Les éditions du Bien public ; Les Trois-Rivières (p. 10-13).

b — Le site

La Pointe-du-Lac jouit du fleuve Saint-Laurent, et du beau lac Saint-Pierre, de 25 milles de long jusqu’à Sorel, et de 9 milles de large, terminus de la marée, agrément des yeux, agrément des pêcheurs, bassin de la navigation océanique.

Le 28 septembre 1535, Jacques Cartier remontant vers Hochelaga, arrive à « un grand lac et plaine du dit fleuve, et navigue ce jour à mont le dit lac sans trouver plus de deux brasses de parfond, et, à l’autre bout, ne nous apparaissait aucun passage, ni sortie… » D’où il est clair que l’Émerillon suivait la rive nord, et doubla notre pointe du lac d’Angoulême.

Le 28 juin 1603, c’est Champlain qui part des Trois-Rivières et vient « mouiller l’ancre à un lac où il y a quatre lieues. Tout ce pays est terre à fleur d’eau, et du côté du sud quelque peu plus haute. La dite terre est très bonne et la plus plaisante que nous eussions encore vue… » Le lendemain, fête de S. Pierre, le lac reçoit son nom, cinq ans avant la fondation de Québec.

« Terre très bonne, c’est la Banlieue ; et la plus plaisante, » c’est la Pointe-du-Lac, qu’il faut savoir contempler d’un bateau.

En 1634, Laviolette construit un fort de traite, en attendant mieux. « Commercer, c’est métier de marchand ; coloniser, c’est métier de roi, » dit l’axiome en vogue.

Pierre Boucher, qui a de l’allant, ouvre la Banlieue, sauve la ville et la colonie en 1653, puis concède les premiers fiefs de la Pointe-du-Lac à Jean Sauvaget et Étienne Seigneuret, son gendre, en 1656.

Inutile de dire que sous la terreur iroquoise le défrichement ne se fait pas en un tour de main. Il n’y a pas dix ans que les Jésuites ont subi le martyre, et les tribus huronnes la dispersion, presque l’anéantissement. En 1651, Radisson est pris à la Banlieue. En 1652, le gouverneur Duplessis-Kerbodot s’y fait tuer avec huit autres : en 1653, six cents Iroquois assiègent, trois mois, le petit fort défendu par 47 hommes, parmi lesquels Seigneuret et Sauvaget. Nos anciens « luttèrent avec un courage qui fut de ceux qui comptent dans la vie du Canada,  » et M. de Lauson n’exagérait pas l’éloge : « Sauver les Trois-Rivières, c’était sauver la Nouvelle-France. » Dollard et ses compagnons feront de même au Long-Sault, ils y mourront, et on leur dressera des monuments de bronze. Le monument de nos victorieux, c’est la ville elle-même.

En 1658, 1660 et 1663, les embuscades sont de mode au-dessus des Trois-Rivières : des colons combattent sous les ordres de M. d’Argenson près du lac Saint-Pierre, c’est-à-dire à la Pointe-du-Lac, où les Iroquois possèdent un vieux fort qui sert d’observatoire et de refuge pour dominer la navigation qui descend de Sorel.

Entre temps, Sauvaget et Seigneuret défrichent et cultivent leur petite concession, de derrière le Séminaire jusqu’à la rue Sainte-Cécile. Car il faut bien savoir que les Trois-Rivières étaient en bois debout comme le reste, et ne comptaient pas alors vingt maisons !

C’est ici qu’il faut se faire une âme antique. Certaines gens sont obligés d’y penser à deux fois pour imaginer des arbres à la place des champs et de la ville, des aulnes sur les quais, des hêtres sur le Platon, des talles de ronces dans les rues et des chaussées de castors dans les ruisseaux qui descendent du côteau. L’on ressemble aux enfants convaincus que les autos, les bateaux à vapeur et les restaurants ont toujours été là, et que M. de Laviolette a découvert la ville.

Pour bien capter l’esprit du centenaire, il faut sortir du chantier de Québec avec M. de Laviolette et ses hommes, avironner un canot versant, débarquer avec le fourniment indispensable, gravir le talus en les branches, ramasser des brindilles pour cuire le souper, coucher dehors entre les racines de pins, sur le Boulevard Turcette, à la façon des campeurs de la Mékinac ou de Vermillon. Il faudra se lever, les côtes sur le long mais de bonne humeur, déjeuner de quelque chose, — de quoi ? — bûcher les bouleaux de la butte du Jardin de l’Enfance, et les cèdres des baissières du marché à foin, ébrancher les pieux de l’Habitation en bois rond ou de la palissade. Ensuite, on défrichera pour jardiner. C’est cela que fête le Centenaire, la laborieuse conquête, sans armes et sans larmes, de nos ancêtres sur la forêt.

Les concessions rurales commencent à la rue Bonaventure Par le fief des Jésuites, suivi de la Commune, puis Le Neuf du Hérisson obtient, en 1649, une jolie tranche de la Banlieue : du troisième ruisseau, voisin de la papeterie St-Laurent, « une lieue de terre à prendre le long du fleuve sur cinq lieues dans les terres non concédées», ce qui le lance jusqu’à Shawinigan ! Pour quoi se gêner ? Il atteint les limites de la Banlieue, où Sauvaget et Seigneuret le continueront jusqu’à notre pointe. Comme les seigneuries non défrichées à temps sont révocables, le fief de M. de Hérisson sera subdivisé : il y aura les concessions LePelé-Desmarais, Vieux-Pont, Ameau, Labadie et enfin Bou cherville, le plus progressif, où vivent, en 1709, onze colons : Grandmesnil, Lemaître, Mongrain, Duguay, Lefebvre, Belisle, Rondo, Baudry-Desbuttes, Daneau, Mouet de Moras et Jutras-Lavallée, qui termine la Banlieue.

La Pointe-du-Lac est concédée, peu défrichée. Jean Sauvaget meurt vers 1660, léguant à son gendre le fief accordé, le 31 juillet 1636, par Pierre Boucher, à « Maître Jean Sauvaget, procureur fiscal en la ville des Trois-Rivières, une terre et concession, à la pointe du lac Saint-Pierre, du côté du nord, de la consistance de trois quarts de lieue de front sur deux lieues de profondeur dans les terres, pour en jouir, le dit Sauvaget et Étienne Seigneuret, son gendre. »

En 1670, le gouverneur, M. de Courcelles, décrète que « le sieur de Normanville étant chargé de famille et n’ayant point d’habitation (agricole), il lui est accordé une concession au-dessus de la Pointe-du-Lac Saint-Pierre, à commencer, ensuite de celle du sieur Seigneuret, en montant l’espace d’une demi-lieue sur le bord du dit lac, à la charge d’y faire travailler incessamment, suivant l’intention du roi ».

Un heureux mariage de Louis de Tonnancour avec la petite Seigneuret soudera les deux fiefs, bornés à l’ouest par la rivière-aux-Loutres, où Pierre Boucher, fils, obtient, en 1672, une concession de trois quarts de lieue de front sur le lac, par une lieue de profondeur, qui va devenir le fief Gatineau.

Le premier Gatineau du Plessis et Pierre Boucher, père, s’étaient mariés aux deux sœurs Crevier, créant une abondante parenté entre deux belles descendances. En 1712, le fils Boucher vend 200 livres du pays au fils Gatineau, vivant de Ste-Anne-de-la-Pérade, le fief qui prendra son nom, qui n’aura encore aucun colon résident onze ans plus tard, et qui ne sera peuplé sérieusement que par des réfugiés acadiens en 1757. Gatineau, qui ne l’habita jamais, le vend en 1766 à Louis-Joseph de Tonnancour, mais les Le Noblet-Duplessis y sont implantés. C’est là que naîtra l’honorable juge Nérée-L. Duplessis, père du chef de l’Opposition provinciale.

Par son acquisition, M. de Tonnancour, excellent homme d’affaires, se trouve cinq fois seigneur : d’Yamaska et de Roquetaillade au sud ; de La Badie, de Gatineau et de Sauvaget-Tonnancour. Ses héritiers, qui ne le vaudront pas, disloqueront ces magnifiques domaines.