La Prairie (Cooper)/Chapitre XXIV

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 7p. 288-304).


CHAPITRE XXIV.


Mais, dis-moi, Hal, n’es-tu pas horriblement effrayé ?
Shakspeare



Un second coup d’œil suffit pour convaincre le Trappeur et ses compagnons fort étonnée que le jeune Pawnie, qu’ils avaient déjà rencontré, était l’individu qui se trouvait de nouveau devant eux. La surprise occasionna d’abord un silence général, et l’on passa plus d’une minute à se regarder mutuellement avec un air d’étonnement, sinon de méfiance. L’étonnement du jeune guerrier semblait pourtant moins vif, et avait plus de dignité que celui des chrétiens dont il avait déjà fait la connaissance. Tandis que Middleton et Paul sentaient se glisser dans leurs membres une partie du tremblement qui agitait ceux des compagnes timides placées en croupe derrière eux, l’œil étincelant de l’Indien passait rapidement de l’un à l’autre, comme si les plus grands dangers n’eussent pu le forcer à le baisser. Après avoir examiné à la hâte toutes ces figures européennes, où se peignait une sorte de stupeur, ses regards se fixèrent enfin, avec tout le calme de la fierté, sur les traits également tranquilles du vieux Trappeur.

Le docteur Battius rompit le premier le silence, en s’écriant : Ordo, primates ; genus, homme ; species, la Prairie.

— Oui, oui, le secret est découvert, dit le vieillard en secouant la tête en homme qui se félicitait d’avoir pénétré le mystère d’un problème difficile résoudre. Le jeune homme a passé la nuit dans l’herbe ; le feu l’a surpris pendant son sommeil, et, ayant perdu son cheval, il s’est mis à l’abri des flammes sous le cuir d’un buffle tout fraîchement tué ; ce n’est pas une mauvaise invention quand on n’a ni poudre ni pierre à fusil pour chasser le feu par le feu. Je réponds que ce jeune Indien ne manque pas d’intelligence, et que c’est un homme avec qui l’on pourrait voyager en sûreté. Je vais lui parler avec douceur ; car l’emportement ne nous servirait à rien. — Mon frère est de nouveau le bien-venu, dit-il en parlant à l’Indien la langue que celui-ci connaissait. Les Tetons l’ont enfumé comme s’il eût été un raton[1].

Le jeune Pawnie jeta un coup d’œil sur l’endroit d’où il venait de se lever, comme s’il eût voulu reconnaître toute l’étendue du péril auquel il avait été exposé ; mais cet examen ne lui arracha pas la moindre marque d’émotion ; il fronça pourtant les sourcils en répondant à l’observation du Trappeur.

— Les Tetons sont des chiens, dit-il. Quand leurs oreilles entendent le cri de guerre des Pawnies, toute la nation se met à hurler.

— C’est la vérité, dit le vieillard. Les coquins nous suivent à la piste, et je suis content d’avoir rencontré un guerrier armé du tomahawk, qui ne les aime pas. Mon frère veut-il conduire mes enfants à son village ? Si les Sioux se trouvent sur le chemin, mes jeunes guerriers l’aideront à les combattre.

— Le jeune Pawnie jeta un regard sur chacun des étrangers qui composaient ce groupe, et les examina avec attention avant de se décider à répondre à cette question. L’examen qu’il fit des hommes ne fut pas long, et parut satisfaisant ; mais ses yeux, comme lors de la première entrevue, restèrent longtemps fixés avec admiration sur les charmes d’Inez, dont il n’avait jamais rien vu qui pût approcher. Ses regards s’en écartaient un moment pour contempler les attraits d’Hélène, qui, quoique extraordinaires, étaient en quelque sorte plus intelligibles pour lui ; mais il revenait promptement étudier une créature qui, à son œil peu exercé, à son imagination sans guide, semblait offrir toutes les perfections dont un jeune poëte doue les brillantes images écloses dans son cerveau ardent. Jamais rien de si beau, de si idéal, de si digne de récompenser le courage et le dévouement d’un guerrier, ne s’était présenté à ses yeux sur les Prairies, et le jeune Indien paraissait sentir profondément et comme par instinct l’influence d’un si rare modèle de l’amabilité de son sexe. S’apercevant pourtant que ses regards causaient quelque embarras à celle qui les attirait, il les en détourna pour répondre au vieillard.

— Mon père sera le bienvenu, lui dit-il modestement en appuyant la main sur sa poitrine d’un air expressif. Les jeunes guerriers de ma nation chasseront avec ses enfants ; les chefs fumeront avec la tête grise ; les filles des Pawnies feront entendre leurs chants aux oreilles de ses filles.

— Et si nous rencontrons les Tetons ? demanda le Trappeur, qui désirait que les plus importantes conditions de cette nouvelle alliance fussent parfaitement réglées.

— Les ennemis des Longs-Couteaux sentiront les coups du Pawnie.

— C’est bien ; maintenant, que mon frère et moi tiennent conseil ensemble, afin que nous ne marchions pas sur un chemin tortueux, et que notre route vers son village soit semblable au vol des pigeons.

Le jeune Indien fit insigne de consentement, et le vieillard l’emmena quelques pas plus loin, afin de n’avoir pas à craindre d’être interrompu par l’insouciance de Paul ou les distractions du naturaliste ; leur conférence fut courte, mais comme elle eut lieu suivant la manière laconique et sentenciense des Indiens, elle suffit pour instruire les deux parties de ce que chacune d’elles avait réciproquement à apprendre. Quand ils eurent rejoint leurs compagnons, le Trappeur crut devoir leur expliquer une partie de ce qui s’était passé entre le jeune Indien et lui.

— Oui, oui, dit-il, je ne me trompais pas ; ce jeune guerrier de bonne mine, — car il a bonne mine et il a l’air noble, quoique sa peinture le défigure peut-être un peu, — ce brave jeune homme, en un mot, vient de me dire qu’il est à l’affût de ces coquins de Tetons ; sa troupe n’était pas assez forte pour tomber sur eux, parce qu’ils sont partis de leurs habitations en grand nombre pour chasser le buffle, et des coureurs ont été envoyés aux villages des Pawnies pour en faire venir des renforts. Il paraît que ce jeune Indien est un garçon intrépide, car il a suivi leur piste tout seul, et il a été obligé comme nous de se cacher dans les grandes herbes ; mais il m’a dit entre autres choses, mes amis, et j’ai été fâché de l’apprendre, que ce rusé Mahtoree, au lieu d’en venir aux coups avec le squatter, est devenu son ami, et que nous avons maintenant sur nos talons les deux lignées Rouge et Blanche, qui font le guet autour de ce cercle de feu, pour tomber sur nous si nous en sortons.

— Comment le sait-il ? demanda Middleton.

— Comment ? dites-vous.

— De quelle manière a-t-il appris tout cela ?

— De quelle manière ? croyez-vous qu’un espion indien ait besoin de journaux et de crieurs publics, comme dans les États, pour savoir ce qui se passe dans les Prairies ? nulle commère allant de maison en maison médire de son voisin ne peut répandre une nouvelle avec sa langue aussi vite que ces tribus peuvent faire savoir ce qu’elles ont appris par des signes et des moyens qu’elles connaissent seules. C’est là leur science, et, ce qui vaut encore mieux, c’est qu’elles l’acquièrent en plein air et non entre les quatre murs d’une école ; je vous réponds, capitaine, que ce qu’il dit est vrai.

— Quant à cela, j’en ferais serment, dit Paul ; cela est raisonnable, et par conséquent il faut que cela soit vrai.

— Vous pouvez le faire en conscience, mon ami, vous ne risquez rien ; il m’a dit ensuite que pour cette fois mes vieux yeux ne m’ont pas encore trompé, et que la rivière est à une demi-lieue d’ici dans la direction que je vous ai montrée. Vous voyez que le feu a à peu près fini son ouvrage de ce côté, et que la fumée couvre notre sentier ; il pense comme moi qu’il est à propos de noyer nos traces dans l’eau ; oui, il faut que nous placions cette rivière entre nous et les yeux des Sioux, et alors avec la grâce du ciel, sans oublier nos propres efforts, nous pouvons gagner le village des Loups.

— Les discours ne nous avanceront pas d’un pied, dit Middleton ; marchons !

Le vieillard y consentit, et l’on se prépara à se mettre en route ; le Pawnie jeta sur son épaule sa peau de buffle, et marcha en avant ; non sans retourner souvent la tête pour jeter un coup d’œil sur les charmes extraordinaires et inexplicables pour lui d’Inez, qui ne s’en apercevait pas.

Une heure suffit pour conduire les fugitifs sur les bords de cette eau désirée, qui était une des cent rivières qui, par le moyen des immenses artères du Missouri et du Mississipi, portent à l’Océan les eaux de cette vaste région encore inhabitée. Le lit n’en était pas très-profond, mais les eaux en étaient troubles et le cours rapide. Les flammes avaient brûlé la terre jusque sur la rive, et la vapeur des eaux, du milieu de l’air frais du matin, se mêlant à la fumée de l’incendie qui exerçait encore sa fureur dans le lointain, en couvrait la surface comme d’un manteau mobile.

Le Trappeur fit remarquer cette circonstance avec plaisir, et dit en aidant Inez à descendre de cheval sur le bord de la rivière :

— L’astuce des coquins tourne contre eux, car je ne sais trop si je n’aurais pas mis le feu, moi-même à la Prairie, pour que cette fumée leur cachât nos mouvements, s’ils ne m’en avaient épargné la peine. J’ai vu faire de pareilles choses de mon temps, et je l’ai fait moi-même avec succès. — Allons, mettez à terre votre pied délicat ; vous avez eu de mauvais moments à passer pour une jeune dame élevée comme vous l’avez été ; ah ! que n’ai-je pas vu souffrir par de jeunes femmes modestes et vertueuses, au milieu des horreurs et des astuces d’une guerre avec les Indiens ! Mais allons, il n’y a qu’un petit quart de mille d’ici à l’autre rive, et quand nous y serons notre trace sera perdue.

Paul venait d’aider Hélène à sauter à bas de son cheval, et il portait des regards désolés sur les bords de la rivière. Pas un arbre, pas un arbrisseau ne croissait sur les rives, à l’exception de quelques buissons solitaires qu’on voyait çà et là, et dans lesquels il n’aurait pas été facile de trouver une douzaine de tiges dont on pût se faire une canne.

— Écoutez donc, vieux Trappeur, s’écria-t-il d’un air déconcerté ; il est fort bien de parler de l’autre bord de cette rivière, de ce fleuve, de ce ruisseau ; n’importe quel nom vous lui donniez ; mais, à mon avis, il faudrait un bon fusil pour jeter sur l’autre rive une balle qui pût se faire sentir à un daim ou à un Indien.

— Oui, il en faudrait un bon, et cependant celui que je porte n’a pas manqué son coup, dans l’occasion, à distance semblable.

— Et avez-vous dessein de vous en servir pour lancer de l’autre côté de l’eau Hélène et l’épouse du capitaine, ou croyez-vous qu’elles passeront la rivière comme des truites, la tête sous l’eau ?

— Cette rivière est-elle trop profonde pour qu’on la passe à gué ? demanda Middleton, qui, de même que Paul, commençait à réfléchir sur l’impossibilité de transporter sur l’autre rive celle dont la vie lui était plus précieuse que la sienne.

— Quand les montagnes de l’intérieur l’alimentent de leurs torrents, c’est, comme vous le voyez, une rivière large et rapide ; et cependant j’ai traversé, dans mon temps, son lit sablonneux sans me mouiller les genoux. Mais nous avons les chevaux des Sioux, et je réponds qu’ils nageront comme des daims.

— Vieux Trappeur, dit Paul en enfonçant ses doigts dans ses cheveux, comme c’était sa coutume quand sa philosophie se trouvait confondue par quelque difficulté, j’ai nagé plus d’une fois comme un poisson ; j’en ferais bien encore autant, si besoin en était, et je ne m’inquiète guère du temps ; mais je doute qu’Hélène puisse se tenir à cheval, quand elle verrai rouler devant elle l’eau de cette rivière aussi vite que si elle voulait faire tourner la roue d’un moulin. D’ailleurs il est sûr qu’elle ne pourrait faire cette traversée les pieds secs.

— Il a raison, dit le vieillard, et il faut que nous imaginions quelque moyen pour traverser cette rivière, ou que nous renoncions à ce projet. Coupant court à cet entretien, il se tourna vers le Pawnie, et il lui expliqua l’embarras où il se trouvait pour faire passer les deux femmes sur l’autre rive. Le jeune guerrier l’écouta gravement ; prenant ensuite la peau de buffle qu’il portait sur ses épaules, il commença les préparatifs nécessaires pour arriver à ce but et fut bien secondé par l’intelligence de son compagnon.

Le cuir du buffle prit bientôt la forme du comble d’un parapluie, ou d’un parachute renversé, à l’aide de courroies de peau de daim dont les deux travailleurs étaient heureusement munis ; et quelques bâtons coupés dans les buissons empêchaient les bords de tomber et de se rapprocher. Quand cette barque bien simple fut prête, ils la placèrent sur la rivière, et l’Indien fit signe à Inez et à Hélène d’y descendre.

Toutes deux hésitèrent à confier leur vie à un aussi frêle esquif, et Middleton et Paul ne voulurent pas consentir quelles s’y plaçassent avant de s’être personnellement assurés que la barque était en état de soutenir un poids beaucoup plus considérable que celui qui lui était destiné : alors elles surmontèrent la crainte qui les agitait encore, et la petite chaloupe reçut son précieux chargement.

— Maintenant, que le Pawnie remplisse les fonctions de pilote, dit le Trappeur ; ma main n’est plus aussi ferme qu’autrefois, et il a des membres semblables au bois de fer. Abandonnez tout à la prudence du Pawnie.

L’époux et l’amant n’avaient rien de mieux à faire que de suivre ce conseil, et ils furent obligés de rester spectateurs passifs, quoique bien vivement intéressés, du passage d’une rivière effectué par de si faibles moyens. Parmi les trois chevaux, l’Indien choisit celui de Mahtoree, avec une promptitude qui prouvait qu’il était loin d’ignorer les qualités de cet animal ; et sautant sur son dos, il entra dans la rivière. Plongeant le bout de sa lance dans le cuir dont il avait fait une barque, il en dirigea ainsi la marche, et lâchant la bride à son coursier, il entra hardiment dans le courant. Middleton et Paul le suivaient sur les deux autres chevaux, se tenant aussi près du frêle esquif que la prudence le leur permettait. Le jeune guerrier conduisit ainsi son dépôt précieux sur la rive opposée, où Inez et Hélène débarquèrent en sureté, sans avoir éprouvé le plus léger accident, et la traversée se fit avec un calme et une célerité qui annonçaient qu’elle n’avait rien d’extraordinaire ni pour le cheval ni pour le cavalier.

Dès qu’il fut sur le rivage, le jeune Indien défit son ouvrage, jeta la peau de buffle sur son épaule, mit les bâtons sous son bras, et, remontant à cheval, rentra dans la rivière pour aller chercher les deux individus qui étaient restés sur l’autre bord, et les amener sur la rive qui était regardée avec raison comme le côté le plus sûr.

— Maintenant, ami docteur, dit le vieillard, quand il vit l’Indien entrer dans la rivière, je reconnais qu’il y a de la bonne foi sous cette peau rouge. C’est un jeune homme de bonne mine, sans doute, et qui a l’air honnête ; mais les vents du ciel ne sont pas plus trompeurs que les sauvages, quand le diable s’en est une fois mis en possession. Si ce Pawnie eût été un Teton, ou un de ces coquins de Mingos qui rôdaient dans les bois d’York il y a quelque soixante ans, nous aurions vu son dos et son visage se tourner de notre côté. Je n’étais pas sans quelque inquiétude, quand je l’ai vu choisir le meilleur cheval ; car, avec cette monture, il lui aurait été aussi facile de s’éloigner de nous, qu’il le serait à un léger pigeon de se séparer d’une troupe de corbeaux croassant, soutenus sur leurs ailes pesantes. Mais vous voyez qu’il y a de la franchise dans ce jeune homme. Faites-vous une fois un ami d’une Peau Rouge, et vous pouvez compter sur sa bonne foi, tant que vous en aurez envers lui.

— Quelle peut être la distance d’ici aux sources de cette rivière ? demanda le docteur Battius, dont les yeux roulaient sur le cours rapide des eaux avec une expression singulière de doute et de curiosité ; faut-il aller bien loin pour en trouver les sources secrètes ?

— C’est suivant le temps. Aujourd’hui je vous réponds que vous auriez les jambes fatiguées avant de l’avoir remontée jusqu’aux Montagnes Rocheuses ; mais il y a des saisons ou vous pourriez en suivre le lit sans vous mouiller les pieds.

— Et dans quelles divisions particulières de l’année ces saisons périodiques se trouvent-elles ?

— Celui qui passera en cet endroit dans quelques mois d’ici ne trouvera qu’un désert de sable, au lieu de ce torrent rapide.

Le naturaliste se mit à réfléchir profondément. Comme l’auraient fait fort bien des gens qui n’auraient pas reçu de la nature un superflu de courage physique, il s’exagéra tellement et si rapidement le danger de traverser une rivière d’une manière si simple, qu’en voyant venir le moment où il fallait se décider à courir un tel risque, il songea sérieusement à remonter jusqu’à sa source, pour éviter une traversée si périlleuse. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les efforts incroyables que fait la peur pour appuyer sur quelques arguments la détermination qu’elle inspire. Le digne Obed discuta ce sujet avec une attention et une éloquence remarquables, et il était arrivé à la conclusion consolante qu’il serait aussi glorieux de découvrir la source inconnue d’une si grande rivière, que d’ajouter une plante ou un insecte aux catalogues d’histoire naturelle, quand le Pawnie toucha rivage pour la seconde fois.

Le vieillard s’assit tranquillement dans la petite barque de cuir, dès qu’elle fut prête à recevoir les passagers, et ayant placé avec soin le vieil Hector entre ses jambes ; il fit signe à son compagnon de venir le rejoindre.

Le naturaliste avança un pied sur le fragile esquif, comme on voit un éléphant, et souvent même un cheval, essayer la solidité d’un pont avant d’y confier le poids de son corps ; mais il le retira à l’instant où le vieillard croyait qu’il allait y placer l’autre.

— Vénérable Trappeur, dit le docteur d’un ton lugubre, cette barque n’a été construite d’après aucun principe scientifique, une voix secrète m’avertit de ne pas m’y fier.

— Que dites-vous ? demanda le vieillard, qui jouait avec une oreille de son chien, comme un père le ferait avec un enfant favori.

— Je dis que je n’aime pas ce mode irrégulier de faire des expériences sur les fluides. Cette barque n’a ni formes ni proportions.

— Elle n’est pas aussi élégante que des canots d’écorce et de bouleau que j’ai vus ; mais on peut être à son aise dans un vigwam comme dans un palais.

— Il est impossible qu’on soit en sûreté sur un esquif construit d’après des principes si contraires aux sciences, vénérable Trappeur ; cette espèce de tonneau n’atteindra jamais l’autre bord.

— Vous l’avez vu vous-même y arriver.

— Oui ; mais c’était une anomalie en prospérité. Si l’on prenait les exceptions pour des règles dans le gouvernement du monde, la race humaine serait bientôt plongée dans le gouffre de l’ignorance. Vénérable Trappeur, cette barque, à laquelle vous voulez confier votre sûreté est, dans les annales des inventions régulières, ce qu’un lusus naturœ est dans la nomenclature de l’histoire naturelle, un monstre.

Il est difficile de dire combien de temps le docteur Battius aurait prolongé cette discussion, car, indépendamment des puissantes considérations personnelles qui le détournaient d’une expérience qui n’était certainement pas sans danger, l’orgueil de la raison commençait à le soutenir dans sa résolution. Mais heureusement pour la patience du vieillard, à peine le naturaliste avait-il prononcé le dernier mot de la phrase précédente, que le vent apporta à ses oreilles un son qui semblait un écho surnaturel de l’idée qu’il venait d’exprimer. Le jeune Pawnie, qui attendait la fin de cette discussion incompréhensible pour lui, avec une impassibilité et une gravité caractéristiques, leva la tête, et écouta ce son inconnu, comme un cerf dont l’instinct mystérieux découvre le bruit de la course des chiens qui le poursuivent, et qu’il ne voit pas encore. Le Trappeur et le naturaliste connaissaient un peu mieux la nature de ces sons extraordinaires. Le docteur reconnut sur-le-champ la voix de son fidèle compagnon, et il allait courir à sa rencontre le long des rives de la rivière sur les ailes de l’affection, quand asinus se montra à quelque distance, forcé à un galop qui ne lui était pas naturel, par les coups du brutal Wencha qui s’était placé sur son dos.

Les yeux du Teton et ceux des fugitifs se rencontrèrent. Le sauvage poussa de toutes ses forces un hurlement long, perçant et effrayant, qui semblait en même temps un cri d’appel et de triomphe. Ce signal coupa court à la discussion sur la barque ; le docteur y entra sur-le-champ et s’assit à côté du vieillard, comme si le brouillard qui l’empêchait d’en reconnaître l’excellence se fût dissipé miraculeusement tout d’un coup. Au même instant le coursier du jeune Pawnie commença à lutter contre le torrent.

Il fallut toute la vigueur de cet excellent cheval pour mettre les fugitifs hors de la portée des flèches qui traversèrent l’air quelques moments après. Le cri de Wencha avait amené sur le bord de la rivière une cinquantaine de ses compagnons, mais heureusement aucun d’eux n’était d’un rang suffisant pour avoir le privilège de porter un fusil. Cependant, à peine la fragile nacelle était-elle arrivée au milieu de la rivière ; quand on vit paraître sur la rive Mahtoree lui-même ; et une décharge d’armes à feu, qui ne fit aucun mal, annonça la rage et le désappointement de ce chef. Les yeux du jeune Pawnie étincelèrent comme ceux du couguar, à la vue d’un si grand nombre de ses ennemis, et il répondit aux hostilités impuissantes de leur chef, en levant le bras en l’air avec un geste de mépris, et en poussant le cri de guerre de sa nation. Cette insulte ne pouvait être endurée ; tous les Tetons se jetèrent sur-le-champ dans la rivière, et l’eau se couvrit de chevaux et de guerriers.

Chacun des deux partis fit alors des efforts incroyables pour arriver avant l’autre à la rive opposée. Les Dahcotahs étant montés sur des chevaux qui n’avaient pas, comme celui du Pawnie, presque déjà épuisé leurs forces par une double traversée, et qui n’avaient d’autre fardeau que leurs cavaliers, gagnaient rapidement du terrain sur les fugitifs. Le Trappeur, qui sentait parfaitement tout le danger de leur situation, sans rien perdre de son sang-froid, détourna ses yeux des Tetons qui les poursuivaient, pour les fixer sur le jeune Indien son compagnon, afin d’examiner s’il commençait à manquer de résolution, à mesure que la distance qui les séparait de leurs ennemis devenait moins considérable ; mais au lieu de montrer la moindre crainte, ou l’inquiétude que pouvait naturellement inspirer la situation dans laquelle il se trouvait, le Pawnie fronçait le sourcil, et jetait sur les Tetons des regards qui respiraient une animosité mortelle.

— Tenez-vous beaucoup à la vie, ami docteur ? demanda le vieillard avec une sorte de calme philosophique qui rendit cette question doublement effrayante pour son compagnon.

— Non pas pour elle-même, répondit le naturaliste en puisant dans la rivière un peu d’eau dans le creux de sa main pour se rafraîchir le gosier ; non pas pour la vie en elle-même ; mais j’y tiens beaucoup pour l’histoire naturelle, qui a grand intérêt à mon existence, et par conséquent…

— Oui, dit le Trappeur trop occupé de ses idées pour analyser celles du docteur avec sa sagacité ordinaire, c’est vraiment une histoire toute naturelle, mais c’est un sentiment bas et lâche. La vie est aussi précieuse pour ce jeune Pawnie que pour aucun gouverneur des États, et il pourrait se sauver, ou du moins en avoir quelque chance, s’il nous abandonnait au courant de l’eau ; et cependant vous voyez qu’il tient fidèlement la parole qu’il nous a donnée, en vrai guerrier indien. Moi, je suis vieux et disposé à tout ce qu’il plaira au Seigneur d’ordonner de moi ; vous, je ne vois pas que vous soyez bien utile au genre humain ; je suis donc d’avis, si cela vous convient, de dire à ce brave jeune homme de ne songer qu’à lui, et de nous abandonner à la merci des Tetons.

— Je m’y oppose formellement, s’écria le naturaliste alarmé ; cette proposition est contraire à la nature, c’est une trahison contre la science. Nous marchons avec une vélocité miraculeuse. Cette admirable invention nous fait voguer avec une facilité si merveilleuse, que dans quelques minutes nous serons sur l’autre rive.

Le vieillard le regarda fixement un instant, et dit en secouant la tête :

— Seigneur ! qu’est-ce donc que la peur ? Elle transforme en un instant les créatures du monde et les inventions des hommes : elle fait paraître beau à nos yeux ce qui est laid en soi-même, et donne à la beauté tous les attributs de la laideur. Seigneur, Seigneur ! qu’est-ce que la peur ?

Le danger qui approchait, plus intéressant que cette discussion, mit fin à l’entretien. Les Dahcotahs étaient alors arrivés au milieu de la rivière, et ils poussaient déjà de grands cris de triomphe. En ce moment Middleton et Paul, qui avaient conduit les deux femmes derrière un buisson à peu de distance, se remontrèrent sur la rive le fusil en main, et en menaçant leurs ennemis.

— Montez à cheval, s’écria le Trappeur dès qu’il les aperçut, montez à cheval, et sauvez celles qui ne peuvent compter que sur vous ; fuyez, et laissez-nous entre les mains, du Seigneur.

— Baissez la tête, vieux Trappeur, s’écria Paul ; enfoncez-vous tous les deux dans votre ruche. Ce démon de Teton est derrière vous ; baissez la tête, et faites place à une balle du Kentucky.

Le vieillard se retourna, et vit que Mahtoree, qui était à quelque distance en avant de ses compagnons, se trouvait en ligne presque droite avec la barque et le chasseur d’abeilles, qui le couchait déjà en joue ; il se baissa sur-le-champ. Le coup partit, le plomb passa sur sa tête pour atteindre son but plus éloigné ; mais l’œil du chef Teton n’était ni moins vif ni moins sûr que celui de son ennemi. Il se jeta à bas de cheval à l’instant qui précéda la détonation, et disparut sous l’eau. Le cheval, blessé à la tête, fit entendre un hennissement de terreur et, d’angoisse, et après quelques mouvements convulsifs fut emporté par le torrent, dont les eaux troubles se teignirent de son sang.

Mahtoree reparut bientôt sur la surface de l’eau, et voyant qu’il avait perdu son coursier, il nagea vigoureusement vers le plus voisin de ses guerriers, qui lui céda son cheval avec la déférence due à un guerrier si renommé. Cet incident jeta pourtant quelque confusion parmi les Dahcotahs, qui semblèrent attendre les ordres de leur chef avant de redoubler d’efforts pour gagner le rivage. Pendant ce temps les fugitifs y étaient arrivés, et se trouvaient réunis à leurs compagnons sur le bord de la rivière.

Les sauvages nageaient alors dans une sorte d’indécision, comme on voit souvent une troupe de pigeons voler avec confusion, quand la colombe qui la conduit a essuyé une décharge d’armes à feu ; et ils semblaient hésiter à avancer vers une rive qui se trouvait alors défendue d’une manière si formidable. La prudence bien connue des guerriers indiens l’emporta, et Mahtoree, averti par le risque qu’il venait de courir, reconduisit ses guerriers vers la rive qu’ils venaient de quitter, afin de calmer leurs chevaux, qui commençaient à se montrer indociles.

— Maintenant, montez à cheval avec vos jeunes amies, et courez vers cette colline, dit le Trappseur ; vous trouverez par derrière un autre courant d’eau dans lequel il nous faudra entrer : puis, vous tournant vers le soleil, vous en suivrez le lit pendant un mille, jusqu’à, ce que vous arriviez à une plaine haute et sablonneuse. Allons, montez vite ; ce jeune Pawnie et moi, ainsi que mon intrépide ami le médecin, qui est un guerrier comme on en voit peu, nous sommes en nombre suffisant pour garder la rive, attendu qu’il ne s’agit pas ici d’un service actif, mais seulement de paraître faire bonne contenance.

Middleton et Paul ne virent pas la nécessité de s’épuiser à faire des remontrances contre cette proposition. Charmés de savoir que leur retraite serait protégée, même de cette manière imparfaite, ils mirent aussitôt leurs chevaux au galop, et s’élancèrent sur la route qui leur était indiquée. Vingt à trente minutes se passèrent avant que les Tetons sur la rive opposée parussent méditer quelque nouvelle entreprise. Il était facile de distinguer Mahtoree, au milieu de ses guerriers, donnant ses ordres et trahissant son désir de vengeance, en étendant le bras de temps en temps dans la direction des fugitifs ; mais il ne se faisait aucun mouvement qui semblait menacer de quelque acte d’hostilité immédiate. À la fin un cri perçant qui se fit entendre au milieu des rangs des sauvages, annonça qu’il se passait quelque chose de nouveau. En effet Ismaël et sa pesante famille parurent dans l’éloignement, et bientôt les deux troupes réunies se dirigèrent vers les bords de la rivière. Le squatter se mit à examiner la position de ses ennemis avec son sang-froid ordinaire, et, comme pour essayer la portée de son fusil, il leur envoya une balle avec tant de force que, malgré la distance, elle tomba presque au milieu d’eux.

— Pour le coup, partons vite ! s’écria Obed croyant encore entendre siffler le plomb meurtrier à ses oreilles ; voilà bien assez longtemps que nous défendons vaillamment la rive ; il y a autant de talent militaire à déployer dans la retraite que dans l’attaque.

Le vieillard jeta un regard derrière lui, et voyant que les fugitifs étaient déjà derrière la colline, il ne fit pas d’objection à cette demande. Le cheval restant fut donné au docteur, qui reçut ses instructions et qui les suivit ponctuellement ; c’était de prendre la même, route que Paul et Middleton.

Dès que le naturaliste fut monté à cheval et qu’il fut en pleine retraite, le Trappeur et le jeune Pawnie commencèrent à se retirer, mais avec tant de précaution que l’ennemi resta quelque temps indécis sur leurs mouvements. Au lieu d’aller à travers plaine pour gagner la colline, route sur laquelle ils auraient été exposés aux regards, ils prirent un sentier de traverse qui était caché par une légère élévation de terrain ; et par ce chemin plus court, ils arrivèrent sur le bord de la petite rivière, à l’endroit même où Middleton avait reçu ordre de la quitter, et précisément à temps pour y retrouver leurs compagnons. Le docteur avait fait de son côté tant de diligence qu’il avait déjà rejoint ses amis, de sorte que tous les fugitifs se trouvaient de nouveau rassemblés.

Le Trappeur regarda alors autour de lui pour chercher quelque endroit convenable où la troupe, dit-il, pût faire halte pendant cinq à six heures.

— Faire halte ! s’écria le docteur des que cette proposition alarmante parvint à ses oreilles ; vénérable chasseur, il me semblait au contraire qu’il faudrait passer les jours et les nuits à fuir et, de toute la vitesse dont nous sommes capables.

Middleton et Paul étaient tous deux de la même opinion, et ils l’exprimèrent chacun à leur manière.

Le vieillard les écouta patiemment, mais il branla la tête comme quelqu’un qui n’était point convaincu, ; et alors il leur répondit à tous en masse pour réfuter leurs arguments.

— Pourquoi fuirions-nous ? demanda-t-il ; les jambes d’un homme peuvent-elles égaler le galop d’un cheval ? Pensez-vous que les Tetons se couchent pour dormir, ou bien qu’ils traversent la rivière pour flairer notre piste ? Grâce à Dieu, nous l’avons lavée comme il faut dans ce courant, et si nous nous retirons avec sagesse et prudence, nous pouvons encore leur faire perdre nos traces. Mais une prairie n’est pas un bois. Dans une bois on peut faire une longue route sans laisser d’autre indice de son passage que l’empreinte de son mocassin ; mais dans ces plaines ouvertes, un batteur d’estrade, placé, je le suppose, sur cette colline, pourrait plonger ses regards autour de lui comme un faucon qui cherche à fondre sur sa proie. Mais écoutez les paroles du Pawnie ; c’est un garçon de courage, et je puis vous attester qu’il a fait plus d’une course forcée avec les hordes sioux. — Mon frère pense-t-il que notre piste soit assez longue ? demanda-t-il dans la langue des Indiens.

— Un Sioux est-il un poisson, pour la voir dans la rivière ?

— Mais mes jeunes amis pensent que nous devons l’étendre jusqu’à ce qu’elle aille se perdre au milieu de la Prairie.

— Mahtoree a des yeux ; il la verra.

— Quel est l’avis de mon frère ?

Le jeune guerrier observa le ciel un moment, et parut hésiter. Il réfléchit quelques instants en lui-même, et ensuite il répondit du ton d’un homme dont l’opinion est irrévocablement fixée :

— Les Dahcotahs ne sont pas endormis, dit-il ; il faut nous coucher dans l’herbe.

— Ah ! le brave garçon pense comme moi, reprit le vieillard après avoir expliqué en peu de mots l’avis du jeune Indien à ses compagnons. Middleton fut obligé de se rendre à leurs raisons, et comme il y avait un danger palpable à rester debout, chacun s’occupa des mesures à prendre pour la sûreté générale. On forma une espèce de lit pour Hélène et Inez avec les peaux de buffle, et au-dessus de ces couvertures chaudes et épaisses, on ramassa de grandes herbes de manière à dérober, s’il était possible, ce lieu de refuge à tous les regards. Paul et le Pawnie débridèrent les chevaux, les firent coucher à terre, et après leur avoir donné à manger, ils les laissèrent également cachés dans l’herbe épaisse de la Prairie. Tous ces arrangements terminés, les hommes ne perdirent pas un instant pour s’occuper d’eux-mêmes ; chacun d’eux choisit la place qui lui parut convenable, et la plaine parut rendue à sa solitude accoutumée.

Le vieillard avait fait sentir à ses compagnons la nécessité absolue de rester ainsi cachés pendant plusieurs heures de suite. Tout leur espoir d’échapper à leurs ennemis reposait sur le succès de cet artifice. S’ils parvenaient à leur donner le change par cet expédient bien simple, et par cela même moins suspect, ils pourraient continuer leur fuite à l’entrée de la nuit, et, en changeant de route, augmenter encore les chances en leur faveur. Chacun d’eux, immobile à sa place, réfléchissait à sa situation, et pesait mûrement ces considérations importantes ; mais bientôt les idées devinrent confuses, et, grâce à l’influence de la fatigue, le sommeil ferma toutes les paupières.

Il y avait plusieurs heures que le plus profond silence régnait parmi eux, lorsqu’un faible cri de surprise jeté par Inez retentit aux oreilles exercées du Trappeur et du jeune Pawnie. En un instant ils furent sur pied, s’apprêtant à vendre chèrement leurs vies, lorsqu’ils s’aperçurent que la vaste plaine, la petite colline, et les bouquets d’arbres épars, etaient couverts également d’une couche éclatante de neige.

— Le Seigneur ait pitié de nous tous ! s’écria le vieillard en jetant un regard consterné autour de lui. Je vois maintenant pourquoi le Pawnie étudiait les astres avec tant de soin ; mais il est trop tard : il est trop tard à présent. Un écureuil laisserait les traces de ses pas sur cette enveloppe légère de la terre. Couchez-vous, couchez-vous tous. Il ne reste que bien peu de chances pour nous ; mais encore ne faut-il pas s’en priver volontairement.

Tous les fugitifs se couchèrent de nouveau, quoique leurs regards inquiets cherchassent à apercevoir les mouvements de leurs ennemis à travers la tige élevée des herbes. À la distance d’un demi-mille, on voyait les Tetons avancer en formant un grand cercle qui se resserrait graduellement, et qui devait évidemment aboutir à l’endroit même que le jeune Pawnie et ses compagnons avaient choisi pour refuge. Il n’était pas difficile d’expliquer la cause de cette manœuvre. La neige était tombée à temps pour leur donner l’assurance que ceux qu’ils poursuivaient étaient derrière eux ; et avec la persévérance infatigable de guerriers indiens, ils s’occupaient à cerner de tous côtés le lieu où ils devaient nécessairement être cachés.

Chaque minute ajoutait à la position critique des fugitifs. Paul et Middleton préparèrent bravement leurs armes ; et au moment où Mahtoree arriva à cinquante pas d’eux, les yeux fixés sur l’herbe à travers laquelle passait son cheval, ils l’ajustèrent en même temps et tirèrent la détente ; mais le coup ne partit point.

— C’est assez, dit le vieillard en se levant avec dignité ; j’ai retiré l’amorce, car une mort certaine était le prix de notre imprudence. Maintenant supportons notre sort comme il convient à des hommes de le faire. Les plaintes et les gémissements ne sont pas en faveur auprès des Indiens.

En le voyant paraître, les Sioux poussèrent un cri qui retentit au loin dans la plaine, et en un instant une ceinture de sauvages furent autour de lui. Mahtoree reçut ses prisonnier d’air calme ; un seul instant la joie brilla dans son regard ; avant qu’il eût le temps de la réprimer, et le cœur de Middleton se glaça en voyant ce regard se porter sur Inez, qui privée presque de sentiment, n’en était pas moins charmante.

Tous les yeux étaient tellement fixés sur les Visages-Pâles, tel était le plaisir que causait leur capture, que dans le premier moments personne ne remarqua le jeune Indien, qui se tenait debout à l’écart, dédaignant de regarder ses ennemis, et aussi immobile que si le froid l’eût surpris en quelque sorte glacé dans cette attitude de calme et de dignité ; mais au bout d’un certain temps cet objet secondaire attira enfin l’attention des Sioux. Ce fut alors que le Trappeur apprit pour la première fois, aux acclamations réitérées et aux cris prolongés de triomphe qui sortirent à la fois de toutes les bouches, ainsi que par le nom terrible qui retentit dans les airs, que son jeune ami n’était autre que ce guerrier redoutable et jusque alors invincible, le célèbre Cœur-Dur.


  1. Petit quadrupède d’Amérique, espèce de lapin.