par la cavalerie[24], se trouble facilement. Un mot d’ordre venu on ne sait d’où passe comme une traînée fatale de bataillon en bataillon : « La journée est perdue ! en retraite ! » Et lentement, graduellement, sans que personne dirige le mouvement, toute la ligne recule. Où donc est Espenan ? où sont les officiers-généraux ?

En voici un : c’est le maréchal de bataille (chef d’état-major), La Vallière ; il a rejoint dans la nuit (et peut-être aurait-il aussi bien fait de rester à la cour) ; en ce moment, il arrive de la gauche ; il va de régiment en régiment, parle aux chefs de corps : il ne sait rien du duc d’Anguien ; il a vu tomber L’Hôpital ; il engage les mestres de camp à replier leurs troupes en ordre. Le mouvement s’accélère ; déjà ceux de nos bataillons qui n’ont pas été rompus par Isembourg se sont rapprochés de la réserve. Sirot se détache de sa troupe et s’avance : « Que faites-vous donc ? demande-t-il. — Tout le monde bat en retraite, lui répondent les premiers qu’il rencontre ; la bataille est perdue. — Perdue ? s’écrie-t-il, allons donc ! Sirot et ses compagnons n’ont pas donné ! Face en tête ! »

Entre cinq et six heures du matin, notre gauche était battue, notre canon pris, La Ferté prisonnier, L’Hôpital hors de combat, La Barre tué, notre centre en retraite ; l’infanterie italienne s’avançait et les tercios viejos allaient la soutenir. Du point où le duc d’Anguien s’était arrêté pour rallier derrière la ligne espagnole ses escadrons victorieux, il ne pouvait saisir les détails de ce tableau ; mais la direction de la fumée, la plaine couverte de fuyards, la marche de la cavalerie d’Alsace, l’attitude de l’infanterie ennemie, tout lui montrait en traits terribles la défaite d’une grande partie de son armée. Il n’eut pas un instant d’accablement, n’eut qu’une pensée : arracher à l’ennemi une victoire éphémère, dégager son aile battue, non en volant à son secours, mais en frappant ailleurs. Quelques minutes de repos données aux chevaux essoufflés lui ont suffi pour arrêter le plan d’un nouveau combat, conception originale dont aucune bataille n’offre l’exemple. Laissant Gassion sur sa droite avec quelques escadrons pour dissiper tout nouveau rassemblement de la cavalerie wallonne, il fait exécuter à sa ligne de colonnes un changement de front presque complet à gauche, et aussitôt, avec un élan incomparable, il la lance, ou plutôt il la mène en ordre oblique sur les bataillons qui lui tournent le dos. Dans les rangs pressés de l’infanterie ennemie, il était malaisé de suivre les incident qui se succédaient depuis que la cavalerie d’Albuquerque et celle du duc d’Anguien étaient aux prises. Les yeux, les esprits, les cœurs étaient tout entiers à la bataille engagée devant le front, et chacun, chefs et soldats, se préparait à y prendre part quand la troisième ligne fut subitement abordée et poussée sur la seconde. C’est une suprême épreuve pour une troupe qu’une attaque imprévue sur ses derrières. « Nous sommes tournés ! » est un cri d’alarme qui émeut les plus braves. Peut-être les Wallons, mécontens de quelques-uns des actes de Melo, n’étaient-ils pas ce jour-là disposés aux grands sacrifices ; mais Wallons et Allemands, tous étaient là placés dans des conditions défavorables. Beaucoup de mousquetaires détachés la nuit aux avant-postes n’avaient pas reparu ; nous savons où ils gisaient. D’autres avaient déjà été dirigés sur le front en prévision d’un mouvement offensif ; peu d’armes à feu pour arrêter les chocs qui se pressent. Et avec quelle ardeur arrivaient nos cavaliers, menés par un tel chef ! Ils passent comme un torrent au milieu des bataillons. Ceux-ci sont si rapprochés qu’ils craignent de tirer les uns sur les autres et que la contagion du désordre est bien vite incurable ; en quelques minutes, toute l’infanterie wallonne et allemande est complètement rompue. Les fuyards qui se jettent en dehors, dans la direction des bois, sont ramassés par Gassion ou par les Croates ; une masse confuse roule instinctivement vers la place qu’a laissée vide la cavalerie d’Isembourg.

C’est là que Melo avait choisi son poste. Inquiet, agité durant la nuit, il commençait à reprendre confiance et suivait d’un œil complaisant les progrès de son aile droite lorsqu’on vint lui apprendre la défaite d’Albuquerque. Il veut y courir avec quelques cornettes que lui a laissées Isembourg et tombe au milieu de son infanterie en déroute. Aveuglé par la fumée et la poussière, il allait se jeter dans un escadron français quand son capitaine des gardes, Duque, l’arrête et le ramène auprès d’un brave mestre de camp, le comte de Ritberghe, qui cherchait à reformer son régiment. Le capitaine-général harangue les soldats, essaie de les entraîner, ou plutôt de les retenir ; mais le flot le déborde. Les chevau-légers français le reconnaissent, le pressent ; son bâton de commandement lui échappe et il n’a que le temps de chercher refuge dans le bataillon du chevalier Visconti. « Je veux mourir ici avec vous, messieurs les Italiens[25], crie don Francisco. — Nous sommes tous prêts à mourir pour le service du roi, » répond Visconti, et il fut pris au mot, car il fut tué quelques instans après ; sa troupe fit ferme et repoussa les premiers cavaliers français. On se souvient que ces Italiens, placés à la droite de « la bataille » du roi catholique, venaient de s’avancer pour soutenir la cavalerie d’Alsace ; Fontaine allait probablement faire suivre ce premier échelon par le reste de son infanterie ; déjà le tercio de Velandia s’était détaché de la phalange et marquait le mouvement lorsque les soldats du duc d’Anguien arrivèrent par derrière, pêle-mêle, avec l’escorte de Melo. Ainsi l’infanterie du roi catholique commençait à marcher par échelons, l’aile droite en avant, s’avançant méthodiquement, à rangs serrés, comme il convenait à son tempérament et à celui de son chef, lorsque l’audace inspirée du duc d’Anguien lui enleva sa seconde et sa troisième ligne. La première était intacte ; précédée de son artillerie et de ses mousquetaires, elle présentait ce front imposant devant lequel reculait l’infanterie française, seule, en plaine, sans cavalerie, sans artillerie, sans direction.

Sirot avait ralenti un moment ce mouvement en arrière ; officiers et soldats s’arrêtaient pour l’entendre discuter vivement avec La Vallière et contester cet ordre de retraite que le général en chef n’avait pas donné. Quelques-uns des bataillons maltraités de la gauche s’étaient ralliés auprès de la réserve ; mais un retour offensif de la cavalerie d’Alsace, qui voulait rester maîtresse de cette partie de la plaine, remet le désordre dans notre infanterie. Sirot la dégage en chargeant avec les gens d’armes et son régiment. La cavalerie ennemie fait mine de revenir ; mais cette fois elle y va mollement ; elle sait vaguement ce qui se passe ailleurs et ne songe qu’au ralliement.

Le commandant de notre réserve a rempli son devoir avec autant d’intelligence que d’énergie : maintenir sa troupe jusqu’au bout à la disposition du général en chef sans se laisser émouvoir par les incidens ou par des ordres dépourvus d’autorité. Sa tâche n’est pas achevée. Sauf quelques bataillons débandés, notre infanterie, formée en groupes bien distincts, a conservé l’ordre ; les unités se sont rapprochées sans se confondre ; les vieux régimens français ou étrangers ne sont pas rompus ; mais tous ont été canonnés, beaucoup ont reçu des horions, quelques-uns ont été bousculés ; ils sont hésitans et prennent au mot les injonctions de La Vallière, qui croit toujours à la nécessité de la retraite. Sirot s’interpose de nouveau. « Face en tête ! crie-t-il ; personne ne vous poursuit ; la journée n’est pas terminée. Nous ne pouvons abandonner notre général. A l’ennemi ! je vous conduirai ! » Déjà les officiers ramènent leurs hommes en levant les chapeaux : « A M. de Sirot ! à M. de Sirot ! » Et voilà. que celui-ci leur montre au milieu d’un groupe de cavaliers le panache blanc du duc d’Anguien reparaissant à la place qu’occupaient tout à l’heure les escadrons d’Isembourg.

Rien ne peut rendre la surprise, l’émotion de tous, l’effet produit sur le soldat par l’apparition soudaine du duc d’Anguien sortant de cette mêlée furieuse, les cheveux épars, les yeux pleins d’éclairs, l’épée à la main. Ce n’est plus le jeune homme à l’aspect un peu délicat qui passait la veille devant le front des troupes ; il est transformé ; l’action l’a grandi ; son visage irrégulier est devenu superbe ; c’est le général obéi de tous ; c’est le premier soldat de l’armée ; c’est le dieu Mars[26].

Devinant en quelque sorte la pensée de son chef, cherchant à le seconder par son initiative intelligente, Sirot veut aussitôt tirer parti des courages ranimés. Il a reformé une ligne d’environ huit bataillons, qu’il porte en avant. Placés en premier échelon, les Italiens n’attendent pas le choc de cette infanterie, car ils sont déjà pris de flanc et culbutés par nos chevau-légers. Mais le tercio de Velandia, qui venait ensuite, « ne branle pas. » Chargé, fusillé, il perd tous ses mousquetaires sans se laisser rompre, et, maintenu par son chef expirant, il recule à petits pas jusqu’à ce qu’il s’adosse au gros de l’infanterie. Grâce à la fermeté de ce régiment, les Italiens furent moins maltraités que les autres nations et purent se retirer, mal en ordre, sur les bois au nord, laissant deux de leurs mestres de camp et bon nombre de soldats sans vie sur le terrain. Les Français ne peuvent reprendre que les douze pièces par eux perdues le matin, encore renversées et à peu près hors de service. Le canon espagnol continue de tirer ; son feu et les salves de la mousqueterie arrêtent le mouvement de la ligne française.

Isembourg reste quelque temps dans cette plaine qu’il avait un moment conquise et où il avait pendant plusieurs heures manœuvré et combattu avec autant d’habileté que de vaillance ; il essaie maintenant de rassembler ses escadrons, qu’il avait peut-être trop dispersés ; Vivera, un des lieutenans d’Albuquerque, est auprès de lui. De la droite, de la gauche, tous les cavaliers qui veulent ou peuvent encore se battre ont été conduits sur ce point par les incidens de la journée, mais ils sont enveloppés. Quand le vent de la fortune tourne, il ramène à celui qu’il favorise des secours inattendus ; beaucoup de chevau-légers des troupes de La Ferté reparaissaient, des escadrons qu’on croyait anéantis se reformaient. Entre les revenans de la défaite de la gauche et les vainqueurs de la droite la cavalerie d’Alsace fut écrasée. Isembourg est criblé de blessures, son cheval s’abat ; il est pris un moment par un cuirassier de Gassion, puis dégagé ; ses cavaliers, qui l’adoraient, l’entraînent presque mourant loin du champ de bataille. Un brave colonel, Savory, essaie de prendre sa place et veut tenter un effort désespéré contre l’infanterie française ; il est frappé avant d’avoir pu charger, et les derniers débris des cent cinq cornettes qui, le matin, composaient la brillante cavalerie du roi catholique, sont dispersés.

Au bruit et au tumulte du combat succèdent, pour quelques instans, un silence et un calme presque aussi effrayans. Hommes, chevaux sont à bout ; il faut à tous quelques instans de repos. Chacun semble se recueillir pour une lutte suprême. Le duc d’Anguien est auprès de Sirot, remet l’infanterie en ordre, veille au ralliement de la cavalerie de La Ferté ; celui-ci a été tiré des mains de l’ennemi, mais il a été si grièvement blessé qu’il ne peut combattre ; Gassion est resté sur les derrières de l’armée ennemie, empêchant les fuyards de se rallier et surtout veillant du côté du nord, là où peut paraître l’armée du Luxembourg, car Beck peut encore survenir. C’est le souci du duc d’Anguien, c’est le dernier espoir de l’infortuné Melo, que la défaite des Italiens a rejeté dans le gros des « Espagnols naturels. »

De toute l’armée du roi catholique, les tercios viejos sont seuls debout. Ils forment un rectangle allongé. Leurs rangs se sont grossis des épaves de l’infanterie frappée auprès d’eux : Bourguignons, Italiens, officiers sans troupe, cavaliers démontés ou blessés se pressent ou plutôt s’encadrent au milieu d’eux, bouchant les vides, remplissant les intervalles déjà trop étroits qui séparaient les bataillons. Ils ne peuvent plus manœuvrer, ils sauront mourir.

M. le Duc attendra-t-il pour reprendre l’action que ses escadrons soient reposés ou ralliés, ses bataillons remis des chocs qu’ils ont reçus, le canon relevé ? — Mais si l’infanterie espagnole essayait de se déployer, de prolonger ses lignes de feu ! — Que recèle ce grand rectangle, cette forteresse vivante ? Et si Beck arrivait ! — Il faut battre le fer, user les forces de l’ennemi, lui rendre toute manœuvre impossible, le paralyser jusqu’au moment où on pourra le détruire. Cela coûtera cher peut-être ; mais la victoire est à ce prix. L’attaque commence sans délai ; les bataillons les moins fatigués ou les premiers rétablis s’avancent : Picardie et La Marine à droite, les royaux, les Écossais et les Suisses au centre, Piémont et Bambure à gauche. M. le Duc est avec eux, suivi de ses gardes et de quelques escadrons qui ne l’ont pas quitté, prêts à se jeter dans la première brèche ouverte. Des mousquetaires précèdent la ligne pour engager l’escarmouche. A l’un des angles de la phalange, un homme est élevé sur les épaules de quatre porteurs ; sa longue barbe blanche le fait reconnaître : c’est le comte de Fontaine. Il a juré, dit-on, de ne combattre les Français ni à pied, ni à cheval, et il tient son serment ; car il est assis sur la chaise où le clouent ses infirmités, « montrant qu’une âme guerrière est maîtresse du corps qu’elle anime. » Tout est immobile en face de nous ; Fontaine, sa canne appuyée sur son pied, les mousquetaires au port d’armes et derrière eux la forêt des piques. Les Français approchent ; si quelque coup de feu de leurs enfans perdus porte, les rangs se resserrent sans nulle riposte. Les assaillans commencent avoir distinctement ces hommes de petite taille, au teint basané, à la moustache troussée, coiffés de chapeaux étranges, appuyés sur leurs armes.

Tout à coup la canne de Fontaine se dresse, dix-huit bouches à feu sont démasquées, tous les mousquets s’inclinent, une grêle de balles et de mitraille balaie le glacis naturel sur lequel s’avance la ligne française. Celle-ci flotte un moment, puis recule, laissant le terrain jonché de cadavres. Quand le vent eut dissipé la fumée, la phalange était de nouveau immobile, les mousquets relevés, Fontaine à la même place. Le duc d’Anguien a bientôt arrêté ses troupes ; deux fois il les ramène et deux fois encore il est repoussé. Ses gardes, les gendarmes étaient décimés, son cheval blessé est tout couvert de sang ; il a reçu une contusion à la cuisse et deux balles dans sa cuirasse.

Cependant quelques vides se sont faits dans les rangs espagnols, les hommes semblent toujours impassibles et résolus ; mais la dernière décharge était moins nourrie ; le canon s’est tu ; les munitions manquent. On ne voit plus Fontaine sur sa chaise ; il est là gisant, la face en terre, le corps traversé par les balles ; Dieu a épargné au vieux soldat la suprême douleur de voir enfoncer cette infanterie qu’il croyait invincible. Les Français étant parvenus à relever trois ou quatre des pièces qu’ils ont reprises, le duc d’Anguien fait abattre à coups de canon un des angles de la forteresse vivante. D’autres bataillons ont été ramenés et prolongent notre ligne de feu. Gassion s’est rapproché avec ses escadrons ; les chevau-légers de La Ferlé, ralliés, menacent les tercios d’un autre côté. M. le Duc achevait ses dispositions pour ce quatrième assaut, lorsqu’on le prévint que plusieurs officiers espagnols sortaient des rangs en agitant leurs chapeaux comme s’ils demandaient quartier. Il s’avance pour recevoir leur parole ; mais soit malentendu, soit accident, plusieurs coups de feu partent, sont pris pour un signal et suivis d’une décharge à laquelle le prince échappa par miracle et qui « mit les nôtres en furie. » Cavaliers, fantassins, tous s’élancent ; la phalange est abordée, percée de toutes parts. L’ivresse du carnage saisit nos soldats, surtout les Suisses, qui avaient beaucoup souffert aux premières attaques et qui font main basse sur tous ceux qu’ils rencontrent. Le duc d’Anguien, que personne n’avait dépassé, désarme de sa main le mestre de camp Castelvi, reçoit sa parole. Les vaincus, officiers, soldats, se pressent autour de lui, jetant leurs armes, implorant sa protection. Le prince crie que l’on fasse quartier, que l’on épargne de si braves gens ; ses officiers l’assistent ; le massacre cesse ; les tercios viejos ont vécu !

Lorsque, le tumulte du combat apaisé, Anguien embrassa d’un coup d’œil ce champ de bataille couvert de débris fumans, ces longues files de prisonniers qu’on lui amenait, ces drapeaux qu’on entassait à ses pieds, tous ces témoins d’une lutte terrible et d’un éclatant triomphe, il se découvrit et son cœur s’éleva vers Celui qui venait de bénir les armes de la France : Te Deum landamus.

Le même jour, 19 mai 1643, à la même heure (neuf heures du matin), on célébrait à Saint-Denis le service du feu roi Louis XIII[27].


X. — APRÈS LA BATAILLE. — l’ARMÉE FRANÇAISE ET l’ARMÉE ESPAGNOLE.

Après la victoire, le duc d’Anguien donne ses ordres avec la même netteté, la même prévoyance qu’au milieu du combat. Il prescrit à ceux-ci de rassembler les trophées et les prisonniers dans le vallon qui avait séparé les deux armées, à ceux-là de remettre nos troupes en ordre et de reformer la ligne face au nord, à peu près sur la position qu’avaient occupée les Espagnols ; car Beck peut encore apparaître avec ses troupes fraîches, rallier quelques fragmens de la cavalerie vaincue, faire une dernière tentative. Il fallait être en mesure de le recevoir et tout d’abord avoir de ses nouvelles. Cette mission échut à Chevers, maréchal-des-logis de la cavalerie, qui, avec deux cents chevaux, les moins fatigués, alla prendre langue du côté de Mariembourg, constata la retraite des uns, la déroute des autres, et ramena deux pièces abandonnées à l’entrée du bois. Tout nuage s’étant évanoui, le duc d’Anguien, après avoir pourvu au soin des blessés et au logement des troupes, fit son entrée dans Rocroy au son des cloches et au bruit du canon. Le gouverneur Geoffreville étant toujours malade et au lit, les clés furent présentées par le major de place, Pierre Noël, à qui revenait l’honneur de la défense. Le prince le complimenta et félicita la petite garnison renforcée des bourgeois sous les armes, qui s’étaient vaillamment conduits ; un notaire, Lemoyne, avait été tué dans une sortie.

M. le Duc resta deux jours dans Rocroy. Il avait assumé toutes les responsabilités, l’honneur de la victoire lui appartient sans partage. C’est lui seul qui, relevant le courage d’une armée abattue, l’avait amenée d’une traite d’Amiens à Rocroy ; c’est lui qui avait jugé le plan de l’ennemi avec une rare sûreté de coup d’œil, pris la résolution de combattre, conduit l’attaque, improvisé, exécuté la manœuvre décisive, ressaisi la victoire que certains de ses lieutenans laissaient échapper. Préparation de la campagne, stratégie, tactique, aucune partie ne semble donner prise à la critique[28]. Le récit de la Gazette, qu’on peut considérer comme un rapport officiel, et les lettres personnelles du général en chef accordent à L’Hôpital et à La Ferté le témoignage que méritait leur courage, en leur épargnant un blâme qui n’eût été que justice, s’il n’était permis, après un pareil succès, de se montrer indulgent pour les vieux serviteurs. Il est plus difficile de comprendre ce que le duc d’Anguien put louer dans l’attitude d’Espenan, qui semble avoir joué un rôle purement passif et n’avoir donné aucune direction à l’infanterie placée sous ses ordres. Le véritable sentiment du prince se produit dans son insistance à faire récompenser Sirot et Gassion : la conduite du premier pendant la bataille peut servir de modèle à tout homme de guerre appelé à commander une réserve ; le second, après avoir mené l’avant-garde avec une rare habileté, après avoir, par le secours de Rocroy, donné ce répit de vingt-quatre heures dont l’importance ne saurait être exagérée, s’était montré, durant l’action, tacticien consommé. Ainsi que Sirot, il sut comprendre, presque deviner la pensée de son chef et lui donner le concours le plus intelligent et le plus énergique.

La Gazette cite comme s’étant particulièrement distingués : Montbas, premier capitaine de « royal » (cavalerie), qui, deux fois, pénétra dans le carré des tercios, y fut blessé, pris et « recous ; » Pédamont, capitaine-sergent-major de Picardie, grièvement blessé (le nom de cet officier, qui avait montré autant de vigueur que de présence d’esprit dans les premières heures de la bataille, disparaît à ce jour et mérite de ne pas être oublié) ; Hessy, major de Molondin ; les mestres de camp Marolles, Menneville, vidame d’Amiens et La Prée ; les colonels étrangers Raab, Vamberg et Sillart ; les capitaines d’Hédouville, de Laubespin, de Pontécoulant, etc. — L’infanterie française avait repris confiance en elle-même ; mobile, exercée aux manœuvres, elle avait bien supporté le canon, montré de la constance ; il n’y eut pas de débandade, les unités avaient été bien conduites, sans confusion, même au moment où la direction générale avait manqué. La force était dans les vieux régimens, et « la force de ceux-ci était dans les officiers, » selon l’expression du duc d’Anguien, qui, quelques jours plus tard, s’élevant contre une de ces mesures d’économie malencontreuses, trop souvent répétées, réclamait le rétablissement de « l’enseigne[29] » supprimé dans chaque compagnie. — Quelle différence dans la conduite de nos escadrons lorsqu’ils suivaient Anguien et Gassion, ou lorsqu’ils étaient dirigés par La Ferté et L’Hôpital, à qui les longs services et le courage n’avaient pas pu donner le jugement et le coup d’œil ! En somme, ce fut une glorieuse journée pour la cavalerie française, une réhabilitation, une charge continuelle ou plutôt une suite de mêlées, d’engagemens rapides, où le trot et le pistolet étaient plus employés que le galop et l’arme blanche. Cependant il y avait des chocs violens où l’épée jouait son rôle ; les blessures en témoignent[30].

Melo avait habilement tracé son plan ; ses mesures étaient bien prises ; l’exécution fut correcte jusqu’au moment où il se trouva en présence d’un adversaire audacieux ; dès lors l’inspiration lui manqua ; son esprit fut comme paralysé ; il se laissa surprendre, attaquer, battre sans pouvoir parer aucun coup, remédier à aucun accident. Il se conduisit honorablement sur le terrain, fut des derniers à quitter le champ de bataille ; presque tous ses officiers furent tués près de lui ; un seul écuyer l’accompagnait lorsqu’il rejoignit Beck ayant de s’arrêter dans la petite forteresse de Mariembourg, à six lieues de Rocroy. — Le comte d’Isembourg, la tête fendue, le bras cassé, s’en va d’une traite jusqu’à Charlemont (12 lieues) ; sa force physique était à la hauteur de son courage. Il lui avait manqué un certain degré d’autorité pour empêcher la dissémination de ses troupes ; mais il avait du coup d’œil sur le terrain et s’était montré bon officier de cavalerie, vaillant, tenace, rapide dans ses manœuvres. — Fontaine ne mérite pas le reproche d’inaction et de lenteur qui lui est adressé par divers écrivains ; il ne sut peut-être pas s’affranchir des liens d’une méthode un peu étroite, mais il se préparait à soutenir les avantages de son aile droite et s’avançait en échelons, quand il fut arrêté par le désastre de sa gauche et de sa réserve. Il essaya alors de maintenir la position, de garder son infanterie et son artillerie comme un grand réduit pour permettre, soit à la cavalerie de se rallier, soit à Beck de le joindre. Le vieux paysan des Vosges couronna glorieusement par sa résistance et sa mort une belle vie militaire[31]. Le duc d’Anguien traita ses restes avec honneur, les fit recueillir et les envoya à Mariembourg dans son propre carrosse, accompagné de tous les aumôniers et religieux qui étaient restés dans les lignes espagnoles.

Beck aurait-il pu atteindre le champ de bataille en temps utile ? Nous le verrons mourir en héros[32] et toute sa vie le met à l’abri d’un soupçon de faiblesse ; il était d’ailleurs animé de la haine des Français ; mais habituellement farouche, ombrageux, il avait été froissé comme d’autres par la politique du capitaine-général. D’abord désigné pour assiéger Rocroy, il avait vu Melo charger Isembourg de l’investissement, puis prendre en personne la direction du siège. On pourrait supposer qu’il se rendit sans beaucoup de zèle au pressant appel de Melo ; rien ne le prouve. Il était le 18 à ou devant Château-Regnault, sur la rive droite de la Meuse, à 32 kilomètres de Rocroy. Il fut prévenu tard, marcha toute la nuit à travers le pays le plus tourmenté de la région : la Meuse se creusant un lit profond et sinueux à traversée massif des Ardennes, tous les accidens de terrain acquièrent, auprès de cette rivière et de ses affluens, une valeur considérable. Vers six ou sept heures du matin, Beck débouchait des bois au nord de la place, à 8 kilomètres du champ de bataille ; il ne pouvait faire plus vite, mais les fuyards étaient arrivés avant lui. Selon certaines versions, le désordre se mit aussitôt dans ses troupes ; selon d’autres, et c’est la plus probable, il maintint sa petite armée ; mais jugeant que, s’il continuait d’avancer au milieu de la cohue, il serait entraîné, il renonça à pousser jusqu’au champ de bataille, prit position, évita le contact des fuyards, les fît filer devant lui et se retira ensuite. Peut-être a-t-il bien fait ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne perdit la confiance ni de son roi, ni du capitaine-général et qu’il conserva sa popularité parmi les troupes.

Des six vieux régimens qui composaient l’infanterie espagnole des Pays-Bas, un seul, Avila, était resté en Boulonnois sous les ordres de Fuensaldaña ; les cinq autres présens à Rocroy furent presque absolument détruits. Un des officiers chargés du dénombrement des prisonniers demandant à un capitaine grièvement blessé : « Combien étiez-vous dans votre régiment ? — Comptez les morts, » répondit le Castillan. Et ce n’était pas ce que Brantôme aurait appelé une « rodomontade d’Espagne. » — Comptons : deux mestres de camp, Velandia et Villalva étaient tués ; deux autres, Garcie et Castelvi, blessés et pris ; le duc d’Albuquerque exerçant le commandement de la cavalerie, son régiment était conduit par le sergent-major Perez de Peralta, qui fut blessé et pris ainsi que le sergent-major de Rocaful ; tous les capitaines furent tués ou pris ; sur les six mille soldats, bas officiers, alferes (sous-lieutenans) ou officiers réformés servant comme soldats, quinze cents environ échappèrent ; tous les autres (4,500) furent tués ou pris[33]. — Deux mestres de camp italiens, le chevalier Visconti et Giovanni delli Ponti étaient parmi les morts ainsi que le baron d’Ambèse, mestre de camp wallon, Virgilio Orsini, etc. Ritberghe, mestre de camp allemand, grièvement blessé, était prisonnier, ainsi que d’autres officiers de haut grade ou personnages de distinction : don Baltazar Mercader, lieutenant du mestre de camp général, don Diego de Strada, lieutenant-général de l’artillerie, le comte de Beaumont, frère du prince de Chimay, le comte de Rœux, de la maison de Crouy, le baron de Saventhem, fils du chancelier des Pays-Bas, le comte de Montecuccoli, don Francisco de la Cueva, don Manuel de Léon, etc.[34]. Beaucoup qui avaient essayé de fuir furent assommés par les paysans. Ceux que les Croates ramassaient étaient aussi dans un certain péril ; le baron de Saventhem resta quatre jours entre leurs mains, nu jusqu’à la ceinture, sans pouvoir se faire comprendre, jusqu’à ce qu’il eut la chance d’être reconnu par le comte de Quincé. Le chapelain major de l’armée catholique n’avait guère été mieux traité. Pris entre deux feux au moment où il assistait Villalva qui rendait l’âme, il fut blessé, dépouillé et pris par les Croates. Le duc d’Anguien le sut, le fit venir, le garda chez lui et lui fit de grands éloges de Melo, que le bon prêtre prit au pied de la lettre.


XI. — RÉSUMÉ.

Résumons en peu de lignes un récit dont les détails ont peut-être obscurci l’ensemble, et marquons par quelques traits principaux les différentes phases de l’action.

Les deux armées ont passé la nuit du 18 au 19 en ordre de bataille, déployées à 900 mètres en face l’une de l’autre, sur deux positions analogues, chacune ayant son infanterie au centre, sa cavalerie aux ailes, l’artillerie près de l’infanterie ; les Espagnols ayant l’avantage du nombre, les Français présentant un plus grand front et des intervalles mieux répartis.

Premier moment. — Le 19, à l’aube du jour, l’aile droite française, commandée par Gassion et dirigée par le duc d’Anguien, commence le combat ; quinze escadrons formant deux échelons en ligne de colonnes, assistés par un bataillon, taillent en pièces mille fantassins d’élite et défont la cavalerie de Flandre ; le duc d’Albuquerque disparaît du champ de bataille. Les escadrons victorieux prennent position au-delà de l’infanterie ennemie.

L’aile gauche française prend aussi l’offensive ; par un faux mouvement de flanc et l’emploi prématuré du galop, les escadrons de première ligne donnent prise à la cavalerie d’Alsace, sont mis en déroute et entraînent la seconde ligne. La Ferté est fait prisonnier ; le canon français est pris, repris, perdu encore ; le maréchal de L’Hôpital est hors de combat.

L’infanterie française formant le centre ou « bataille, » canonnée, abordée sur plusieurs points par la cavalerie, recule et se rapproche de la réserve commandée par Sirot.

L’infanterie du roi catholique dessine un mouvement par échelons, la droite en avant, pour compléter l’avantage remporté par le comte d’Isembourg. Celui-ci occupe sur le flanc gauche de la « bataille » française une position analogue à celle que le duc d’Anguien a conquise derrière la gauche de la « bataille » espagnole ; mais une partie de la cavalerie d’Alsace s’est laissé entraîner dans une direction excentrique en poursuivant les escadrons de La Ferté.

Telle est la situation vers six heures du matin.

Deuxième moment. — Après avoir rallié ses escadrons, le duc d’Anguien, par un changement de front et une charge inopinée, prend à revers l’infanterie ennemie. Traversant les bataillons allemands et wallons qu’il met dans un désordre irrémédiable, il arrive par derrière la première ligne à l’autre extrémité du champ de bataille.

Sirot fait avancer la réserve, décide quelques bataillons à faire face en tête, s’efforce en vain de maintenir la ligne de combat. Le centre français était de nouveau en retraite lorsque le duc d’Anguien reparaît.

La défaite de la seconde et de la troisième ligne arrête le mouvement offensif de l’infanterie du roi catholique. Sirot ramène ses troupes, reprend le canon perdu. Les régimens italiens, premier échelon de droite, chargés en flanc par le duc d’Anguien et menacés de front par Sirot, se retirent en désordre. Le second échelon (Velandia), résiste davantage, mais il est rejeté sur le gros des tercios viejos.

Les escadrons de La Ferté se rallient. Après de brillans engagemens, la cavalerie d’Alsace est enveloppée, rompue et ses débris quittent le champ de bataille. Isembourg est hors de combat.

De toute l’armée du roi catholique, les « Espagnols naturels » restent seuls en ordre sur la position qu’ils occupent depuis la veille ; ils forment un rectangle allongé ; une foule d’hommes appartenant à divers corps ou nations ont grossi leurs rangs. Ils ont conservé leur artillerie. C’est Fontaine qui les commande. En face d’eux les troupes françaises se reforment. Temps d’arrêt général vers huit heures.

Troisième moment. — Le duc d’Anguien, ne voulant laisser ni à l’armée du Luxembourg le temps d’arriver, ni à l’infanterie d’Espagne le loisir de manœuvrer, se hâte d’attaquer la phalange avec les premiers bataillons qu’il a pu réunir et quelques escadrons de la réserve et de l’aile droite. Il est repoussé trois fois par un feu terrible d’artillerie et de mousqueterie.

Toutes les troupes françaises se rallient et se rapprochent. A la quatrième charge, les Espagnols naturels, abordés de trois côtés, à bout de forces et de munitions, sont enfoncés. Tous ceux qui échappent au carnage sont faits prisonniers. Fontaine a été tué. Le capitaine-général parvient à s’échapper et rejoint l’armée de Beck, qui se replie sur Philippeville sans avoir paru sur le champ de bataille. La perte des Espagnols peut être évaluée à sept ou huit mille morts, six ou sept mille prisonniers, presque tous blessés, vingt-quatre bouches à feu, cent soixante-dix drapeaux, quatorze cornettes, vingt guidons, dix pontons, un butin considérable, un trésor important[35], la chaise sur laquelle avait été tué le brave Fontaine[36] et le bâton de commandement abandonné par Melo[37].

Les Français comptaient environ deux mille hommes tués, dont trois chefs de corps, d’Ayen, d’Altenove et d’Arcombat, dix-huit capitaines et presque tous les gardes de M. le Duc[38], autant de blessés parmi lesquels nous remarquons, outre L’Hôpital et La Ferté, les mestres de camp Beauvau, Persan et La Trousse.

Commencée entre trois et quatre heures du matin, la bataille de Rocroy était terminée à dix heures. C’était la victoire la plus complète et la plus éclatante remportée par nos armes depuis un siècle ; car il y avait cent ans que l’armée espagnole d’Italie avait été arrêtée dans la plaine de Cérisoles par François de Bourbon, comte d’Anguien.


Henri d’Orléans.

  1. Voyez la Revue du 1er avril.
  2. , 8 kilomètres nord-est de Vervins.
  3. Le 14 mai, à 2.45 p. m.
  4. M. le Duc à Mazarin, Foigny, 16 mai.
  5. M. le Duc à Gassion, 16 mai, de Foigny.
  6. Ou plutôt le sergent de bataille qui remplissait ces fonctions par intérim. Le titulaire, La Vallière, était parti pour Paris le 12 mai et rejoignit son poste dans la nuit du 18 au 19.
  7. Persan (François de Vaudetar, marquis de), fils d’Honoré, banon de Persan, que nous avons vu chargé de garder le prince Henri II, à Vincennes et ce Louise de L’Hôpital, sœur des maréchaux de Vitry et de L’Hôpital. Il avait servi sous le prince de Condé en Languedoc ; son régiment, levé en 1640, s’était bien conduit à La Marfée et à Honnecourt. Il fit sous le duc d’Anguien les campagnes des années suivantes, d’abord comme mestre de camp, puis de 1647 à 1648 comme maréchal de camp. Pendant les troubles, il suivit le parti de M. le Prince, rentra en France à la paix des Pyrénées, et quitta le service.
  8. M. le Duc à M. le Prince, Rumigny, 17 mai.
  9. Adjudans-majors de nos jours.
  10. Ordre de bataille de l’infanterie (à Rocroy), original.
  11. Infanterie : 21 régimens et 8 compagnies royales formant 18 ainsi disposés ; au centre, de la gauche à la droite
    BATAILLE — ESPENAN

    GAUCHE : 1re  ligne. — Piémont. — Rambure. — Bourdonné ; Biascaras (1 bataillon)
    2e ligne. — Roll. (Suisse) — Langeron ; Brézé (1 bataillon) — Bussy ; Guiche (1 bataillon)
    DROITE : 1re  ligne. — Molondin (2e). Molondin (1er ) (Suisse). — Persan. — La Marine. — Picardie.
    2e ligne. — Gardes écossaises. — Watteville (1er ) (Suisse). — Vidame. — Vervins ; La Prée (1 bataillon)

    RESERVE. — SIROT.

    Harcourt. Aubeterre. Gesvres. (1 bataillon) — Watteville (2e) (Suisse)(. — 8 compagnies royales. (1 bataillon)
    Ces trois bataillons intercalés avec quatre escadrons (vide infra).

    CAVALERIE.

    Croates et fusiliers : 3 régimens (4 esc). — Gardes de M. le Duc : 1 comp. (1 esc). — Cavalerie : 21 régimens (25 escadrons). — Gendarmes : 6 comp. (2 esc.). Ensemble. : 24 régimens et 7 compagnies formant 32 escadrons, ainsi répartis, aux ailes :

    AILE GAUCHE. — : LA FERTE.

    En flèche : — Fusiliers (1re  et 2e).
    1re  ligne. — Guiche, (1er  et. 2e). La Ferté. (1er  et 2e). Beauvan (Liégeois). La Clavière. — (6 escadrons.)
    2e ligne. — Harcourt. Heudicourt. Marolle. X… (Gesvres ? ) Nétaf (étranger). — (5 esc.)

    AILE DROITE — GASSION.

    1re . ligne. — Sully. Coislin. Lenoncourt. Mestre de camp, général (1er  et 2e). Roya (1re  et 2e). — (7 escadrons.)
    2e ligne. — Vamberg (étranger). Leschelle (étranger). Sillart (étranger). Menneville. Roquelaure. (5 escadrons.)
    En flèche : — Gardes. Raab (Croates). Chack (Croates).

    RÉSERVE. — SIROT.

    Charost (1 esc.). Gendarmes de Longueville, de Guiche, de Vaubecourt, (1 esc). Gendarmes de la reine, Écossais, de Condé (1 ecc.). Sirot (1 esc.).
    Ces 4 escadrons intercalés avec. 3 régimens d’infanterie (vide supra).

  12. Marolles (Joachim de Lenoncourt, marquis de), condamné à mort en 1633 pour avoir attaqué le baron Des Chapelles, passe dans les états du duc de Savoie et depuis 1635 sert dans les armées de cet allié de la France avec une grande distinction. En 1639, il lève un régiment d’infanterie entretenu par le roi pour la garde de la duchesse de Savoie et de son fils. Rentré en France, il obtient un régiment de cavalerie (18 avril 1643) ; nous le verrons nommer gouverneur de Thionville. Maréchal de camp en 1646, lieutenant-général en 1652, il fut tué d’un coup de canon en 1655 au siège de Mussy en Lorraine, laissant pour héritier de son nom un enfant de huit jours. Il avait reçu vingt-quatre blessures ; cinq de ses frères étaient morts comme lui sur le champ de bataille.
  13. Fils aîné de François de Noailles, gouverneur d’Auvergne et de Roussillon, et de Rose de Roquelaure.
  14. Alors appelé marquis d’Andelot, plus tard duc de Châtillon.
  15. Par décision du 16 avril 1643, connue à l’armée le 18 mai, le régiment des gardes écossaises devait prendre rang immédiatement après les gardes suisses. Ce régiment, déjà fort beau, avait été récemment lové par le comte d’Erwin, qui eut pour successeur André Rutherford, comte de Teviot.
  16. Molondin, levé en 1635, montra une grande fermeté en 1636. Le chef de corps, Jacques d’Estavayé de Molondin, ayant pris une compagnie aux gardes suisses, laissait le commandement du régiment à son frère, en faveur duquel il se démit définitivement lorsqu’il fut nommé maréchal de camp en 1645. Imbotti lui dédia son curieux ouvrage sur la milice moderne. Louis de Roll, qui commandait à Rocroy un autre régiment suisse d’un bataillon (levé en 1641) était aussi de Soleure. Watteville (deux bataillons) était de Berne.
  17. Montcha (Edme-Claude de Simiaae, comte de) successivement guidon, sous-lieutenant et capitaine-lieutenant des gendarmes de la reine, quitta sa compagnie et le service, à la mort d’Anne d’Autriche (1666).
  18. Tué le 4 août 1644 devant Fribourg.
  19. De Nangis (François de Brichanteau, marquis), né le 4 octobre 1618, cornette des chevau-légers de Condé en 1631, mestre de camp d’un régiment d’infanterie de son nom (1635), obtient le régiment de Picardie en 1640. Nommé maréchal de camp pendant le siège de Thionville (13 juin 1643), il fut tué devant Gravelines le 14 juillet 1644. Louis de Melun de Maupertuis succéda au marquis de Nangis et fut tué presque aussitôt devant Sierck (septembre 1613.)
  20. La Trousse (François Le Hardy, marquis de), volontaire en 1629, capitaine de chevau-légers en 1638, par succession d’un de ses frères tué, lieutenant-colonel de La Marine le 4 mars 1641, colonel-lieutenant en 1642, maréchal de camp en 1644, tué devant Tortose en 1648. Son frère, Adrien, chevalier de Malte, aussi présent à Rocroy comme capitaine dans La Marine, prit le commandement du régiment en 1644, devint maréchal de camp en 1651 et mourut en 1691.
  21. Dépêche de Giuatiniani, ambassadeur vénitien, 23 mai.
  22. 32 kilomètres de Rocroy.
  23. Disposition rationnelle, puisqu’elle ne donne pas d’angle mort, mais compliquée et bizarre, qu’une infanterie très exercée pouvait seule adopter.
  24. A Thionville, La Marfée, Honnecourt.
  25. Aqui quiero morir con los señores italianos. (Récit de Vincart.)
  26. « Je ne songe point à l’estat où je trouvay ce prince qu’il ne me semble voir un de ces tableaux où le peintre a fait un effort pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat. » (Bussy-Rabutin, Mémoires) siège de Mardick en 1646.)
  27. Gazette, n° 64.
  28. On a reproché au vainqueur de Rocroy : 1° d’avoir oublié un moment son rôle de général en chef, de s’être laissé entraîner par son ardeur, en conduisant l’aile droite et en négligeant la direction de la gauche et du centre. Mais il ne pouvait prévoir que ses lieutenans enfreindraient ses ordres ou les comprendraient si mal. S’il n’avait pas été lui même à la tête de l’aile victorieuse, il n’eût pu dégager l’aile battue par la manœuvre que son génie improvisa ; 2° d’avoir compromis le succès en attaquant l’infanterie espagnole avec des forces insuffisantes et d’avoir ainsi causé une effusion de sang inutile. Mais il ne pouvait pas laisser respirer un ennemi aussi redoutable, attendre qu’il se mit à manœuvrer ou que Beck arrivât.
  29. Sous-lieutenant d’infanterie.
  30. Les écrivains étrangers estiment que le nombre des officiers mêlés à la troupe fut une des causes de la supériorité de la cavalerie française.
  31. Vincart fait disparaître Fontaine dès le début de l’action. C’est une erreur volontaire qui rentre dans le plan du panégyriste de Melo. Le souvenir de ce vieillard, porté sur sa chaise et dirigeant le feu de son infanterie, était resté dans la mémoire de tous les acteurs et spectateurs du dénoûment de la bataille, et Bossuet, dans son magnifique tableau, n’a fait que rendre l’impression générale. Suivant une tradition assez bien établie, le maréchal de camp général espagnol fut renversé d’un coup de pistolet par un capitaine de Persan, Guimey, dans le second ou le troisième choc des colonnes d’attaque françaises contre, les tercios viejos.
  32. A la bataille de Lens, 1648.
  33. Voici, autant qu’on peut rétablir, la liste des régimens qui composaient l’infanterie du roi catholique à Rocroy :
    Espagnols. — Albuquerque, Velandia, Villalva, Castelvi, Garcies.
    Italiens. — Strozzi, Delli Ponti, Visconti.
    Allemands. — Ritberghe, Merghem, Frangipani.
    Bourguignons. — Grammont, Saint Amour.
    Wallons. — Des Granges, prince de Ligne, d’Ambèse, Ribeancourt, Bassigny.
    Le 31 mai, Fabert envoya de Sedan à Mazarin l’état des « échappés de Rocroy » qui peut se décomposer ainsi :
    1,600 Espagnols, 1,700 Italiens, 1,200 d’autres nationalités, incorporés à Philippeville dans le corps de Beck ; 3,160 de diverses nations, dont 1,960 blessés, à Namur. Total 7,660.
  34. Ces prisonniers étaient un grand embarras ; jamais on n’en avait vu un tel nombre. Beaucoup étaient blessés ; il était difficile de les soigner. Deux chirurgiens-majors belges sont les seuls officiers de santé qui figurent sur le rôle conservé au dépôt de la guerre ; ce rôle est fort confus ; les noms y sont tous mutilés. — On dirigea les groupes d’abord sur les villes ouvertes de la Champagne, Reims, Rethel et d’autres, ainsi que sur les places fermées, où cela causait une grande incommodité, puis de là, le plus tôt qu’on put, dans l’Ouest, à Rouen, Caen, Alençon, le Mans, Amboise, Loches, Nantes, Niort, ou dans le centre, à Nevers, Moulins, Clermont. Leur subsistance était mise à la charge des villes, qui réclamaient des compensations toujours promises et rarement données. L’écoulement par échange ou rançon dura fort longtemps.
  35. Un mois de solde pour toute l’armée.
  36. Cette chaise donnée par le duc d’Anguien au major de place Pierre Noël, fut offerte par l’arrière-petite-fille de cet officier à l’un des derniers princes de Condé, qui la fit placer dans la galerie des armures de Chantilly. On la voit aujourd’hui au Musée d’artillerie.
  37. Ce bâton, tout couvert d’inscriptions qui rappelaient les précédentes victoires du capitaine-général, a été célébré dans un petit poème latin : Canna Melonis, pugna Rocroyana ; Parisiis, 1643.
  38. Entre autres, les deux officiers présens à la bataille, le lieutenant et l’exempt. Saint-Evremond, titulaire de la lieutenance, était absent.