Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 75-78).

a — Petites industries

Le P. Lejeune écrit dans les Relations de 1635 : « Quand Dieu aura béni ces contrées d’une peuplade de Français, on trouvera mille biens et mille commodités sur le pays, que ces Barbares ignorent. » Réflexion inspirée du fait qu’un Algonquin venu « de bien avant dans les terres » a montré aux Français, arrivés depuis six mois aux Trois-Rivières, le secret inconnu aux Montagnais de prendre du poisson sous la glace. La tradition s’est continuée du petit poisson des chenaux !

Dès 1670, l’intendant Talon avait profité d’un naufrage qui l’avait jeté à Lisbonne, pour engager des Portugais à établir ici l’industrie des savons mous. Il voulait transformer les cendres d’abatis en perlasse, et remplacer à Paris la soude d’Espagne, la potasse de Moscovie et les savons mols de Hollande. Il évaluait à 40 francs le coût du défrichement d’un arpent de terre, dont le brûlage fournirait 20 à 24 barriques de cendres vendues 2 francs et chargées sur des barques. C’était la colonisation gratuite, mais les gouvernants n’y comprirent pas grand’chose.

Duchesneau reprendra la tentative et la perlasse constituera une des sources de revenus des colons, de même que les planches et madriers, les cercles, douelles et fonds de tonneaux, les rames de frêne et le bardeau, en attendant que le sol fournisse la graine de lin, la farine et les pois.

L’eau d’érable connue des Sauvages, le fut bientôt de Pierre Boucher : « Quand on entaille ces érables au printemps, il en dégoutte quantité d’eau, plus douce que de l’eau détrempée dans du sucre, et plus agréable à boire. » En 1685, le docteur Michel Sarrasin a l’idée de l’analyser, de la faire bouillir. On devine le résultat : la trempette, le sirop, la tire et les pains de sucre étaient nés. Il en dresse un savant mémoire pour l’Académie des Sciences, en 1730 : « Trois conditions pour que la sève soit sucrée : 1o  que le pied de l’érable soit couvert de neige ; il en faudrait apporter s’il n’y en avait pas ; 2o  que cette neige soit fondue par le soleil et non par un air doux ; 3o  qu’il ait gelé, la nuit précédente. »

L’entreprenante madame de Repentigny, initiatrice des droguets et des couvertures, lancée aussi dans les sucres, affirme en 1706 qu’il s’en fait plus de 30,000 livres rien qu’à Montréal. Les récits de Kalm et de Boisseau nous décrivent le système d’exploitation : il a duré sans changement jusqu’à l’invention des bouilloires de fer-blanc rayé.

La Pointe-du-Lac a toujours aimé à faire du sucre : qu’il se vende bien ou mal, que le printemps soit bon ou petit, qu’on s’esquinte, qu’on s’éreinte et qu’on se mouille à faire la ramasse, ça ne fait rien : on guette le temps du dégel, comme les Gaspésiens guettent la morue. On a cela dans le sang. Il y a là aussi une mystique, à base d’espérance, comme le goût du risque et des gageures. On a hâte d’entailler, on est content de dégreyer ; après le pire échec et les pires fatigues, on est certain de recommencer.

Vers 1860, nos érablières ne suffisaient pas : on montait, avec du lard et de la farine pour un mois, par le chemin de Shawinigan, faire du sucre sur les lots de colonisation de Mont-Carmel et de Saint-Mathieu. On en rapportait un voyage de sirop, de sucre et d’aventures de cabane… Ce n’est pas pour rien que la feuille d’érable a supplanté le castor comme emblème national : la traite des fourrures a fini son temps, l’érable vivra autant que nous, il se plante devant la porte, il nous suit en ville ; nous le buvons, nous le mangeons, et il est nôtre.

Bière et petite bière. — Les Français n’ont jamais aimé à boire de l’eau. Champlain et Maisonneuve établirent des brasseries, Talon de même et les frères Charron, pour tuer la traite de l’eau-de-vie. Le vin reprenait le dessus dès qu’il ne se vendait pas trop cher. L’été, les défricheurs isolés utilisent la tête d’épinette blanche pour se rafraîchir de petite bière. Ils se réchauffent avec de la bière d’orge, excellente pour la santé. Ajoutez à ces menus et peu dispendieux plaisirs, le tabac canadien, qui rivalise sans retard et sans trust avec le petun des Sauvages. Une bonne pipée fait encore du bien, après le travail, sur le perron de l’église, chez les flâneurs des arrière-magasins, mais pas chez les femmes.

mines

Nos trois filons de minerai de fer ne s’épuisèrent pas complètement aux Vieilles Forges. Les établissements que MM. Turcette, Larue et Hall fondèrent et firent bénir par Mgr Cooke, aux Forges Radnor, en 1854, ramenèrent la mode de « laver de la mine ». Vingt ans après, l’incendie consume l’usine ; des Anglais remettent l’affaire en marche ; nos gens lavent encore de la mine, jusqu’à cent chars et plus par année, vers 1900. On essaie ensuite de l’ocre, ou oxyde de fer, sorte de terre rouge, molle, qu’on nomme « de la peinture », qu’on a tenté de convertir en fer, mais que M. Argall expédie encore aux États-Unis, pour en faire de la peinture. Cette ocre, peu fertile, se trouve sous l’herbe, l’on n’a qu’à la charroyer au chemin de fer et à la remplacer par de la glaise pour se faire de bons salaires et de bonnes terres.

moulins

Après la terre, l’eau. Pas de moulins à vent, chez nous : trois petites rivières nous suffisent. Au centre, le moulin seigneurial, en léthargie depuis que les Frères l’ont acheté de M. Thomas Garceau, en 1925, pour 18,500 $ ; dans le fief Gatineau, sur la rivière-aux-Glaises (ou la rivière-aux-Loutres), depuis une centaine d’années, les Garceau broient les grains, scient la planche et cardent la laine.

Pour établir un fils, M. Euchariste Garceau ajoute trois moulanges à la scierie qu’il achète de M. Théophile Rouette, sur la Rivière-aux-Sables, plus bas que le moulin à carder, aujourd’hui mort, bâti vers 1850 par un M. Brown, exploité par MM. Léguine, (Higgins ou Nelligan ?), Jean Dupont et Milette : pourquoi des moulins à carder quand on ne garde plus de moutons ? Pourquoi élever des moutons qui sautent les clôtures ordinaires, qui rasent plus ras que les vaches, qui se font courir et manger par les chiens, et dont les ranches de l’Ouest encombrent le marché ?…

Pour être plus près des colons que la seigneuresse Montour place, de 1810 à 1817, dans le haut de la paroisse, aux 5e , 6e , 7e  rangs et Saint-Nicolas, M. Léandre Martin bâtit un moulin au 6e  rang (des Comeau) sur la petite rivière qui s’y jette dans la rivière St-Charles. Moulin disparu depuis 1880, alors que diminuaient la construction, le bois, le blé et l’eau.

Cinq ou six petites chutes dans une seule localité sont une bénédiction du ciel, qui devrait se changer en électricité, lumière, force et chaleur. Les hauts bénéficient des dernières ondulations des Laurentides. Terrains sourceux, ils alimentent trois ou quatre aqueducs, ils s’égouttent en ruisseaux peuplés de truites et de goujons, vers le lac à deux cents pieds de niveau. Sait-on bien que certaine marque officielle gravée au-dessus d’un soupirail Est de l’église indique la différence de niveau d’avec la mer moyenne à Halifax, et que cette différence n’est que de 23 pieds ?

Une lettre de M. Charles Chaloner, du ministère de la Marine, à M. le curé, donne ces détails : « En 1926, nous avons marqué votre église comme ceci

B (C) M
MMMXXVII.

Le milieu du morceau de cuivre est 50,66 pieds plus haut que le niveau de la mer à Halifax, N.-E. L’eau extrêmement basse de 1897 du lac Saint-Pierre était 8 pieds au-dessus de la mer, et l’eau haute de la Semaine-Sainte, en 1865, était 38 pieds plus haute que la mer. »