La Première Tentation de Saint Antoine/Fragments/VI

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VI[1]

LA LUXURE

Vois-tu plus loin, dans l’écartement des branches, une masse sombre, qui coule sur le fleuve ? C’est une barque d’Éthiopie chargée de plumes d’autruches et de femmes nègres. Elles pleurent, et, tendant leurs bras au soleil, elles regardent, du côté des cataractes, vers le pays natal. Le navire en est plein, depuis le pied des mâts jusqu’aux sabords, et, disparaissant sous la chair d’esclave, il descend lentement au fil d’eau, comme une grappe de raisin noir abandonnée sur les ondes.

Antoine regarde. Le bateau, peu à peu, se rapproche. Les femmes se distinguent.

Il y en a une, toute jeune, aux lèvres retroussées comme les bords d’une coupe de corail. Ses yeux couleur d’étain ont le regard béant des idoles et ses larges dents blanches ricanent d’une manière vorace… Siffle ! Elle va se jeter dans le fleuve, elle nagera et tu la serreras contre toi, ruisselante encore, nue, et sentant la vague comme un poisson frais…

  1. Feuillet non numéroté, mais qui semble la continuation du passage précédent.