La Poésie de Stéphane Mallarmé/Livre II/XI

Gallimard (p. 364-383).

CHAPITRE XI

LE THÉATRE

Sa hantise de la musique et du ballet faisait à Mallarmé voir en l’un et en l’autre des figures de la synthèse poétique : suggestion avec la musique, arabesques mouvantes d’images avec le ballet. Mais la seule synthèse ici complète, comme l’indique, interprète de l’esthétique allemande, dans ses livres, Wagner, et comme il s’efforce de la réaliser dans son drame, c’est le théâtre. Ainsi Mallarmé était conduit aussi à une curiosité, même à une doctrine du théâtre.

Au théâtre seulement se célèbre l’office entier, humain, de la poésie. Du lyrisme écrit, fragmenté, du Livre, au lyrisme de la scène idéale, existe la même différence que de la prière particulière à la messe solennelle. Le poète ne peut donc rester indifférent au théâtre : le voilà « très singulièrement sommé au fond d’un exil, incontinent d’aller voir ce qui se passe chez lui, dans son palais[1] ».

Ce qui s’y passait lui parut naturellement négligeable. Il fit à la Revue indépendante une chronique dramatique « pour l’entretien d’un malaise et, connaissant, en raison de certaines lois non satisfaites, que ce n’est plus ou pas encore l’heure extraordinaire[2] ». Il chercha, au théâtre fréquenté rarement, à enrichir et à éclaircir (dans la mesure où la clarté lui paraît préférable) ses idées sur un théâtre absolu, à rêver le Chien, constellation céleste, au-dessus du chien animal aboyant.

Davantage il se plaisait, comme les Goncourt, aux cirques, aux feux d’artifice populaires, — objets de méditations indéfinies, sources d’analogies, paysages de foule spontanée où le poète est délicieusement seul : « un feu d’artifice, à la hauteur et à l’exemple de la pensée, épanouit la réjouissance idéale[3] ». Au théâtre, ce qui l’intéresse le plus, c’est peut-être ce feu d’artifice cristallisé, le lustre : il le prend sans cesse, sous des formes précieuses, comme l’image du spectateur idéal. Baudelaire pensait de même, seulement il voyait en le lustre l’acteur : « Ce que j’ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre, dans mon enfance et encore maintenant, c’est le lustre — un bel objet lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique… Le lustre m’a toujours paru l’acteur principal, vu par le gros bout ou le petit bout de la lorgnette[4]. »

L’esthétique dramatique de Mallarmé ne part pas du théâtre comme d’un ordre premier et qui se suffise, mais du Livre. Sa doctrine du théâtre est l’efflorescence, la rêverie et comme la fumée indéfinie de sa vision du Livre.

« Solennités tout intimes, écrivait-il dans le premier numéro de la Dernière Mode, l’une de placer le couteau d’ivoire dans l’ombre que font deux pages jointes d’un volume ; l’autre luxueuse, fière et si spécialement parisienne : une première dans n’importe quel endroit. » Mais il ne concevait la seconde qu’à l’image de l’autre. La virtualité indéfinie qu’il voulait pour l’œuvre poétique, elle serait, dans le théâtre idéal, figurée, objectivée par l’épanouissement de la musique et du mouvement, de la musique et du ballet. Par là, par ce dégagement d’harmonie et de mouvement, le théâtre extériorise la puissance de suggestion de l’œuvre lue, le manifeste au spectateur, hors de lui, mieux qu’en lui. Le spectateur alors vit dans l’âme harmonieuse, dans la transparence du lecteur idéal qui lui ressemble comme un frère héroïsé, il y confond et y enrichit la sienne.

Si tout n’existe que pour aboutir à un livre, le livre lui-même n’existe, d’un point de vue, que pour aboutir à un théâtre. « Un livre, dans notre main, s’il énonce quelque idée auguste, supplée à tous les théâtres, non par l’oubli qu’il en cause, mais les rappelant impérieusement au contraire[5]. » Et le rêve de Mallarmé le conduit vers un théâtre en soi, où un livret règle une fois pour toutes, comme aujourd’hui les cérémonies de la messe, quelque musique et quelque ballet définitifs. Il ne devrait y avoir, disait Gautier, qu’un Vaudeville, on ferait des changements de temps en temps. « Remplacez, écrit Mallarmé, Vaudeville par mystère, soit une tétralogie multiple elle-même se déployant parallèlement à un cycle d’ans recommencé et tenez que le texte en soit incorruptible comme la loi : voilà presque[6]. »

Son idéalisme platonicien donne, dans la pratique, des fruits curieusement analogues à ceux qu’il porte chez Platon lui-même, à ce finalisme mystique des Lois, où l’art est calqué sur la métaphysique des idées.

Ce texte suprême, Mallarmé, se fiant au mystère de quelque génie surhumain, le laissa indéfini, ne supposa même pas que lui-même pût tenter, un jour, de le fournir. Rappelons cependant, qu’il a rêvé pour l’Après-Midi d’un Faune quelque développement extérieur, l’a même réalisé d’abord sous cette forme, et que dans les Pages de 1891 il annonce une « édition nouvelle définitive pour la lecture et la scène, avec notes, indications, etc… (sous presse) ». Le Forgeron de Banville, beau poème dramatique qui « ne remplace tout que faute de tout », lui paraît, dans l’état actuel, l’œuvre la plus propre à donner, réalisée sur quelque scène vaste, au peuple le pressentiment du théâtre. « Rien de ce que l’on sait ne présente autant le caractère de texte pour des réjouissances ou fastes officiels… comme l’ouverture d’un Jubilé notamment de celui au sens figuratif qui, pour conclure un cycle de l’Histoire, me semble exiger le ministère du Poète[7]. » Il s’agit de l’Exposition de 1889. Si notre âge est pour le poète un temps de grève, Mallarmé ne sépare pas la poésie des grandes fêtes humaines, elle qui précisément doit être la fête humaine par excellence.

Cette fête humaine, dans son essence, ne sera, pense-t-il, ni le théâtre actuel, incapable de subtilité, — « ni la musique du reste trop fuyante pour ne pas décevoir la foule[8] », mais l’Ode sous une forme dramatique.

Bien qu’il ne l’ait guère exprimé, Mallarmé eut conscience de l’opposition entre la poésie du Livre, écrite pour les yeux, inclinée par là vers les images visuelles, plastiques, — et la poésie telle que ses origines sociales et sa naissance individuelle la feraient : domaine de l’ouïe, musique verbale. Le théâtre lui paraissait le lieu de leur synthèse, par la fusion du ballet et de la musique sous l’Ode souveraine. La musique délie l’espace visuel de sa servitude et de son immobilité plastique, le transforme par le moyen du ballet en un univers de succession et de durée. Par le ballet s’animent les strophes ou les vers de l’Ode, et sur le bord de la musique, comme sur une rive d’eau fraîche, les danseuses glissent peu à peu, vêtement qui tombe, puis couronne qui se pose, jusqu’à laisser apparaître, ses pieds purs dans le ruissellement d’orchestre, nue, l’Idée.

Nous évoquerons mieux encore ce théâtre idéal en nous référant à une contre-épreuve. Du Livre, générateur, par l’Ode, de la beauté dramatique, il existe une caricature moderne, le roman transposé à la scène. Couper un roman en drame, c’est justement dégager du Livre, pour le matérialiser avec plus de brutalité, ce qu’il contient de vulgaire et de pénible ; une aventure, une intrigue, la succession d’événements et le jeu de hasards. « Le parfait écrit récuse jusqu’à la moindre aventure (superposition des pages, comme un coffret, défendant contre le brutal espace une délicatesse reployée infinie et intime de l’être en soi-même)[9] ». Comme le parfait écrit, le Théâtre idéal, efflorescence du pur lyrisme, de l’Ode, exclut, lui aussi, toute aventure matérielle, et le « brutal espace » se trouve, par le décor vivant du ballet, traduit seulement en humanité et en esprit.

De sorte que le théâtre idéal est comme une lecture en commun. Non lecture à haute voix (sinon par accident et pour quelque précision jugée nécessaire), mais lecture toujours intime, ici seulement extériorisée : la scène pareille au livre, et le ballet sur elle comme les images que ce livre exhalait naguère au solitaire lecteur. Le roman mis en scène et le ballet s’opposent alors absolument. Assister au premier, c’est contrarier la lecture du livre qu’il exploite, fixer la souplesse de son rêve sur la figure nette et vulgaire d’interprètes, le réaliser dans l’« espace brutal », abdiquer cette dignité qui fait du lecteur un auteur. « Si notre extérieure agitation choque, en l’écrin de feuillets imprimés, à plus forte raison sur les planches, matérialité dressée dans une obstruction gratuite[10]. » Le ballet idéal est au contraire une lecture des yeux. La scène où il se meut ouvre devant nous, comme des pages, son tournoiement de ballerines. Non comme les vraies pages, passives encore à nos doigts, inertes, et qui mettent sous notre regard, au moment où notre main les tourne et où notre pensée y flotte, la table raide de l’espace fixe. Mais pages qu’entières sous nos yeux notre rêve imbibe, transfigure, pages et livre devenus corps vivant. « La ballerine illettrée se livrant aux jeux de sa profession… par un commerce dont paraît son sourire verser le secret, sans tarder… te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts, et silencieusement écrira ta vision à la façon d’un signe, qu’elle est[11]. »

Du théâtre à la lecture, la différence est dans la présence de la foule. Il faut, pense Mallarmé, donner à ce fait toutes ses conséquences. Le théâtre comporte la foule, non comme présence passive, mais comme élément de spectacle. Ce qu’il y a de pire dans le théâtre actuel, c’est que « pour leur communiquer l’assurance que rien n’existe qu’eux, demeurent sur la scène seulement des gens pareils aux spectateurs[12]. » Ce théâtre va de la salle à la scène. Le vrai théâtre va de la scène à la salle, englobe la salle dans une scène supérieure, tandis que la parodie du théâtre place sur la scène une délégation de la salle, comme ce couple qui, à Londres, selon Mallarmé, vivait sa vie de tous les jours, causait, faisait son thé, lisait son journal, sur des planches, devant des badauds.

Lorsque Mallarmé écrivait, M. Dörpfeld n’avait pas encore découvert que telle était d’ailleurs la conception grecque, et qu’à la grande époque du théâtre athénien, les acteurs, jouant dans l’orchestre, ne se séparaient pas du chœur, pas plus que le chœur ne se séparait de la foule qu’il représentait.

Non seulement la foule, mais la salle entière, corps et âme, ferait sa partie. Mallarmé multiplie sous forme symbolique les attributions spirituelles du lustre. Dans Un Spectacle interrompu, l’ours qui pose sa patte sur l’épaule du clown, la brute interrogeant l’homme, c’est « un des drames de l’histoire astrale, élisant, pour s’y produire, ce modeste théâtre ! La foule s’effaçait, toute, en l’emblème de sa situation spirituelle magnifiant la scène ; dispensateur moderne de l’extase, seul, avec l’impartialité d’une chose élémentaire, le gaz, dans les hauteurs de la salle, continuait son bruit lumineux d’attente[13]. » Le soleil, dont l’Iphigénie d’Euripide invoque en mourant la lumière, était incorporé, décor vrai, au théâtre de Dionysos, en même temps qu’au ciel de l’Attique ; pourquoi non, ici, l’énergie solaire, enfermée jadis dans les bois carbonisés, dégagée à petit bruit sur le spectacle qu’elle éclaire ?

Mais mieux qu’à la scène grecque, peu connue de Mallarmé, cette conception du théâtre se réfère aux deux types qu’il prend pour termes de comparaison : le drame wagnérien, la messe catholique.

Pour Wagner, qui mêlait à des doctrines sociales ses théories sur l’art, le vrai théâtre c’est le théâtre communiste, celui qui implique la communauté de l’auteur, de l’acteur et du spectateur, la communauté aussi de tous les arts sur la scène, — une œuvre de convergence.

Et il s’inspirait, lui aussi, de ce même idéalisme platonicien qui circule chez Mallarmé. Pour lui, l’œuvre d’art de l’avenir ressuscitera l’unité de drame grec, recréera, dans la synthèse de la poésie, de la musique et de l’action, la mélodie originelle, l’Urmelodie, par laquelle l’homme naturel parlait en signes toujours triples de langage, de chant, de mimique. Elle réalisera consciemment une idée, d’après un modèle ou une indication fournis par un passé d’inconscience, assurera, par cette Idée réalisée, un avenir d’art définitif, immuable.

Sur l’Église, conçue comme le lieu du spectacle aujourd’hui parfait, Mallarmé a écrit une page admirable, une page qui prend sous nos yeux (relisez-la, je l’ai citée plus haut[14]) le relief, la dignité, la profondeur de la porte Est de Ghiberti au baptistère de Florence. Devant l’édifice où se reçoit le baptême de la foi nouvelle, le maître toscan a fondu sur ses vantaux de Paradis les images de la foi ancienne, l’histoire figurée d’Israël. Et devant la scène où le rêve du poète imagine pour l’homme un bain de lumière transfiguratrice, quelques phrases, pleines comme du bronze, délicates et ciselées comme des draperies florentines, disposent, en un Ancien Testament, sa forme annonciatrice d’aujourd’hui, l’Église.

Mallarmé désire simplement évoquer le rêve du spectacle futur par une analogie, celle de la Messe, nullement le tracer dans quelque détail. « J’ai voulu, d’ici, quand ce n’est prêt, accouder le Songe à l’autel contre le tombeau retrouvé — pieux ses pieds à la cendre. Le nuage autour exprès : que préciser… Plus, serait entonner le rituel et trahir, avec rutilance, le lever de soleil d’une chape d’officiant, en place que le desservant enguirlande d’encens, pour la masquer, une nudité de lieu.[15] »

Mais notons qu’il s’agit de la messe catholique, disposée autour d’une « présence réelle » et non de quelque assemblée protestante. La messe est un sacrifice propitiatoire annuel, à la rigueur, le prêtre suffit. Il n’y a pas plus de différence naturelle entre la lecture du livre et le théâtre idéal qu’entre la messe individuelle dite par un prêtre dans une solitude, et la grand’messe, des cathédrales.

Le théâtre idéal ne représente pas une fiction : il implique, comme la messe, une « présence réelle ». « L’amateur que l’on est, maintenant, de quelque chose qui, au fond, soit ne saurait plus assister, comme passant, à la tragédie, comprît-elle un retour, allégorique, vers lui ; et, tout de près, exige un fait — du moins la crédulité à ce fait au nom de résultats. Présence réelle : ou que le dieu soit là, diffus, total, mimé de loin par l’acteur effacé, par nous su tremblants, en raison de toute gloire, latente si telle indue, qu’il assuma, puis rend, frappée à l’authenticité des mots et lumière triomphale de Patrie, ou d’Honneur, de Paix.[16] » Cette figure du théâtre idéal il faut la confronter à celle de la poésie telle que la veut Mallarmé, lorsqu’il lui assigne, au lieu du rôle descriptif, un rôle, par l’allusion et la suggestion, créateur.

N’imaginons point cependant, selon des platitudes actuelles, une contrefaçon laïque de la messe. « N’allez mal, conformément à une erreur chez des prédicants, élaver en je ne sais quelle dilution couleur électricité et peuple, l’archaïque outremer de ciels[17]. » Le rapport des deux états, messe et théâtre, n’existe qu’idéalement, dans l’intelligence qui les conçoit, et non historiquement, par une transformation dans le temps.

Aujourd’hui, les disponibilités de foi, d’exaltation en commun, les vibrations unanimes, les foules humaines déployées en coups d’aile, tout cela appartient à l’ordre religieux, et dans les cérémonies religieuses se lève sa fleur de beauté vivante. Si un jour ces disponibilités devenaient libres, peut-être quelque rêve analogue à celui de Mallarmé prendrait-il corps. Pourtant on doit garder une réserve en ménageant l’hypothèse contraire : que tout cela soit lié précisément à l’existence du fait religieux, s’en projette comme l’ombre, en surgisse comme la plante qui, nourrie dans une terre appropriée, hors d’elle périrait. Il est possible que les pertes de la religion ne se traduisent en gains que pour l’individualisme. Et mieux que la grand’messe catholique ruisselant, les jubés abattus, par les cathédrales, la poésie de Mallarmé ne nous fait-elle pas présager quelque messe byzantine.

Elle dit le mot : Anastase,
Né pour d’éternels parchemins

— où le prêtre, un seul moment aperçu, reste par l’iconostase séparé de la foule?

La contradiction est réelle entre la poésie ésotérique de Mallarmé et ce souci de la foule, dont il veut, dans le drame, la présence. Pourtant ne l’exagérons pas. À la messe, les mots d’un latin incompris suffisent pour que l’âme, sur eux, comme Quasimodo sur son bourdon, s’envole. Et du poème à la foule, il y a des gradins, une sorte de médiateur plastique, qui est la musique.

« Le miracle de la musique est cette pénétration, en réciprocité, du mythe et de la salle, par quoi se comble jusqu’à étinceler des arabesques et d’ors en traçant l’arrêt à la boîte sonore, l’espace vacant, face à la scène[18]. »

Aussi le concert dominical, incomplet puisque la musique y demeure seule, est-il au moins le « lavage à grande eau du temple » avant la solennité où descendra le dieu. Du bâton qui gouverne l’orchestre, non seulement la musique, mais la foule, s’épanouit, se déplace, ondoie avec docilité

Comme ces longs serpents que les jongleurs sacrés
Au bout de leur bâton agitent en cadence

Musique et foule, dans la rêverie du poète, se fondent en une même matière, une pâte mystique que brasse le meneur de sons.

Le vieux mélodrame populaire, le drame accompagné d’une musique, lui paraît satisfaire ingénieusement à une loi profonde du vrai théâtre[19]. Le théâtre ne doit pas me faire pleurer, j’ai assez de mes douleurs d’homme ; mais il doit — et je ne sais pas si j’interprète ici fidèlement la pensée un peu fuyante de Mallarmé — me donner comme l’Idée des larmes. Il satisfait à cette fin en tenant en suspens — ainsi que le lustre de la scène — « une larme qui ne peut jamais toute se former ni choir ». Car au plus noir, au plus insoluble, au plus tragique du drame, subsiste et s’enchaîne la musique, dont la présence, incessamment, retenant cette larme dans les hauteurs, insinue à l’assistance que le drame, malgré tout, va se résoudre en clarté.

Ainsi, de l’ancien mélodrame, l’accompagnement instrumental est défini le « dispensateur du mystère ». Et dans ces lignes ne saurait-on voir pressenti le drame de Maeterlinck ? Ce mystère sous la figure de la musique, dans lequel baigne le mélodrame, Maeterlinck l’a détaché de la musique pour l’incorporer au drame et pour composer à ses mots leur atmosphère. Et les musiciens qui se sont attachés à son œuvre n’ont fait qu’y reprendre le bien de la musique. Mallarmé ne s’y est pas trompé. « Il semble, écrit-il à propos de Pelléas et Mélisande, que soit jouée une variation supérieure de l’admirable vieux Mélodrame[20]. » Tout y devient musique, à tel point que la musique la plus fine, le violon, « nuirait, par inutilité ».

La musique, dans la synthèse du théâtre idéal, a pour puissance propre la suggestion. Le théâtre ordinaire nous commande de supposer, dès l’abord, l’existence de l’action et des personnages. « Comme si cette foi exigée du spectateur ne devait pas être précisément la résultante par lui tirée du concours de tous les arts suscitant le miracle, autrement inerte et mol, de la scène[21]. » Tel est le rôle de la musique, qui est comme le sang de l’action, l’afflux visible et ininterrompu de la vie. « Un auditoire éprouvera cette impression que, si l’orchestre cessait de déverser son influence, le mime resterait, aussitôt, statue[22]. »

On reconnaît là les idées de Wagner. Pourtant Mallarmé estimait la réforme wagnérienne en défaut sur deux points.

D’abord, œuvre d’un musicien de génie, elle sacrifiait nécessairement la poésie à la musique.

Puis elle marquait une réaction, légitime, contre l’opéra, dont l’esthétique d’exposition universelle réunit pour le plaisir des sens tout ce qui est susceptible de faire de l’argent. Or le ballet, où s’étale une sorte de prostitution, en était pour Wagner la partie la plus souillée et il l’a rejeté en grande partie. À tort selon Mallarmé. « Wagner, dit-il dans une lettre à M. Vittorio Pica, a proscrit cette écriture merveilleuse et immédiatement significative de la danse, s’en tenant plus ou moins à quelque juxtaposition de Beethoven et de Shakespeare[23]. »

C’est précisément sur le ballet qu’aurait dû porter beaucoup l’effort réformateur du génie. Le ballet d’aujourd’hui, comme tant d’autres apparences de l’art, exhale « l’irrémissible lassitude muette de ce qui n’est pas illuminé des feux d’abord de l’esprit[24] ». Là encore la salle fait ramper à la scène, pour en alourdir les formes, ses instincts bas. Les danseuses, au lieu de réaliser le simple et seul décor, mais vivant, apparaissent comme de petites femmes qui attirent aux yeux des spectateurs « la noire jumelle comme une cécité ». De sorte que « la vision neuve de l’Idée, n’est vêtue que pour être niée » sauf à se recomposer, en tant que son absence même, chez le Poète.

La danseuse, telle que nul théâtre aujourd’hui ne la présente, n’est pas une femme, mais l’emblème vivant d’un objet. Ciel nocturne, neige qui tombe, le ballet les traduit en humanité par des danseuses qui sont des étoiles, des flocons, le premier sujet devenant « une synthèse mobile, en son incessante ubiquité, des attitudes de chaque groupe, comme elles ne la font que détailler, en tant que fractions, à l’infini[25] ».

Le principe du ballet, le voici : « La danseuse n’est pas une femme qui danse[26]. » Non femme, mais bien métaphore résumant en humanité quelque objet. Tandis que la métaphore poétique va de l’homme à la nature, la danse porte la métaphore de la nature à la forme humaine. La danseuse ne danse pas, « jamais qu’emblème et point quelqu’un », mais elle suggère ce que la parole ne dirait que longuement et avec peine, « poème dégagé de tout appareil de scribe ».

Ce qui forme le corps du théâtre, c’est la danse, du fait de ses évolutions, tandis qu’ « un papier suffit pour évoquer toute pièce ». La danse devient donc la scène vivante, l’espace animé, humanisé, tout ce que, dans l’interrègne actuel, usurpent le cartonnage et le pitoyable décor.

Mallarmé se plaît à voir qu’autour de la Loïe Fuller, disparaît « la traditionnelle plantation de décors permanents ou stables en opposition avec la mobilité chorégraphique[27] ».

Le décor alors s’évanouit de l’espace, devient la « fuite de l’espace, désormais mobile, vivant ». Il « gît, latent dans l’orchestre, trésor des imaginations ». La danseuse, en le souple éventement de ses étoffes, couleurs et lumière, paraît le prendre à même ces sonorités de l’orchestre, le composer et le mouvoir autour d’elle « cieux, mer, soirs, parfum, écume ». Et c’est ainsi que la danse devient « la forme théâtrale de poésie par excellence » (de même que la poésie de Mallarmé est la forme livresque de la danse par excellence). Ainsi que le reploiement du livre, en l’épaisseur de coffret, figure une défense contre le « brutal espace déployé » du journal, la danseuse soustrait le théâtre à l’immobilité et à la convention de l’espace pour le plonger dans le flot d’une idéale durée.

Un tel ballet figure une vision plus précise que la nôtre, une imagination plus évocatrice. Voir un bel objet c’est le connaître extérieur à nous, mais ne pouvons-nous supposer, comme dans certains de nos rêves, comme dans l’intensité de l’amour, une adaptation supérieure qui tendrait à une fusion ? Or « est-ce que ne paraît point la danseuse à demi l’élément en cause, à demi humanité apte à s’y confondre dans la flottaison de rêverie[28] ? » Un esthéticien allemand dirait qu’elle est la synthèse de l’objet et du sujet, l’objet s’assimilant l’harmonie et l’unité du sujet, le sujet s’extériorisant selon la forme de l’objet et il partirait longuement sur une théorie de l’Einfühlung. « La représentation figurative des accessoires terrestres par la Danse, contient une expérience relative à leur degré esthétique, un sacre s’y effectue en tant que la preuve de nos trésors. » Représentation au moyen d’une suite vécue et dite par l’orchestre, dans une durée ; moment qui passe et qui, une fois piqué par la danseuse se mue en un autre, — ce théâtre étant un ordre de chose momentané. « Une œuvre dramatique montre la succession des extériorités de l’acte sans qu’aucun moment garde de réalité et qu’il se passe, en fin de compte, rien[29]. »

Cette synthèse de la poésie, de la musique et de la danse figure très bien, et logiquement, la fin idéale de la poésie mallarméenne.

Le théâtre actuel est une convention lourde, de même que la poésie dont a voulu se délivrer Mallarmé. Je l’ai rappelé ailleurs : la poésie parnassienne, de même que la poésie classique, et au contraire du grand lyrisme romantique (j’exagère à dessein les contrastes, comme les reliefs d’une carte) nous impose, du dehors, des notions bien dites et exactement représentées, des visions plastiques et des analyses sentimentales, alors que le rôle vrai de la poésie est de nous suggérer une émotion qui se développe en nous de façon vivante, sympathiquement à celle du poète. De même le théâtre classique — et celui des modernes n’a fait que le suivre — a lieu sur une scène hors de nous, séparée du spectateur par l’obstacle de la rampe. « Vous avez à subir un sortilège, pour l’accomplissement de quoi ce n’est trop d’aucun moyen d’enchantement impliqué par la magie musicale, afin de violenter votre raison aux prises avec un simulacre, et d’emblée on proclame : « supposez que cela a eu lieu véritablement et que vous y êtes[30] ! ».

Au théâtre il ne doit exister, à des degrés et de manières différentes, que des acteurs. L’homme ne vient pas au théâtre pour consentir librement et par fiction à une illusion, il y doit venir pour entrer et vivre, tout entier, un temps, dans une vérité nouvelle. Ainsi un poème de Mallarmé est construit pour solliciter l’activité créatrice du lecteur et se développer par elle.

La musique sous l’ampleur et l’autorité de ses ondes mêle dans un brassage la scène et la foule. Mais qu’elle ne soit pas, comme dans l’opéra classique, alourdie de fioritures et de plaques, qu’elle n’interpose pas des conventions nouvelles et comme une rampe splendide ou un rideau de sons. Que, selon la révélation wagnérienne, l’afflux intérieur du sang et non le fard donne au visage sa fleur.

Autour du héros qui chez Wagner forme le centre du drame, s’agite le somptueux, l’infini décor des sons qui tantôt le prend dans « une ambiance de musique plus riche de rêverie que tout air d’ici-bas », tantôt précipite vers lui, pour l’enlever et le fondre, une vague démesurée de passion qui va « le soustraire à sa notion, perdue devant cet afflux surhumain, pour la lui faire ressaisir quand il domptera tout par le chant, jailli dans un déchirement de la pensée inspiratrice[31] ». Au monde musical où se manifeste le héros, participe l’assistance, dans « une stupeur mêlée d’intimité ». Et le public germanique, comme autrefois le public hellénique, vit sur la scène de Bayreuth avec des héros de sa race. Une patrie idéale, hors du temps, ici lui est recomposée. LES FORMES DE SA POÉSIE 379

« Quelque singulier bonheur, neuf et barbare, l’asseoit devant le voile mouvant la subtilité de l’orchestration, à une magnificence qui décore sa genèse ’. »

L’article sur Richard Wagner s’intitule Rêverie d’un poète français. Rêvant dans l’absolu, pensant « avec la certitude de n’être impliqué dans aucune entreprise pa- reille », il peut laisser libre l’Hyperbole, et caresser, par delà Wagner, la vision d’un art plus universel. Avec la tentative du maître allemand, tentative de musicien,, non de poète, « tout se retrempe au ruisseau primitif, pas jusqu’à la source ».

L’esprit français, dans son radicalisme, prétendrait, rêvant ainsi, remonter à une source, écarter ce legs inter- posé de la Légende, dont plus rien, dans la France moderne, n’est resté. Au-dessus de toute légende spéci- fiée, le Théâtre idéal évoquerait ici un mythe suprême, figuré par le Poème, l’Ode. « Type sans dénomination préalable, pour qu’émane la surprise. » Pas un sujet déterminé, mais une infinie suggestion, un centre d’où les rêves s’orientent et prennent corps. Ni acteur réel, ni scène précisée. « Est-ce qu’un fait spirituel, l’épanouis- sement do symboles ou leur préparation, nécessite en droit, pour s’y développer, autre que le fictif foyer de vision dardé par le regard d’une foule? » Le Poème se propage à la foule par la mimique ou danse, et la mu- sique. Ainsi la danse et la musique ne sont que des lueurs et un rayonnement émanés de la gemme, de l’art suprême, qui est la Poésie, non asservie, mais maîtresse. Jeu du Poème non pas même dit (je crois, car Mallarmé ne précise pas), mais que chaque spectateur sait par cœur, et que, sous l’incantation des gestes et de l’har- monie, il revit et recrée, cependant que l’incarne sur une scène — rappelons-nous le Phénomène Futur et la Déclaration Foraine ■— quelque figure muette de beauté pure.

Et cette Rêverie ’d’un Poète français toujours on ne

1. Divagations, p. 147. 380 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARMÉ

la comprend que par l’analogie de la Messe, à laquelle il faut bien que je la ramène encore. Chaque fois, dans le drame sacré, se joue la scène suprême du monde, l’In- carnation de Dieu. Un ensemble d’attitudes et de mu- sique, où collaborent les plus humbles, émane de l’autel, et leur cœur est un geste silencieux du prêtre : moment le plus intense du drame, que celui où, tous les yeux de chair étant baissés, nul ne le voit que par les yeux de l’âme — où seule, de toute la musique et de l’orgue, et du chant, tus, la sonnette aux mains d’un enfant rappelle que la durée terrestre continue de couler. La grand’messe dans une cathédrale du passé est pour le croyant le drame qui annule tous autres spectacles. Et, bien que l’église du Moyen Age ait transsudé sur ses parvis les tréteaux des Mystères, n’est-ce pas au nom du drame réel et sublime que Bossuet, dans les Maximes sur la Comédie, foudroie le drame parodié ’ ? Ainsi

1. En fait on aperçoit dans ces théories do Mallarmé un rajeu- nissement de questions anciennement posées. Certes le zèle de Bossuet l’emporte à frapper comme un sourd sur toute espèce de théâtre, et l’opinion de son temps, même ecclésiastique, ne ’.e suivait pas. Mais ce qu’il critique particulièrement et plus que la tragédie, ce qui indigne vraiment l’opinion morale d’alors (voir la Satire de Boileau Sur les Femmes) c’est l’opéra, introduit pour- tant en France par des cardinaux. Or qu’est-co que l’Opéra, avec son luxe voluptueux, sa musique, ses rythmes d’attitudes, son éclat, ses dorures — pour un homme d’Eglise — sjnon la messe de Dieu imitée par une messe païenne ? Et le paganisme l’em- porte à tel point qu’en Italie le style jésuite fait des églises exac- tement des salles d’opéra.

Dans l’opéra, bain de mollesse et d’amour, s’était déjà abimée la poésie italienne. C’est sur son décor extérieur, son sentimen- talisme fade, que se modèlera la tragédie de Voltaire, préparée par Quinault. Et ainsi s’oppose aux Maximes sur la Comédie, comme VEssai sur les Mœurs au Discours, cette philosophie de l’Opéra qu’est le Mondain : l’opéra y est donné par Voltaire comme la synthèse même de la civilisation. On atteint le nivenii do base du conventionnel et du truqué. Au contraire, à travers Rousseau et la Lettre à d’Alembert, l’esthétique vivante de la Messe reparait, avec la rusticité d’un commencement, dans les car- tonnages scolasliques et les oripeaux greco-romains des fêtes révo- lutionnaires. D’une probité analogue naît avec ta Dramaturgie LES FORMÉS’:DE SA POÉSIE 381

Platon attaque la théâtrocratie athénienne, précisément parce qu’il veut, au théâtre faux d’illusion, substituer le théâtre vrai de la Cité, où paraîtront des hommes.

Cette rêverie brève et d’apparence sibylline, écrite à propos de Wagner se rattache à une vue juste de l’évo- lution du théâtre. Elle serait plus exacte si. à son point de vue d’esthétique métaphysique, on sub-tituait un point de vue historique. Théâtre réel et theuire fictif, le second éclos du premier, le premier rétabli contre le second, ont toujours alterné. Dans l’Église même, une messe de grand mariage à la Madeleine appelle, comme l’ancien Quid pro Baccho ? un Quid pro Christo ?

Mallarmé croyait-il à l’existence possible de ce Théâtre idéal ? Pour un idéaliste la question est fort secondaire. Lui-même l’appelle le Monstre — qui ne peut être*. Il est la réalité qui devrait être, c’est-à-dire qui doit être, et cela suffit.

Et peut-être ce théâtre idéal n’est-il qu’un reflet, allongé par des soirs de méditation calme sur des eaux de foule décorative, — le reflet du seul théâtre qu’il conçut vraiment, celui de lui-même ? « Mon théâtre, de plain-pied et le fouler, acteur même : pourquoi pas, sous l’inspiration du décor, me représenter par frag- ments, à titre d’expérience, dans la vue et dans le congé de tous 2? »

Un théâtre de personnages créés, réels, qui n’appar- tiennent plus au poète, mais auxquels le poète appar- tient comme les sucs d’une terre aux arbres qu’elle nourrit, voilà une impossibilité de (Mallarmé, un désa- veu, qu’il n’admet pas, de son orgueil poétique. De ce même fond d’orgueil le théâtre romantique avait reven-

de Hambourg une esthétique allemande du théâtre qui, après avoir cheminé par d’interminables landes philosophiques, éclate dan> la four formidablo du drame wagnéricn. La Rêverie d’un poète français sur Wagner a donc, aussi, des origines françaises et catho- liques, même révolutionnaires, très nettes.

1. Divagations, p. 1/12.

2. Divagations, p. 333. 382 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARME

diqué contre la tragédie les droits du lyrisme : Mallarmé ’ en réalise, théoriquement et d’un geste seul, l’hyperbole.

Aussi, du tlit’àii’ti où manquent musique et ballet, est- il une loi tue qu’il avoue et caresse, celle du théâtre à un personnage. fSon monologue lyrique, mais théâtre véri- table, où ne serait mis en lumière qu’un individu, les autres figures tenant un rôle de comparses et de sym- boles. 11 juge qu’llandet est une œuvre de cet ordre. Dans liamlel il a \u une représentation du poète qui ne saurait réaliser son rêve, ordre de l’Ombre mystérieuse, il a aimé une représentation de lui-même. Et c’est pourquoi, sans doute, il reproche à la Comédie-Fran- çaise d’avoir joué les autres personnages de même que s’ils existaient, au lieu qu’ils eussent dû, en s’elïaçant, apparaître en, fonction du seul llamlet, et simplement meubles ou parties du décor. « Hamlet, unique, compte ; et de l’approcher, chacun s’eltace, succombe, disparaît. La pièce, un point culminant du théâtre, est, dans l’œuvre de Shakespeare, transitoire entre la vieille action multiple et le Monologue, ou drame avec Soi, futur. Le héros, — tous comparses : il se promène, pas plus, lisant au livre de lui-même, haut et vivant sigae ; nie du re- gard les autres. 11 ne se contentera pas d’exprimer la solitude, parmi les gens, de qui pense : il tue indiffé- remment, ou, du moins, on meurt. La noire présence du douleur cause ce poison, que tous les personnages trépassent : sans même que lui prenne toujours la peine de les percer, dans la tapisserie ’. » Polonius « figure comme découpée dans l’usure d’une tapisserie pareille à celle où il lui faut rentrer pour mourir... Ophélie, vierge enfance objectivée du lamentable héritier royai- ». Mille et unième fantaisie, et bien fine, sur l’énigmatique héros.

La tragédie classique même, pense-t-il, ne tendait-elle pas vers cet idéal « de produire en un milieu nul ou à

4. Divagations, p. 371. 2. Divagations, p. 168. LES FORMES DE SA POESIE 383

peu près les grandes poses humaines, et comme notre plastique morale ? Statuaire égale à l’interne opération par exemple de Descartes, et si le tréteau significatif d’alors avec l’unité de personnage, n’en profite, joignant les planches et la philosophie, il faut accuser le goût notoirement érudit d’une époque retenue d’inventer malgré sa nature prête, dissertatricc et neutre, à vivifier le type abstrait * ». De sorte que les trois unités ne se- raient que trois marches vers un piédestal vide, vers une quatrième unité demeurée tout idéale, celle de personnage.

Je ne connais pourtant qu’une œuvre qui soit, vrai- ment et consciemment, faite selon cette formule appli- quée par Mallarmé à Hamlet et à nos classiques. C’est — et il n’y songeait sans doute pas — On ne badine pas avec l’Amour, qui comporte d’ailleurs non un person- nage, mais deux. Musset, de propos délibéré, autour de Perdican et de Camille, ne place que des comparses et des grotesques. Le Chœur est conçu très exactement comme la scène animée, la délégation même de la na- ture au retour de Perdican, le simple feuillage grandi qui caresse son front. Ce chef-d’œuvre réalise, je crois, tout ce qui, de l’ingénieuse utopie de Mallarmé, peut se concilier avec l’esprit du théâtre.

Ces jeux subtils, charmants, profonds, sur l’avenir, sur l’esprit, sur l’Idée du théâtre, émanent, en gazes de brume, chez Mallarmé, des sources mêmes, obscures et glacées, de sa poésie. Gazes, brume, tout cela que déploie comme l’atmosphère visible, mouvante et captivée de son corps, la danseuse. Née de la lecture, sa conception du théâtre revient au livre comme retombe aux rivières la vapeur de leurs brouillards. Son imagination motrice, évocatrice du ballet, flotte dans le rayon pur d’un beau vers comme les poussières de l’air dans une barre de soleil, et, autour de ce qui n’existe pas, comme l’encens qui enguirlande « pour la masquer une nudité de lieu »*

i. Divagations, p. 201,


  1. Divagations, p. 189
  2. Divagations, p. 165.
  3. La Musique et les Lettres, p. 77.
  4. Œuvres posthumes (éd. du Mercure), p. 105.
  5. Divagations, p. 328.
  6. Divagations, p. 190.
  7. Divagations, p. 231.
  8. Divagations, p. 230.
  9. Divagations, p. 199.
  10. Divagations, p. 198.
  11. Divagations, p. 178.
  12. Divagations, p. 190.
  13. Divagations, p. 23.
  14. P. 62.
  15. Divagations, p. 307.
  16. Divagations, p. 305.
  17. Divagations, p. 306.
  18. Divagations, p. 304.
  19. Divagations, p. 159.
  20. Divagations, p. 221.
  21. Divagations, p. 143.
  22. Divagations, p. 144.
  23. Cité dans Letteratura d’eccezione, p. 189.
  24. Divagations, p. 207.
  25. Divagations, p. 172.
  26. Divagations, p. 173.
  27. Divagations, p. 181.
  28. Divagations, p. 158.
  29. Divagations.
  30. Divagations, p. 143.
  31. Divagations, p. 146.