Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 65-68).

b — L’hommage au Seigneur

Une vieille coutume française un peu militaire, un peu civile, ramenait, chaque premier jour de mai, la plantation d’un mai devant la porte principale de la maison du seigneur. C’était un joyeux hommage, une partie de plaisir, ainsi qu’on peut le lire dans Les Anciens Canadiens de M. de Gaspé.

Un simple sapin écorcé blanc jusqu’au bouquet, surmonté d’un bâton rouge orné d’une girouette ; un rassemblement de censitaires armés ; une délégation de vieillards qui demandent au seigneur la permission de planter le mai ; une prière à Dieu pour qu’il n’arrive pas d’accident ; la descente au ralenti du pied de l’arbre dans la terre ; offrande au noble du mai et d’un gobelet de rhum : « Plairait-il à notre seigneur d’arroser le mai avant de le noircir ? » — libations fraternelles, cris de Vive le Roi ! Vive le seigneur ! coups de fusil et poudre brûlée pour noircir le mât, feu d’artifice et déjeuner de tous au Manoir, telle était la cérémonie matinale, qui se continuait au milieu des chants, des détonations et de la gaieté générale d’un grand congé.

Les seigneurs Coffin et Montour, qui comprenaient peu l’âme canadienne, ont laissé tomber cette fête en désuétude. Ce n’était pas leur genre.

D’après notre système féodal du gouvernement-propriétaire qui concédait des étendues de terre à des seigneurs qui sous-concédaient aux censitaires, les seigneurs « étaient tenus de faire et porter foi » aux gouverneurs, et cette coutume demeura jusqu’à l’abolition de la tenure. Ainsi l’on voit, en 1781, M. de Tonnancour, décliner en détail devant Haldimand les titres de ses cinq « fiefs et seigneuries relevant en plein fief de Sa Majesté, et à l’instant s’étant mis en devoir de vassal, tête nue sans épée ni éperons et un genouil en terre aurait dit à haute et intelligible voix qu’il rendait et portait au Roy entre nos mains la foy et hommage lige qu’il est tenu de rendre et porter au château Saint-Louis de Québec…, et a fait souscrit et entre nos mains le serment de bien et fidèlement servir Sa Majesté et de nous avertir et nos successeurs s’il apprend qu’il se fasse quelque chose contre son service… »

En 1830, la seigneuresse Montour se contente d’envoyer son notaire Dumoulin se mettre pour elle « en devoir de vassal tête nue, sans épée ni éperons et un genouil en terre » devant le gouverneur Kempt. Ces notaires, tout de même !…

Comment voyage-t-on ? En canot d’abord, sur les rivières, les chemins qui marchent. Puis l’ère commence des voyages par terre. Le grand-voyer Lanouiller de Boiscler termine, en 1734, le Chemin du Roi, de Québec à Montréal, et organise la poste ou service de diligences. Les chemins sont à la charge des habitants, qui ne goûtent pas trop les corvées nombreuses dirigées par les sous-voyers. Les chemins royaux ou de poste doivent avoir trente pieds de large, entre deux fossés de trois pieds.

Résumons ce qu’en dit Isaac Weld, dans son récit de Voyage au Canada 1795, 1796 et 1797 : « On ne trouve point dans toute l’Amérique septentrionale de route aussi commode et aussi bien servie que celle qui conduit de Québec à Montréal. À distances fixes, des maîtres de poste sont tenus d’avoir chez eux quatre calèches, et autant de carrioles pour l’hiver ; de servir les voyageurs dans un quart-d’heure, le jour, et une demi-heure la nuit ; et de courir à raison de deux lieues par heure et au tarif d’un chelin par lieue, sans pourboire. Les calèches sont préférables aux diligences américaines, qui cahotent à rompre les côtes… Les chevaux du Canada sont petits et lourds, mais infatigables. On n’en prend aucune espèce de soin : une course finie, on les renvoie au champ, d’où on les ramène pour la suivante. Pour activer l’allure, il suffit d’une gratification, ou mieux d’un souffle de vanité : on loue l’adresse du cocher, l’excellence des chevaux canadiens, Mais si l’on veut leur faire prendre le grand galop, l’on n’a qu’à observer à son compagnon, de manière à être entendu des postillons, que les calèches du Canada sont les voitures du monde les plus détestables, que les chevaux sont si mauvais qu’il y aurait danger à les faire courir au galop, comme dans les autres pays, et surtout dans les États-Unis… Alors leur amour-propre est piqué au vif, et les coups de fouet répétés assurent le succès de leurs chevaux… Le fréquent usage du commandement « marche donc » a fait donner ce surnom aux calèches. »

En 1799, les maîtres de postes des environs étaient Pratt aux Trois-Rivières, J. Panneton à la Pointe-du-Lac, Jean Lord à Machiche, puis Forbes, Belaire, etc. Le relai de Panneton se trouvait au détour, aux camps actuels de M. J.-B. Rouette, où la grève rongée a envahi d’une centaine de pieds. Le quai a disparu, la grosse hôtellerie rouge aussi et même son emplacement, et le chemin a dû rentrer dans les terres, comme aussi à la Banlieue et à l’Acadie, par suite de la débâcle du printemps. Maintenant que les brise-glace préviennent les inondations, il est souhaitable que la voirie se rappelle l’ancien tracé, afin d’éviter aux touristes plusieurs traverses de chemins de fer. Car chemin de fer il y a depuis cinquante-cinq ans.

En 1876, le Chemin de fer du Nord, vendu ensuite par le Ministre Sénécal au Canadien-Pacifique, se construit au milieu de la paroisse, et les plates-formes chargées de gravier avancent quelques cents pieds tous les jours. Les trains circulent à partir de 1879, et donnent un sérieux coup à la navigation d’alors. On ne verra bientôt plus descendre les cages de bois des chantiers d’Ottawa ; les barges à voiles et les chalands se feront rares, les poètes n’auront plus à raconter le naufrage de la « Julie-Plante » et la noyade du captinne et de Rosie, par une nuit d’ouragan :

On wan dark night on Lac St-Pierre,
De wind she blow, blow, blow…

et notre cimetière des noyés sans scapulaire disparaîtra. Seuls, quelques fervents de la navigation vont encore charger des bateaux de pommes à la montagne de Belœil : les autres se contentent d’aller pêcher aux plaines et de regarder passer les navires. C’est la morale du Docteur Drummond :

You can’t get drown on Lac St-Pierre
So long you stay on shore.

(On ne se noie pas tant qu’on reste sur le bord).

Notre lac, assez creux pour l’Émerillon et pour les barges, ne vaut rien pour les géants des mers. Dès 1825, il est question d’y creuser un chenal. Un capitaine Vaughan commence et rate en 1845 son creusage d’une route droite ; on suivra le chenal naturel, et en 1855, la profondeur est de seize pieds. Mais les tonnages augmentent vite, et l’on creuse toujours : les 27 ½ pieds actuels ne suffisent pas, et ce sont les Trois-Rivières et le port Saint-François qui devraient tirer profit du lac-barrière.