Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 83-87).

e — Soyons fiers

Aujourd’hui, ces villages sont remplacés par les villas et les camps de tourisme. L’ignominie du Coteau de sable a vécu, depuis que M. Gabias l’a proclamé le plus bel endroit de villégiature d’eau douce de la province. Hommage très agréable, et très juste évidemment, qu’aucun voyageur ou collégien n’eût accordé, avant la transformation de notre voirie.

Certes, les parts de la Pointe-du-Lac n’étaient pas cotées haut à la Bourse collégiale au début du XXe siècle… Oh ! ce n’était pas affaire de personnalités : les petits Pointus faisaient bien leur classe et n’étaient pas plus cruches que les autres. Mais il y avait leur coteau de sable ! Et la piquante bestiole qui vit proverbialement dans le sable faisait changer le nom si bien trouvé, en celui de Pointe-aux-Puces. Est-il possible !…

La race écolière, surtout les types d’Yamachiche, faisait semblant d’ignorer tout des beautés naturelles et des grandeurs historiques de cette douce voisine, pour n’y voir que le sable du village, dont les mille petits grains d’or s’écartaient gentiment sous les roues des voitures, pour se replacer tout pareils dans l’ornière en biseau, jusqu’à la voiture suivante. Pourtant c’était poétique, mais au ralenti, et les chevaux, pratiques plutôt que pégasiens, ne scandaient que de leurs coups de collier ces cinq ou six arpents de Sahara, qui les couvraient d’écume. Inutile alors d’afficher que la vitesse maxima était de vingt milles à l’heure ! Le meilleur palefroi n’allait pas à trois milles. Les compérages les plus huppés, les mariages les plus pressés, les tours de voiture les plus reluisants subissaient la calmante influence de notre sable : velit, nolit, Bucéphale était dompté, Bucéphale devenait rosse. Arrivait-il qu’un équipage allât bon train ? L’on se précipitait aux fenêtres, non pour admirer le fier destrier, mais pour conspuer le féroce cocher, qui ne pouvait être qu’un bourreau. Deux indices de mauvais caractère, chez nous : battre un cheval dans l’étable, ou le faire courir dans le village. On ne s’y trompait pas, et le forban ne trouvait pas à se marier.

Telle était l’avenue, la Première, la rue Ste-Catherine, Notre-Dame, Main et Principale, bifurquée aux deux bouts, flanquée d’érables de giguère, de reliques de trottoirs, de soupçons de galeries et de paisibles maisons de bois, qui toutes avaient connu un jour l’irréparable outrage de la chaux et de la peinture. Le modeste couvent de brique rouge, adossé aux pins, dérobait aux curieux le charme de ses jeunesses derrière des talles de lilas, impénétrables comme des bandeaux de coiffes.

L’imposant clocher de l’église, qui lance des reflets argentés, ferme la ligne, en faction rigide au coin de la route du lac et de celle de la station, près des manoirs et du Moulin, du vieux moulin seigneurial, classé depuis monument historique, terminus des attelages du dimanche, toujours débordant de vie, de visites et de plaisir, et où l’on tâtait le pouls de la paroisse. Sur l’étang de la chaussée, attractions variées des troncs flottants, des bains, de la pêche, du canotage, du patin et du coup d’œil dans un décor de pins et dans l’échancrure du lac St-Pierre, qui s’étalait comme la mer jusqu’à l’infini de la glace et de l’eau, avec le panache de fumées transatlantiques des deux-mâts ou des trois-mâts imposants, le Parisien, le Vancouver, le Canada, pointés vers les Îles de Sorel.

Toutes ces splendeurs n’existaient que pour nous ; les rustauds des Trois-Rivières ne voyaient que le sable et les obligatoires puces. Nous leur disions : « Oui, mais le lac…, le fleuve ? »… Ils rétorquaient : « Le sable ! » Nous reprenions : « La verdure…, les arbres ? »… — Les puces ! — Le bon air pur…, le soleil sur l’eau ?… — Les sauterelles ! — La cabane à sucre… la pêche à la truite ?… — Pas moyen de trotter ! — Les Bucoliques…, Virgile ?… — Le coteau de sable ! — Tas de rustauds, allez !

Le latin nous vengea : Pointe-Opus se traduisit par la Pointe du Travail, de l’Habileté, des Arts !…

Il y avait du vrai pour les sauterelles, pour le reste aussi. Nos terres légères rendaient bien, oui, rendaient à qui leur prêtait. Autrement, ce n’étaient que friches maigres, peuplés de vaches maigres, beuglant comme des vaches maigres. Les fermes sableuses des hauts de rangs, quand on parvenait à y faire pousser quelque chose, recevaient la visite des sauterelles écloses à St-Étienne, qui dévoraient tout : l’on ne sauvait que les clôtures. En a-t-on fait des processions pour les conjurer ! Les poules en mangeaient tant qu’elles pouvaient, puis elles pondaient à se faire mourir et les gens des Trois-Rivières trouvaient les œufs extra ! Ex malo bonum.

Pas encore de touristes, ni de Pointe-du-Lac-les-Bains, ni de ces charmantes villas sur le coteau de sable, où l’on allait courir nu-pieds, prendre des bains de soleil sans le savoir, et regarder le lac sans connaître les mots de poésie, artiste, paysage, lignes d’horizon et tout ça… mais on trouvait ça beau et ça faisait quelque chose. Un brave homme eut l’idée d’acheter pour 25,00 $ cette éblouissante dune, comparable aux déserts de la Libye, d’y planter les arbrisseaux précurseurs des villas, d’y planter même une vache. La malheureuse n’y trouvant pas « Le foin que peut manger une poule en un jour, » se lança dans la poésie, dans le rêve, dans la contemplation idyllique du soleil qui monte et qui baisse, de la vague qui meurt, des bateaux aux flancs noirs qui fendent la mer divine. Comment se peut-il que la merveilleuse Pointe n’ait pas encore produit son Horace pour chanter Tibur, et son Virgile pour immortaliser les Rapports du Cercle agricole ?…

Peut-être les bourgeois des Trois-Rivières nous eussent-ils découverts plus tôt ? Les collégiens de Nicolet, héritiers d’âmes proverbialement artistes, nous devinèrent à distance et, en 1898, dans une excursion qui était un hommage, cinglèrent vers nos rives, se réjouirent l’œil, musique en tête pour sérénader tout ça, donnèrent congé aux enfants du catéchisme et s’amusèrent ferme dans le bocage du couvent : les douces enfants de Marie ne parurent pas de la journée. Poésie pure.

Dans cet heureux asile,

De l’innocence et de la paix… Les Nicolétains ne sont pas revenus.

Si l’on se donne la peine de remonter dans le passé, on a vu que notre panache remonte aussi !

Que si nos beautés naturelles et nos grandeurs historiques ne suffisaient pas, nous remonterions à la préhistoire, et voici pour nous le témoignage, d’une impartialité méritoire, de l’excellent Trifluvien que fut Benjamin Sulte :

« Au temps où le lac Saint-Pierre couvrait la Banlieue, il battait le flanc des coteaux, et, d’autre part, le Saint-Maurice s’épanchait, depuis le Cap-aux-Corneilles, sur les terres de la haute-ville pour se confondre avec le Saint-Laurent vers la descente actuelle du coteau, au bout nord-ouest de la rue des Forges. La Pointe-du-Lac était à cet endroit. L’embouchure du Saint-Maurice allait de là au Cap-de-la-Madeleine ; deux îles, le Platon et la pointe aux Iroquois, se montraient seules au large. On comprend que cette description se rapporte à des milliers d’années en arrière. Les eaux en s’abaissant, par la suite, découvrirent la haute ville, puis la Banlieue »… puis toute cette vallée du Saint-Laurent jusqu’à Arthabaska, jusqu’à Lanoraie, qui fait aujourd’hui parler d’elle. La colline sableuse des basses Laurentides formait l’ancienne plage. Comment prouver cela ? Voici : —

« Autrefois, dans les âges géologiques, le Saint-Laurent était barré un peu au-dessus de Québec, aux rapides actuels appelés Richelieu, (aux Grondines, non à Sorel), par un amoncellement de pierres qui donnaient lieu à une chute puissante, peut-être aussi haute que la Shawinigan ou la Niagara, et l’eau, à partir de cet endroit jusqu’à Montréal, s’élevait dans le fleuve à un niveau proportionné. Le lac Saint-Pierre s’évasait au nord ; ses vagues allaient battre les coteaux… »

La Pointe-du-Lac s’est retirée, s’est retirée à la campagne, tels les connaisseurs et les gros bonnets. Elle a voulu mener une bonne petite vie tranquille, dans l’apaisante douceur de la brise et de la lumière. Les citadins qui y vont conduire leurs filles au pensionnat rencontrent nos ruraux qui amènent leurs fils au Séminaire : O admirabile commercium ! Le vent d’ouest qui souffle de chez-nous apporte aux Trois-Rivières l’assurance du beau soleil pour les congés ; le vent de nord-est qui nous empoisonne des sales relents de la Wayagamack est un présage de mauvais temps. Les heureux en affaires — le Beatus ille qui, procul negotiis, ut prisca gens mortalium, d’Horace —, viennent chez-nous chercher l’air et la santé : nos gens vont en ville chercher des places, du pain, quand il y en a, car l’établissement de nos jeunes gens est un problème ; le trop-plein doit se déverser quelque part, et on ne le canalise pas. Et dire que notre pays n’est pas encore défriché…