La Pointe-du-Lac/Texte entier

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Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. cov-tdm).

Pages trifluviennes
Série aNo 15
La
Pointe-du-Lac
par le
R. P. Alexandre Dugré, s. j.

Les éditions du Bien Public
Les Trois-Rivières
1934

Il a été tiré de cet ouvrage 200 exemplaires sur papier coquille teinté, numérotés à la main de 1 à 200.


No
touts droits réservés


A.M.D.G.

La Pointe-du-Lac

Nos enfants ignorent l’histoire de notre terre et de nos morts. Il faut la leur apprendre.
maurice barres, 
lettre à Louis Madelin.

« L’Église fait de la piété patriotique un devoir pour l’homme, un ordre de Dieu, contenu dans le 4e commandement.

« Ce commandement d’honorer la patrie, comme nous honorons la famille, qu’elle prolonge et complète, implique le respect, puis l’amour, enfin l’obéissance et l’assistance. Sa contre-partie, est une promesse de Dieu : tu vivras longuement sur la terre que je t’ai donnée. Ce qui ne doit point s’entendre au sens matériel d’une vie prolongée, mais d’une postérité, d’un enracinement, avec les mœurs, les traditions, tout ce qu’une patrie peut donner à ses enfants de culture et de civilisation, comme autant de moyens de développer et d’enrichir leur vie humaine, individuelle ou sociale.

« Mais qui devons-nous honorer ? Ceux à qui nous devons l’être. Or, nous devons l’être à Dieu, qui nous a tirés du néant ; à notre famille, qui nous a donné la vie, avec un nom, une généalogie, une personnalité ; enfin, à notre patrie, qui nous a placés dans le milieu historique et naturel sans quoi notre vie personnelle ne pourrait se développer, atteindre à son humanité complète.

« Ces devoirs constituent un culte : de religion pour Dieu, de piété pour notre famille et notre patrie. »

Cette belle page de M. Gonzague de Reynold, professeur à l’Université de Berne (Suisse), qui inspire surtout l’amour de la petite patrie, de la terre natale, sera la meilleure introduction à ce bref historique d’une paroisse heureuse, et l’hommage aux vieilles familles qui l’ont faite, qui l’honorent, et qui la gardent. Terminons-la en priant les anciens de bien dire aux jeunes, dont la vie sera si différente, leurs souvenirs d’un passé laborieux, héritage et leçon d’énergie.

I — La terre qui s’éveille

a — Les lents débuts

La Pointe-du-Lac a pris du temps à sortir du bois. Elle n’a pas poussé en une nuit comme les champignons ou les villes à papier. Elle est apparue timidement, par crainte des Iroquois ; elle n’est pas devenue ville, pour rester normale, pour ne pas éclipser les Trois-Rivières et pour n’être pas dévorée par les trusts et les taxes, comme la jolie fillette de la chanson :

« Huguette, prends bien garde aux loups » !

Son premier fief date de 1656, sa première église, de 1739 ; son érection canonique, de 1832, sa municipalité, de 1845. Qui lui reprochera d’avoir marché lentement ? Elle a pris le pas de la Nouvelle-France : c’est toute la politique française qui n’a jamais compris la colonisation, et qui a perdu le Canada.

Dans une conquête d’empire où la victoire est au premier occupant, la lenteur à s’y mettre et la parcimonie sont la grande erreur stratégique : c’est le mal de la France au XVIIe siècle, et même depuis les découvertes de Jacques Cartier. Alors que l’Angleterre de 4 millions d’âmes émigre à pleins bateaux sur cinq cents milles de littoral, entre Boston et la Virginie, de façon à compter plus de deux millions d’habitants en 1760, la France de 12 millions d’âmes laisse émigrer en Espagne son surplus de population, ou s’épuise aux batailles glorieusement ruineuses de Louis XIV et de Louis XV. Aussi nos pères ne seront-ils que 65,000 en 1760, et ils succomberont sous leurs puissants voisins : au lieu de se démolir là-bas, il eût fallu construire ici.

Cartier supplie François Ier de fonder un empire qui prenne les devants et donne à l’Église et à la France toute l’Amérique du Nord, jusqu’au golfe du Mexique : — Non, la colonisation coûte trop cher !

Champlain revient à la charge, et Pierre Boucher, et le Père Lejeune, dans les Relations des Jésuites de 1635 : « Que c’est un bien pour l’une et l’autre France d’envoyer ici des colonies » : « Les Français seront-ils les seuls, entre toutes les nations de la terre, privés de l’honneur de se dilater et de se répandre dans ce Nouveau Monde ? La France, beaucoup plus peuplée que tous les autres royaumes, n’aura des habitants que pour soi ? ou bien, si ses enfants la quittent, ils s’en vont qui de-çà, qui de-là, perdre le nom de Français à l’étranger ?… Ne vaudrait-il pas mieux décharger l’ancienne France dans la Nouvelle, par des colonies qu’on peut y envoyer, que de peupler les pays étrangers ? Ajoutez, s’il vous plaît, qu’il y a une infinité d’artisans qui, faute d’emploi ou faute de posséder quelque peu de terre passent leur vie dans une pauvreté et dans une disette pitoyables. Un très grand nombre vont mendier leur pain de porte en porte ; plusieurs se jettent dans les vols et dans les brigandages publics… » (N’est-ce pas la préhistoire de notre émigration aux États-Unis, de notre imprévoyance, du chômage et des secours directs ?)

Comme l’Angleterre bouge, on fait quelque chose, mais trop peu. Quelques pincées de colons endurent toutes les misères et se font tuer par les Iroquois, si drus que les survivants songent à tout abandonner et à retourner en France.

Heureusement que Colbert, un grand voyant, trouve un jour, pour le seconder, Jean Talon, un grand réalisateur, qui bâtit en six ans une Nouvelle-France assez solide pour survivre, trop faible pour triompher : la France n’a transplanté ici que 9,000 colons : pas un dixième de 1% de sa population… Les successeurs de Colbert trouvaient, eux aussi, que la colonisation coûtait trop cher. Quelle mise de fonds c’eût été, en capital-hommes et en capital-argent, d’envoyer ici, disons 100,000, 200,000, 500,000 âmes, au coût de quelques milliards, pour posséder l’Amérique !…

Si encore nos quelques milliers d’ancêtres avaient pu se gouverner, profiter des richesses de leur pays, comme ils périssaient de ses rigueurs ; s’ils n’avaient pas été conduits de Paris et pour Paris, au profit des marchands de fourrures, jusqu’à être jetés dans des expéditions et des guerres pour que les Français puissent obtenir plus de peaux de castor que les Anglais ; s’ils n’avaient pas été distraits de leur travail de défricheurs pour aller passer l’été au Détroit, aux Illinois et même coloniser la Louisiane, la toute petite semence française aurait, du moins germé en bonne terre, donnant cent pour un, au lieu d’être éparpillée aux quatre vents et aux quatre coins de l’Amérique, sur mille lieues d’un pays indéfendable ; les colons n’auraient pas pris ces habitudes de coureurs de bois, d’engagés, d’errants, de rameurs et de traitants, que l’argent vite gagné dégoûte du lent revenu des moissons âprement glanées.

Trop peu de gens, trop gouvernés, trop exploités, trop isolés parmi trop de difficultés, alors qu’un grand effort initial aurait vite donné ce premier et décisif tour de roue, cette erre d’aller d’un pays qui devait prendre les devants sur son voisin ou se voir déclasser, tel a été notre mal.

Admettons que c’est une entreprise, surtout en 1609, de déménager outre mer un morceau de pays, la vie et les éléments d’un peuple ; d’organiser ici, malgré la pire résistance des hommes et des choses, l’agriculture, l’industrie, les œuvres civiles et religieuses, ou simplement les transports. Comme le dit M. Montarville Boucher de la Bruère :

« Voyez-vous un Trifluvien de nos jours partir pour une petite excursion de trois cents milles en canot d’écorce, avec un veau et une génisse ligotés au fond de l’esquif, et remonter le Saint-Laurent, la rivière des Prairies, l’Outaouais aux rapides nombreux, nécessitant des portages difficiles sur un sol rocailleux et détrempé, à travers bois et ronces, pour atteindre le pays des Hurons, » au-delà de Toronto. — Et ce fait, très ordinaire alors, occupe deux lignes du Journal des Jésuites de 1646 : « Caron, qui menait des veaux aux Hurons, partit le 11 mai des Trois-Rivières »… C’est à frémir de songer que tout le matériel et les animaux ont été portés ainsi, d’une paroisse à l’autre… C’est cela créer un pays ! Créer, c’est faire quelque chose de rien, et tout est à faire.

Les compagnies ne font pas tout, elles font le moins possible : elles se soucient bien plus de faire de l’argent que de fonder une Nouvelle-France ; elles veulent même bloquer le défrichement, qui va éloigner le gibier ! C’est le système de la forêt pour les bêtes, en attendant celui de la forêt pour le bois de pulpe !

Sans secours donc et sans voisins, nos ancêtres s’acharnent contre les arbres, l’isolement, la pauvreté, les fauves et les sauvages dans une lutte d’usure où de moins vaillants eussent vite capitulé. Tout le pays s’est ouvert en traînant, la Pointe-du-Lac comme le reste.

L’éloquence des recensements successifs excusera nos lenteurs comparées : En 1639, 27 âmes aux Trois-Rivières ; en 1633, 1,000 âmes dans toute la colonie ; en 1663, entre 2,000 et 2,500 âmes ; en 1667, 3,918 âmes et 668 familles, dont 213  âmes et 37 familles aux Trois-Rivières, moins qu’un village, et dépassé par le Cap-de-la-Madeleine.

Le patriotisme de Colbert, éclairé de pétitions incessantes, lance le mouvement de 1665 : Québec voit arriver des troupes, des artisans, de l’argent monnayé, du matériel de ferme et les futures épouses : c’est le gros de notre race planté aux Seigneuries dans les huit courtes années d’effort colonisateur de Talon.

« C’est une chose prodigieuse de voir l’augmentation des peuplades en ce pays, écrit Marie de l’Incarnation en 1669. Les vaisseaux ne sont pas plutôt arrivés que les jeunes hommes y vont chercher des femmes, et vu le grand nombre des uns et des autres, on les marie par trentaines. Les plus avisés commencent à faire une habitation avant de se marier, parce que ceux qui ont une habitation trouvent un meilleur parti : c’est la première chose dont les filles s’informent, et elles font sagement… »

Et pourtant, le village des Trois-Rivières ne compte encore, en 1681, que 150 âmes, 26 familles ; le Cap, 204 âmes et 38  familles ; la Rivière-du-Loup (Louiseville) 19 âmes, 5 familles. Toute la colonie ne compte que 9,677 âmes dont 3,457 à Québec, Beauport, Beaupré, Île d’Orléans ; 1,017 âmes de la Pérade aux Trois-Rivières ; et 1,418 à Montréal, ce qui ne laisse que 3,785 âmes éparpillées en 45 groupes, d’Anticosti à Boucherville.

En 1739, année de la bénédiction de la première église de la Pointe-du-Lac, le Canada entier compte 42,700 âmes, les Trois-Rivières et banlieue, 378, puis du fief de Tonnancour à Maskinongé, 415 âmes. Et si l’on considère que l’état officiel de la milice indique, en 1750, 70 hommes aux Trois-Rivières et 39 à la Pointe-du-Lac, la comparaison n’a rien d’écrasant !

Après la conquête anglaise, les chiffres de 1765 accordent 244 âmes aux Trois-Rivières et 182 à la Pointe-du-Lac, avec 32 maisons, 2,070 arpents occupés, 621 minots semés, 39 chevaux, 32 bœufs, 33 jeunes animaux, 74 vaches, 2 moutons et 81 cochons. (Sulte).

Vingt-cinq ans plus tard, en 1790, la ville a bondi à 1,213 âmes, et la Pointe-du-Lac monte dans le calme à 456. Ce sont les bonnes terres d’Yamachiche, Rivière-du-Loup et Maskinongé, qui attirent notre race agricole : elles comptent alors 1,669, 1,829 et 1,153 habitants.

b — Le site

La Pointe-du-Lac jouit du fleuve Saint-Laurent, et du beau lac Saint-Pierre, de 25 milles de long jusqu’à Sorel, et de 9 milles de large, terminus de la marée, agrément des yeux, agrément des pêcheurs, bassin de la navigation océanique.

Le 28 septembre 1535, Jacques Cartier remontant vers Hochelaga, arrive à « un grand lac et plaine du dit fleuve, et navigue ce jour à mont le dit lac sans trouver plus de deux brasses de parfond, et, à l’autre bout, ne nous apparaissait aucun passage, ni sortie… » D’où il est clair que l’Émerillon suivait la rive nord, et doubla notre pointe du lac d’Angoulême.

Le 28 juin 1603, c’est Champlain qui part des Trois-Rivières et vient « mouiller l’ancre à un lac où il y a quatre lieues. Tout ce pays est terre à fleur d’eau, et du côté du sud quelque peu plus haute. La dite terre est très bonne et la plus plaisante que nous eussions encore vue… » Le lendemain, fête de S. Pierre, le lac reçoit son nom, cinq ans avant la fondation de Québec.

« Terre très bonne, c’est la Banlieue ; et la plus plaisante, » c’est la Pointe-du-Lac, qu’il faut savoir contempler d’un bateau.

En 1634, Laviolette construit un fort de traite, en attendant mieux. « Commercer, c’est métier de marchand ; coloniser, c’est métier de roi, » dit l’axiome en vogue.

Pierre Boucher, qui a de l’allant, ouvre la Banlieue, sauve la ville et la colonie en 1653, puis concède les premiers fiefs de la Pointe-du-Lac à Jean Sauvaget et Étienne Seigneuret, son gendre, en 1656.

Inutile de dire que sous la terreur iroquoise le défrichement ne se fait pas en un tour de main. Il n’y a pas dix ans que les Jésuites ont subi le martyre, et les tribus huronnes la dispersion, presque l’anéantissement. En 1651, Radisson est pris à la Banlieue. En 1652, le gouverneur Duplessis-Kerbodot s’y fait tuer avec huit autres : en 1653, six cents Iroquois assiègent, trois mois, le petit fort défendu par 47 hommes, parmi lesquels Seigneuret et Sauvaget. Nos anciens « luttèrent avec un courage qui fut de ceux qui comptent dans la vie du Canada,  » et M. de Lauson n’exagérait pas l’éloge : « Sauver les Trois-Rivières, c’était sauver la Nouvelle-France. » Dollard et ses compagnons feront de même au Long-Sault, ils y mourront, et on leur dressera des monuments de bronze. Le monument de nos victorieux, c’est la ville elle-même.

En 1658, 1660 et 1663, les embuscades sont de mode au-dessus des Trois-Rivières : des colons combattent sous les ordres de M. d’Argenson près du lac Saint-Pierre, c’est-à-dire à la Pointe-du-Lac, où les Iroquois possèdent un vieux fort qui sert d’observatoire et de refuge pour dominer la navigation qui descend de Sorel.

Entre temps, Sauvaget et Seigneuret défrichent et cultivent leur petite concession, de derrière le Séminaire jusqu’à la rue Sainte-Cécile. Car il faut bien savoir que les Trois-Rivières étaient en bois debout comme le reste, et ne comptaient pas alors vingt maisons !

C’est ici qu’il faut se faire une âme antique. Certaines gens sont obligés d’y penser à deux fois pour imaginer des arbres à la place des champs et de la ville, des aulnes sur les quais, des hêtres sur le Platon, des talles de ronces dans les rues et des chaussées de castors dans les ruisseaux qui descendent du côteau. L’on ressemble aux enfants convaincus que les autos, les bateaux à vapeur et les restaurants ont toujours été là, et que M. de Laviolette a découvert la ville.

Pour bien capter l’esprit du centenaire, il faut sortir du chantier de Québec avec M. de Laviolette et ses hommes, avironner un canot versant, débarquer avec le fourniment indispensable, gravir le talus en les branches, ramasser des brindilles pour cuire le souper, coucher dehors entre les racines de pins, sur le Boulevard Turcette, à la façon des campeurs de la Mékinac ou de Vermillon. Il faudra se lever, les côtes sur le long mais de bonne humeur, déjeuner de quelque chose, — de quoi ? — bûcher les bouleaux de la butte du Jardin de l’Enfance, et les cèdres des baissières du marché à foin, ébrancher les pieux de l’Habitation en bois rond ou de la palissade. Ensuite, on défrichera pour jardiner. C’est cela que fête le Centenaire, la laborieuse conquête, sans armes et sans larmes, de nos ancêtres sur la forêt.

Les concessions rurales commencent à la rue Bonaventure Par le fief des Jésuites, suivi de la Commune, puis Le Neuf du Hérisson obtient, en 1649, une jolie tranche de la Banlieue : du troisième ruisseau, voisin de la papeterie St-Laurent, « une lieue de terre à prendre le long du fleuve sur cinq lieues dans les terres non concédées», ce qui le lance jusqu’à Shawinigan ! Pour quoi se gêner ? Il atteint les limites de la Banlieue, où Sauvaget et Seigneuret le continueront jusqu’à notre pointe. Comme les seigneuries non défrichées à temps sont révocables, le fief de M. de Hérisson sera subdivisé : il y aura les concessions LePelé-Desmarais, Vieux-Pont, Ameau, Labadie et enfin Bou cherville, le plus progressif, où vivent, en 1709, onze colons : Grandmesnil, Lemaître, Mongrain, Duguay, Lefebvre, Belisle, Rondo, Baudry-Desbuttes, Daneau, Mouet de Moras et Jutras-Lavallée, qui termine la Banlieue.

La Pointe-du-Lac est concédée, peu défrichée. Jean Sauvaget meurt vers 1660, léguant à son gendre le fief accordé, le 31 juillet 1636, par Pierre Boucher, à « Maître Jean Sauvaget, procureur fiscal en la ville des Trois-Rivières, une terre et concession, à la pointe du lac Saint-Pierre, du côté du nord, de la consistance de trois quarts de lieue de front sur deux lieues de profondeur dans les terres, pour en jouir, le dit Sauvaget et Étienne Seigneuret, son gendre. »

En 1670, le gouverneur, M. de Courcelles, décrète que « le sieur de Normanville étant chargé de famille et n’ayant point d’habitation (agricole), il lui est accordé une concession au-dessus de la Pointe-du-Lac Saint-Pierre, à commencer, ensuite de celle du sieur Seigneuret, en montant l’espace d’une demi-lieue sur le bord du dit lac, à la charge d’y faire travailler incessamment, suivant l’intention du roi ».

Un heureux mariage de Louis de Tonnancour avec la petite Seigneuret soudera les deux fiefs, bornés à l’ouest par la rivière-aux-Loutres, où Pierre Boucher, fils, obtient, en 1672, une concession de trois quarts de lieue de front sur le lac, par une lieue de profondeur, qui va devenir le fief Gatineau.

Le premier Gatineau du Plessis et Pierre Boucher, père, s’étaient mariés aux deux sœurs Crevier, créant une abondante parenté entre deux belles descendances. En 1712, le fils Boucher vend 200 livres du pays au fils Gatineau, vivant de Ste-Anne-de-la-Pérade, le fief qui prendra son nom, qui n’aura encore aucun colon résident onze ans plus tard, et qui ne sera peuplé sérieusement que par des réfugiés acadiens en 1757. Gatineau, qui ne l’habita jamais, le vend en 1766 à Louis-Joseph de Tonnancour, mais les Le Noblet-Duplessis y sont implantés. C’est là que naîtra l’honorable juge Nérée-L. Duplessis, père du chef de l’Opposition provinciale.

Par son acquisition, M. de Tonnancour, excellent homme d’affaires, se trouve cinq fois seigneur : d’Yamaska et de Roquetaillade au sud ; de La Badie, de Gatineau et de Sauvaget-Tonnancour. Ses héritiers, qui ne le vaudront pas, disloqueront ces magnifiques domaines.

II — Les Seigneurs

a — Les Godefroy de Tonnancour

La famille seigneuriale de la Pointe-du-Lac est d’un si beau type que nous devons en garder le souvenir, d’autant que le Manoir, le Moulin et le bocage de Pins subsistent encore, et pour longtemps, tout à côté de l’église, au beau milieu de la paroisse.

« J’ai eu raison d’écrire que les Godefroy étaient une famille typique des Canadiens de ce temps-là, car ils sont restés colons, payant toujours de leurs personnes et de leurs biens, sans recevoir d’autre compensation que ce titre de noblesse, assez envié nous le savons, mais sans bénéfice, et entraînant des dépenses et des nécessités de service par trop onéreuses. » (B. Sulte).

Les ancêtres étaient Normands, du pays de Caux, dont Le Play disait : « Ce furent ces familles fécondes et énergiques qui colonisèrent le Canada, où leurs descendants conservent religieusement les mœurs que nous avons perdues. »

Jean-Baptiste Godefroy[1], né à Linctot, en Normandie, vers 1607, arrive à Québec vers 1626, avec son frère Thomas, qui sera brûlé chez les Iroquois, à la suite de ce combat de la Banlieue, où périt le gouverneur Duplessis-Kerbodot. Interprète, commerçant et colon, Jean Godefroy, s’établit aux Trois-Rivières avec le groupe de Laviolette, et il rend de tels services à la colonie que Louis XIV l’anoblit en 1668, ainsi que le lui annonce l’intendant Talon : « Monsieur, Le Roy ayant reconnu le mérite des services que vous lui avez rendus en ce pays, Sa Majesté a bien voulu vous distinguer de ses autres sujets qui l’habitent par une marque d’honneur, en vous accordant des lettres de noblesse, que je puis vous assurer être conçues en bons termes, faisant vos fils gentilshommes et vos filles damoiselles, avec l’avantage de pouvoir parvenir à tous degrés de chevalerie et de gendarmerie, ainsi que les autres nobles de son royaume… »

Ces titres, faute d’être enregistrés à temps à Québec, ne seront reconnus qu’en 1685, par un jugement de l’intendant De Meulles, et signés définitivement qu’en 1718 par le Régent sur la recommandation de M. de Frontenac : « Le sieur Godefroy, qui est un des premiers qui soient venus en ce pays, y ayant quarante ans qu’il y est établi, qui se trouve chargé d’une très grande famille, ayant plusieurs filles et six garçons qui sont tous gens de cœur et les premiers prêts à aller à toutes les expéditions qu’on leur propose, n’y ayant point de meilleurs canoteurs dans tout le pays… » Curieuse citation à l’ordre du jour !

Des onze enfants nés de son mariage avec Marie Le Neuf du Hérisson surgirent, à la mode d’alors, les noms nouveaux ajoutés à celui de Godefroy, et l’on eut les Godefroy de Linctot, de Normanville, de Vieux-Pont, de Saint-Paul et de Roquetaillade.

Louis Godefroy de Normanville, qui hérite le nom de son feu oncle Thomas G. de Normanville, né aux Trois-Rivières en 1639, devient le créateur de notre seigneurie par son mariage avec une fillette de neuf ans, Marguerite Seigneuret, fille et arrière-petite-fille des deux premiers concessionnaires de 1656, Étienne Seigneuret et Jean Sauvaget, dont elle fut la légataire universelle. Aux trois-quarts de lieue de front qui vont de la Banlieue à la Pointe du lac St-Pierre, M. de Courcelles ajoute une concession d’une autre demi-lieue, qui le soude à la future seigneurie Gatineau, elle-même voisine du fief Grosbois, d’Yamachiche.

Cinquante ans plus tard, on y nettoie quelques défrichés, ce qui nous cote dans la bonne moyenne, puisqu’une vingtaine de ces fiefs concédés ailleurs par Louis XIV sont encore en bois debout, et plus fiefs que jamais, en Gaspésie par exemple.

M. de Normanville, demeure aux Trois-Rivières, seigneur honoraire, explorateur émérite et nommé procureur du Roi par des lettres de provision signées de la main de Louis XIV : « Savoir faisons que pour l’entière confiance que nous avons en la personne de notre cher et bien-aimé Me Louis-Godefroy de Normanville et de ses sens, suffisance, capacité, prud’hommie, fidélité et affection à notre service… »

Louis de Normanville meurt en 1679, à quarante ans, ne laissant qu’un fils, René, âgé de dix ans, qui prend le nom de Tonnancour, probablement parce qu’un fils de son oncle M. de Vieuxpont, avait pris le nom de Normanville, et à qui l’on réserve la juridiction de son père, jusqu’à ce qu’il ait atteint ses vingt-six ans. Il faut savoir que la population ne se chiffrait, en 1698, qu’à 358 âmes pour les Trois-Rivières, Labadie (la Banlieue), Tonnancour (la Pointe-du-Lac), la Baie St-Antoine, (Baie du Febvre), et la Rivière-du-Loup (Louiseville), et qu’il n’y avait, dans tout le gouvernement des Trois-Rivières que 211 maisons, 6 églises, 6 moulins et 4,378 arpents de terre en culture ou pâturages, l’équivalent de 44 fermes de cent arpents. C’est peu, après cinquante années de fondation, et voilà pour étonner les badauds qui croient qu’une ville a toujours été une ville, et qu’on devrait coloniser sans arracher des souches.

En 1713, René de Tonnancour est recommandé au Roi par MM. de Vaudreuil et Bégon pour la lieutenance-générale de Sa Majesté au siège de la prévôté des Trois-Rivières : il l’obtient. Cinq ans plus tard, il décroche enfin le fameux parchemin d’anoblissement, que des formalités avaient toujours bloqué en route. L’on confirme la noblesse, à partir de l’ancêtre Jean Godefroy, « annobli de nouveau en temps que besoin » et c’est signé d’un petit Louis XV de huit ans, du duc d’Orléans, régent présent, et de Phélypeaux. Charles d’Hozier, juge d’armes et garde de l’armorial général de France, règle les armoiries : « un écu d’azur, une épée d’argent posée en pal la pointe en haut, la garde et la poignée aussi d’argent, et ci côté de deux croissants de même, supportant chacun un épi de blé d’or tige et feuille de sinople (vert) ; cet écu timbré d’un casque de profil orné de ses lambrequins d’argent, d’azur, d’or et de sinople »…


Armoiries
des
de
Tonnancour

M. de Tonnancour porta bien les honneurs, si l’on en croit la chronique des Ursulines ; « il fut pour Trois-Rivières ce qu’est un bon roi par rapport à ses états ; le juge de toutes les causes, le conseiller, l’appui et le soutien de tous ceux qui avaient recours à sa protection. Tous trouvaient en lui, avec la bonté, noblesse de sentiment et courage énergique ». Il s’occupa évidemment de la Pointe-du-Lac, car, à sa mort, en 1738, le premier manoir et le premier moulin sont construits, l’église s’élève et le chemin du roi est ouvert depuis dix-sept ans, et un arrêt du Roi, du 3 mars 1722, rattache pour le culte, la Banlieue à la mission future de la Pointe-du-Lac.

De son mariage, en 1693, avec Marguerite Ameau, fille du notaire trifluvien, cinq fils et cinq filles naquirent, dont deux Ursulines, Mère de la Croix et Mère Ste-Hélène, et le chanoine Antoine-Charles, du chapitre de Québec, qui fut chargé, en 1736, de recevoir les drapeaux anglais pris à Chouaguen.

Trois enfants moururent jeunes ; Louise se maria en 1728 à ce M. de Ramezay qui signa la capitulation de Québec, le 18 décembre 1759, et qui alla mourir à Paris, sans avoir fait souche au Canada.

Le continuateur de la lignée, le dernier propriétaire de la Pointe-du-Lac, et probablement le plus homme d’affaires de ces Tonnancour, fut Louis-Joseph, né le 27 mars 1712, et décédé le 13 mai 1784, aux Trois-Rivières, après avoir connu les deux régimes, français et anglais. À dix-neuf ans, il est garde-magasin aux Trois-Rivières, et à vingt-huit, procureur du Roi. Il fait de son mieux la guerre de Sept-Ans et revient attendre le traité de Paris. Deux courants se dessinent chez les nobles : plusieurs des moins enracinés au sol, retournent en France, et quelques-uns le regrettent au point de revenir, tel Chaussegros de Léry. Les plus anciens, qui ne connaissent personne là-bas, refusent les offres du Roi et décident de demeurer ici « un caillou sous la botte de l’envahisseur », comme l’Oberlé de Bazin. Tonnancour fut de ce groupe. Il reste au pays, où le tiennent toutes ses fibres et toutes ses racines.

Fatigué des exactions de Bigot, des taquineries et de la guerre sans dentelles, il écoutera volontiers sir Guy Carleton, qui s’applique à utiliser nos meilleurs hommes et à orienter nos meilleurs chefs vers le roi d’Angleterre.

Les bons traitements et la promesse de n’inquiéter personne, apaise et gagne les Canadiens, qui ont bien souffert des Français aux quinze dernières années du régime.

M. de Tonnancour se rallie franchement et sera loyal, presque zélé. En 1679, Carleton le classe parmi les douze nobles éligibles au Conseil Législatif. En 1775-76, sa qualité de lieutenant-colonel des milices des Trois-Rivières et sa loyauté le lancent contre les troupes américaines et les Canadiens rebelles. Il boude l’insurrection triomphante, refuse seul de remettre aux Bostonnais sa commission d’officier de milice, plaide, fait des démarches, argumente avec le commandant et ne cède que sous la menace de « le faire passer au Congrès ». Cette résistance lui gagne les sympathies de tous, et l’amitié fidèle du gouverneur Haldimand.

Il avait eu seize enfants : quatre d’un premier mariage (1740) avec Mary-Ann Seaman, amenée toute jeune captive des Abénaquis, et convertie chez les Ursulines ; puis douze autres enfants du second mariage (1749) avec Louise Carrerot, fille du commissaire des troupes de l’île Royale (à Louisbourg, au Cap-Breton.)

De ces seize enfants six meurent jeunes ; trois repoussent l’invasion américaine, un seul fils continue la lignée jusqu’à nos jours, Marie-Joseph, né en 1750, étudiant au séminaire de Québec, au collège Louis-le-Grand à Paris, et à l’université d’Oxford. De retour d’Europe, il marche contre les troupes américaines en qualité de lieutenant ; il est pris et retenu deux ans prisonnier. Après la guerre, ses goûts l’inclinent à l’agriculture, et son père lui donne sa seigneurie de St-Michel d’Yamaska, où l’on vient le chercher pour l’élire à la Chambre en 1792, représentant du comté de Buckingham (Yamaska). Il votera du bon côté. De son mariage avec Catherine Pélissier-La Feuillade : quinze enfants continueront la famille, dont quelques rameaux ont pris racine à Montréal, aux États-Unis et jusqu’à Morinville, Alberta.

Un autre fils, Pierre-André, est le père de Pierre-Joseph, reçu avocat en 1809 et député des Trois-Rivières en 1820, pendant un mois et demi, aux jours troublés de Dalhousie, qui, sans même laisser siéger la Chambre, ordonne de nouvelles élections. M. de Tonnancour ne se présente plus : sa carrière politique est finie. Il meurt à 40 ans, sans enfants.

Deux des filles entrèrent ensemble au monastère des Ursulines, un peu malgré leurs frères, et elles reçurent les noms déjà portés par leurs tantes : Marie de la Croix et Ste-Hélène. Mais voilà bien qu’à la veille de la profession, au congé qu’on faisait prendre alors dans la famille, le seigneur de Tonnancour, ayant amené ses novices au manoir pour une joyeuse réunion de parenté, l’aînée, cédant aux instances des petits frères et du paysage, reprit « les livrées du siècle » et ne rentra pas. Sa sœur, Marie de la Croix, s’évanouit, retourna seule et fit profession ; elle mourut vingt-six ans plus tard, en 1810. L’autre se mariera à Nicolas St-Martin.

Marie épouse en 1770 Eustache-Gaspard-Michel Chartier de Lothinière, et meurt en 1799, sans enfants.

Josephte, mariée à Paul-Roch de Saint-Ours, meurt à l’Assomption en 1819.

Marguerite-Madeleine, Manette, de son petit nom, née en 1758, se marie en 1784 au docteur anglais Prendergast, chirurgien des troupes aux Trois-Rivières, et meurt à Québec en 1824, laissant plusieurs enfants. Son père, qui était patriote, eut beau s’opposer à ce mariage mixte, rien n’y fit. Voyons cela, c’est caractéristique du temps et du papa.

M. de Tonnancour qui était plus qu’estimé du gouverneur-général Haldimand, pour ses services rendus, sa haute position, ses richesses et sa personnalité, emploie son crédit à protéger les Canadiens, comme on peut le constater dans le peu de zèle qu’il met à pincer les Giasson, qui font la traite des fourrures dans le haut Saint-Maurice. Haldimand était protestant, mais Suisse de langue française. Il écrit en français les trois quarts de sa correspondance, même officielle, même avec les officiers allemands aux noms sonores de Knyphausen, Rauschenplat, Reichenstein, Schaffalisky, Tunderfelt, Kotencrultz, etc, qui étaient venus lutter contre les Américains, et même avec des subalternes anglais comme Gage, Campbell, qui savaient élégamment notre langue.

M. de Tonnancour lui écrit souvent pour des fonctions, missions et contrats dont il est chargé. Mais voici que, le 30 avril 1782, il lui demande sans ambages, que Thomas Prendergast, qui s’est fait aimer de sa fille, soit envoyé à un poste éloigné. Haldimand répond qu’il ne peut rien pour le moment, mais qu’il saisira la première occasion. Le 24 septembre, M. de Tonnancour revient à la charge, puis le 22 octobre, et l’affaire semble marcher, puisque, le 30, il remercie le gouverneur de sa bienveillance. Mais il comptait sans la demoiselle : voici bien que Manette décide de défendre son bien, son cœur, son chirurgien. Elle aussi est capable d’écrire : le 20 mai 1783, elle supplie ce brave général qui vient de bloquer une invasion américaine de ne pas bloquer un pauvre petit mariage ; elle lui confie son affection pour le Dr Prendergast et bat en brèche l’opposition faite par ses amis. La rusée ne parle pas de son père… Le 2 novembre, deuxième contre-attaque de Manette, toujours en français, pour renouveler sa demande à l’égard du cher docteur. Le 20 février 1 784, M. de Tonnancour, qui a sans doute capitulé, écrit au gouverneur pour une affaire de réparations de casernes, mais sans dire un mot du docteur ni de Manette, dont le mariage a lieu trois semaines après : les cœurs en train de crouler sont réparés eux aussi !… Pas de jugement de Salomon qui tienne dans un tel cas. La matière en litige est inséparable. Le pauvre père meurt deux mois plus tard, à 72 ans, ce qui supprime la résistance au deuxième mariage mixte, celui de Marie-Marguerite avec un loyaliste américain, Thomas-Craigie-Holmes Coffin, le 22 février 1786, devant un ministre protestant (Delisle), et ratifié, le 29, à l’église catholique de Vaudreuil. Madame Coffin meurt en 1839 ; son fils sera un excellent catholique et son mari se convertira avant de mourir, en 1841, aux Trois-Rivières.

La seigneurie de Tonnancour proprement dite, y compris le fief Gatineau, est cédée en dot à madame Coffin, et l’on ne voit plus de Tonnancour à la Pointe-du-Lac : la lignée se continue à St-Michel d’Yamaska, d’où elle rayonnera, jusqu’à la génération actuelle qui est la dixième. En voici le tableau plus facile à saisir :

1ère génération : Jean — Baptiste Godefroy de Linctot ;
2e : Louis Godefroy de Normanville ;
3e : René Godefroy de Tonnancour ;

4e : Louis-Joseph Godefroy de Tonnancour ;
5e : Marie-Josephte Godefroy de Tonnancour
(Mme Coffin) ;
6e : Léonard Godefroy de Tonnancour
(à Yamaska ) ;
7e : (1o) Léonard Godefroy de Tonnancour
(à Manchester, É.-U.) ;

(2o) Benjamin-Lactance, dont un fils a fait souche à Morinville (Alberta) et un autre à Flambeau Farm (au Wisconsin) ;

(3o) Louis-Chs-Frs, à Montréal, père de Louis-Léonard, marchand-tailleur, de Frédéric-Charles, de Louis-Joseph-Armand, et de Louis-René-Émile-Gustave nés entre 1868 et 1885.

Les Godefroy de Normanville de Tonnancour étaient la deuxième branche de la famille de l’ancêtre J.-B. Godefroy venu de Linctot, que la carte de France épèle aujourd’hui Lanquetot, commune de 1 170 habitants à 27 milles du Havre.

La première branche, les Linctot, se transplanta à Montréal vers 1705. Les troisième et quatrième, de Vieux-Pont et de St-Paul, semblent éteintes depuis assez longtemps, mais il existe encore des Normanville.


b — Coffin et Montour

À la suite d’on ne sait quelles affaires malheureuses, Thomas Coffin, qui avait fait des largesses à l’Église, des politesses dis­pendieuses aux visiteurs et aussi de la politique, est mis en li­quidation par Robert Grant, marchand de Londres, en 1795.

Le shérif Antoine-Isidore Badeaux, après trois jours d’en­chères, adjuge à Nicolas Montour tous ses droits et propriétés : manoir, moulins, maisons d’employés et magasins de farine et de blé, pour 3,740 livres anglaises, à peu près 18,000 $.

Qui était ce seigneur Montour ? Descendant de Louis Couc dit Montour, marié à une sauvagesse socokie en 1683 ; né probablement au Détroit où l’un de ces Montour est exécuté en 1709 pour avoir dirigé les Sauvages et leurs pelleteries du côté des Anglais ; porté vers tout ce qui n’était pas canadien, Nicolas Montour épouse une anglaise catholique Geneviève Wills, et il vit et meurt protestant. Il a fait son argent, une centaine de mille piastres, avec la Compagnie du Nord-Ouest, et il veut se payer une belle vie. Il sera député à trois élections, pas brillant, et pas souvent du bon côté, mais député ! Pour se payer le luxe anglais d’aller à cheval, il engage l’arpenteur Le gendre, qui lui prépare un rond de course dans l’érablière du moulin. Pour augmenter la chute d’eau, il creuse six milles de canaux qui amènent le courant, de la rivière-aux-Loutres et de la rivière-aux-Sables.

Il bâtit un nouveau manoir à quatre étages, multiplie les réceptions et traite royalement son monde. Il meurt, en 1808, juge de paix aux Trois-Rivières, laissant ses biens à sa femme qui meurt en 1832, suivie bientôt de son fils Horatio, célibataire. L’héritage va en tiers indivis aux trois filles : Caroline, Julie-Élise et Mélinda.

L’aînée, Mélinda, restera en tutelle toute sa vie, (1801-1872) enfermée dans une chambre du Manoir : elle est folle. Son tiers d’héritage passe à des demoiselles MacPherson, nièces de Madame Montour par leur mère, née Wills.

Caroline, restée veuve de Louis-Edouard Kimber, de Nicolet, après quatre ans de ménage, était revenue demeurer avec sa mère. Le garçon de ferme, Toussaint Biron, se sentait gêné devant elle, et la gentille veuve prenait plaisir à monter avec lui en charrette, à lui donner des messages et des rafraîchissements. Mais on n’était pas au siècle de l’inconvenance, et voilà qu’un matin, Biron annonce qu’il va partir, qu’il ne peut plus travailler là.

— Pourquoi ? demande-t-elle, portée à la démocratie.

— Le brave garçon regarde ailleurs, tourne sa tuque, rougit, bégaie et se livre enfin :

— Il faut bien que je m’en aille : je vous aime !

Il arriva ce que vous pensez ; comme disait l’enfant d’école : le futur du verbe aimer, c’est se marier. La seigneuresse-mère, qui n’est peut-être pas contente, les expédie sur une terre qui sera l’héritage d’un neveu, Honoré Biron, que l’on appellera le petit-seigneur, et qui la transmet à un neveu Guay, l’actuel occupant.

La troisième demoiselle Montour épouse le docteur Charles Mailhot, qui ouvre son bureau devant l’église, en bas.

Il y a deux frères Mailhot, médecins tous deux, qui ont eu affaire chez nous, les deux fils de l’hon. F.-X. Mailhot, député de Surrey (Verchères), puis conseiller législatif en 1832. Le mari de Julie-Élise Montour est l’hon. docteur Charles, conseiller législatif pour la division de Shawinigan, de 1862 à 1867, alors qu’il devient sénateur pour la division de La Vallière. En mourant, il lègue son tiers d’héritage à son frère, le docteur Adolphe. Les corps de la seigneuresse Montour et de son fils Horatio, des époux Mailhot et de leurs neuf enfants, reposent dans la chapelle funéraire, au centre du cimetière, où les jeunes gens allaient jadis faire une visite, les soirs d’automne, pour faire leur preuve de courage.

Les descendants du deuxième docteur Mailhot gardèrent les droits sur un tiers, et achetèrent du cousin MacPherson-Lemoine, le tiers reçu de l’irresponsable Mélinda, en 1883, celui du Seigneur Biron par l’entremise de M. Charles-Borromée Biron, qui avait lui-même acquis ou obtenu le désistement des autres cousins héritiers : Onésime, Hercule, Hector, Pierre, Arthémis, Edmond etc.

Après l’abolition de la tenure seigneuriale, en 1854, cet héritage ne consiste plus que dans un titre et dans le revenu des cens et rentes, qui s’élève à moins de 700, $ par année.

L’évaluation officielle et définitive du Commissaire Norbert Dumas, en 1858, fixe ainsi la valeur totale des divers droits et biens lucratifs de la dite Seigneurie :

Valeur des Cens et Rentes
..............................................................................................................................................................
$ 11,213.66
Valeur des Lods et Ventes
..............................................................................................................................................................
4,681.66
Valeur du Moulin Banal
..............................................................................................................................................................
3,600.00
Valeur des Manoir et Domaine Seigneuriaux
..............................................................................................................................................................
6,800.00
 
$ 26,295.32

Les cens et rentes sont basées sur le placement à 6% d’un capital de 11,213.66. $

Madame Paquin (née Henriette Héroux), l’actuelle seigneuresse et détentrice de ces droits, se dit bien prête à les vendre à qui voudra devenir seigneur. Avis aux intéressés !

Le vieux moulin et le Manoir sont propriété privée depuis 1876. M. Olivier Duplessis achète le moulin, l’étang et quelques lopins. Il continue, après un M. Piché, venu de Berthier, la meunerie et la scierie ; puis, quand se crée le mouvement d’Industrie laitière, il fonde une beurrerie qui apportera des « enveloppes » généreuses aux fournisseurs de lait. En 1903, tout est vendu à M. Thomas Garceau, fils de meunier à l’Acadie, et meunier lui-même aux Petites-Terres. En 1925, les Frères adjoignent le moulin au bocage qu’ils occupent déjà : voici comment.

M. le curé Paradis qui a mission de vendre le Manoir, dispendieux et sans revenu, réussit en 1879 à le passer à M. Piret, ingénieur-minier de Charrier La Prugne (département de l’Allier, France), dont la femme était riche. M. Piret avait enfoui de l’argent dans des mines chimériques ; il vend son domaine à réméré à son beau-frère, M. Waters, de Londres, puis le reprend au bout de cinq ans, au même prix de 1,700. $, plus les intérêts et « les loyaux frais ». L’on aperçoit, de façon intermittente, ce vieux couple bizarre, qui vit en anachorète dans ce vaste ermitage entouré d’une immense clôture, espèce de muraille de Chine. Quand il n’y a personne, les enfants d’école se risquent à pénétrer dans le parc pour gauler des noix et des glands, ou pour gravir les galeries branlantes et jeter un œil entre les volets. Les souvenirs confus de grandeur et de folies passées, les ronces qui donnent au château des airs de roman, les oiseaux effarouchés, les couleuvres et les crapauds qui se tapissent là comme chez eux secouent d’un petit frisson pas trop désagréable, — et l’on se sauve comme des coupables de profanation.

Le vieillard repose dans notre cimetière, mais le chien a eu les honneurs d’un embaumement, d’une petite tombe et du retour en Angleterre avec sa maîtresse inconsolée.

Le Moulin
La côte de l’église

Un Chartreux canadien, jadis l’abbé Chapdelaine, du diocèse, incite sa communauté à se porter acquéreur de la propriété, en vue d’une chartreuse possible. On achète mais on ne vient pas voir, on ne fonde rien. Deux paroissiens, MM. Adolphe Biron et Napoléon Duval, acquièrent le domaine, font chantier à même les pins centenaires, et revendent en 1911 aux Frères de l’Instruction Chrétienne, qui agrandissent l’habitation et se taillent un bijou de parc, romantique à la 1830, avec son étang, son vieux moulin, ses pins vigoureux, ses allées sinueuses, ses statues qui montent la garde et présentent les hommages de la terre.

III — Nos Anciens


Revenons en arrière, sortons des grandeurs pour entrer chez les humbles.

En concédant la forêt, les gouverneurs, au nom du Roi, obligeaient à la faire défricher, à la faire habiter. C’est normal, puisque la terre est créée pour l’homme. Les Seigneurs devaient imiter Robert Giffard, de la côte de Beauport, et notre Pierre Boucher, qui étaient allés se chercher ces valeureux colons du Perche, les modèles des colons et les créateurs des régions de Québec et de Boucherville.

La terre était immense, partout appelante et fertile : les hommes manquaient. Le régiment de Carignan, une fois les Iroquois amortis, s’attaque aux arbres et s’établit dans le pays ; des centaines de jeunes filles, normandes et parisiennes, viennent s’offrir en mariage : le roi fournit une dot de 50 livres, ainsi qu’une habitation et des vivres pour huit mois, afin qu’on puisse défricher sans trop d’inquiétude. Ces recrues ne viennent pas jusque chez nous. En 1681, pas un colon jusqu’à la Rivière-du-Loup.

En 1688, l’on ne compte de la Banlieue à Lanoraie, que 23 maisons, 24 ménages, 85 bêtes à cornes et 41 cochons. En 1709, seize habitants à Machiche ; aucune indication pour la Pointe-du-Lac, ce qui est mauvais signe : ici, pas de nouvelles, mauvaises nouvelles. Et pourtant il y a des colons.

Au procès-verbal « sur la commodité et l’incommodité de venir à l’église », rédigé sur place en février 1721 par Maître Collet, pour M. de Vaudreuil, chargé de régler les districts de 82 paroisses actuelles ou futures, il appert qu’en dehors du bourg des Trois-Rivières, il n’y a que huit colons qui tiennent feu et lieu sur leur terre : à la Banlieue, Pierre Lemaîstre, l’anonyme fermier du Sieur Laframboise, Antoine Le Pelé Desmarets, Ignace Lefebvre-Belisle et Joseph Fortier ; à la Pointe-du-Lac : Jean LeClerc et Jean Amont ; au fief Gatineau, mais plutôt dans Yamachiche, Lafontaine et Crestien ; sur la rive sud, Joseph Baudry-Lamarche, Pierre Pommier dit Sans-Quartier et Sébastien Provancher à Nicolet. Les autres concessionnaires résident encore aux Trois-Rivières… « Ils nous ont dit qu’ils n’ont point présentement de paroisse plus commode et plus proche »…

S’il ne reste plus alors qu’Amont et Leclerc, à la Pointe-du-Lac, il faut croire que leurs prédécesseurs se sont découragés, car, en 1714, Monseigneur de Saint-Vallier arrête chez les Ursulines, en route vers Montréal et, surpris quelques heures après par un orage interminable, demande gîte et couvert à « une pauvre chaumière isolée située à la Pointe-du-Lac. Là habitait une pauvre veuve indigente et cinq enfants en bas âge, réduits à la dernière extrémité, n’ayant ni pain ni feu. Le cœur si tendre de Monseigneur ne put tenir à un tel spectacle, et il eut bien vite épuisé les provisions que nous lui avions préparées pour son voyage… » Caresses aux petits enfants, large aumône à la mère, et le prélat couche à terre sur une botte de paille. Il racontera souvent que cette cabane l’avait charmé pour sa ressemblance avec l’étable de Bethléem.

Mais voici qu’en 1721, le chemin du Roi s’ouvre jusqu’à Montréal. La paix favorise la culture ; les colons ne sont plus alertés pour la guerre, s’ils vont encore en expédition à Michillimakinac et à la baie des Puants chercher des fourrures pour ces messieurs de Paris. Les Rapports de l’Archiviste de la Province de Québec ne cessent d’inscrire chaque année, des centaines et des centaines de noms d’engagés où l’on déniche des gens de par chez nous. L’on sait aussi qu’un groupe de colons des environs des Trois-Rivières alla fonder le Détroit.

En 1723, Louis Gatineau, sieur Duplessis, marié à Jeanne Lemoyne, seigneuresse de Sainte-Marie, à La Pérade, est forcé d’avouer qu’après onze ans de possession du fief Gatineau, il n’y a placé aucun colon : trois lots sont déjà concédés à son cousin Claude Crevier, à la veuve et au fils de Pierre Lemaître. Il promet de faire mieux, ce qui sent le repentir d’élève pris en faute, et la crainte d’être dépossédé de son fief inexploité. Cette partie Ouest souffrira de son voisinage avec la Grande-Rivière, plus fertile et plus accessible en canot.

En 1733, le Chevalier de la Pause, qui monta à pieds de Québec à Montréal avec le régiment de Guienne, écrit : « Nous sommes presque toujours dans les bois depuis cette paroisse jusques à Machiche ».

Les splendides terres de la Rivière-aux-Glaises s’appelaient alors la Grenouillère…

Ce sont les réfugiés acadiens qui ouvriront le fief Gatineau et qui y créeront le rang l’Acadie, plus la petite Cadie et la grand’ Cadie à Yamachiche.

Dans Tonnancour, on commence enfin à dégeler. Ça n’ira vraiment pas mal, puisqu’on y bénit une chapelle en 1739 et qu’un desservant, M. Chefdeville, y est assigné en 1744 ; il faut donc qu’il s’y trouve du monde. Les plus anciens noms : le capitaine de milice François Delpé dit Montour ; J.-B. Le-Noblet-Duplessis, fils de Louis Gatineau, sieur Duplessis, de Ste-Anne, et petit-fils de Nicolas, l’ancêtre, notaire à Québec. Les registres paroissiaux de la Visitation, paraphés de Hertel de Rouville en 1749, s’ouvrent en 1742 pour le baptême de Joseph Déry ; ils contiennent les noms de Gladu, Laperle, Bertrand, Guilbert, Lefebvre-Denoncourt, Camirand, Chevalier, Girardeau, Leclair, Oberil (Aubry).

La colonisation remonte par taches le long du fleuve : nos gens viennent de la ville et de La Pérade. Le moulin seigneurial s’est bâti sur la Rivière St-Charles, peut-être en même temps que le premier manoir, aujourd’hui presbytère, qui date de 1737, et où M. de Tonnancour alternait sa résidence.

Pour que la colonie n’ait plus à importer de France les poêles, marmites, boulets de canon et autres articles de fer, le roi Louis XV ouvre enfin, en 1737, les forges St-Maurice déjà poussées par Jean Talon, et y installe une vingtaine de familles d’ouvriers spécialisés, recrutés aux environs de Dijon, en Bourgogne. Comme le minerai de fer se trouvait et se trouve encore en « trois minnes très abondantes » de la Pointe-du-Lac, visitées en 1740 par le grand-voyer Lanouiller de Boiscler, et qu’il existe deux routes par St-Étienne et par la Baie-des-Mines, l’on n’est pas surpris de trouver sur nos registres les noms de presque tous ces Bourguignons : Aubry, Champagne, Delorme dit Deslauriers, Girardeau, Petit, Marchand, Trotochaud, — Tortochaux, d’après M. Émile Demaizière, de l’Académie de Mâcon, (France,) qui se réjouit de ce que leurs descendants « se pressent le long du Saint-Laurent, notamment à la Pointe-du-Lac et à la Rivière-du-Loup. Nous devons certainement éprouver quelque fierté à voir que nos anciens de la petite patrie ont tant soit peu pris part à la formation de ce groupe français d’outremer que l’économiste Le Play dénommait la nation modèle de notre temps, nation qui comptera peut-être, à la fin du présent XXe siècle, presque autant de Français qu’en France, et de Bourguignons qu’en Bourgogne. »

a — Quelques sauvages

En 1752, l’ingénieur Franquet, qui visite les Forges, se rend en calèche, avec M. de Tonnancour, à la Pointe-du-Lac, pour y prendre le bateau qui le mènera à Montréal. Il observe et note : « Parvenu à la Pointe-du-Lac j’aperçois des maisons bâties uniformément et assujetties à des alignements (déjà de l’urbanisme !). Il y en avait neuf. Surpris de cette régularité, mon dit sieur de Tonnancour me dit que c’était lui qui les faisait construire à ses dépens pour y réfugier des Sauvages errants et vagabonds, entre autres des Algonquins… Son projet est d’augmenter le nombre des maisons à mesure que les Sauvages s’y présenteront. Comme il est seigneur du lieu et riche, il le pourra avec facilité. Il fera même construire une église à mesure qu’il leur remarquera des dispositions à s’y fixer. Il compte aussi en attirer d’autres, comme Têtes-de-Boule et Montagnais… Comme il parle la langue, qu’il est entendu au commerce et en état de leur faire des avances, il s’en attire la préférence, et c’est en vue et augmenter cette traite qu’il se constitue en frais pour l’établissement de ce nouveau village » (à la pointe en bas de l’hôtel Tomoqua de M. Trefflé Rouette).

Le rêve de Tonnancour ne prit pas corps : seulement deux registres paroissiaux, 1754 et 1755, où M. le curé Guay ajoute « et des sauvages algonquins » à son titre de curé de la Visitation, contiennent vingt-trois baptêmes, mariages et sépultures de Montagnais, d’Attikamègues et de Têtes-de-Boule, venus du St-Maurice. Les noms propres découragent le digne curé, qui en a son raide à épeler les noms français, et la moitié du temps l’on n’a que « Françoise, Sauvagesse », ou « Médard, sauvage dit la Glace », comme, vers 1806, on aura pour marraine « Mademoiselle Marianne anglaise » et la sépulture de Rosalie Makaille. Des noms indiens, pourtant, il s’en trouve : J.-B. Polichiche, Jeanne Nyquic, J.-B. Ouïesosés, Frs Pilatchanche, Jeanne Quilionabée, Alexis Mistigouche, Piquinac, Ngpénonfoüin.

Puis tout disparaît : il ne restera bientôt plus, comme dernière relique, que cette Marie Tomaquah, dont M. de Calonne écrit les lettres, adressées à son père.

b — Les Acadiens

Après 1755, les noms acadiens frappent l’attention : les Trois-Rivières ont profité d’un bon contingent de ces rescapés du pire dérangement que rapporte l’Histoire moderne. La Grand’Cadie et la Petite-Cadie de Yamachiche deviennent l’Acadie chez nous. Déjà la Pointe-du-Lac possédait des Maheu, des Bertrand, des Pinaut, des Bériau, noms acadiens ; la nouvelle recrue amena les noms de Comeau, Landry, Martin, Bastarache, Thibault, Giasson, Dorion, Doucet, Morel, Garceau, Haché. Arrachés de leurs heureuses terres de Port-Royal, que les Anglais trouvaient de leur goût, transportés d’abord à Boston, et deux ans plus tard, rembarqués pour la Martinique, ils conspirent en français de n’y pas aller. Ils enferment le capitaine et se rendent maîtres du navire. Un Doucet prend la barre du gouvernail, débarque son monde à Québec et relâche le bateau. Les Acadiens, s’adressent à M. de Vaudreuil et reçoivent des terres à St-Grégoire, à St-Jacques l’Achigan et par ici. Bienvenus !

On trouve de tout dans les vieux registres.

La prononciation ancienne reparaît dans les fautes d’épellation. Ainsi on a Laparle, Arpentigny, Lasarte, Bartrand, Boucharville, Gilardeau, Mertin et Delpé, qu’on prononce Martin et Dalpé ; Berton, Beloin, Deloncour, Gaillou, Troquet, pour Breton, Blouin, Denoncourt, Gadiou, Trottier, comme d’autres prononcent encore Bargeron, Labarge et Barquiaume.

Les friands d’étude des races aimeront à savoir que dans ces presque deux cents ans de registre, on trouve deux mentions de mariages avec des indiennes et encore que ce sont des noms importés d’en bas du fleuve : en 1795, sépulture de « Jeanne Mokatpe, micmake, femme de Jean Martin Michaux, âgée de 26 ans », et en 1755, baptême d’une fille de 7 ans de Pierre Langlais et de Michelle Chapôna, algonquine. Fort peu d’apparence de sangs-mêlés dans les deux cas.

Après la guerre de 1776-1783, mille à quinze cents soldats allemands du général baron Von Riedesel se fixent aux États-Unis et au Canada : nous trouvons chez nous les noms de Offman et Henri Kune ; un Portugais à qui M. de Calonne se faisait comprendre en mêlant le français, le latin et les gestes ; Wineur pour Weaner, qui resta et qu’on appelait le bonhomme Lallemand, puis Jean-Joseph le Polonais (Bonaki), et quelques Anglais, probablement des Loyalistes. On retrace aux registres de la seigneuresse Montour, entre 1810 et 1850 : Brown, Christopher Cramer, Woolsey, Beatty, McDonald, Johnston, Barnet, Hockart, qui sont partis, et des Sills, qui ont fait souche et M. Hooper, le dernier à disparaître, un beau vieillard, cultivateur, qui venait souvent aux Vêpres, qui contribuait chaque année à la messe pour les biens de la terre, qui parlait bon français avec les autres patrons de la beurrerie, ainsi qu’à ses chevaux, dressés à marche donc, et arrête donc !

c — Variétés

Les registres démontrent encore que, autrefois comme aujourd’hui, les colons ne sont pas toujours, ni la moitié du temps, les paroissiens qui restent : diverses raisons les poussent ou les repoussent plus loin, surtout la misère. Ils ont du Samuel Chapdelaine, ils n’aiment pas les voisins, ni les animaux autres que les chevaux ; ils goûtent la solitude, la destruction des arbres plutôt que la production du grain et la construction des clôtures. Ce sont les artilleurs de la conquête, qui déblaient le terrain pour les fantassins, les sédentaires, les vrais cultivateurs, qui font le pays et qui sont la solide étoffe de la race.

Des noms de l’ancien temps, l’on ne retrouve plus que les Delpé-Montour, les Duplessis, les Camirand, les Guilbert, les Dufresne, Dupont, Duval, Girard, Guay, Gauthier, Comeau, Crête, Garceau, Pothier, Benoit, Lesieur, Thibault, Godin, Héroux, Martin, Rivard, Houle, Biron, Blouin, Livernoche, Denoncourt, Vincent, Héli, Lemerise, Alarie.

Vers 1800, apparaissent Dugré, Blais, Bolduc, Berthiaume, Blouin, Descôteaux, Bouchard, Bourassa, Rouette, Bisson et Paquin.

Presque tous les noms des 1,400 habitants de la Pointe-du-Lac sont là. Selon la remarque d’une fouilleur : « Parmi les anciennes familles, tout le monde est parent ». Et c’est vrai pour des régions complètes de notre territoire : nous sommes issus de quatre ou cinq mille familles de France. Les groupes enracinés ici ont peuplé des sections entières de leurs enfants et petits-enfants, et les entre-mariages de ces descendances nombreuses ont créé des parentés si vastes qu’on les perd de vue, et qu’on est tout surpris de payer une dispense de mariage.

En prévision, sans doute, de ces rapides multiplications des descendances, on changeait les noms de famille à partir du deuxième fils : on a vu les variétés de Linctôt ; les trois frères Gélinas d’Yamachiche deviennent Gélinas, Bellemare et Lacourse ; les cinq fils de Charles Lesieur se nomment Lesieur, Duchêne, Désaulniers, Coulombe et Lapierre, en attendant autre chose.

Nos registres affichent Bériau dit Boisclair, Laperle dit Janvier, Janvier dit Larose, Breton dit Héli, Deshaies dit Saint-Cyr, Leroux dit Lenseigne, Hérou dit Bourgainville, Gadiou dit Saint-Louis, Delpé dit Montour, Montour dit Saint-Cerny, Comeau dit Chaillot, Vacher dit Lacerte, Lesieur dit Frény, Rouette dit Vive l’Amour ! Arrêtons là !

Salutaires changements, tout de même, à remettre en honneur pour ne plus confondre les victimes d’arrestations, ni s’embrouiller dans l’almanach des adresses de Montréal, à d’interminables nomenclatures de 54 Joseph Gauthier, en outre de 36 Arthur, 12 Charles et 25 Albert ; 53 Joseph Gagnon, plus 29 Arthur, 16 Charles et 19 Albert ; 36 Joseph Côté, 95 Joseph Tremblay,… sans compter les enfants et les célibataires sans logis !

Nos ancêtres ne donnaient pas dans les prénoms qui font ensuite le désespoir de leurs infortunés dénommés, les prénoms-martyres. Non. Nulle part on ne lit d’Exilia, d’Indiana, d’Elzémire et de charabia,

Les petites filles s’appellent le plus souvent, et gentiment, Marguerite, Françoise, Antoinette, Geneviève, Josette, Marie, Madeleine, Jeanne, Catherine ou Angélique. Et les garçons, de préférence Pierre, François, Joseph, Jean-Baptiste, Louis, Étienne, Jacques, Modeste, Charles et Michel. Sous le régime anglais fourmillent les noms tirés de l’Ancien-Testament : Moïse, Esdras, Isaac, Isaïe, Abraham, Elzéar, Jérémie, Benjamin, Samuel. Puis, des noms anglais : William, Johnny, Arthur, Freddie ; et les terminaisons fantaisistes : Louison, José, Charlon, Charlette, Tiquienne, Quiennon, Belone, Exor-Noré-Elzéar, fils d’Honoré.

Les sépultures d’enfants pullulent : les petits naissent nombreux, mais ils meurent drus comme des mouches. Il y en a bien le tiers qui ne vivent pas dix ans. Mais les survivants sont des gaillards !

Le manque de médecins, la science trop courte des sages-femmes qui les remplacent, les travaux harassants de nos grand’ mères, la longueur démesurée de nos hivernements, la grossièreté de la nourriture, l’absence d’aération des minuscules cabanes, avaient de quoi faire mourir les plus robustes. L’hygiène est une science nouvelle, le soin des corps n’est pas érigé en idolâtrie chez nos ancêtres, les bains se prenaient à la grande eau, ou à la pluie, et l’on néglige de se vêtir de linge sec quand on s’est trempé de sueur, d’orage ou de neige fondante. Le canotage obligatoire occasionne bien des noyades. Ajoutons à ces pertes de nos recrues les trouées causées par d’incessantes expéditions guerrières ou commerciales, les groupes de colons transplantés au Détroit et ailleurs, et l’on s’explique le ralenti de la conquête agricole durant les cent-cinquante années de domination française.

IV — La Paroisse

a — Première église

Pour en finir avec ces émouvants registres, jaunis et rugueux, moisis, rongés, où l’on trouve de tout entre les lignes, ils s’ouvrent en 1739 sur l’acte de bénédiction de la première chapelle, et J.-B. Poulin, sieur de Courval, procureur du Roi aux Trois-Rivières, en paraphe les feuillets, qu’on ne retrouve pas tous. Sans doute, c’est pour la raison indiquée par M. le curé Joyer, patient auteur d’une table, d’un répertoire des soixante-et-onze premiers registres, jusqu’à 1806, « Commençant en l’an née 1749, les feuilles du premier registre, qui remonte à 1744 (et même à 1739), étant en partie rongées par les souris. »

Voici l’en-tête du cahier de 1739, et la page historique, la déclaration de majorité de notre petite paroisse, encore simple desserte, qui n’aura de curé résident qu’en 1786, d’érection canonique qu’en 1832 et d’organisation municipale qu’en 1843.

« Livre concernant l’Église de

benitte le 12e juillet 1739, — que nous avons paraffé et collé contenant quarante feuillets. Fait et donné par nous Conseiller du Roi et son Lieutenant-général aux Trois-Rivières ce 9e aoust 1742. Courval. (j.-b. poulin, sieur de courval)

12 juillet 1739. Aujourd’hui Douzième jour de juillet mil-sept-cent-trente-neuf, jour de la feste de la Dédicace (---)

Diocèse de Québec, à la prière de Messire (---)
chanoine de l’Église Cathédrale, Vicaire (---)
Nous, Prêtre Chanoine, Grand pénitencier (---)

Diocèse de Québec, avons Bénis L’Église seize (sise) à la pointe du lac, Dédiée à Dieu, sous l’invocation et tittre de la Visitation de la Ste Vierge pour première patronne, et de St-Charles pour second patron ; Dans laquelle ditte Église, après avoir fait les Bénédictions et Cérémonies les plus solennellement qu’il a été possible, Nous y avons dit et célébré le St Sacrifice de la messe où plusieurs personnes ont communiées, s’étant trouvé un grand concours de peuple, à la teste Madame Margueritte Ameau veuve de René Godfroy Ecuyer Seigneur de tonnancour Dame du dit lieu ; le sieur Rock de ramezay capitaine de compagnie du détachement de la marine et Dame Louise Godefroy de tonnancour son épouse et damoiselle margueritte charlotte de Ramesay sa fille, du sieur Godefroy de tonnancour Ecuyer, subdélégué de M. Vintendant. Fait à trois rivières les jours et ans cy dessus.

M. Ameau de tonnancour veuve

De Ramezay[2]
Louise Tonnancour De Ramezay Marguerite de Ramezay
M. Déry Pierre Riviéz G. de Tonnancour
Louis Michelin
Hazeur, chane grd pénitencier  »


Le registre se continue avec l’acte de baptême de Joseph Déry, le 9 juillet 1742, signé J. Chefdeville, ptre. Les fantaisies d’orthographe sont plus nombreuses que les signatures, dont on ne s’explique pas toujours l’absence, ni même celle des signataires : ainsi, le 28 juin 1745, le capitaine de milice Maurice Déry qui est souvent témoin aux baptêmes et aux funérailles, fait baptiser un fils : il est présent et ne signe pas. Le même jour il assiste à l’enterrement d’un enfant étranger, et il signe. Trois jours après, inhumation du bébé Déry ; pas de signature, pas même la présence du père. Et le missionnaire J. Chefdeville signe sans peur et sans reproches les distractions que voici :… « ses pères et mère marié ensemble, le parein Louis Girard, mareine marie Joseph potier, la mareine a signé avec nous, le parein a déclaré ne scavoir signer, de ce enquis suivant L’ordonnance. » Et la marraine griffonne de travers : Mari joistte poitié. Ô jours héroïques de la période des défrichements !…

Quand on n’est pas blindé par l’habitude des vieux papiers, c’est d’un effet curieux d’en tenir dans ses mains, avec crainte et tremblement — s’il fallait déchirer cela ! — Une simple dispense de mariage, en latin, écrite moulée en 1755 par Monseigneur Briand, alors secrétaire de Mgr de Ponthriand : Henricus Maria du Breil de Ponthriand… ce comte évêque de Québec, protecteur des pauvres et consolateur des Canadiens durant la guerre de Sept-Ans, meurtri par la défaite et enterré quelques mois après Montcalm, — un tel parchemin jauni n’est-il pas une relique ?

La petite église « de belle apparence » consacrée en 1739 était vingt-cinq pieds à l’ouest : on a déterré, près du charnier, des pièces de fondations. Elle durera jusqu’en 1844.


b — La fabrique

Le 27 mai 1749, Mgr de Ponthriand, en cours de visite, signe ce billet de son secrétaire Sarault : « Permettons et exhortons les habitants de la Pointe-du-Lac de défricher la terre que doit donner M. Tonnancour pour le missionnaire, afin que nous puissions dans quelque temps y en placer un. »

Les Tonnancour étaient des gens d’église et des donateurs généreux. Déjà René avait donné aux Ursulines deux de ses filles, aux Frères Charron le terrain où fut l’ancien évêché, aujourd’hui le Jardin de l’Enfance, et quantité de décorations à l’église paroissiale, incendiée en 1908. Sachant bien que leurs censitaires ne vivent pas seulement de pain, ils leur bâtissent une chapelle comme ils leur ont bâti un moulin. Le seigneur aime bien y prier, mais conduire aussi, un peu comme chez lui. Cela ressort d’une lettre de 1784 aux marguilliers, où Mgr Briand refuse à M. de Tonnancour le droit de patronage qu’il sollicite : si naguère il a eu la permission de bâtir à ses frais une chapelle, il ne peut certes pas en faire une église paroissiale sans le consentement de l’évêque. On n’est pas père de l’église comme ça !

Entre temps il a donné à la Fabrique verbalement, et Coffin cédera par écrit en 1791, le manoir et une terre en face, quatre arpents par quatre, bornage de Pierre Marcouillier, arpenteur juré : « depuis Joseph Comeau à la ligne d’Amable Plouf laquelle j’ai poursuivie jusqu’à la crête du coteau, et icelui coteau j’ai poursuivi jusqu’à un ancien four à chaux et au domaine. » En reconnaissance, la dame seigneuresse (puisque Coffin est protestant), jouira du Banc seigneurial et des droits honorifiques qui y sont attribués et annexés, plus un sou de cens, plus la jouissance gratuite de deux autres bancs dans la nef, mais ceux-ci à titre de donatrice, non de seigneuresse. Il sera bien entendu que le curé sera maître chez lui, non le seigneur. Mgr Hubert félicite M. Gagnon de ces arrangements.

Le Manoir

Ce manoir-presbytère bâti en 1736, et pour des siècles, a 43 pieds par 36 ; les vieux murs de deux pieds et trois quarts d’épaisseur forment encore le premier étage. En 1792, une requête demande la permission de réparer : Mgr Hubert répond qu’elle n’est pas bien rédigée, qu’on devra en préparer une nouvelle. On divise le manoir en trois grandes pièces : la salle des habitants, le logis du bedeau, au centre, et celui du curé, bien modeste palais. La dîme, surtout du blé, loge au grenier, pas pour longtemps : les nécessiteux fourmillent. En effet, quand il s’agit d’acquitter la répartition volontaire, pour les frais de réparations, à savoir, « une planche, un clou et un sou par arpent de terre », on demande deux ans pour recueillir cela !… Pour en finir avec ce premier manoir, il demeure à peu près tel quel jusqu’en 1898, alors que l’on refait l’intérieur, les galeries et l’allonge. En 1914, il reçoit un autre étage, une autre teinte et il perd son allure antique. Les ouvriers qui démolirent des bouts de murs pour rediviser la cave proclamèrent que les ancêtres savaient bâtir.

En 1805, c’est le tour de l’église. « La majorité des habitants » demande à Mgr Denaut « qu’il lui plaise… leur permettre de faire faire un nouveau clocher, de réparer ce qui est gâté de la charpente par la pluie entrée dans le clocher, de garantir le presbytère du froid et de le rendre logeable et convenable pour la résidence de messire le curé. » Les noms des signataires ? — Orfroy, prêtre, J.-B. Laviolette, Étienne Martin, Jean-Marie Lemerise, Joseph Como, Nicolas Montour, Ths Cooke, Michel Guay, Antoine Rouette, J.-B. Baudet, Michel Robitaille. Suivent les croix de cinquante-cinq autres. Témoins : Augustin Rivard-Dufrêne et François Levasseur. Pour copie, J.-J. Lartigue.

M. le grand-vicaire Noiseux, chargé d’y voir, s’adjoint six paroissiens et « Michel Robitaille, maître-charpentier et expert (déjà !) dans les réparations » : On a « trouvé qu’un clocher en neuf est absolument nécessaire, et que les chevrons de l’église sous l’ancien clocher sont pourris, et qu’il faut ôter le bois vicié et en remettre du neuf. » Et comme les habitants demandent que le nouveau clocher soit couvert en fer-blanc, il a estimé cette réparation à 1,800 livres ancien cours (360 $.) Au presbytère, l’expert a estimé qu’il faut abattre le mur de la devanture jusqu’aux solives de la cave, étant tout fracassé et fendu ; des croisées neuves, du plancher neuf, des cloisons lattées et un perron neuf. L’expert a estimé le tout à 2,500 livres (500 $.)

Comme dette de fabrique ce ne sera pas ruineux, mais l’argent sonnant ne jaillissait pas des terres de sable, où le peu qui poussait se vendait peu.

L’église sera remplacée en 1844 par une plus grande, qui brûlera en 1882, qu’on rebâtira dans les mêmes murs, plus hauts de cinq pieds ; la voûte romane ne s’arrondit qu’en 1898 et les décorations, peintures de Monty, orgue de Casavant, installation du chauffage central, du gaz, puis de l’électricité ne compléteront l’ameublement de la maison de Dieu que sous le curé actuel, M. Poisson. On est fier de l’église, dont le clocher d’argent ponctue la rue du village, domine le carrefour en courbe du manoir, du moulin et du village, s’aperçoit de loin et ne paraît vraiment pas mal !

g — Les desservants

En voici la liste, où l’on n’omet que les remplaçants occasionnels, dont les noms apparaissent à divers actes : MM. Boudreault, Labadye, Gaillard, Ecuier, Harper…

1o M. Jacques-Maxime Chefdeville de la Garenne, dessert quatorze ans, la Pointe-du-Lac, à deux reprises pendant qu’il est curé de Louiseville, puis d’Yamachiche : de 1742 à 1754 ; et de 1763 à 1769. C’est un Canadien, né à Québec en 1714. Dieu lui pardonne ses fautes d’orthographe !

2o Divers Pères Récollets font les offices en 1744, puis de 1757 à 1760 : les frères Denys Baron, Siméon Dupont,…

3o M. Louis-Michel Guay, né à Lévis en 1722, curé de Louiseville, dessert aussi la Pointe-du-Lac de 1754 à 1757, puis s’en va curé à Ste-Anne-de-la-Pérade.

4o Le R.P. Dominique Pétrimoulx, récollet, né à Québec en 1735, curé de Louiseville de 1758 à 1786, nous dessert en 1760-63, puis Bécancour, deux ans, ce qui l’astreint à des courses pas commodes.

5o M. Pierre Maugue-Garaut de Saint-Onge, né à Montréal en 1721, curé aux Trois-Rivières, grand-vicaire et aumônier des Ursulines, de 1764 à 1789, dessert en plus, d’abord le Cap, puis la Pointe-du-Lac de 1769 à 1786. L’excessive rareté des prêtres dans cet immense diocèse de Québec qui allait d’Halifax à Winnipeg et au golfe du Mexique, obligeait chacun à prendre la besogne de trois ou quatre. Il fallait construire des églises un peu partout, courir loin aux malades privés de médecins, préparer à la première communion des enfants qui ne savaient pas lire et qui n’apprenaient le catéchisme que par oreille ; courir des distances folles, en calèche, en berlot ou à cheval, conseiller les gens sur bien des affaires temporelles, ne rien recevoir en retour et faire des ingrats…

Vieux saints prêtres pionniers de chez nous, si braves dans la misère, et amassant un trésor de vigueur pour notre catholicisme, sel des paroisses, sel du pays, rudes et tenaces curés, bourrus et paternels, un peu soldats, un peu prophètes, portant le rabat de France sur la symbolique soutane d’étoffe du pays, vous avez tout sauvé pour la patrie terrestre en même temps que pour l’autre, au point que tout notre spiritualisme se tient et que Mgr Bourget a parlé avec actions de grâces du « religieux patriotisme » des Canadiens français.

6o M. Jacques-Philippe Serrand, né à Québec en 1758, desservant et curé de la Pointe-du-Lac, de 1786 à 1788. Il part alors pour St-Paul de Joliette, puis Berthier.

7o M. Joseph Gagnon, né à Québec en 1763, nous arrive jeune prêtre, en 1788 pour jusqu’en 1797, alors qu’il gagne l’île d’Orléans, où il meurt en 1840. C’est M. Gagnon qui organisa la vie, créa l’esprit paroissial. À ce moment quarante-cinq prêtres de France, exilés pour n’avoir pas voulu prêter le serment schismatique à la révolution, viennent exercer le ministère au pays et sont d’un grand secours aux missions acadiennes et dans nos paroisses. La Pointe-du-Lac bénéficie de trois de ces excellents prêtres, Nicolet en reçoit davantage, et l’on a la « Petite France », très douce aux anciens et au souvenir.

En ce temps-là, les gens du fief Gatineau veulent se donner à la Pointe du Lac. L’église du Grand-Machiche, où ils allaient, brûlée par la foudre en 1780, se reconstruit au Petit-Machiche, deux milles plus loin, au milieu d’une chicane qu’on imagine. En 1787, le seigneur Coffin, tout protestant qu’il est, demande à Mgr Hubert de réunir son fief Gatineau à la Pointe-du-Lac, beaucoup plus proche. Monseigneur hésite : les esprits sont trop aigris. Coffin s’en prend au curé Gagnon, qu’il accuse de toutes sortes de choses, et Monseigneur écrit au capitaine de milice André Guay, (futur grand-père de Mgr Cooke, et de tous nos Guay actuels) que si on lui rend le séjour impossible, la paroisse se passera de curé.

À M. Augustin Rivard, du fief Gatineau, Monseigneur fait l’historique du cas : Gatineau appartient à Yamachiche depuis la délimitation de 1721 ; une sentence de la cour d’appel, du 5 novembre 1787, réserve à la Législature de changer ou de diviser les districts des paroisses ; si donc l’autorité civile trouve bon de remanier ces limites, il ne s’y opposera pas. Mais, cinq ans plus tard, en 1796, Monseigneur Hubert fait observer à Thomas Coffin, devenu député, qu’il ne s’objecte pas à ce que la
L’église actuelle et le presbytère (ancien Manoir de Tonnancour).
Rivière-aux-Loutres (Rivière-aux-Glaises) soit réunie à la Pointe-du-Lac ; il croit cependant, que la Législature s’arroge un pouvoir qui ne lui appartient pas, en DÉCRÉTANT elle-même, cette réunion. D’après la jurisprudence française, toujours respectée ici, le démembrement des cures est du ressort de l’autorité épiscopale, à qui le pouvoir civil n’a qu’à laisser toute liberté. La proposition de M. Coffin fut battue par 14 contre 4. Le changement ne se fera que plus tard.

Entre temps, en 1791, M. Coffin, évidemment poussé par son épouse Marie-Marguerite de Tonnancour, donne à la paroisse les titres de propriété de l’église, du presbytère et d’une terre de soixante arpents dont son beau-père avait déjà donné l’usage, sans les titres. M. Gagnon, à qui Monseigneur Hubert avait recommandé d’agir avec prudence en tout cela, avec ce Coffin protestant : « Il faut savoir se prêter aux circonstances, retenir ou céder, plier ou se raidir, avancer ou reculer suivant l’occasion » — M. Gagnon en reçut les félicitations de Monseigneur : il fait si bien à la Pointe-du-Lac qu’on ne saurait le changer de poste.

8o M. Urbain Orfroy, né en 1766 à La Flèche, près d’Angers, arrive à Québec en 1796 et Mgr Hubert l’envoie curé chez nous huit ans. Il fait la classe à quelques enfants et pousse son meilleur élève, Thomas Cooke, au Séminaire de Nicolet, où un autre prêtre de France, l’abbé Raimbault, ouvrait le premier cours.

Après deux années dans Montmagny, M. Orfroy devient curé aux Trois-Rivières jusqu’en 1819, alors qu’il prend la cure de St-Vallier jusqu’à sa mort, en 1846.

9o M. Jacques-Joseph-Ladislas de Calonne, né en 1742, fils du premier président au parlement de Douai, frère du ministre des finances de Louis XVI, étudie le Droit, puis entre au Séminaire de Paris. Fuyant la révolution, il arrive en 1799, chez les Acadiens de l’île du Prince-Edouard, et en 1807, à la Pointe-du-Lac et aux Ursulines des Trois-Rivières, où il se retire en 1817 et meurt en 1822. Orateur remarquable, grand, courtois comme un prince, figure de noble et de saint authentique. Il jeûne tous les jours, ne mange que du pain et des légumes, ne boit que de l’eau et de la tisane de salsepareille. Il donne aux pauvres sa dîme et tous ses revenus. En 1815-16, disette générale et grande misère chez le peuple : « le blé se vend quatre piastres, et le reste est en proportion ; » Les indigents ont vite fait de dévorer la dîme, et M. de Calonne achète du blé, le fait moudre et le donne. Un marguillier abuse de sa bonne foi, et surfait les prix. M. le curé l’accroche avant la messe : « Comment avez-vous pu dérober le patrimoine des pauvres ! » et il lui frotte les oreilles pour tout de bon… Mais voilà que durant l’Asperges le remords opère : le curé va s’agenouiller en face du banc-d’œuvre et demande pardon au marguillier, tellement saisi qu’il ne pouvait pas dire son oui. Tout le monde pleurait.

Il est facile de comprendre que les têtes fortes et les Gros-Jeans plus fins que leur curé ne lui firent pas les misères qui avaient parfois contristé ses devanciers, car il faut bien savoir que la propagande révolutionnaire nous était venue des États-Unis en 1776, puis de France après 1789, et qu’elle trouvait ici, dans les raideurs des fonctionnaires anglais et dans la dureté de certains seigneurs, des sources très favorables de mécontentements. M. de Calonne, trop grand esprit et trop cultivé pour s’effrayer de rien, regretta un moment son optimisme : « En vérité, c’est plus violent qu’on ne pense communément, écrit-il à Mgr Plessis en 1810.Ce sont tous les principes français. On a répandu des écrits dans ma paroisse et ce n’est rien ; mais on en a endoctriné quelques-uns qui sont complètement pervertis. Il y en a un entre autres qui a tenu les propos les plus incendiaires, jusqu’à parler de révolte… Heureusement que le nombre est infiniment petit »… Imaginez donc, à la Pointe-du-Lac !

Le curé ne séjournait au presbytère que par intervalles. Il faut savoir que les Ursulines avaient alors cinq communautés en une : le monastère, le noviciat, le pensionnat, l’externat et, jusqu’en 1886, l’hôpital, le seul hôpital de la région ; et que le manque de prêtres obligeait l’évêque de Québec de surcharger les mêmes. Comme la piété catholique n’était pas alors éveillée à la messe sur semaine et à la communion quotidienne, le vieux curé trouvait que les paroissiens n’en souffraient pas ; mais lui devait faire jusqu’à vingt-quatre lieues le même jour, en calèche, en traîne, parfois à cheval. Le dimanche, il fallait biner, — comme font encore beaucoup de curés de l’Ouest et des États-Unis, — célébrer la messe au couvent à sept heures, puis cahoter à jeun, neuf bons milles, pour desservir nos campagnards vers onze heures : « l’office ne finit qu’à une heure ; cela devient fort incommode pour ceux qui sont éloignés. J’ai à peine une demi-heure pour faire le catéchisme ; les vêpres commencent trop tard, ce qui en empêche beaucoup d’y venir. ».

Les chemins d’automne et de fonte des neiges n’adoucissent pas la corvée. Un jour d’orage épouvantable, un coup de tonnerre effraie le cheval, qui se cabre : le rustaud de cocher s’oublie et lance un juron étoffé. Le saint et digne M. de Calonne lui fait la morale, refuse de s’asseoir avec lui, descend de voiture et marche dans la boue jusqu’à la Pointe-du-Lac. Le sacreur n’était pas parlant le lendemain.

À soixante-quatorze ans, M. de Calonne résigne sa cure, pour ne s’occuper que du couvent-hôpital et d’un fardeau de consultations au parloir ; il meurt en 1822, revêtu d’un cilice et d’une ceinture de fer. Sa lettre de démission renferme deux détails sur le progrès de la paroisse : « Un désagrément que je viens d’éprouver m’ôte tout courage. Je n’avais qu’un cabaret dans ma paroisse, où je maintenais le bon ordre. — Tout d’un coup, lorsque j’y pensais le moins, on m’en donne quatre… — (il y en avait bien onze à la Baie du Febvre !) — Cela me désole. Ma paroisse est devenue plus considérable : je compte entre cinq cents et six cents communiants ».

Grâce à la concession de nouveaux rangs par la seigneuresse Montour, le nombre de familles s’était accru.

10o M. René-Pierre-Joyer, né à Tours en 1764, curé de Caraquet de 1798 à 1806, de Saint-Sulpice de 1806 à 1815, est à la Pointe-du-Lac de 1817 à 1829, alors qu’il devient aumônier des Ursulines. Celles-ci ont conservé, outre un bon souvenir de M. Joyer, sa correspondance avec Mademoiselle de la Valtrie, octogénaire, où la part faite à l’âme est si grande qu’on y découvre fort peu de données sur la vie d’alors. Il profite des occasions pour envoyer ses lettres : ça coûtait huit sous par enveloppe de Québec à Montréal, et 1,12 $ pour Londres, ce qui veut dire qu’on n’écrivait pas souvent en France. Une très grande politesse : « Oserai-je vous prier de présenter mes respects à Madame de la Naudière… J’ai l’honneur d’être, Mademoiselle, avec une reconnaissance respectueuse, votre très humble et très obéissant serviteur et frère »… Même fidélité aux imparfaits du subjonctif : « Le curé désirait que je restasse… Je serais bien aise que vous priassiez M. Joliet (M. Barthélemy Joliette, fondateur de L’Industrie, alors notaire à Notre-Dame du Portage (L’Assomption)…

M. Joyer s’était réjoui d’être nommé curé chez nous : « Je n’y vivrai pas en grand seigneur, mais j’y vivrai plus tranquille ; je m’approcherai par là davantage de la pauvreté du Maître, et je serai proche voisin du saint Père de Colonne auprès de qui il y a tant à gagner ».

Il se voiture jusqu’à Berthier, jusqu’à Lavaltrie, derrière sa jument qui lui a bien coûté 105 $, qui bute et qui fait semblant de mourir au beau milieu d’un voyage… À ce prix-là nos gens préféraient dompter le bœuf ! Vrai cheval du colon, il mange des feuilles et de la paille, et puis on le mange !

11o Avec M. Olivier Larue, nous tombons dans l’histoire moderne, presque dans le contemporain : il a baptisé nos pères ou nos oncles ; les récits de famille l’ont mentionné, il est de notre siècle de la paroisse, puisqu’il ne partira qu’en 1836.

Né à la Pointe-aux-Trembles de Québec, en 1798, vicaire à Yamachiche de 1826 à 1829, il est notre curé sept ans jusqu’à 1836, alors qu’il traverse à Gentilly, puis à Princeville, d’où il se retire et meurt à Québec en 1855. C’est de son temps que Mgr Bernard-Claude Panet érige définitivement la Pointe-du-Lac en cure et paroisse le 20 septembre 1832, en lui donnant un territoire d’environ quatre milles et demi de front sur environ six milles de profondeur, ce qui comprenait le fief de Tonnancour et deux rangs du fief Gatineau. Une opposition, conduite par Horatio Montour, fils de la seigneuresse, aurait voulu englober aussi toute la Banlieue, en faisant valoir une ordonnance du 3 mars 1722 et une décision épiscopale de 1772 qui l’adjoignent à la mission de la Pointe-du-Lac. Mais Monseigneur répond qu’une paroisse n’est pas une mission ; que les fiefs de la Banlieue ne font partie d’aucune paroisse régulière, et que, de temps immémorial, elle est desservie des Trois-Rivières. Le bon sens l’emporte sur les bouts de papier.

12o M. Louis-Antoine Proulx, né à Québec en 1810, nous arrive curé à vingt-six ans, pour quatre années. En 1840, il descend à la Rivière-du-Loup (en bas), se dévoue en 1847 aux Irlandais malades du typhus à la Grosse-Île, devient curé de St-Vallier, de 1854 à 1880, et meurt retiré à Québec en 1896.

13o M. Michel Lemieux le remplace. Né en 1811 à Saint-Joseph de Lévis, vicaire à Yamachiche de 1835 à 1839, curé chez nous un an (1840-41) avant de diriger les séminaristes à Nicolet, puis la paroisse de Beaumont, et de finir ses jours à l’hôpital-général de Québec, où il est aumônier, de 1848 à 1874.

14o M. Didier Paradis, né en 1810 à Saint-André de Kamouraska, après cinq années de vicariat dans sa paroisse natale, à St-Gervais et à St-Roch-des-Aulnaies, remonte le fleuve jusqu’à notre Pointe, où il bâtira, un peu de ses mains, la deuxième église, où il restera de 1841 à 1859, alors qu’il passera vingt ans à la Baie-du-Febvre, d’où il se retire pour mourir à Nicolet en 1885. Le bon vieillard resta si attaché à ses paroissiens, que dans des scènes d’une touchante démence, il se croyait en visite de paroisse : il entrait dans chacune des chambres de sa retraite comme dans des familles distinctes, avec tout le cérémonial usité dans les visites des familles.

Nos plus-de-quatre-vingts-ans ont été baptisés par lui, quelques-uns même se rappellent sa figure, sa bonté, son horreur du libéralisme doctrinaire, son amour du Pape, pour qui il enrôlera neuf zouaves, rien qu’à la Baie. — Dur à lui-même, M. Paradis avait économisé, en quarante ans, $20,000, qu’il légua aux œuvres d’éducation, sans laisser un traître sou à sa famille. Dieu soit béni !

15o M. Arthur-Huhert Lassiseraie a baptisé et préparé à la Première Communion nos plus-de-soixante-ans puisqu’il ne partira qu’en 1871 pour Saint-François-du-Lac, où il décède en 1894. Né aux Trois-Rivières en 1828, vicaire à Yamachiche, deuxième curé de St-Paulin, de 1856 à 1859, il laisse chez nos vieillards un souvenir bien net. Le nom original de sa famille était Lefebvre ; à cause d’une touffe de cerisiers qui distinguait la maison, naquit le surnom de Lacerisaie ; la théorie du moindre effort explique l’adoucissement de la prononciation en Lassisseraie. Pierre Lefebvre, percheron, établi aux Trois-Rivières en 1650, fut l’ancêtre des Lefebvre dits Senneville, Claude, Lafond, Descôteaux, Lassisseraie, Beaulac, Labaie, Désilets, Denoncourt, de vingt autres souches et de quelques Lefebvre ! Sans compter certains américanisés qui se nomment Bean

16o M. Charles-Olivier-Arthur Sicard de Carufel, né à Maskinongé en 1836, vicaire à Ste-Anne-de-la-Pérade, puis à St-Justin et premier curé de Blandford, nous dessert de 1871 à 1876, alors qu’il va au secours des compatriotes des États-Unis, jusqu’à sa mort en 1887.

17o M. François-Xavier Desaulniers , né à Saint-Léon en 1838, vicaire chez lui, curé des colons de Kingsey de 1865 à 1876, de la Pointe-du-Lac de 1876 à 1898, meurt curé de Saint-Maurice en 1902. Avec lui nous entrons tout droit dans la génération présente, et nous revoyons tous cette figure très bonne, trop bonne, du curé qui n’exigeait rien et qui donnait tout, qui soignait les corps en même temps que les âmes, (il avait étudié la médecine), qui aima la terre au point de se ruiner à des expériences dans le mauvais sol de la Baie-des-Mines, qui s’intéressa à la création du premier Cercle agricole et de la première beurrerie, installée à l’ancien moulin seigneurial des Tonnancour, alors propriété de M. Olivier Duplessis, en attendant de passer à M. Thomas Garceau et aux Frères de La Mennais. La ponctualité et la comptabilité n’étaient pas son fort, mais c’était un homme de Dieu et des pauvres. Il n’aimait pas la danse, ni les aigrettes et les plumes sur les chapeaux, ni les frisettes, ni les tailles de guêpe, ni les tours de voitures, ni les grosses manches de robe : une couple de sermons par année servaient un abatage aux toilettes surchargées. Oh, le saint homme ! ce qu’il rugirait en voyant les simplifications d’aujourd’hui !…

18o M. Joseph Caron le remplace, administrateur habile qui répare le presbytère, donne une voûte romane et de la peinture à l’intérieur de l’église sans trop aggraver la dette. Né à Louiseville en 1855, professeur et directeur au Séminaire de St-Hyacinthe de 1880 à 1891, curé de Régina (Sask.) de 1891 à 1894, aumônier de l’hôpital des Trois-Rivières de 1894 à 1898, alors qu’il nous arrive pour jusqu’à sa mort, le 30 décembre 1911. M. Caron descendait de ce vaillant Michel Caron, venu de St-Roch-des-Aulnaies, en 1783, avec ses dix fils, la tuque bleue sur la tête et les souliers sauvages aux pieds, acheter un lopin de 800 arpents de la seigneuresse Wilkinson et défricher tout un rang, le Village des Caron, à Yamachiche.

Quelle magnifique descendance envahit notre région, du seul fait d’une décision courageuse de ce robuste ancêtre, — alors que d’autres ont anglicisé toute une postérité en décidant d’émigrer.

Un peu de malaise régnait chez nous à l’arrivée de M. Caron : tout se dissipa dès le premier sermon. M. Caron, très cultivé, doué d’une voix prenante en chaire — et surprenante en chant, — gagna son monde par ses récits de voyage en Terre-Sainte donnés à la prière du Carême : la sacristie débordait ; des gens quittaient la cabane à sucre pour n’en pas manquer un. Le très vivant catéchisme du dimanche, entre la messe et les vêpres, retenait ou ramenait à l’église la moitié de la paroisse. M. Caron sortait du sanctuaire, parcourait les allées, interrogeait de tous les coins, celui-ci, puis un autre, un autre, qui serrait de plus en plus la réponse, ou lançait une étourderie à faire rougir la parenté : « C’est intéressant comme les courses sur la glace ! » disaient des vieux, qui n’avaient jamais tant su leur religion !

M. Caron commença une Bibliothèque paroissiale, et il dressa une table des registres paroissiaux, véritable généalogie des familles, qu’il ne s’est pas donné le panache de publier.

19o M. J.-Edmond Poisson, né à St-Médard en 1870, ordonné en 1894, vicaire à St-Stanislas, à Champlain et à St-Didace ; curé de St-Joseph de Mékinac en 1897, puis de St-Jean-des-Piles en 1900, est chez nous depuis 1912. Sans froisser la modestie d’un vivant, disons que M. Poisson, ardent ami de l’agriculture et de ses paroissiens, a poussé la petite industrie de la mise en conserves des légumes et des fruits, qu’il a fondé en 1913 une bienfaisante Caisse populaire de 289 sociétaires, qu’il a poussé de tout temps à l’Achat chez nous, qu’il a à cœur l’embellissement matériel et cultuel de sa paroisse. En dépit d’une santé agaçante, la science économique de M. Poisson a débordé nos limites : on l’a nommé inspecteur officiel des Caisses populaires de toute la province.

d — Les vicaires

À part quelques remplaçants de hasard, la Pointe-du-Lac n’a pas connu de vicaires jusqu’à 1910. De 1884 à 1898, M. Dosithée Comeau, né à la Pointe-du-Lac en 1835, et ancien curé de Shawinigan, de Ste-Ursule et de St-Paul-de-Chester, se retira au presbytère et fut d’un bon secours à M. Désaulniers. On se rappelle ce bon gros abbé sans cérémonies, qui tutoyait tout le monde, qui prononçait curieusement et qui, à tout bout de champ, sifflait des bzzz !

Vers la fin de vie de M. le curé Caron, en 1909, des vicaires arrivent à poste fixe : M. Arthur Béland, M. Émile Turcotte, aujourd’hui aumônier à l’hôpital ; M. Dominique Grenier, de l’abbaye bénédictine de Magog ; M. Damphousse, curé de St-Sévère qui lança le grégorien et une bonne chorale des enfants du sanctuaire ; puis l’abbé Émile Boutet, humoriste et mouleur d’apophtegmes, actuel curé de St-Jacques-des-Piles ; M. J.-E. Lamy, curé de St-Édouard, qui demeura neuf ans, homme d’une douceur de S. François de Sales. Il avait rassemblé des notes et des récits d’anciens pour un historique de la paroisse. M. Léopold Rompré, le présent vicaire, est très présent quand il s’agit de ministère, d’organisations de jeunes, de lancement des jeux, de visite des classes,  etc.

Le chapelinat des Frères nous valut la présence de feu M. Prosper Cloutier, de M. Henri Vallée, principal de l’École Normale, de M. Arthur Baril, curé de St-Alexis et de M. Napoléon Saint-Pierre,

Les curés de la Pointe-du-Lac

V — L’Éducation


À aucun moment l’ignorance n’a été complète.

Il y a toujours eu chez nous des gens qui savaient signer. À certains moments, surtout de 1780 à 1840, c’était la petite minorité, mais des signatures sont là tout de même, signatures d’hommes et signatures de femmes, en grosses lettres béquillardes ou en écriture qui court bien.

À titre d’exemple, si l’on permet un exemple familial, qui peut être typique : des neuf générations de Dugré, à partir de l’ancêtre Jacques signalé à Lachevrotière, en 1690, jusqu’aux petits écoliers d’aujourd’hui, un seul représentant ne signe pas ; c’est le grand-père Modeste, né en 1811, qui défriche avec son père, Modeste 1er, d’abord forgeron au village, mais élevé aux Trois-Rivières et sachant écrire, les lots de colonisation du rang de Saint-Charles, où l’école s’installa vers 1840. C’est le seul anneau qui manque à cette chaîne de braves signatures de mariages heureux et de baptêmes nombreux. Il est permis de croire que ce cas est probant : avant ce pionnier qui planta sa famille sur le sol, les anciens allèrent en classe à Québec et aux Trois-Rivières ; après lui, grâce à lui, les écoles nouvelles jaillirent jusqu’au fond de la campagne conquise. N’y a-t-il pas une émotion à se dire : « Je suis le petit-fils d’un illettré, plein de cœur et de débrouillardise, qui obscurément usa ses bras pour que ses fils soient, non meilleurs, mais plus avantagés que lui… »

Les désorganisations de 1760, les difficultés inhérentes à un établissement de colons, puis le manque de liberté, puis les tentatives anglo-protestantes de confisquer le cerveau de nos jeunes gens, la grève contre une école qui ne serait qu’une souricière, une boîte à anglicisation. Si nos Canadiens d’il y a cent-cinquante ans s’étaient entichés de l’anglais comme nos imprévoyants d’aujourd’hui, aucune trace de notre langue ne survivrait plus.

Le solide bons sens de nos arrière-grands-pères préféra l’ignorance d’une génération ou deux à la déchéance de toutes ; il se dit qu’avec l’Acte de Québec l’Angleterre apprenait à conjuguer le verbe céder, au présent et au futur. Le bon sens ne se trompe jamais.

La tentative d’écoles anglaises de l’Institution Royale, 1802, se heurta contre un merci poli mais décidé : on n’en prend pas ! On veut s’instruire, non se détruire. Trouvons autre chose. Des prêtres et d’autres personnes de bonne volonté groupent quelques enfants ; les religieuses continuent leur enseignement presque gratuit dans les villages plus importants ; des maîtres ambulants donnent des cours quelques mois dans chaque localité : à aucun moment le flambeau ne s’éteint.

La députation canadienne demande une autre Institution royale pour nous, qui formons les dix-neuf-vingtièmes de la population : Mgr Plessis et lord Dalhousie s’y rallient, Londres refuse. L’on propose un Comité catholique de l’Institution royale : Mgr Panet et Mgr Lartigue s’y opposent. L’Assemblée vote un régime d’écoles ni catholiques ni protestantes, en dehors de l’Institution royale.

Quatre espèces d’écoles existaient au bas Canada il y a cent ans : les anciennes écoles soutenues par les curés et les communautés ; 48 écoles de fabrique ; 1,321 écoles, aidées de fonds publics, selon la loi de 1829, et 63 de l’Institution royale, en train de disparaître.

En 1836, une circulaire de Mgr Signay aux curés annonce que la loi de 1829 n’est plus en force, que les fonds publics vont cesser d’arriver, qu’il faut tout faire « pour procurer à la paroisse au moins une partie des avantages dont elle jouissait sous la loi qui vient d’expirer », qu’il autorise et qu’il exhorte les fabriques à employer, selon la loi, le quart de leur revenu annuel au soutien d’une ou de plusieurs écoles sous leur direction.

Deux ans plus tard, Monseigneur fait lui-même une enquête sur l’éducation, et voici le texte de la réponse de M. le curé Proulx, de la Pointe-du-Lac, le 27 août 1838 : » En réponse à la lettre circulaire de Votre Grandeur du 13 du courant, je dois dire qu’il n’y a actuellement dans ma paroisse qu’une seule école, et cette école est une école de filles. Vingt enfants la fréquentent ordinairement, et l’on y enseigne, outre la lecture et l’écriture, l’arithmétique. Jusqu’à cette année, la Fabrique allouait une légère somme à chacune des écoles alors existantes, mais cette année-ci elle n’a rien voulu donner.

Avant 1837-38, il y avait donc plusieurs écoles ? Oui, dans à peu près tous les rangs, puisque la grande majorité des gens qui dépasseraient aujourd’hui les cent ans, savaient lire et écrire.

Pour les années suivantes, on obtient, des archives du Département de l’Instruction publique de Québec, ces quelques lignes vagues qui permettent bien des déductions : en 1850, le notaire Pétrus Hubert rapporte à M. le Surintendant Meilleur qu’il n’y a pas d’école officielle placée sous une commission, mais qu’on y alloue 31 livres, 1 chelin, 2 deniers, aux écoles existantes.

En 1854, Sir Georges-Étienne Cartier, secrétaire de la Province, octroie 28 livres, 5 chelins, 1 denier, à la Pointe-du-Lac.

En 1855, sur une population de 1,602 âmes, 308 enfants vont à l’école plus ou moins régulièrement, — ce qui n’est pas mal du tout !

En 1861, M. l’inspecteur Hubert est un peu plus précis : la Pointe-du-Lac a quatre divisions et quatre écoles, dirigées par quatre institutrices possédant leur diplôme élémentaire et recevant de 120 $. à 72 $. par année. Les trois écoles élémentaires comptent 130 élèves, et l’école supérieure, 80. On note 575 volumes dans les classes.

Les noms des anciennes maîtresses ? Les souvenirs de Mademoiselle Élise Daveluy, qui entra à l’école du village en 1852, mentionnaient d’abord Mademoiselle Jessie Dugré (dame Narcisse Garceau), Mlle Eléonore Descôteaux, deux demoiselles Désaulniers d’Yamachiche, qui avaient étudié à Montréal à la Congrégation Notre-Dame, avant l’ouverture du couvent fondé par M. le curé Dumoulin, en 1858 ; une demoiselle Couture de Saint-Gervais de Bellechasse, puis Madame Dupont (demoiselle Catherine Côté), « la grosse maîtresse », aussi de Saint-Gervais, qui enseigna une douzaine d’années au salaire très élevé alors de 200 $ qui prouve sa compétence.

En 1870, Mademoiselle Daveluy, diplômée de l’École Normale de Québec, est l’assistante puis la remplaçante de Madame Dupont, qui meurt cette année-là. Mademoiselle Daveluy déduit une piastre par mois de son traitement annuel de 173 $, pour se faire aider par un moniteur, un grand élève, qui enseigne la lecture et le catéchisme aux petits.

Elle a toujours regretté la perte d’un gros registre gris, où étaient inscrits les noms et les faits, et qu’elle vendit par mégarde à un chiffonnier, un jour de grand ménage : faute assez fréquente chez nous que ces débarras à outrance…

Les rangs eurent leurs écoles entre 1820 et 1850, ceux du fleuve et de l’Acadie en particulier, où l’on rappelle les noms des Demoiselles Duval, Elmire Dufresne, Célanire Rouette (dame Houle), et Philomène Martin (dame Garceau).

Dans le passé récent, les noms d’institutrices qui émergent sont ceux des deux demoiselles Comeau entrées ensuite chez les Sœurs Grises d’Ottawa, des demoiselles Weaner. Délima Comeau, Alarie et Chevalier, (mesdames Dubé, Duplessis, Rouette et Biron).

a — Les communautés

En 1878, sur un large terrain boisé, fourni par la Fabrique, le seigneur Biron fait construire à ses frais, sous la direction de M. Olivier Duplessis et dans un admirable concours de corvées et de salaires de famine, un pensionnat de quatre étages qui ne lui coûte que 5,000. $, plus 2,000 $ d’ameublement. Il en remet les clés aux révérendes Sœurs Grises de la Croix d’Ottawa.

Le jubilé d’or célébré en 1928 a permis de faire ressortir les bienfaits de cette institution, complétée, depuis 1915, d’une école ménagère et de l’enseignement à l’école du village. L’influence heureuse pénètre dans tous nos foyers d’abord, par les grandes filles distinguées et les mères diligentes qu’elle a préparées à la vie ; — dans les écoles des environs dirigées par ses graduées, et dans le rayonnement plus large encore des soixante-dix vocations de religieuses essaimées de chez nous.

Après avoir végété à la cadence de la région, le couvent a pris son essor avec le progrès général : agrandi en 1914, incendié en 1917, reconstruit en 1922, sur les instances de M. le curé Poisson, presque doublé en 1926, il a déjà logé jusqu’à cent-quatre pensionnaires ; et du fait que des religieuses enseignent aussi à l’école Modèle mixte du village qui compte cent élèves, le couvent est l’honneur, l’héritage des familles, et la garantie de l’avenir. La beauté du site, le bocage de pins, la glissoire, le tennis pour l’agrément des élèves, la basse-cour, le laboratoire ménager et le jardin potager pour leur expérience de vie rurale, font de notre couvent un modèle du genre.

En 1911, les Frères de l’Instruction Chrétienne, ou de La Mennais, de Ploërmel en Bretagne, dont le noviciat canadien établi à Laprairie regorgeait de prospérité, firent l’acquisition du Manoir Montour, passé aux mains de MM. Biron et Duval qui avaient éclairci largement les pins séculaires, pour faire de la planche, et aussi de la place aux jeunes pousses. Bientôt une grande construction de brique masqua le château, qui n’est plus maintenant que le trait-d’union entre cette façade et un immense Collège à quatre étages qu’on voit de loin à travers les arbres.

Pour prévenir les tintamarres d’une entreprise d’hôtellerie qui menaçait d’envahir le Moulin tout proche et l’étang qui l’actionne, les Frères prennent les devants, achètent le tout de M. Thomas Garceau, retapent la chaussée, démolissent la scierie peu décorative et ferment peut-être un peu trop l’accès de ce vieux coin de poésie, de souvenirs et d’activité. La ruche est morte, surtout depuis que se tait le bourdonnement clair des scies rondes, après celui des moulanges et de la beurrerie. Tout est pour l’œil désormais.

Grâce aux plantations, aux allées, aux décorations qui agrémentent le bocage ainsi campé face au lac, entre l’église, l’étang et le chemin de la gare, les Frères possèdent, au cœur de la paroisse, la plus belle propriété du monde, un vrai domaine de seigneurs, c’est le cas de le dire. Leur province nouvelle, détachée de celle de Laprairie et dirigée par le R. F. Hipparque, possède là son juvénat de cent enfants, son noviciat et son scolasticat qui alimenteront de professeurs les Académies de Québec, des Trois-Rivières, de Shawinigan, de Grand’Mère, etc. Depuis 1922, ils exercent leurs normaliens à faire la classe à nos garçons un peu plus grands qui désirent pousser leur instruction un peu plus, pour entrer mieux armés dans la vie ou au séminaire.

Les Sœurs Dominicaines du Rosaire, logées à côté, se chargent de l’entretien de la maison, et ajoutent au travail de Marthe, la vie contemplative de Marie. Leur impressionnant costume blanc, coupé du voile et du scapulaire noirs, passe comme des ailes et donne un air d’abbaye du moyen-âge à cette solitude, où le ciel se mire dans le calme de l’étang, où la verdure sombre inspire le recueillement et l’envol de l’âme.

À l’Ouest de cette petite forêt, bien au soleil du sud, en vue du lac et de la grande route, le foyer nouveau de la Fraternité sacerdotale, dirigé par le R.P. Allard, s’adosse à la sucrerie où se voient encore les traces de l’ancien rond de course du seigneur Montour. Quand les Pères s’établirent là, les chauvins proclamèrent que le R.P. Prévost reconnaissait les mérites du lieu : « La Fraternité possède trois maisons au monde : une à Paris, une à Rome et une à la Pointe-du-Lac, les trois villes-lumières ! »

Depuis lors, la Fraternité en a établi d’autres ; mais aussi elle a fondé une autre maison chez nous, pour les Sœurs de Béthanie, devant l’église, là où se trouvait la vieille maison basse et poétique des meuniers des Tonnancour, où fut élevé Mgr Cooke et où demeurait l’hon. docteur Mailhot, gendre de la seigneuresse Montour, en attendant qu’y vécût M. Damien Bellemare, architecte. L’on s’est étonné de voir choisir pour une solitude le détour le plus vu, le plus passant et le plus humide du village.

Monseigneur Laflèche répétait souvent que les congrégations religieuses sont des paratonnerres. Avec ces cinq communautés posées chez nous, est-il possible que jamais la foudre de la colère divine écrase là Pointe-du-Lac ? Avec cela que les laïcs, ne reculent pas quand il s’agit de prier, — surtout quand ils commencent à vieillir un peu. Est-il surprenant que Dieu nous favorise de nombreux appels, de vocations religieuses ?

b — Les vocations

monseigneur thomas cooke

Comme premier tribut, notre paroisse offrit à Dieu l’enfant remarquable qui deviendra le premier évêque des Trois-Rivières, et qui fera dans notre église la première et peut-être la seule ordination : celle de notre deuxième prêtre, l’abbé Charles-Zéphirin Garceau en 1854.

La Providence conduit bien mystérieusement les choses et les hommes. Un petit Irlandais de Cork, trop tapageur à l’école, trop puni chez lui, déserte et passe la mer à titre de rat-de-cale, se place dans une meunerie à l’île Sainte-Hélène, puis au moulin de la Pointe-du-Lac, se fait aimer de la fille du capitaine de milice André Guay, mais pas du père, réussit à obtenir la main de la demoiselle et une terre du papa radouci, élève une famille de huit enfants et donne son plus vieux à l’Église : résultat magnifique de cette union de deux sangs riches, de la finesse celtique et de la vaillance rigide du colon-soldat.

Né en 1792, élève de la première heure, avec Mgr Provencher, premier évêque de l’Ouest, au Séminaire de Nicolet, protégé par M. Orfroy qui lui avait montré à lire, l’enfant recevait là de sa mère des visites qu’il rappellera encore la veille de sa mort : Quand le pont de glace reliait les deux rives, mes compagnons m’appelaient : « Viens voir ta mère qui traverse à pieds ». Je courais m’en assurer : c’était bien elle, sa taille élancée, son pas ferme… Quelle bonne mère le ciel m’avait donnée !

Elle meurt en 1806, à trente-trois ans ; son père se noie deux ans plus tard ; les enfants sont distribués dans la parenté Guay ; le collégien se donne au bon Dieu : il a pratiqué jeune le détachement salutaire. Ordonné en 1814 par Mgr Plessis, trois ans secrétaire de Mgr Panet, curé à la Rivière-Ouelle, sept ans missionnaire en Acadie, onze ans curé à la Jeune-Lorette, et dix-sept ans curé des Trois-Rivières. En 1841, il obtint une retraite prêchée par Mgr de Forbin-Janson, évêque de Nancy, retraite inoubliable qui attira des foules extraordinaires qui se logeaient où elles pouvaient jusqu’à la Pointe-du-Lac, jusque chez les protestants. On venait de partout : les hommes des chantiers marchaient quinze et vingt lieues pour venir à la retraite, les sauvages de même, et les gens du Sud, jusque de St-François-du-Lac. Les retraites paroissiales étaient alors inconnues, et il parlait bien ce Monseigneur qui appela les Canadiens « peuple au cœur d’or et aux clochers d’argent »… Sacré évêque par Monseigneur Turgeon, de Québec, le 18 octobre 1852.

Monseigneur Cooke ouvre, en 1860, le Séminaire du Platon, bâtit la cathédrale, organise bien son diocèse, qui se double en 15 ans, visite les défricheurs des Bois-Francs, malgré des froids terribles, qui lui font donner comme patron de Weedon saint Janvier. En 1869, il confie l’administration à Mgr Laflèche, et meurt un an après, l’honneur et la bénédiction de sa paroisse natale qu’il portait dans son cœur. À preuve : il se plaît beaucoup à Lorette, mais il ne peut s’empêcher de comparer : « Ne vous imaginez pas que le faubourg de la Pointe-du-Lac ressemble à celui-ci : autant ce dernier est laid, autant celui-là est beau et rempli de beau monde !… » Ces lignes datent de 1824.

Plusieurs arrière-neveux de Mgr Cooke vivent encore à la Pointe-du-Lac et aux Trois-Rivières.

-o-o-o-

Quarante ans après son ordination, en 1854, notre premier prêtre vient ordonner le deuxième, M. Garceau, né au rang de l’Acadie, en 1830, d’Antoine Garceau et de Catherine Bisson, et futur curé de St-Narcisse, du Cap, de Ste-Ursule et de St-Pierre-les-Becquets, d’où il se retirera pour mourir à Yamachiche en 1900.

M. Dosithée Comeau, déjà mentionné parmi les vicaires, ordonné en 1859.

Monseigneur Jean-Baptiste Comeau, V.G., né en 1840 d’Antoine Comeau et d’Adélaïde Lesieur-Désaulniers ; ordonné en 1865 ; premier curé de St-Léonard, où il organise tout (1866-74) ; directeur des ecclésiastiques (1874-77 et 1886-89), et des élèves (1877-86) aux Trois-Rivières ; curé d’Yamachiche (1889-1902), puis de la cathédrale, de 1902 à 1912, époque de sa mort. Qualité dominante : la bonhomie souriante.

Monseigneur Emmanuel Guilbert, chanoine de Lorette, maître ès-arts de l’Université Laval, né en 1844, de Charles Guilbert et de Marie Héroux ; ordonné en 1869 ; professeur de Rhétorique aux Trois-Rivières de 1869 à 1871, puis de 1877 à 1879 ; professeur de Philosophie et de Théologie à un essai de collège classique à Sorel ; curé de St-Théodore d’Acton, de 1881-97 ; de Ste-Anne-de-Sorel (1897-1903) ; de St-Ours (1903-07) ; retiré d’abord à Belœil, puis au Séminaire des Trois-Rivières, où il meurt en 1929, bienfaiteur de la maison.

Tous ceux qui précèdent ont étudié à Nicolet ; ceux qui suivent sont allés aux Trois-Rivières.

R.P. Louis Héroux, S.J., né en 1855 de Benjamin Héroux et de Marie Gauthier ; ordonné chez les Jésuites en 1887 ; a étudié en France et fait du ministère au Gesù, Montréal, à Québec, au Sault-au-Récollet, dans l’Ontario et aux retraites de la Villa Saint-Martin, où il se trouve actuellement.

M. Louis Montour, né en 1858 de Delphis Montour et d’Éléonore Comeau ; ordonné en 1886. Il passe au diocèse d’Ottawa qui demande de l’aide ; curé à St-Rémi d’Amherst (1887-1894), puis à St-Philippe d’Argenteuil jusqu’à sa mort en 1927. Deux de ses frères et un neveu sont entrés à la Trappe d’Oka.

Le R.P. Adrien, o. c. r., (Émile Montour) né en 1867, entré en 1894, ordonné à la Trappe en 1901, envoyé au nouveau monastère de Mistassini pour y être cellerier.

Le R.P. Athanase, o. c. r., (Darius Montour) né en 1877, entré en 1897, ordonné en 1904, longtemps cellerier, professeur d’agronomie et conférencier agricole, décédé en 1927.

Le R.P. Raoul, o. c. r. (Raoul Montour) né en 1891 d’Adolphe Montour et d’Edwidge Dugré ; entre d’abord à l’Institut agricole, puis au noviciat de la Trappe en 1914 ; ordonné en 1921 ; assigné d’abord à l’Institut, et actuellement à l’hôtellerie.

Le roman de mœurs patriarcales « La Campagne Canadienne », du Père Adélard Dugré, s.j., a pour cadre et acteurs principaux la ferme et les membres de la famille Montour.

Le R.P. Adélard Dugré, s.j., né en 1881 de Joseph Dugré et de Léa Duplessis ; entré chez les Jésuites en 1899 ; ordonné en 1915 ; professeur, puis recteur du scolasticat, de 1918 à 1932, alors qu’il devient supérieur-provincial.

Le R.P. Alexandre Dugré, s.j., son frère, né en 1887, entré en 1907, ordonné en 1922, professeur aux collèges Ste-Marie et d’Edmonton dix ans ; actuellement au Messager du Sacré-Cœur.

M. Henri Garceau, né en 1889 de Philippe Garceau et de Albertine Pothier, sur la belle ferme qui commence le fief Sauvaget-de-Tonnancour ; ordonné en 1914 ; professeur, puis procureur au Séminaire auquel il s’est donné corps et âme, surtout aux époques tourmentées de l’incendie et de la reconstruction.

M. Charles-Edouard Garceau, son frère, né en 1905, ordonné en 1930.

M. David Bellemare, né en 1893, ordonné en 1926, professeur de français dans des universités américaines.

M. Georges Biron, né en 1894 d’Edmond Biron et de Wilhelmine Comeau ; ordonné en 1919 ; plusieurs années à l’évêché ; curé de St-Georges-de-Champlain.

Le R.P. Antonie Biron, d.p.b., frère du précédent, né en 1900, ordonné à Carthage en 1928. Professeur au Séminaire indigène de Tabora.

Le R.P. Lucien Biron, o.p., né en 1901 d’Arthémis Biron et de Thaïs Comeau ; ordonné en 1928. Demeure au presbytère de St-Dominique, de Québec.

Quelques jeunes gens sont aussi entrés en qualité de Frères dans diverses communautés. D’autres se préparent actuellement au sacerdoce.

VI — Civils et Militaires


Les seigneurs et les capitaines de milice voyaient jadis aux affaires temporelles.

Depuis l’érection civile, en 1845, c’est la fonction du conseil, dont les séances ont lieu à la salle publique attenante au logis du sacristain : symbole d’union de l’Église et de l’État.

Les rapports des premières délibérations n’existent plus : le secrétaire de la municipalité notait sur des feuilles volantes, sans se douter qu’il écrivait l’Histoire. En 1855 un greffier plus prévoyant, M. Sévère Morin, neveu du curé Paradis, se procura un solide registre qui fait encore bonne figure.

Sans suivre dans le détail les mesures des proposeurs et des secondeurs, les routes verbalisées et les procès-verbaux, les contrats de chemins d’hiver et de balisage de la traverse de Nicolet, les évaluations et les élections, gardons seulement la liste du premier conseil connu, puis des maires jusqu’à date :

En 1855, le maire est M. Georges Rivard-Dufresne, et les conseillers, MM. Charles Camirand, André Martin, Frédéric Abran, Jean Crête, Antoine Guilbert et Olivier Duplessis.

Les autres maires seront MM. Joseph Rouette (1857-59), le docteur et seigneur Charles Mailhot (1859-64), André Martin (1864-68), Étienne Comeau (1868-74), dont plusieurs conseillers, entre autres le seigneur Toussaint Biron, signaient d’une croix ; Isaac Denoncourt (1874-78), Antoine Comeau (1878-80), Hector Biron (1880-83), Damase Bouchard (1883-86), Philippe Alarie (1886-94), Joseph Bouchard (1894-96), Edmond Biron (1896-98), Alfred Lemerise (1898-1907), Oliva Dugré (1907-12), Théode Beaulieu (1912-14), Léger Fournier (1914-15), Achille Pothier (1915-17), Léonard Houle (1917-25), Oliva Dugré, (1925…)

Les contribuables d’aujourd’hui trouvent que les taxes ont pris un élan depuis un quart de siècle : « Auparavant, j’emportais $10. pour payer mes taxes, et je revenais avec de la monnaie ; aujourd’hui j’emporte $100. et il m’en manque. Ça me coûte six vaches pour rester sur ma terre ! »

Quand survint, en plus, l’éclairage électrique du village, la municipalité se dédoubla, la mairie aussi, et depuis 1928, M. Alfred Garceau, meunier à L’Acadie, dirige le Conseil rural.

Les secrétaires de la municipalité sont presque perpétuels. Après M. Morin, M. Antoine Garceau fils, cultivateur doté d’un cours classique, rédige les rapports de 1859 à 1900, avec seulement une interruption de deux années (1872-74, alors que M. Onésime Descôteaux fait l’ouvrage). De 1900 à 1921, c’est M. Arthémis Biron, marchand et maître de poste, remplacé alors par M. Martin, encore secrétaire des deux Conseils.

Nous avons fourni les deux députés de Saint-Maurice à la première Chambre de 1792-96 : Thomas Coffin et Augustin Rivard-Dufresne, ancêtre de M. Oscar Dufresne, le grand industriel de Montréal ; aussi à la deuxième, de 1797-1800 : Coffin et Nicolas Montour ; de 1801 à 1805, Coffin seul, qui d’ailleurs habite les Trois-Rivières. Ça été toute notre action politique et elle n’a eu rien d’extraordinaire : Coffin et Montour étaient protestants, fort peu démocrates, et ordinairement de travers.

Nos médecins s’appelèrent les docteurs Mailhot, Thérien, Harel, Doray et Laîné, actuellement soignant.

Le notaire de Carufel ouvrit une étude chez nous, au temps où son fils était curé.

L’avocat LaBarre pratiqua aussi chez nous, mais l’agriculture !

Parmi les laïcs qui ont réussi de façon plus éclatante, outre nos cultivateurs progressifs dont deux viennent d’être médaillés du Mérite agricole, MM. Adolphe Montour et Oliva Dugré, nommons feu le docteur F.-X. Duplessis, de Richmond, MM. Oscar Dufresne et Albert Duplessis, industriels, le capitaine de bateau Louis Dugré, J. Beaulieu, notaire, et J.-D. Camirand, bijoutier en gros, de Montréal ; MM. Camirand, A. Dupont et J. Dugré, de Sherbrooke ; le docteur Biron, de Cochrane, Ont. ; MM. Sévère Descôteaux et Sévère Rivard, les bijoutiers Garceau, le pharmacien Houle, les docteurs Dugré et Denoncourt, des Trois-Rivières, et beaucoup d’autres sans doute, car notre groupe a surabondamment déserté, fournissant le plus souvent des manœuvres et des usiniers.

Quand, les cadres d’une paroisse sont remplis, que les terres sont prises et que les industries manquent, la jeunesse est forcée de déborder.

Où sont allés nos surplus de population ? Dans l’ancien temps, beaucoup de défricheurs, trop serrés par la pauvreté ou gagnés par le goût des aventures, sont allés ouvrir des terres ailleurs. Puis le fléau de l’émigration aux États-Unis a pris notre jeunesse et les familles entières ; ça été la saignée la plus longue et la plus radicale. Quelques familles se sont transplantées naguère aux Cantons de l’Est., à l’exemple de Jean Rivard ; plus récemment au Témiscamingue et dans l’Ouest.

Depuis l’essor nouveau des Trois-Rivières, après l’incendie de 1908, on a déménagé en ville ; beaucoup sont installés à Montréal ou à Shawinigan.

Bien des terres jaunes qui jadis faisaient vivoter une famille, surtout dans les rangs de Saint-Charles et de Saint-Nicolas, sont léguées aux sables et aux bouleaux qui repoussent, alors qu’une culture savante aurait pu transformer cela en potagers, en petites cultures, si profitables, à quelques milles du marché. On aurait pu s’attirer le compliment adressé aux jardiniers belges par un de leurs députés : « C’est un des exploits humains les plus étonnants et qui prouvent le mieux la ténacité de la race flamande, que la transformation de cette région désolée en un vaste jardin légumier : ces terres pauvres donnent parfois plus que les terres riches… L’agriculteur belge a été plus fertile que son sol ; il fait pousser les récoltes dans le creux de sa main. »

Plusieurs de nos fermiers ont fait et font encore leur large vie, et un peu plus, sur des terres sablonneuses qu’ils ont soignées, nourries, préservées de la tuberculose et de la mort. D’autres ont tout lâché. Et la Pointe-du-Lac, qui comptait 1,602 âmes en 1851, n’en compte plus en 1931 que 1,400, et encore c’est en y joignant les deux cent-cinquante nouveaux venus des communautés récentes. Les pertes réelles sont formidables, puisqu’il faut y calculer l’accroissement possible que nous avons perdu. Supposons que notre jeunesse se fût établie chez nous ; aux taux réguliers de natalité, en quatre-vingts-ans notre chiffre pouvait se doubler quatre fois et atteindre 25,000 en 1931 ; les 1,400 qui restent à la Pointe-du-Lac ne sont qu’un reste, et la paroisse-mère peut renouveler la douleur de Rachel qui pleure ses fils et qui ne veut pas de consolations, parce qu’ils ne sont plus, parce qu’ils n’ont pas su créer d’autres campagnes qui seraient ses filles. Alors qu’il fallait essaimer, on a émigré, déserté en sourdine.

Image locale, à multiplier par cent et plus, de la désastreuse et interminable saignée de la race canadienne-française.

a — Les voyages

l’histoire militaire

Les Iroquois, qui descendaient le Richelieu jusqu’à Sorel, et le fleuve jusqu’en Gaspésie, eurent tôt discerné l’importance stratégique de notre pointe, et ils s’y fortifièrent pour dominer la grande avenue du lac et du fleuve, si bien que l’historien de 1650 mentionne « leur ancien fort de la Pointe-du-Lac qui leur donnait en toutes saisons les moyens de se répandre à l’intérieur des terres et de se retirer, en cas d’alarme, vers leur champ de manœuvre habituel, le lac Saint-Pierre ». On a retrouvé, derrière les camps Tomaqua, des pointes de flèche en pierre.

En 1663, le gouverneur baron d’Avaugour, alarmé de la terreur iroquoise, propose au roi d’établir un fort en face des Trois-Rivières, pour guetter les deux berges du fleuve, puis deux autres plus considérables, munis d’artillerie, l’un à la Pointe-du-Lac, l’autre à l’embouchure de la rivière Nicolet.

Cette idée de fort ne se réalisera qu’après l’invasion américaine de 1776, alors qu’Anglais et Canadiens, instruits par la descente des troupes ennemies chez nous, bâtiront un fort dont les remblais de terre se voient encore très nettement aux camps de cette pointe qu’on appelle Tomaqua, du nom de la dernière montagnaise qui a séjourné au hameau indien situé au bas de la côte.

Le 8 juin 1776, le général américain Sullivan, parvenu à Sorel, voulut attaquer le corps anglais des Trois-Rivières, écrit Bibaud : « Il fit embarquer sur le lac Saint-Pierre 1,800 hommes du brigadier Thompson, pour aborder à la Pointe-du-Lac, et de là, s’avancer sur les Trois-Rivières, mais avant d’y arriver ils rencontrèrent le brigadier Fraser à la tête de troupes plus nombreuses. Il s’ensuivit un combat meurtrier, qui se termina à l’avantage des Anglais. Le général Thompson et le colonel Irwin furent faits prisonniers, avec environ deux cents de leurs gens. Le reste retraita précipitamment à travers les plaines marécageuses du nord du lac, et alla rejoindre les troupes américaines à Sorel ».

Le notaire J.-B. Badeaux et M. A. Berthelot donnent la raison de cette victoire de Fraser. En arrivant, la nuit, les Américains arrêtent un cultivateur, Antoine Gauthier, pour le forcer à les conduire à travers le bois. En s’habillant, Gauthier charge sa femme de faire avertir la ville. Elle court chez le capitaine de milice Guay dit Landron ; celui-ci se hâte par le chemin direct pendant que Gauthier fait louvoyer les Américains dans les bois du Coteau de Sainte-Marguerite, pas commodes la nuit ; à quatre heures du matin, Landron jette l’alarme et les troupes vont se cacher près du cimetière actuel, où Gauthier n’arrive qu’à huit heures avec une avant-garde d’Américains qui sont pris par M. de Niverville avant de pouvoir crier. Le gros des troupes arrive et se fait canarder. La bataille est courte : deux ou trois cents morts, autant de blessés, et sauve qui peut ! Carleton fait venir Gauthier pour se faire raconter cela. En guise de merci, il lui dit en badinant : « Vous mériteriez d’être pendu !… » On recueille des blessés jusque derrière Yamachiche. Vingt bateaux, huit canons et les provisions laissés à la Pointe-du-Lac sont les trophées de la victoire,

Pourquoi l’un de ces canons ne décore-t-il pas notre place publique ? Ce n’était pas encore la mode, je suppose…

En guise d’épilogue, une dizaine d’années plus tard, deux Américains, vétérans qui avaient encore sur le cœur ce mauvais tour, vinrent tirer vengeance d’Antoine Gauthier. Mais dans l’obscurité de la nuit ils se trompèrent de maison. Pour faire sortir leur homme ils secouaient le contrevent. Réveillée par le bruit, la femme, dont le mari était absent, sortit pour remettre le crochet : elle fut assommée à la porte, de même que plusieurs enfants. Les autres réussirent à s’échapper dans un fossé. La tradition raconte que les coupables furent pris et condamnés à être pendus devant la maison. C’était bien théâtral, un peu trop vues-animées : on les pendit à l’endroit où la sévère justice d’alors exécutait les simples voleurs de chevaux.

M. de Tonnancour se dépensa beaucoup pour la cause loyaliste ; il recrutait des hommes et guettait les suspects. C’est dans sa maison des Trois-Rivières que Sir Guy Carleton déguisé en Canadien, vêtu d’étoffe et conduit à Québec par Bouchette, prenait son repas quand des officiers américains, alors maîtres de la campagne, vinrent à entrer. Carleton fit semblant de prendre un somme, la tête dans ses bras posés sur la table, jusqu’à ce que Bouchette, qui était rusé, vint lui donner une grande tape sur l’épaule : « Allons, Baptiste, réveille-toi, il est temps de s’en aller ! » Le gouverneur se leva, suivit son homme au canot et descendit à Québec à la barbe des Américains, sans être inquiété. La lieutenance-générale de M. de Tonnancour lui donnait des bureaux à l’ancien collège du Platon, aux Casernes, et l’obligeait à courir des distances formidables ; car, écrit Sulte : « Durant tout le régime français, et même jusque vers 1800, quand on parlait des Trois-Rivières, c’était toujours dans l’intention d’indiquer le pays situé sur les deux bords du St-Laurent et qui embrasse le lac St-Pierre en descendant jusqu’à Ste-Anne-de-la-Pérade ».

Beaucoup de gaillards sortirent de là, un peu fanfarons et vantards, avec peut-être plus de raison que d’autres.

Dès 1685, La Hontan écrivait que « les Trifluviens sont les meilleurs soldats de la colonie ».

En 1755, Bougainville notait « une grande différence pour la guerre et les voyages d’en-haut entre les Canadiens du gouvernement de Québec et ceux des gouvernements des Trois-Rivières et de Montréal, qui l’emportent sur les premiers ».

En 1812, le quartier-maître Hubert écrit de son bataillon : « Il est surprenant qu’après et pendant un tel voyage, il n’y ait pas eu un seul homme de malade. Nous avions pourtant fait des marches longues et précipitées dans de très mauvais chemins. Nos jeunes Canadiens sont très vigoureux pour les voyages. Les Anglais et autres ne peuvent pas les suivre… Aussi notre bataillon a eu les compliments les plus flatteurs des deux généraux et des autres officiers ».

Cette force de nos gens n’a pas à moitié servi à développer notre province : elle s’est gaspillée aux Voyages du Nord-Ouest, aux chantiers et aux défrichements du Vermont, du Michigan, des Illinois, des Dakotas, du Minnesota et même du lointain Orégon… Il faut lire les exploits des lurons de la région des Trois-Rivières dans Les Canadiens de l’Ouest de Jean Tasse ; les fondations de villes américaines : Chicago, Peoria, Duluth, Dubuque, St-Louis et autres, où toute la misère a été pour nous et tout le profit pour les autres. C’est classique. Depuis Jean Nicolet et Pierre Pépin-Laforce, découvrant l’un le Michigan, l’autre le Minnesota, jusqu’au Napoléon des plaines, F.-X. Aubry, les hommes forts et entreprenants de Batiscan à Maskinongé ont fait l’étonnement des badauds plutôt que la grandeur de leur pays.

Si ce merveilleux trésor d’énergies s’était exploité chez nous, à conquérir le sol, à créer des paroisses, à donner du corps et du territoire à notre race, quelle glorieuse continuation de notre valeur militaire ainsi lancée à démolir la forêt, à étendre les frontières nationales !

b — L’hommage au Seigneur

Une vieille coutume française un peu militaire, un peu civile, ramenait, chaque premier jour de mai, la plantation d’un mai devant la porte principale de la maison du seigneur. C’était un joyeux hommage, une partie de plaisir, ainsi qu’on peut le lire dans Les Anciens Canadiens de M. de Gaspé.

Un simple sapin écorcé blanc jusqu’au bouquet, surmonté d’un bâton rouge orné d’une girouette ; un rassemblement de censitaires armés ; une délégation de vieillards qui demandent au seigneur la permission de planter le mai ; une prière à Dieu pour qu’il n’arrive pas d’accident ; la descente au ralenti du pied de l’arbre dans la terre ; offrande au noble du mai et d’un gobelet de rhum : « Plairait-il à notre seigneur d’arroser le mai avant de le noircir ? » — libations fraternelles, cris de Vive le Roi ! Vive le seigneur ! coups de fusil et poudre brûlée pour noircir le mât, feu d’artifice et déjeuner de tous au Manoir, telle était la cérémonie matinale, qui se continuait au milieu des chants, des détonations et de la gaieté générale d’un grand congé.

Les seigneurs Coffin et Montour, qui comprenaient peu l’âme canadienne, ont laissé tomber cette fête en désuétude. Ce n’était pas leur genre.

D’après notre système féodal du gouvernement-propriétaire qui concédait des étendues de terre à des seigneurs qui sous-concédaient aux censitaires, les seigneurs « étaient tenus de faire et porter foi » aux gouverneurs, et cette coutume demeura jusqu’à l’abolition de la tenure. Ainsi l’on voit, en 1781, M. de Tonnancour, décliner en détail devant Haldimand les titres de ses cinq « fiefs et seigneuries relevant en plein fief de Sa Majesté, et à l’instant s’étant mis en devoir de vassal, tête nue sans épée ni éperons et un genouil en terre aurait dit à haute et intelligible voix qu’il rendait et portait au Roy entre nos mains la foy et hommage lige qu’il est tenu de rendre et porter au château Saint-Louis de Québec…, et a fait souscrit et entre nos mains le serment de bien et fidèlement servir Sa Majesté et de nous avertir et nos successeurs s’il apprend qu’il se fasse quelque chose contre son service… »

En 1830, la seigneuresse Montour se contente d’envoyer son notaire Dumoulin se mettre pour elle « en devoir de vassal tête nue, sans épée ni éperons et un genouil en terre » devant le gouverneur Kempt. Ces notaires, tout de même !…

Comment voyage-t-on ? En canot d’abord, sur les rivières, les chemins qui marchent. Puis l’ère commence des voyages par terre. Le grand-voyer Lanouiller de Boiscler termine, en 1734, le Chemin du Roi, de Québec à Montréal, et organise la poste ou service de diligences. Les chemins sont à la charge des habitants, qui ne goûtent pas trop les corvées nombreuses dirigées par les sous-voyers. Les chemins royaux ou de poste doivent avoir trente pieds de large, entre deux fossés de trois pieds.

Résumons ce qu’en dit Isaac Weld, dans son récit de Voyage au Canada 1795, 1796 et 1797 : « On ne trouve point dans toute l’Amérique septentrionale de route aussi commode et aussi bien servie que celle qui conduit de Québec à Montréal. À distances fixes, des maîtres de poste sont tenus d’avoir chez eux quatre calèches, et autant de carrioles pour l’hiver ; de servir les voyageurs dans un quart-d’heure, le jour, et une demi-heure la nuit ; et de courir à raison de deux lieues par heure et au tarif d’un chelin par lieue, sans pourboire. Les calèches sont préférables aux diligences américaines, qui cahotent à rompre les côtes… Les chevaux du Canada sont petits et lourds, mais infatigables. On n’en prend aucune espèce de soin : une course finie, on les renvoie au champ, d’où on les ramène pour la suivante. Pour activer l’allure, il suffit d’une gratification, ou mieux d’un souffle de vanité : on loue l’adresse du cocher, l’excellence des chevaux canadiens, Mais si l’on veut leur faire prendre le grand galop, l’on n’a qu’à observer à son compagnon, de manière à être entendu des postillons, que les calèches du Canada sont les voitures du monde les plus détestables, que les chevaux sont si mauvais qu’il y aurait danger à les faire courir au galop, comme dans les autres pays, et surtout dans les États-Unis… Alors leur amour-propre est piqué au vif, et les coups de fouet répétés assurent le succès de leurs chevaux… Le fréquent usage du commandement « marche donc » a fait donner ce surnom aux calèches. »

En 1799, les maîtres de postes des environs étaient Pratt aux Trois-Rivières, J. Panneton à la Pointe-du-Lac, Jean Lord à Machiche, puis Forbes, Belaire, etc. Le relai de Panneton se trouvait au détour, aux camps actuels de M. J.-B. Rouette, où la grève rongée a envahi d’une centaine de pieds. Le quai a disparu, la grosse hôtellerie rouge aussi et même son emplacement, et le chemin a dû rentrer dans les terres, comme aussi à la Banlieue et à l’Acadie, par suite de la débâcle du printemps. Maintenant que les brise-glace préviennent les inondations, il est souhaitable que la voirie se rappelle l’ancien tracé, afin d’éviter aux touristes plusieurs traverses de chemins de fer. Car chemin de fer il y a depuis cinquante-cinq ans.

En 1876, le Chemin de fer du Nord, vendu ensuite par le Ministre Sénécal au Canadien-Pacifique, se construit au milieu de la paroisse, et les plates-formes chargées de gravier avancent quelques cents pieds tous les jours. Les trains circulent à partir de 1879, et donnent un sérieux coup à la navigation d’alors. On ne verra bientôt plus descendre les cages de bois des chantiers d’Ottawa ; les barges à voiles et les chalands se feront rares, les poètes n’auront plus à raconter le naufrage de la « Julie-Plante » et la noyade du captinne et de Rosie, par une nuit d’ouragan :

On wan dark night on Lac St-Pierre,
De wind she blow, blow, blow…

et notre cimetière des noyés sans scapulaire disparaîtra. Seuls, quelques fervents de la navigation vont encore charger des bateaux de pommes à la montagne de Belœil : les autres se contentent d’aller pêcher aux plaines et de regarder passer les navires. C’est la morale du Docteur Drummond :

You can’t get drown on Lac St-Pierre
So long you stay on shore.

(On ne se noie pas tant qu’on reste sur le bord).

Notre lac, assez creux pour l’Émerillon et pour les barges, ne vaut rien pour les géants des mers. Dès 1825, il est question d’y creuser un chenal. Un capitaine Vaughan commence et rate en 1845 son creusage d’une route droite ; on suivra le chenal naturel, et en 1855, la profondeur est de seize pieds. Mais les tonnages augmentent vite, et l’on creuse toujours : les 27 ½ pieds actuels ne suffisent pas, et ce sont les Trois-Rivières et le port Saint-François qui devraient tirer profit du lac-barrière.

VII — La vie d’autrefois


Est-il possible, sans faire de l’imagination toute pure, de reconstituer la vie d’antan ? Certainement un peu : l’on n’a qu’à étudier la vie du colon moderne et de multiplier par cent, ou par mille, les misères des éventreurs de terre neuve.

D’abord, nos ancêtres ne partaient pas simplement en chemin de fer, pour quelques heures de trajet vers une forêt connue, avec possibilité de retour si ça ne va pas. Non. C’est tout l’océan qu’ils traversent sur des bateaux fragiles dont nous ne voudrions pas pour aller aujourd’hui à Gaspé ! Souvent des passagers meurent ; parfois le navire fait naufrage : ce qui est peu alléchant pour d’autres recrues.

Les périls des bois succèdent à ceux de la mer : on devient la proie de la sauvagerie et des sauvages. Les premiers colons emportent au bois leur fusil avec leur hache. Combien ne reviennent pas, le soir, que leur femme, toujours inquiète, retrouve morts et scalpés derrière une souche ou une gerbe…

Le martyre ordinaire suffit pourtant, ces travaux sans congés du défrichement sans aide. Lutte du petit David contre les géants de la forêt ; bataille quotidienne du bûcheron, résistance acharnée des troncs, des souches et des racines profondes qui ne veulent pas lâcher le sol. On n’a pas d’outils, on n’a pas de chevaux, on n’a pas de voisins. Mal nourris, mal logés, mal vêtus, obligés de courir aux expéditions pour gagner quelque argent ; privés de communications, de secours spirituels et corporels, les colons ne vivent que de leur rêve : laisser à leurs fils un morceau de champ agrandi, une demeure humaine à la place de l’éternelle futaie.

Il faut se faire une âme antique, se fermer les yeux et s’ouvrir l’imagination pour reconstruire un peu cette terrible vie d’autrefois, vaillante et féconde, qui accueille toutes les privations pour que la descendance ait tout le bonheur. N’insistons pas sur les souffrances morales de l’isolement et de l’inquiétude ; ne cherchons pas à analyser l’état d’âme de nos miliciens, survivant à Montcalm et à l’occupation anglaise et se demandant si le sort des Acadiens déportés ne les guette pas ; voyons simplement les colons chez eux, dans leur cabane en bois rond ou en pièces équarries, sous un toit d’écorce ou de chaume.

Rares sont les meubles de famille apportés de France. Tout est « fait à la maison » : bancs, tables, escabeaux, couchettes et ber, coffres et armoires. Le seau à l’eau est sur le banc. L’assiette à l’huile qui sert de lampe, les allumettes de cèdre, le rameau, le fusil à baguette, sont accrochés aux poutres fendillées, jamais peintes. Les fenêtres sont rares et petites ; la porte est basse. Une échelle ou un escalier sans bras monte au grenier. Les poêles sont inconnus avant ceux des Forges : le foyer de pierre garde la marmite soutenue par la grille ou par la crémaillère. Qu’est-ce qui bout ? Qu’est-ce qu’on mange ? De la soupe évidemment, puisqu’on est des Français ; soupe aux inséparables choux et navets, soupe aux pois, et, dans les périodes d’extrême dénûment, soupe aux cotons de framboisiers, aux patates sauvages et aux racines des champs. La pomme de terre n’est considérée nourriture d’homme que vers 1800. Le lard fut toujours populaire chez l’homme du sol : viande facile à importer et facile à produire ; en 1634, quelques groins font leur apparition ici et là ; en 1734, on en compte 23,000, et 70,000 en 1784. On ne réussit pas à faire goûter le lard aux Iroquois, qui préfèrent le grand gibier : « Quittez ces puants pourceaux, qui courent ici parmi les habitants et qui ne mangent que des saletés ; venez manger de bonnes viandes avec nous ! » Ces viandes délicates par excellence sont la patte d’ours, le muffle d’orignal et la queue de castor.

La chasse et la pêche abondent : le chevreuil, le lièvre, un peu d’ours et de castor, la perdrix par centaines, chassée au piège et au fusil, le canard, les cailles, les bernêches, (outardes) surtout les voliers de tourtes, vrais fléaux qui ruinent les moissons et qu’on supplie l’Église de conjurer. Le sieur Boucault en parle dès 1754, et cela dure cent ans : « Au printemps, il vient des pays chauds une quantité inexprimable de pigeons ramiers, que les vulgaires nomment tourtes, — par bandes de deux à trois mille, durant trois semaines et dans tout le pays. La chasse y étant permise à tout le monde, on entend tirer du matin au soir, même dans les villes… Dès que leurs petits sont assez forts pour voler, ils les amènent dans les terres ensemencées, pour jusqu’à l’automne : on en fait alors une terrible destruction, soit à coups de fusils, soit avec des attrapes que les habitants nomment geôles, soit avec des filets. On en prend alors plus de jeunes que de vieux ; les jeunes sont les bons, rôtis ou sur le gril. Cet oiseau s’apprivoise aisément ; on en nourrit dans les greniers avec du gru ou du bled ; en quinze jours ils sont comme pelotons de graisse, leur chair devenant blanche. » On a trop bien prié contre les tourtes : Dieu n’en fait plus.

La pêche est d’autant plus facile qu’on s’établit au bord du fleuve et des rivières, où pullulent des espèces aujourd’hui rares : l’anguille, l’esturgeon, le maskinongé (qu’on prononce masquilongé). Les enfants et les femmes chassent, pêchent et canotent comme des hommes.

Quand le blé vient, l’on fait le pain de ménage ; quand le bétail peut vivre, on se paie des laitages ; on tisse la laine, on tanne le cuir, on sait tout confectionner soi-même. Chaque maison se suffit, grâce à l’ingéniosité, cette noble fille de Robinson et de dame Pauvreté. L’on n’achète rien, pour deux bonnes raisons : faute d’argent et faute de magasins. Tout pousse du sol et l’on transforme tout : le lin devient toile, devient serviettes, draps, chemises ; avec le chanvre, on sait même filer des câbles ; la paille devient chapeau et tapis ; le cuir devient bottes, souliers sauvages, babiche, pièces de harnais, mitaines, genouillères, pentures de portes, fonçures de chaises…

La femme sait prendre la laine sur le dos des moutons et lui faire subir tous les stages jusqu’au dos de son mari : les rouets et les métiers sont établis en permanence, et les pièces d’étoffe sont les brevets de capacité des ménagères. Les patriotes de 1837, habillés « canadien » des pieds à la tête, des souliers mous à la tuque, proclamaient notre indépendance économique, notre capacité nationale de nous tirer d’affaires tout seul. Il y avait cent ans que nos familles de colons en faisaient autant.

Jean Talon, qui avait plus que de l’œil, — du génie vraiment, surtout quand on le compare aux modernes, — avait, tout de suite en arrivant, organisé l’industrie domestique, pour n’être pas obligé de tout faire venir de France. Sa politique agressive pousse à la culture du chanvre et du lin ; il prépare l’industrie du vêtement. On le rappelle en France et ses successeurs ne le valent pas.

C’est une femme débrouillarde, Madame de Repentigny, qui tirera partie même de l’écorce des arbres, des orties, et des cotonniers pour fabriquer des couvertures, de la toile, de la serge croisée, du droguet, qu’elle teint au moyen d’herbes connues des Sauvages. Elle envoie des échantillons en France, le Roi lui retourne des cadeaux, et nos gens s’habillent d’autre chose que des peaux de caribou.

On connaît le costume canadien qui remplaça les habits français : pantalons, chemise, veston et paletot d’étoffe du pays, crémone et ceinture fléchée, souliers ou bottes sauvages, tuque de laine, ordinairement bleue à Montréal, rouge à Québec et blanche aux Trois-Rivières, l’avant-garde du tricolore.

Dans les anciennes donations, les vieux sont bien moins exigeants d’objets achetés que d’articles faits à la maison, tels que l’étoffe, la toile, les chaussures tannées, non vernies. Ainsi un « contrat de donation à Charles Guilbert, insinué par Badeaux, au registre des insinuations le 21 novembre 1786 » et gardé religieusement par M. Napoléon Guilbert ; les donateurs demandent au donataire, en retour, « d’avoir soin de ses père et mère tout pendant leur vie, les loger, chauffer, éclairer, nourrir et entretenir ; les faire soigner et médicamenter dans leurs maladies. Et dans le cas d’incompatibilité d’humeur et que les parties ne puissent s’arranger ensemble, le dit Donataire sera tenu de fournir… : La quantité de vingt-quatre minots de bled froment converti en farine et rendu dans leur grenier, cent cinquante livres de lard, un demi-minot de sel, une demi-livre de poivre, une vache à lait, qu’il remplacera toutes les fois et quantes elle manquera, et laquelle il hivernera et herbagera avec les siennes ; quinze cordes de bois rendues à la porte, un minot de pois. Et quant à l’entretien, une jupe d’étoffe du pays et un mantelet de même étoffe tous les ans, une paire souliers français à femme tous les ans, un habillement à femme pour les Dimanches tous les trois ans, un capot de couverte ou d’étoffe du pays tous les ans, un bonnet drapé tous les deux ans, une paire culotte d’étoffe du pays tous les ans, une paire bas de laine tous les ans, deux paires souliers tannés tous les ans, un mouchoir de coton par an, trois chemises de toile du pays tous les ans, douze livres de tabac à fumer tous les ans. Bien entendu que la dite pension diminuera de moitié au décès du premier mourant, et totalement éteinte et anéantie au décès du dernier mourant, et qu’outre la pension ci-dessus énoncée il aura soin de ses père et mère dans leurs maladies, les fera soigner et médicamenter, leur fournira tous les rafraîchissements nécessaires en pareil cas ; Et advenant leur décès les fera inhumer convenablement comme les autres fidèles à ses frais. Et tous les autres enfants promettent de faire dire chacun une Messe basse de Requiem à chacun de leurs père et mère. »

La vie n’a pas marché vite de 1760 à 1860. En 1833, Charles Guilbert se donne à son tour ; il réclame à peu près la même chose, mais un peu plus, et pas tout à fait dans les mêmes termes : on parle maintenant, de lard marchand, de beurre, de pois cuisans, de thé, de sucre du pays, de patates ; « trois cents oignons, cinquante pommes de choux, trois gallons de rum et trois gallons de vin rouge ; douze douzaines d’œufs, vingt-huit livres de morue verte, et ce par quartier d’année de ce jour ; de plus huit livres de chandelle… Et pour l’entretien du dit Charles Guilbert, un habillement complette d’étoffe du pays, deux chemises de toile tous les ans, une chemise de coton tous les deux ans (il fallait acheter le coton !) une paire de culotte de toile tous les ans, deux paires de souliers dont une de Bœuf, l’autre de cuir mou tous les ans, un mouchoir de poche tous les ans, un mouchoir (de cou) tous les deux ans, un chapeau commun tous les deux ans, un Bonnet de laine tous les ans, douze livres de tabac à fumer tous les ans, une cloque d’Étoffe du pays tous les cinq ans, une paire de mitaines et six pipes tous les ans.

Et pour la donatrice Josephte Chaillez, six livres de tabac en poudre tous les ans, une tabatière tous les deux ans, une jupe et mantelet d’étoffe tous les ans, un mantelet d’indienne tous les deux ans (il fallait acheter l’indienne !), deux chemises de toile tous les ans, une paire de souliers de Bœuf tous les ans, une paire souliers d’escarpin tous les deux ans, une paire de bas de coton tous les deux ans, un mouchoir de poche, un mouchoir de col tous les ans, deux calignes et une coeffe tous les deux ans, une grosse tête tous les cinq ans, un chapeau de paille par année, deux livres de savon par année… De tout ce que dessus les parties sont contentes et satisfaites »…

C’est daté du 9 septembre 1833 ; il y a donc cent ans, nos gens vivaient ainsi dans la simplicité, le calme et le bon sens, à l’abri de la neurasthénie, des trépidations et des morts subites.

D’une génération à l’autre, on est moins pauvre. Les époux Charles Guilbert de 1786 « se voyant d’un âge avancé et hors d’état de faire valoir leurs biens », en possédaient si peu que leurs six enfants, « après avoir délibéré entre eux, vu le peu de valeur des biens, ont tous renoncé volontairement aux successions futures de leurs dits père et mère, » qui se donnent à leur fils Louis, et se montrent fort peu exigeants en fait de pension.

Le deuxième Charles, qui n’a rien reçu, laissera davantage ; il sera mieux pensionné ; il réclame dix messes basses, il oblige les légataires à donner à leur frère « les hardes nécessaires, et, à sa majorité, un mouton ; à Magdeleine, leur sœur, à sa demande, un lit garni, un coffre, une moutonne et une vache ; à Marguerite, une jeune vache de deux ans, cette dernière ayant reçu une moutonne ; et à une nièce, la somme de cinq chelins courants » (1 $). La monnaie était rare, et l’on était plus regardant de dépenser un sou qu’aujourd’hui une piastre.

Un autre contrat de 1786 est bien caractéristique : François Dupont a « vendu, quitté, cédé, transporté et délaissé, dès maintenant et à toujours avec promesses de garantie de tous troubles, hypothèques et autres empêchemens généralement quelconques, à Louis Duval, à ce présent et acceptant acquéreur pour lui, ses hoirs et ayans cause à l’avenir… le cinquième d’une terre de cinq arpents et des bâtiments qui sont sur la totalité de la dite terre, mais pas la levée des grains qui y sont pendans par les racines pour cette année seulement, sans autres exceptions quelconques… Cette vente ainsi faite aux charges de cens et rentes (de quarante sols en argent) outre pour prix et somme de cent deux livres douze sols, chaque livre de vingt sols, (17,10 $ !) Au moyen de quoi les dits vendeurs ont dès à présent transporté tous droits de propriété, fonds, très-fonds, noms, maisons et généralement tout ce qu’ils pouvaient avoir, prétendre ou demander en et sur la dite terre, dont du tout ils se sont démis, dessaisis et dévêtus pour et au profit du dit acquéreur, voulans et consentans qu’il en soit saisi, mis et reçu en bonne possession et saisine par qui et ainsi qu’il appartiendra en vertu des présentes. Car ainsi & a (et cœtera), promettant &a, obligeant &a, renonçant &a. Fait et passé aux Trois-Rivières, Étude du dit notaire (Badeaux) avant midy… » (17 juin 1786).

Aujourd’hui, les familles de ces anciens sont infiniment plus à l’aise que leurs devanciers, qui ont eu cent fois raison de ne pas douter de la vie et de la Providence.

a — Petites industries

Le P. Lejeune écrit dans les Relations de 1635 : « Quand Dieu aura béni ces contrées d’une peuplade de Français, on trouvera mille biens et mille commodités sur le pays, que ces Barbares ignorent. » Réflexion inspirée du fait qu’un Algonquin venu « de bien avant dans les terres » a montré aux Français, arrivés depuis six mois aux Trois-Rivières, le secret inconnu aux Montagnais de prendre du poisson sous la glace. La tradition s’est continuée du petit poisson des chenaux !

Dès 1670, l’intendant Talon avait profité d’un naufrage qui l’avait jeté à Lisbonne, pour engager des Portugais à établir ici l’industrie des savons mous. Il voulait transformer les cendres d’abatis en perlasse, et remplacer à Paris la soude d’Espagne, la potasse de Moscovie et les savons mols de Hollande. Il évaluait à 40 francs le coût du défrichement d’un arpent de terre, dont le brûlage fournirait 20 à 24 barriques de cendres vendues 2 francs et chargées sur des barques. C’était la colonisation gratuite, mais les gouvernants n’y comprirent pas grand’chose.

Duchesneau reprendra la tentative et la perlasse constituera une des sources de revenus des colons, de même que les planches et madriers, les cercles, douelles et fonds de tonneaux, les rames de frêne et le bardeau, en attendant que le sol fournisse la graine de lin, la farine et les pois.

L’eau d’érable connue des Sauvages, le fut bientôt de Pierre Boucher : « Quand on entaille ces érables au printemps, il en dégoutte quantité d’eau, plus douce que de l’eau détrempée dans du sucre, et plus agréable à boire. » En 1685, le docteur Michel Sarrasin a l’idée de l’analyser, de la faire bouillir. On devine le résultat : la trempette, le sirop, la tire et les pains de sucre étaient nés. Il en dresse un savant mémoire pour l’Académie des Sciences, en 1730 : « Trois conditions pour que la sève soit sucrée : 1o que le pied de l’érable soit couvert de neige ; il en faudrait apporter s’il n’y en avait pas ; 2o que cette neige soit fondue par le soleil et non par un air doux ; 3o qu’il ait gelé, la nuit précédente. »

L’entreprenante madame de Repentigny, initiatrice des droguets et des couvertures, lancée aussi dans les sucres, affirme en 1706 qu’il s’en fait plus de 30,000 livres rien qu’à Montréal. Les récits de Kalm et de Boisseau nous décrivent le système d’exploitation : il a duré sans changement jusqu’à l’invention des bouilloires de fer-blanc rayé.

La Pointe-du-Lac a toujours aimé à faire du sucre : qu’il se vende bien ou mal, que le printemps soit bon ou petit, qu’on s’esquinte, qu’on s’éreinte et qu’on se mouille à faire la ramasse, ça ne fait rien : on guette le temps du dégel, comme les Gaspésiens guettent la morue. On a cela dans le sang. Il y a là aussi une mystique, à base d’espérance, comme le goût du risque et des gageures. On a hâte d’entailler, on est content de dégreyer ; après le pire échec et les pires fatigues, on est certain de recommencer.

Vers 1860, nos érablières ne suffisaient pas : on montait, avec du lard et de la farine pour un mois, par le chemin de Shawinigan, faire du sucre sur les lots de colonisation de Mont-Carmel et de Saint-Mathieu. On en rapportait un voyage de sirop, de sucre et d’aventures de cabane… Ce n’est pas pour rien que la feuille d’érable a supplanté le castor comme emblème national : la traite des fourrures a fini son temps, l’érable vivra autant que nous, il se plante devant la porte, il nous suit en ville ; nous le buvons, nous le mangeons, et il est nôtre.

Bière et petite bière. — Les Français n’ont jamais aimé à boire de l’eau. Champlain et Maisonneuve établirent des brasseries, Talon de même et les frères Charron, pour tuer la traite de l’eau-de-vie. Le vin reprenait le dessus dès qu’il ne se vendait pas trop cher. L’été, les défricheurs isolés utilisent la tête d’épinette blanche pour se rafraîchir de petite bière. Ils se réchauffent avec de la bière d’orge, excellente pour la santé. Ajoutez à ces menus et peu dispendieux plaisirs, le tabac canadien, qui rivalise sans retard et sans trust avec le petun des Sauvages. Une bonne pipée fait encore du bien, après le travail, sur le perron de l’église, chez les flâneurs des arrière-magasins, mais pas chez les femmes.

mines

Nos trois filons de minerai de fer ne s’épuisèrent pas complètement aux Vieilles Forges. Les établissements que MM. Turcette, Larue et Hall fondèrent et firent bénir par Mgr Cooke, aux Forges Radnor, en 1854, ramenèrent la mode de « laver de la mine ». Vingt ans après, l’incendie consume l’usine ; des Anglais remettent l’affaire en marche ; nos gens lavent encore de la mine, jusqu’à cent chars et plus par année, vers 1900. On essaie ensuite de l’ocre, ou oxyde de fer, sorte de terre rouge, molle, qu’on nomme « de la peinture », qu’on a tenté de convertir en fer, mais que M. Argall expédie encore aux États-Unis, pour en faire de la peinture. Cette ocre, peu fertile, se trouve sous l’herbe, l’on n’a qu’à la charroyer au chemin de fer et à la remplacer par de la glaise pour se faire de bons salaires et de bonnes terres.

moulins

Après la terre, l’eau. Pas de moulins à vent, chez nous : trois petites rivières nous suffisent. Au centre, le moulin seigneurial, en léthargie depuis que les Frères l’ont acheté de M. Thomas Garceau, en 1925, pour 18,500 $ ; dans le fief Gatineau, sur la rivière-aux-Glaises (ou la rivière-aux-Loutres), depuis une centaine d’années, les Garceau broient les grains, scient la planche et cardent la laine.

Pour établir un fils, M. Euchariste Garceau ajoute trois moulanges à la scierie qu’il achète de M. Théophile Rouette, sur la Rivière-aux-Sables, plus bas que le moulin à carder, aujourd’hui mort, bâti vers 1850 par un M. Brown, exploité par MM. Léguine, (Higgins ou Nelligan ?), Jean Dupont et Milette : pourquoi des moulins à carder quand on ne garde plus de moutons ? Pourquoi élever des moutons qui sautent les clôtures ordinaires, qui rasent plus ras que les vaches, qui se font courir et manger par les chiens, et dont les ranches de l’Ouest encombrent le marché ?…

Pour être plus près des colons que la seigneuresse Montour place, de 1810 à 1817, dans le haut de la paroisse, aux 5e, 6e, 7e rangs et Saint-Nicolas, M. Léandre Martin bâtit un moulin au 6e rang (des Comeau) sur la petite rivière qui s’y jette dans la rivière St-Charles. Moulin disparu depuis 1880, alors que diminuaient la construction, le bois, le blé et l’eau.

Cinq ou six petites chutes dans une seule localité sont une bénédiction du ciel, qui devrait se changer en électricité, lumière, force et chaleur. Les hauts bénéficient des dernières ondulations des Laurentides. Terrains sourceux, ils alimentent trois ou quatre aqueducs, ils s’égouttent en ruisseaux peuplés de truites et de goujons, vers le lac à deux cents pieds de niveau. Sait-on bien que certaine marque officielle gravée au-dessus d’un soupirail Est de l’église indique la différence de niveau d’avec la mer moyenne à Halifax, et que cette différence n’est que de 23 pieds ?

Une lettre de M. Charles Chaloner, du ministère de la Marine, à M. le curé, donne ces détails : « En 1926, nous avons marqué votre église comme ceci

B (C) M
MMMXXVII.

Le milieu du morceau de cuivre est 50,66 pieds plus haut que le niveau de la mer à Halifax, N.-E. L’eau extrêmement basse de 1897 du lac Saint-Pierre était 8 pieds au-dessus de la mer, et l’eau haute de la Semaine-Sainte, en 1865, était 38 pieds plus haute que la mer. »

b — Produits de la terre

Par certains vieux papiers on peut diagnostiquer ce qu’était le genre de culture de nos pères : ils cultivaient le blé, ils en chargeaient des barges qui entraient dans la rivière ; ils en épuisaient des sols qui n’avaient rien de la Terre promise où coulaient l’huile et le miel, la graisse et le vin. Le grain, battu au fléau, vanné parfois, trié à la main, passait aux meuniers qui se payaient d’une mouture, et revenait farine pour cuire au four et bénir la table. Tout le monde récolte son blé ; les pauvres y mêlent du seigle, ou le remplacent souvent par le sarrasin aux galettes pleines d’yeux…

Comme on trouve tout ce qu’on veut dans les vieux écrits, surtout entre les lignes, citons deux sortes de documents paroissiaux qui indiquent assez l’évolution de la culture.

D’abord le « Compte que rend Antoine Gautier, marguillier en charge de l’hœuvre et fabrique de la Visitation, seigneurie et fief de Tonnancour pour l’année 1784 ». (Le premier chapitre des recettes contient les sommes touchées des prédécesseurs, 2,019 livres ; (336.50 $) ; le deuxième, la vente de trente-et-un bancs, 102 livres (17 .$) ; le troisième, pour vingt-cinq services et enterrements, 47 livres ; le quatrième énumère les aumônes données à la quête de l’Enfant-Jésus et à la Fabrique. Il y a là des pages d’articles divers : un pain non-bénit, des tresses d’oignons, du savon, du tabac, du bœuf, du lard, des minots de bled, du sucre, du beurre, des bottes de foin, quinze livres de filasse, 22,700 vieux clous à bardeau, trois petits cochons, trois veaux et deux dindes.

Une autre année, on ajoutera : une pelle de bois, un tour de lit, un melon, un mouton, de la laine, une poule, une oye, un câble de chanvre (tressé à la maison, c’est clair !).

En comparant six rapports de visites pastorales échelonnées sur cinquante ans l’on pourra noter la variation des cultures par les dîmes. Quant au chiffre de la population, ceux de 1807 et de 1819 s’expliquent mal.

1789 1807 1819 1829 1833 1840
Communiants 760 250 530 650 850 850
Confirmés 49 100 82 111 170
Dîmes :Blé 211 110 190 100 200 80
Avoine 60 220 260 210 380
Pois 10 18 20 8 28
Seigle 38 16 15 15
Blé-seigle 6 15
Orge 16 4 6 30
Sarrasin 8 15 6

On note une fois 50 cordes de bois, 435 bottes de foin et 5 minots de gaudriole. On voit le genre de culture d’alors. L’industrie laitière n’est pas née. Quelques vaches sans race pacagent, minces et mornes, dans des enclos sans herbe, et hivernent à la paille, le poil long et la façon courte, dans des étables sans fenêtres. Il faut les voir sortir, au printemps, les pieds mous et le cou pelé… L’on n’est soigneux que des beaux chevaux, qui ne rapportent rien, qui ruinent leur homme, mais qui courent fort. L’automobile joue le même rôle.

Les gelées tardives de 1815 jettent la province dans la détresse : pas de grain, pas de pommes de terre. Le gouverneur-général, Drummond, prie Mgr Plessis de recueillir les informations sur la disette, en vue de fournir des secours directs (déjà !) à même les approvisionnements des troupes. Sur cent-quatre réponses reçues, treize paroisses, de Montréal-Richelieu ont du grain à vendre ; quarante, surtout de la région des Trois-Rivières, en ont assez pour vivre et pour semer ; vingt-quatre, d’un peu partout, ne pourront vivre et semer que difficilement ; enfin vingt-sept, presque toutes des paroisses nouvelles, dans Montcalm, la Beauce et à partir de Cacouna, n’ont déjà plus rien en février. C’est cet hiver-là que M. de Calonne payait le blé cinq piastres pour soutenir ses pauvres. En 1787-88 aussi, il avait fallu se serrer la ceinture et manger du son et des racines, c’est-à-dire des patates sauvages.

Deux autres calamités : l’inondation de 1865, qui donna le coup de mort au village du Grand-Machiche ; et celle de 1896, la grande-digue, où l’eau monta tellement que les cultivateurs d’en bas déménageaient le bétail sur des radeaux, et qu’on canotait par-dessus des garde-fous du pont du Moulin et dans la maison Mailhot : le piano des Bellemare était fixé au plafond.

c — Anciens usages

Inutile de dire que les vieilles coutumes canadiennes ont existé chez nous : sur le perron d’église, la vente pour les morts et la criée d’objets perdus ; le brayage du lin et le foulage de l’étoffe ; le maquignonnage et l’amour des chevaux ; les corvées de bâtiments ou de creusage de puits à brimbale ; et les cotillons, le goût du petit coup, les charivaris et la fringale d’éloquence. Oh, la politique ! elle va si fort, qu’en 1858, Monseigneur Baillargeon fait signer une pétition des paroisses au gouverneur Head pour qu’il passe une nouvelle loi électorale : « Vos pétitionnaires ont appris avec douleur que les dernières élections ont été accompagnées de fraudes, de violences, de parjures et d’assassinats. Chaque élection voit s’accroître et s’étendre cet esprit de désobéissance aux lois divines et humaines. Les fraudes et violences rendent illusoire le fonctionnement du système électif »… Et pourtant, le télégraphe n’était pas encore implanté.

Les bonnes mémoires nous parleront des instruments de travail de 1850 : des traits, non de cuir ou de fer, mais de « pelures de bois-blanc, tressés gros comme la moitié du poignet » ; des bandages de roues en bois, qu’on recourbait en les forçant entre des poteaux ; le fanal percé à chandelle, la lampe à huile-à-brûler, ou huile-à-bottes, ou huile de marsouin, dont la mèche était une lisière d’étoffe du pays. Une espèce de tige, — un manche — accrochait la lampe au plafond, protégé par une tôle. Pour épargner les allumettes, on regardait si la cheminée du voisin fumait. On allait y chercher des tisons dans un « porte-ordure » à couvert troué. Mais après que la petite Godin se fût brûlée en route, la coutume tomba.

L’on allumait le feu avec un briquet, ou batte-feu, qu’on frottait dur contre une pierre à feu, dont les étincelles tombaient sur des morceaux d’amadou, ou de tondre sec, fourni par les cœurs d’érables vieux. Le tondre passait de pipe en pipe, ou bien les allumettes de cèdre qu’on enflammait au foyer. Les anciens qui auraient pris cinq allumettes chimiques pour allumer cinq pipes, ou rien qu’une, se seraient affichés sur le bord de la ruine, à la veille de vendre leur terre !…

Il faut entendre conter aux Montour l’apparition de la première lampe à pétrole chez eux, après des hésitations et des calculs comme on n’en fait plus pour acheter un radio ! La mère avait dépaqueté la merveille avec un soin de rituel, en l’absence des enfants, vous comprenez. Quand elle l’eût placée, pour quelques minutes d’admiration, sur la grande table, bien à plomb, bien au fond, si un malheureux s’approchait de moins de trois pieds, non de la lampe mais de la table, quel haro : « Maman ! la lampe est cassée ! Il va la casser ! » Ils ont maintenant les lampes électriques à l’étable, au poulailler, et ils en cassent une par-ci par-là…

Les progrès ont été si rapides que la même génération aura connu tout cela, de même que la transition de la faucille et du fléau à la moissonneuse-batteuse.

En 1870 et 1880, les moissons jaunies voient toute la famille s’agenouiller devant elles, la faucille à la main, le soleil sur la tête, et la bonne humeur chez tous, pour d’écrasantes journées de fauchage. Poignée par poignée le grain tombe ; ça ne va pas bien vite : faucher son arpent dans sa journée méritait l’éloge suprême à une faucheuse.

Voilà bien que le père revient un jour du marché avec un javelier, lourde faux garnie de dents de bois qui retiennent la paille qu’on dépose en javelle droite.

Quand le jour de gloire est arrivé, le bonhomme se lance à grande envergure, dévorant, grouche, six pieds de large, et avançant de deux pieds à chaque coup, grouche ! à côté des jeunes qui zigonent de la faucille, cric, cric ! une pincée à la fois. Vous comprenez que le père s’en donnait : on aime toujours à éblouir la galerie, et grouche, et grouche ! Il ne réussit que trop, le vaillant champion. Quand il daigne se retourner, déjà au bout de la pièce, pour juger de l’effet, il aperçoit ses gâs et ses filles debout là-bas, qui contemplent le phénomène. Inutile de tant suer, le javelier va tout faucher à lui seul ! On s’assoit d’abord sur les talons, puis on se lève pour admirer mieux ; on échange son admiration : « Non, mais ça fauche-t-y ! » et l’on chôme.

Quelques années après le miraculeux javelier, la moissonneuse fait son apparition : c’est l’agriculture assise, les chevaux font tout. Puis c’est la moissonneuse-lieuse : on n’a même plus besoin d’engerber, de couper des harts, de plier les genouillères de cuir pour ceinturer les gerbes. Des enfants suffisent à grouper les bottines par quatre ou cinq, pour faire sécher la paille et javeler le grain. Maintenant l’avenir est à la moissonneuse-batteuse qui remplace la faucille, le javelier, le fléau, le battage en grange, et qui donnera aux fils et aux filles de la campagne tout le loisir de faire de l’auto, de la musique et de la neurasthénie. Et l’on aura vu tout ce progrès en une seule génération, celle qui atteint soixante-quinze ans.

d — Les villages

Outre le village actuel, nommé Village Sainte-Geneviève, l’ancien cadastre et le cahier de la seigneuresse Montour citent le village des Crête, aux Petites-Terres, le village des Alarie, en-bas, et le village Saint-Charles ou Terres des Lucas. Ce sont plutôt des hameaux français que des villages, car c’est ailleurs que l’on remarque des emplacements : au petit bourg sauvage du Tomaqua, en bas du moulin et de l’église, et au détour du nouveau chemin, séparation des fiefs Tonnancour et Gatineau, chez M. Jean Giroux. Ici étaient le quai et l’hôtel dont parle Franquet, en 1752, après sa visite aux Moulins de Tonnancour : « deux moulins, l’un à grains et l’autre à scies ; placé sur un ruisseau, et solidement construit. Les eaux y sont retenues par une digue revêtue en maçonnerie. Il est aisé de distinguer, par la dépense qu’on y a faite, qu’ils appartiennent à un homme riche. Tout auprès est l’église de la paroisse. À un quart de lieue sur la côte, l’on joint l’anse du fond du lac Saint-Pierre, à l’endroit d’un cabaret établi sur le bord de l’eau, » cabaret fréquenté des Sauvages et des canotiers : le bateau y attendait Franquet. On ne s’en douterait pas maintenant. Le gros hôtel rouge de la poste, tenu jadis par un Dupont (père d’Elzéar) à Pointe-Plage, est disparu avec la grève, ainsi que d’autres emplacements de navigateurs, de manœuvres et de bûcherons, en ces temps où le machinisme n’avait pas supprimé les trois-quarts du travail des hommes.

e — Soyons fiers

Aujourd’hui, ces villages sont remplacés par les villas et les camps de tourisme. L’ignominie du Coteau de sable a vécu, depuis que M. Gabias l’a proclamé le plus bel endroit de villégiature d’eau douce de la province. Hommage très agréable, et très juste évidemment, qu’aucun voyageur ou collégien n’eût accordé, avant la transformation de notre voirie.

Certes, les parts de la Pointe-du-Lac n’étaient pas cotées haut à la Bourse collégiale au début du XXe siècle… Oh ! ce n’était pas affaire de personnalités : les petits Pointus faisaient bien leur classe et n’étaient pas plus cruches que les autres. Mais il y avait leur coteau de sable ! Et la piquante bestiole qui vit proverbialement dans le sable faisait changer le nom si bien trouvé, en celui de Pointe-aux-Puces. Est-il possible !…

La race écolière, surtout les types d’Yamachiche, faisait semblant d’ignorer tout des beautés naturelles et des grandeurs historiques de cette douce voisine, pour n’y voir que le sable du village, dont les mille petits grains d’or s’écartaient gentiment sous les roues des voitures, pour se replacer tout pareils dans l’ornière en biseau, jusqu’à la voiture suivante. Pourtant c’était poétique, mais au ralenti, et les chevaux, pratiques plutôt que pégasiens, ne scandaient que de leurs coups de collier ces cinq ou six arpents de Sahara, qui les couvraient d’écume. Inutile alors d’afficher que la vitesse maxima était de vingt milles à l’heure ! Le meilleur palefroi n’allait pas à trois milles. Les compérages les plus huppés, les mariages les plus pressés, les tours de voiture les plus reluisants subissaient la calmante influence de notre sable : velit, nolit, Bucéphale était dompté, Bucéphale devenait rosse. Arrivait-il qu’un équipage allât bon train ? L’on se précipitait aux fenêtres, non pour admirer le fier destrier, mais pour conspuer le féroce cocher, qui ne pouvait être qu’un bourreau. Deux indices de mauvais caractère, chez nous : battre un cheval dans l’étable, ou le faire courir dans le village. On ne s’y trompait pas, et le forban ne trouvait pas à se marier.

Telle était l’avenue, la Première, la rue Ste-Catherine, Notre-Dame, Main et Principale, bifurquée aux deux bouts, flanquée d’érables de giguère, de reliques de trottoirs, de soupçons de galeries et de paisibles maisons de bois, qui toutes avaient connu un jour l’irréparable outrage de la chaux et de la peinture. Le modeste couvent de brique rouge, adossé aux pins, dérobait aux curieux le charme de ses jeunesses derrière des talles de lilas, impénétrables comme des bandeaux de coiffes.

L’imposant clocher de l’église, qui lance des reflets argentés, ferme la ligne, en faction rigide au coin de la route du lac et de celle de la station, près des manoirs et du Moulin, du vieux moulin seigneurial, classé depuis monument historique, terminus des attelages du dimanche, toujours débordant de vie, de visites et de plaisir, et où l’on tâtait le pouls de la paroisse. Sur l’étang de la chaussée, attractions variées des troncs flottants, des bains, de la pêche, du canotage, du patin et du coup d’œil dans un décor de pins et dans l’échancrure du lac St-Pierre, qui s’étalait comme la mer jusqu’à l’infini de la glace et de l’eau, avec le panache de fumées transatlantiques des deux-mâts ou des trois-mâts imposants, le Parisien, le Vancouver, le Canada, pointés vers les Îles de Sorel.

Toutes ces splendeurs n’existaient que pour nous ; les rustauds des Trois-Rivières ne voyaient que le sable et les obligatoires puces. Nous leur disions : « Oui, mais le lac…, le fleuve ? »… Ils rétorquaient : « Le sable ! » Nous reprenions : « La verdure…, les arbres ? »… — Les puces ! — Le bon air pur…, le soleil sur l’eau ?… — Les sauterelles ! — La cabane à sucre… la pêche à la truite ?… — Pas moyen de trotter ! — Les Bucoliques…, Virgile ?… — Le coteau de sable ! — Tas de rustauds, allez !

Le latin nous vengea : Pointe-Opus se traduisit par la Pointe du Travail, de l’Habileté, des Arts !…

Il y avait du vrai pour les sauterelles, pour le reste aussi. Nos terres légères rendaient bien, oui, rendaient à qui leur prêtait. Autrement, ce n’étaient que friches maigres, peuplés de vaches maigres, beuglant comme des vaches maigres. Les fermes sableuses des hauts de rangs, quand on parvenait à y faire pousser quelque chose, recevaient la visite des sauterelles écloses à St-Étienne, qui dévoraient tout : l’on ne sauvait que les clôtures. En a-t-on fait des processions pour les conjurer ! Les poules en mangeaient tant qu’elles pouvaient, puis elles pondaient à se faire mourir et les gens des Trois-Rivières trouvaient les œufs extra ! Ex malo bonum.

Pas encore de touristes, ni de Pointe-du-Lac-les-Bains, ni de ces charmantes villas sur le coteau de sable, où l’on allait courir nu-pieds, prendre des bains de soleil sans le savoir, et regarder le lac sans connaître les mots de poésie, artiste, paysage, lignes d’horizon et tout ça… mais on trouvait ça beau et ça faisait quelque chose. Un brave homme eut l’idée d’acheter pour 25,00 $ cette éblouissante dune, comparable aux déserts de la Libye, d’y planter les arbrisseaux précurseurs des villas, d’y planter même une vache. La malheureuse n’y trouvant pas « Le foin que peut manger une poule en un jour, » se lança dans la poésie, dans le rêve, dans la contemplation idyllique du soleil qui monte et qui baisse, de la vague qui meurt, des bateaux aux flancs noirs qui fendent la mer divine. Comment se peut-il que la merveilleuse Pointe n’ait pas encore produit son Horace pour chanter Tibur, et son Virgile pour immortaliser les Rapports du Cercle agricole ?…

Peut-être les bourgeois des Trois-Rivières nous eussent-ils découverts plus tôt ? Les collégiens de Nicolet, héritiers d’âmes proverbialement artistes, nous devinèrent à distance et, en 1898, dans une excursion qui était un hommage, cinglèrent vers nos rives, se réjouirent l’œil, musique en tête pour sérénader tout ça, donnèrent congé aux enfants du catéchisme et s’amusèrent ferme dans le bocage du couvent : les douces enfants de Marie ne parurent pas de la journée. Poésie pure.

Dans cet heureux asile,

De l’innocence et de la paix… Les Nicolétains ne sont pas revenus.

Si l’on se donne la peine de remonter dans le passé, on a vu que notre panache remonte aussi !

Que si nos beautés naturelles et nos grandeurs historiques ne suffisaient pas, nous remonterions à la préhistoire, et voici pour nous le témoignage, d’une impartialité méritoire, de l’excellent Trifluvien que fut Benjamin Sulte :

« Au temps où le lac Saint-Pierre couvrait la Banlieue, il battait le flanc des coteaux, et, d’autre part, le Saint-Maurice s’épanchait, depuis le Cap-aux-Corneilles, sur les terres de la haute-ville pour se confondre avec le Saint-Laurent vers la descente actuelle du coteau, au bout nord-ouest de la rue des Forges. La Pointe-du-Lac était à cet endroit. L’embouchure du Saint-Maurice allait de là au Cap-de-la-Madeleine ; deux îles, le Platon et la pointe aux Iroquois, se montraient seules au large. On comprend que cette description se rapporte à des milliers d’années en arrière. Les eaux en s’abaissant, par la suite, découvrirent la haute ville, puis la Banlieue »… puis toute cette vallée du Saint-Laurent jusqu’à Arthabaska, jusqu’à Lanoraie, qui fait aujourd’hui parler d’elle. La colline sableuse des basses Laurentides formait l’ancienne plage. Comment prouver cela ? Voici : —

« Autrefois, dans les âges géologiques, le Saint-Laurent était barré un peu au-dessus de Québec, aux rapides actuels appelés Richelieu, (aux Grondines, non à Sorel), par un amoncellement de pierres qui donnaient lieu à une chute puissante, peut-être aussi haute que la Shawinigan ou la Niagara, et l’eau, à partir de cet endroit jusqu’à Montréal, s’élevait dans le fleuve à un niveau proportionné. Le lac Saint-Pierre s’évasait au nord ; ses vagues allaient battre les coteaux… »

La Pointe-du-Lac s’est retirée, s’est retirée à la campagne, tels les connaisseurs et les gros bonnets. Elle a voulu mener une bonne petite vie tranquille, dans l’apaisante douceur de la brise et de la lumière. Les citadins qui y vont conduire leurs filles au pensionnat rencontrent nos ruraux qui amènent leurs fils au Séminaire : O admirabile commercium ! Le vent d’ouest qui souffle de chez-nous apporte aux Trois-Rivières l’assurance du beau soleil pour les congés ; le vent de nord-est qui nous empoisonne des sales relents de la Wayagamack est un présage de mauvais temps. Les heureux en affaires — le Beatus ille qui, procul negotiis, ut prisca gens mortalium, d’Horace —, viennent chez-nous chercher l’air et la santé : nos gens vont en ville chercher des places, du pain, quand il y en a, car l’établissement de nos jeunes gens est un problème ; le trop-plein doit se déverser quelque part, et on ne le canalise pas. Et dire que notre pays n’est pas encore défriché…

f — Conclusion

Lecteurs de chez nous, qui savez beaucoup plus que moi le passé récent de notre chère paroisse, vous êtes peut-être déçus de ne pas trouver plus de détails d’un intérêt immédiat, et de trouver tant de considérations générales qui touchent plutôt l’histoire du pays. Un double écueil se pose devant l’auteur d’une monographie : n’intéresser qu’un tout petit groupe en parlant de toutes petites choses, et alors on ne fait pas connaître sa paroisse aux compatriotes du dehors ; ou bien rattacher des faits locaux à la vie plus large de la région et de tout le pays ; la paroisse prend alors le pas dans l’histoire générale, mais les paroissiens se sentent moins chez eux, la compagnie est trop grande.

Qu’on veuille bien excuser les longueurs, les inexactitudes, les omissions de faits importants. Dans un ouvrage pressé, écrit à distance et limité à tant de pages, on ne peut tout savoir et tout dire. Malgré les insuffisances, ces pages aideront à faire mieux aimer la petite patrie, à informer les visiteurs de la beauté ancienne, à obtenir que la jeunesse continue la grandeur morale, la vigueur de corps et d’esprit, la gaieté débrouillarde, honnête et polie d’autrefois.

Le passé n’est pas un état mort, c’est un tremplin, une prise d’élan vers un avenir encore meilleur. « L’Histoire est une morale en exemples, a dit un philosophe, c’est la conscience du genre humain ». Elle nous dicte des devoirs de foi et de patriotisme auxquels nous serons fidèles.

Nous jouissons d’un des sites les plus admirables de la voie nationale. Quand les touristes à milliers nous voient vivre, s’ils remarquent une différence trop forte entre la qualité du paysage et la qualité des gens, nous sommes coupables d’injustice envers notre race et notre Coin de patrie.

On raconte que l’Anglais converti, William Filch, qui vivait au temps où nos pères venaient s’établir ici, avait traversé en France pour s’initier complètement à la vie catholique, et qu’il ne fut pas désillusionné : « Nous arrivâmes au port désiré, savoir en un pays catholique, là où premièrement je vis ce que je n’avais jamais encore vu : la majesté, beauté et magnificence de notre Église, et qu’avec grande joie et contentement je remarquai le bel ordre qui s’y voit »…

Que cette impression favorable se produise aussi chez nous, où l’on sait tout le monde catholique et français. Que les visiteurs des États-Unis et de l’Ontario nous reconnaissent encore pour un peuple de gentilshommes.

Et toi, jeune génération, qui continueras la vie puissante sur la terre ancestrale ou qui devras partir fonder ailleurs un foyer impossible chez nous, ne te laisse pas éblouir par le tapage américain, et redis-toi les réflexions qui terminent le roman de « La Campagne Canadienne, » alors que le docteur François Barré repart, après une rafraîchissante semaine chez nous, et qu’il compare les États-Unis à sa Pointe-du-Lac :

« Dans les chars, François prit place du côté du fleuve, afin de revoir une dernière fois le rang de la banlieue et la maison paternelle. La figure à la fenêtre, il expliquait à sa fille le paysage que l’on traversait, puis il reconnut la ferme de son père, la montra à Gladys et se tut. Le soleil de quatre heures éclairait violemment les maisons et toute cette belle campagne. Dans les champs, François put reconnaître ses frères et ses neveux qui, après son départ, avaient repris leur travail et s’interrompaient un instant pour agiter leurs mains vers le train en fuite ; puis ce furent d’autres champs, un autre paysage, une large éclaircie sur le lac Saint-Pierre, puis le médecin pressentit déjà les villes et les États-Unis qui allaient le ressaisir et l’engloutir tout entier.

Tandis qu’en arrière les siens reprendraient leurs paisibles travaux, leurs soirées de famille, leurs jeux, leurs visites, lui, il recommencerait la lutte pour la vie dans un monde bien différent. Deux civilisations s’étaient offertes à lui : l’une simple, patriarcale, essentiellement catholique et conservatrice ; l’autre, éblouissante et tapageuse, protestante et matérialiste. Il avait opté pour celle-ci, s’y était laissé prendre dans un engrenage irrésistible ; aujourd’hui il en était victime et ne pouvait pas revenir en arrière.

Et comme le train en marche traversait les grasses prairies de Louiseville et de Maskinongé, et comme on entendait à chaque station monter les claires syllabes françaises et qu’on voyait pénétrer dans le wagon de larges figures honnêtes et des yeux pleins de candeur, et comme ces villageois et ces cultivateurs le regardaient avec admiration, peut-être avec envie, lui et la belle jeune fille qui l’accompagnait, François se prit à formuler ce vœu, où se mêlait presque une prière : « Braves gens du Canada français, hommes et femmes de chez nous, garçons robustes et chastes jeunes filles, vous qui me voyez passer et qui me croyez heureux, puissiez-vous apprécier pleinement votre propre bonheur, puissiez-vous estimer justement votre propre mérite, puissiez-vous rester toujours ce que vous êtes, glorieux héritiers, fidèles conservateurs de tout ce que la France déposa jadis de plus noble et de plus saint sur la terre d’Amérique ! Ne nous enviez pas, ne nous imitez pas ; restez chez vous, restez vous-mêmes, où vous êtes ; gardez les traditions des temps passés, pour que vos fils ressemblent à nos pères et qu’en revenant parmi eux nous nous sentions toujours chez nous. »

(cum permissu superiorum)

Table des Matières


  1. Nom venu de l’allemand qui signifie BON AMI. Autres formes : Geoffry, Jouffroy, Geoffre…
  2. Ce M. de Ramezay, gendre et beau-frère des seigneurs de la Pointe-du-Lac, sera, vingt ans plus tard, le signataire un peu pressé de la Capitulation de Québec.