La Plante/Partie I, chapitre XXII

Charles Delagrave (p. 220-234).
XXIII. — Séve descendante  ►
Partie I.
XXII. — Décomposition de l’acide carbonique par les plantes

XXII
Décomposition de l’acide carbonique par les plantes.

Combustion du charbon. — Gaz carbonique. — Sa production dans la respiration des animaux. — Quantité de charbon brûlée par la respiration de l’homme. — Production du gaz carbonique par la décomposition des matières organiques. — Quantité de gaz carbonique déversée dans l’atmosphère. — Assainissement de l’atmosphère par les plantes. — Décomposition du gaz carbonique par les végétaux. — Expériences diverses. — Expériences avec les conserves. — Rôle des végétaux aquatiques. — Nécessité des rayons solaires. — Nécessité de la chlorophylle. — Végétaux parasites non colorés en vert. — Parasitisme des orobanches.

Le charbon destiné à la nourriture de la plante doit être préalablement fluidifié, dissous, afin de pouvoir pénétrer jusque dans les tissus les plus délicats de l’organisation végétale. Or le dissolvant du charbon, c’est l’un des éléments de l’air, l’oxygène. Examinons cela de près, la chose en vaut la peine.

On allume une pelletée de charbon. Le charbon prend feu, devient rouge et se consume en dégageant de la chaleur. Bientôt il ne reste plus qu’une pincée de cendres, d’un poids insignifiant par rapport au poids primitif. Ces cendres proviennent des matières minérales, sels de potasse et de chaux notamment, que les racines puisent dans le sol avec l’eau de la séve ascendante. Étant incombustibles, elles ont résisté à l’action du feu ; tandis que le charbon, matière combustible, a totalement disparu. Si le charbon retiré des végétaux n’était pas accompagné de ces matières minérales, soumis à la combustion il ne laisserait rien ; tout se dissiperait. Brûler, ce n’est donc pas réduire en cendres, comme on le dit habituellement. Dans la combustion, les cendres ne sont qu’un résidu provenant des impuretés du combustible. Il n’y a plus de cendres si le charbon est pur.

Qu’est donc devenu le charbon, après la combustion ? Il s’est consumé, me direz-vous ; il s’est brûlé. D’accord ; mais se consumer, serait-ce se réduire à néant ? Le charbon, une fois brûlé, n’est-il plus rien, absolument plus rien ? Si tel est votre avis, je vous apprendrai, mon cher enfant, qu’en ce monde rien ne s’anéantit. Essayez d’anéantir un grain de sable. Vous pourrez l’écraser, le mettre en poudre impalpable ; mais le réduire à rien, jamais. Le chimiste, avec tout son arsenal de drogues et d’appareils, ne l’anéantirait pas davantage. Il le fondra au feu de ses fourneaux, il le dissoudra dans des liquides, il le réduira en vapeurs invisibles ; en l’associant avec ceci ou cela, il lui donnera tel aspect, telle couleur, telle manière d’être ; mais en dépit de toutes les violences, la matière du grain de sable existera toujours. Néant et hasard, ces deux grands mots que nous employons à tout propos, en réalité ne signifient rien. Tout obéit à des lois ; tout persiste, indestructible.

Le charbon consumé n’est donc pas anéanti. Il est dans l’air, en dissolution, sous un état invisible. Vous mettez un morceau de sucre dans de l’eau ; le sucre se fond, se dissémine dans le liquide et cesse dès lors d’être visible aux regards les plus perçants. Ce sucre invisible n’en existe pas moins. La preuve, c’est qu’il a communiqué à l’eau une propriété nouvelle, le goût sucré. Ainsi fait le charbon : par la combustion, il se dissout dans l’oxygène de l’air et devient invisible.

La dissolution qui se fait dans nos foyers d’une manière violente, avec production d’une forte chaleur, n’est pas la seule manière dont le charbon se consume. Un morceau de bois abandonné aux intempéries brunit à la longue, perd peu à peu sa consistance et tombe enfin en poudre. Eh bien ! cette décomposition est de tous points comparable à celle qui se passe dans un fourneau. C’est encore une combustion, mais si lente, qu’il n’y a pas de chaleur sensible. Ainsi brûlé avec une extrême lenteur par le contact de l’air, un tronc d’arbre finit par se réduire à quelques poignées de terre, comme le charbon des fourneaux se réduit à un peu de cendres. Même résultat pour toute matière végétale ou animale en décomposition. Toute chose qui se pourrit se consume, c’est-à-dire dissout lentement son charbon dans l’air.

L’animal, une fois mort, se dissipe donc peu à peu dans l’atmosphère en charbon invisible. À l’état de vie, il est encore une source continuelle de charbon dissous. Tous les animaux respirent, c’est-à-dire admettent dans l’intérieur de leur corps une certaine quantité d’air, d’instant en instant renouvelée, dont la mission est d’entretenir la chaleur de la vie en brûlant du charbon fourni par les aliments. Pour produire de la chaleur, qui devient mouvement et travail mécanique, la machine animale brûle du charbon tout comme la machine industrielle. Pas une fibre ne remue en nous qui n’amène une dépense proportionnelle de combustible. Vivre, c’est se consumer, dans l’acception la plus rigoureuse du mot ; respirer, c’est brûler. On a dit de tout temps en style figuré : le flambeau de la vie. Il se trouve que l’expression figurée est l’expression de la réalité. L’air, par son oxygène, consume le flambeau ; il consume pareillement l’animal. Il fait répandre au flambeau chaleur et lumière ; il fait produire à l’animal chaleur et travail. Sans air, le flambeau s’éteint ; sans air, l’animal meurt. L’animal est, sous ce point de vue, assimilable à une machine d’une haute perfection, mise en mouvement par un foyer de chaleur. Il se nourrit et respire pour produire chaleur et mouvement ; il mange son combustible sous forme d’aliments, et le brûle dans les profondeurs de son corps avec l’oxygène de l’air amené par la respiration.

Une fois imprégné de charbon dissous, l’air est rejeté au dehors. De là le double mouvement respiratoire : l’inspiration, qui amène de l’air pur dans le corps ; l’expiration, qui en chasse l’air saturé de charbon. Ainsi la combustion d’un tison dans l’âtre, la décomposition putride d’un cadavre, la respiration animale, sont, en dernière analyse, des phénomènes du même ordre. C’est, dans les trois cas, une dissolution de charbon dans l’oxygène de l’air, dissolution accompagnée de plus ou moins de chaleur. Se consumer, respirer, pourrir, chimiquement sont synonymes.

En s’imprégnant de charbon, la partie respirable de l’air, l’oxygène, acquiert de nouvelles propriétés. C’est alors un gaz redoutable, nommé par les chimistes acide carbonique. Subtil comme l’air lui-même, l’acide carbonique est invisible, impalpable. Il est impropre à la vie, il n’entretient pas la combustion. Plongés dans une atmosphère de gaz carbonique, l’animal meurt, la lampe s’éteint. La raison en est évidente. Le calorifère animal, foyer de la vie, doit être sans relâche alimenté avec de l’air pur, capable de dissoudre dans le corps sa dose de charbon et produire ainsi de la chaleur. Si la respiration ne lui envoie que de l’air impropre à ce travail, de l’air contenant déjà tout le charbon qu’il peut dissoudre, le calorifère ne fonctionne plus, la chaleur tombe et la vie s’éteint. À la flamme de la lampe, il faut de l’air toujours renouvelé, qui maintienne la chaleur en dissolvant sans repos du charbon. S’il ne peut plus en dissoudre, s’il est devenu gaz carbonique, l’air n’entretient plus la combustion et la lampe s’éteint. Flambeau de la mêche imbibée d’huile et flambeau de la vie alimentée de pain, vivent dans l’air, qui dissout leur charbon, et meurent dans le gaz carbonique, qui ne peut les dissoudre.

En moyenne, nous brûlons par la respiration de 8 à 10 grammes de charbon par heure, ce qui porte à 450 litres environ le gaz carbonique exhalé par une personne en vingt-quatre heures. À ce compte, une personne vivant soixante ans en brûle, en nombre rond, de 4000 à 5000 kilogrammes ; et la grande famille humaine, approximativement évaluée à un milliard, en brûle au moins 80000 millions par an. Mis en tas, ce charbon formerait une montagne d’une lieue de tour à la base et de 400 à 500 mètres de haut. Telle est la quantité de combustible nécessaire au calorifère seul de l’homme. Entre nous tous, nous mangeons la montagne ; et, à la fin de l’année, bouffée par bouffée d’acide carbonique, nous l’avons exhalée dans l’air, pour en entamer immédiatement une autre. Combien d’acide carbonique la race humaine seule n’a-t-elle donc pas rejeté dans l’atmosphère, lorsqu’il lui suffit d’une année pour en produire 160 milliards de mètres cubes ! L’esprit s’y perd. Il faut tenir compte aussi de la respiration des animaux qui, ensemble, ceux de la terre ferme et ceux de la mer, doivent consommer une belle montagne de combustible : ils sont bien plus nombreux que nous, ils peuplent les continents et les mers. Que de charbon, mon cher enfant, que de charbon pour l’entretien du feu de la vie ! Et tout cela va dans l’atmosphère, en gaz meurtrier, dont quelques inspirations vous tuent. Ce n’est pas tout encore. Les matières qui brûlent par pourriture, le fumier par exemple, se résolvent en gaz carbonique. Il n’est pas nécessaire que la fumure soit bien forte pour que, d’une terre cultivée, 100 à 200 mètres cubes de gaz carbonique se dégagent par jour et par hectare. Le bois, le charbon, la houille, que nous brûlons dans nos maisons, dans les puissants foyers de l’industrie surtout, se rendent aussi dans l’air en gaz délétère. Songez à la quantité de gaz carbonique que doit vomir dans l’atmosphère le gueulard d’un fourneau d’usine, où le combustible se met par tombereaux. Songez aux volcans, gigantesques cheminées du brasier souterrain ; aux volcans qui, en une seule éruption, en rejettent des quantités devant lesquelles ce qui précède ne compte plus !

Une appréhension vous saisit après semblable relevé. Tout ce qui respire, tout ce qui brûle, tout ce qui fermente, tout ce qui pourrit, exhale du gaz carbonique, qui se répand dans l’atmosphère. Celle-ci, réceptacle de ces mortelles émanations, ne finira-t-elle pas, avec les siècles, par devenir irrespirable ? Nullement : les races animales n’ont rien à craindre sous ce rapport ni dans le présent ni dans l’avenir. L’atmosphère, toujours empoisonnée de gaz carbonique, est toujours assainie ; toujours chargée de charbon, elle en est toujours purgée. Et quel est le providentiel assainisseur chargé de la salubrité générale ? C’est la cellule, mon cher enfant, la cellule végétale, qui se nourrit de gaz carbonique pour nous empêcher de périr, et nous en pétrit du pain pour nous faire vivre. Cet air meurtrier, en lequel se résout toute chose devenue cadavre, est l’aliment par excellence de la plante. Pour le miraculeux estomac de la cellule, pourriture c’est nourriture. Des dépouilles délétères de la mort, la vie se reconstitue.

La feuille, vous le savez, est criblée d’une infinité d’orifices, bouches microscopiques que l’on nomme stomates. Par ces orifices, la plante respire, non l’air pur comme nous, mais l’air empoisonné, mortel pour l’animal et salubre pour elle. Elle aspire, par ses myriades de stomates, le gaz carbonique répandu dans l’atmosphère ; elle l’admet dans le tissu de ces feuilles, et là, sous l’influence des rayons du soleil, un acte suprême se passe, incompréhensible comme la vie elle-même. Les cellules, stimulées par la lumière, décomposent l’acide carbonique ; elles débrûlent (le mot n’est pas dans le dictionnaire, et c’est dommage, car il rend bien l’idée), elles débrûlent le charbon brûlé, elles défont ce qu’avait fait la combustion ; en un mot, elles séparent le charbon de l’oxygène qui lui était associé. Et n’allez pas vous figurer que ce soit chose facile que de ramener à l’état primitif deux substances mariées par le feu, que de débrûler une matière brûlée. Il faudrait au chimiste tout ce qu’il possède d’ingénieux moyens et de drogues brutales pour extraire le charbon du gaz carbonique. Eh bien ! ce travail, qui mettrait en action les plus violentes ressources d’un laboratoire, les cellules vertes l’accomplissent paisiblement, sans effort. En un rien de temps, c’est fait : le charbon et le gaz respirable, l’oxygène, se séparent, et chacun reprend ses propriétés premières.

Dépouillé de son charbon, le gaz redevient ce qu’il était avant de s’associer à lui ; il redevient gaz respirable, apte à entretenir et le feu et la vie. En cet état, il est rejeté par les stomates, pour servir de nouveau à la combustion, à la respiration. Il était entré gaz mortel dans les feuilles, il en sort gaz vivifiant. Il y reviendra un jour avec une nouvelle charge de charbon, il la déposera dans le magasin des cellules, et aussitôt épuré recommencera sa tournée atmosphérique. L’essaim va et vient de la ruche aux champs et des champs à la ruche, tour à tour allégé, ardent au butin, ou bien chargé de miel et regagnant les rayons d’un vol appesanti. L’oxygène est comme l’essaim de la ruche végétale : il arrive aux stomates avec une charge de charbon, butiné dans les veines de l’animal, sur le tison embrasé, sur les matières en putréfaction ; il le cède aux cellules et repart, infatigable, pour de nouvelles récoltes.

Quant au charbon provenant de l’acide carbonique décomposé, il reste dans le tissu des feuilles et entre comme élément dans la séve élaborée ou séve descendante, qui devient sucre, fécule, bois et autres matériaux organiques du végétal. Tôt ou tard, ces matériaux sont décomposés par la combustion lente ou la pourriture, par la combustion rapide, par la nutrition de l’animal, et le charbon redevient acide carbonique, qui retourne dans l’atmosphère, où de nouvelles plantes le puiseront encore pour se nourrir et transmettre à l’animal les substances alimentaires ainsi préparées. Le même charbon va et vient, suivant un cercle invariable, de l’atmosphère à la plante, de la plante à l’animal, de l’animal à l’atmosphère, réservoir commun où tous les êtres vivants puisent, pour quelques jours, la majeure partie des matériaux qui les composent. L’oxygène est son véhicule. L’animal emprunte son charbon à la plante sous forme d’aliment, et en fait du gaz carbonique ;
Fig. 109.
la plante puise dans l’atmosphère ce gaz irrespirable, le remplace par de l’oxygène, et, de son charbon, prépare la nourriture de l’animal. Les deux règnes organiques se prêtent ainsi un mutuel secours : l’animal fait du gaz carbonique, dont la plante se nourrit ; la plante, de ce gaz meurtrier, fait de l’air respirable et des matières alimentaires.

Pour constater la décomposition de l’acide carbonique par les plantes, le moyen le plus simple consiste à opérer sous l’eau, ce qui permet d’observer le dégagement gazeux et de recueillir avec facilité l’oxygène. L’eau ordinaire renferme toujours de l’acide carbonique dissous, et cédé soit par le sol, soit par l’atmosphère ; nous n’avons donc pas à nous préoccuper du gaz. Dans un flacon à large goulot plein d’eau ordinaire, nous introduisons un rameau coupé récemment et couvert de feuilles bien vertes. Une plante aquatique est préférable, parce que l’expérience marche plus vite et plus longtemps. Ainsi préparé, le flacon est renversé dans un vase plein d’eau et finalement exposé aux rayons directs du soleil. Bientôt les feuilles se couvrent de petites bulles aériformes qui gagnent le haut du flacon et s’y amassent en une couche gazeuse. En recueillant ce gaz, on constate qu’une allumette y brûle avec beaucoup plus d’éclat qu’à l’air libre ; à ce caractère se reconnaît l’oxygène. Il faut donc que l’acide carbonique dissous dans l’eau ait été décomposé par les feuilles en ses deux éléments, l’oxygène et le carbone. L’oxygène s’est dégagé, le carbone est resté dans le tissu des feuilles.

Le volume d’oxygène ainsi obtenu dépend du volume d’acide carbonique dissous dans l’eau ; et l’expérience forcément s’arrête quand la faible proportion de ce dernier est épuisée. Par le moyen que nous venons d’employer, on ne peut donc recueillir qu’une très-petite quantité d’oxygène, suffisante néanmoins pour reconnaître la nature du gaz. Mais le travail de décomposition des feuilles est en réalité bien plus actif : si rien ne l’entrave dans ses fonctions, une seule feuille de nénuphar donne, en une journée d’été, près de 300 litres d’oxygène. Vous voyez que les quelques centimètres cubes de gaz obtenus dans notre expérience sont loin d’être la mesure de l’activité chimique de la plante. Renouvelons peu à peu, à mesure qu’elle s’épuise, la provision d’acide carbonique dissous dans l’eau, et nous obtiendrons un plus grand volume d’oxygène. À cet effet, nous répéterons la curieuse expérience imaginée par Decandolle. Dans l’eau d’une même cuvette, on renverse à côté l’un de l’autre deux flacons à large goulot, l’un plein d’acide carbonique, l’autre plein d’eau dans laquelle nage une plante aquatique. Le tout est exposé à la lumière du soleil. Par l’intermédiaire de l’eau qui le dissout, le gaz carbonique du premier flacon passe peu à peu dans le second, à mesure que la plante décompose celui du liquide qui l’entoure. L’eau baignant les feuilles renouvelle ainsi sa provision de gaz dissous, et le travail chimique se poursuit des journées entières. On peut suivre du regard les progrès de la décomposition. Chaque jour on voit l’eau monter un peu plus dans le flacon d’acide carbonique et prendre la place du gaz disparu ; on la voit descendre, au contraire, dans le flacon de la plante, remplacée qu’elle est par l’oxygène dégagé. Si l’expérience est bien conduite, tout l’acide carbonique du premier flacon disparaît, et il s’amasse dans celui de la plante un volume à peu près équivalent d’oxygène.

Ces deux manières d’opérer s’écartent beaucoup de l’état naturel des choses : au lieu d’expérimenter sur des plantes entières, tenant au sol par leurs racines et déployant leur feuillage dans l’air, on opère sur des fragments de plante, sur des rameaux, qui n’ont plus de rapport avec la terre et sont plongés dans l’eau, milieu étranger aux végétaux aériens. Les résultats obtenus dans ces conditions artificielles sont-ils réellement applicables à la végétation normale ? Les recherches entreprises par de récents observateurs ne laissent aucun doute à ce sujet. La première en date et la plus célèbre des expériences faites dans des conditions naturelles est celle de M. Boussingault sur la vigne.

L’illustre chimiste introduisit dans un grand ballon de verre incolore un rameau de vigne en pleine végétation. Le rameau adhérait à la tige mère et portait une vingtaine de feuilles. Le ballon était plein d’air ordinaire, se renouvelant avec une vitesse modérée au moyen d’un appareil aspirateur. L’air atmosphérique, ne l’oubliez pas, contient toujours une certaine proportion de gaz carbonique, dont je vous ai exposé plus haut les principales sources. Eh bien ! l’analyse constatait dans l’air sortant du ballon, après avoir circulé entre les feuilles du rameau de vigne, une proportion d’acide carbonique trois fois moindre que dans l’air y entrant. L’acide carbonique disparu était remplacé par un volume à peu près égal d’oxygène. Il suffisait donc d’un passage même assez rapide sur les feuilles exposées au soleil, pour enlever à l’air atmosphérique les trois quarts de son acide carbonique, décomposer le gaz et lui substituer pareil volume d’oxygène.

Je crains bien, mon cher enfant, que cet outillage de laboratoire, ballons de verre, bocaux renversés, appareils aspirateurs, cuvettes, ne soit pas pour vous d’une parfaite clarté ; simplifions alors l’expérience aux derniers degrés du possible. Rendons-nous à la mare voisine. Là, dans une eau stagnante, vit et prospère une population de tétards, qui se reposent au soleil sur le bord ou gagnent le large et frétillent par bandes ; de mollusques variés, qui rampent lentement sous le couvert de leurs coquilles ; de petits crustacés, qui nagent par bonds en choquant l’eau d’un coup de queue ; de larves, qui se font un étui en menus grains de sable ; de sangsues noires, qui s’embusquent pour happer les passants ; d’épinoches enfin, gracieux petits poissons qui, sur les flancs, portent une épine pour arme. Tous, tant qu’ils sont, respirent de l’oxygène, mais de l’oxygène dissous dans l’eau. Si le gaz vivifiant venait à manquer dans la mare, cette population infailliblement périrait. Un autre danger la menace : le lit des eaux est une vase noire, un amoncellement de matières en décomposition, feuilles pourries, déjections des habitants, animalcules morts. Cette couche de pourriture constamment dégage de l’acide carbonique, tout aussi mortel à respirer pour l’épinoche et le tétard que pour nous. Comment donc l’eau est-elle sans cesse débarrassée du gaz irrespirable et sans cesse enrichie de gaz vivifiant, afin que la population de la mare se conserve et prospère ?

La végétation aquatique remplit cette fonction d’assainissement : elle se nourrit de l’acide carbonique dissous, le décompose aux rayons du soleil et le remplace par de l’oxygène. La pourriture fait vivre la plante, et la plante fait vivre l’animal. Or parmi les espèces végétales préposées à la salubrité des eaux stagnantes, je vous citerai certaines algues, les conferves, délicats filaments verts qui tapissent le fond d’un velours serré ou nagent en flocons gélatineux. Dans un bocal plein d’eau, mettez une touffe de conferves ; après quelques instants d’exposition à la lumière directe du soleil, vous verrez la plante se couvrir d’innombrables petites perles gazeuses. Ce sont autant de bulles d’oxygène provenant de l’acide carbonique dissous. Retenues prisonnières sous le réseau visqueux de l’algue, ces bulles augmentent de volume, allégent la plante et finissent par la soulever, toute écumeuse, jusqu’à la surface. L’expérience ne demande aucune disposition spéciale : un flocon vert que l’on dépose dans un verre d’eau exposé au soleil, cela suffit pour voir fonctionner la fabrique d’oxygène.

L’algue, préparant dans le bocal du gaz respirable, vous fait assister au travail d’assainissement qui s’accomplit au sein des eaux. Toutes les productions vertes encombrant un bassin, lentilles aquatiques, feutres glaireux, mousses, conferves, se couvrent au soleil de bulles d’oxygène, qui se dissolvent dans l’eau et la révivifient. C’est ainsi que par l’intermédiaire de végétaux infimes, l’eau non renouvelée, loin de devenir un foyer pestilentiel, se maintient peuplée de nombreuses espèces animales. De là découle un petit renseignement dont vous ne tarderez pas à faire votre profit. Que de fois, mon cher enfant, n’avez-vous pas essayé de conserver des épinoches en vie dans un bocal ? La tentative a toujours échoué. Dans l’eau non renouvelée, les petits poissons étaient bientôt morts ; ils périssaient quand était épuisé, par la respiration, le peu d’oxygène dissous dans l’eau. Voulez-vous désormais réussir ? Mettez dans le bocal un abondant flocon de conferves. La plante et le poisson se viendront en aide mutuellement : l’algue fera de l’oxygène à l’épinoche, l’épinoche fera du gaz carbonique à l’algue, et les deux prospéreront même dans de l’eau non renouvelée. Enfin toutes les fois que vous voudrez garder en vie des animaux aquatiques, n’oubliez pas de leur associer leurs indispensables compagnes, les plantes aquatiques.

Deux conditions sont d’une absolue nécessité pour que la plante décompose le gaz carbonique et dégage de l’oxygène, ce sont : les rayons directs du soleil et la couleur verte. À la lumière artificielle des lampes si vive qu’elle soit, à l’ombre, et enfin dans l’obscurité, le dégagement d’oxygène n’a pas lieu, l’acide carbonique n’est pas décomposé. Vous pouvez vous en convaincre avec un flocon de conferve dans un verre d’eau. À l’ombre, la plante ne se couvrira jamais de bulles gazeuses, si longtemps que dure l’expérience ; au soleil, elle en donnera rapidement.

Lorsqu’elle n’éprouve pas l’influence directe de la lumière solaire, une plante n’a donc pas d’action sur le gaz carbonique, sa principale nourriture. Alors elle languit affamée, elle s’allonge beaucoup comme pour rechercher la lumière qui lui manque ; son écorce, ses feuilles perdent la coloration verte et pâlissent ; enfin elle périt. Cet état maladif, causé par la privation de la lumière, s’appelle étiolement. On le provoque en horticulture pour obtenir du jardinage plus tendre, pour amoindrir et même pour faire disparaître en entier la saveur trop forte et déplaisante de quelques végétaux. C’est ainsi qu’on lie avec un jonc les salades, dont le cœur, privé de lumière, devient blanc et tendre ; c’est ainsi encore qu’on enterre en grande partie le céleri et les cardons, dont la saveur serait insupportable sans ce traitement par l’obscurité du sol. Couvrez le gazon d’une tuile, cachez une plante sous un pot renversé ; en quelques jours d’absence de la lumière, vous les trouverez avec le feuillage maladif et jauni.

En second lieu, les parties vertes des végétaux, les feuilles principalement, sont seules aptes à la décomposition de l’acide carbonique ; les fleurs, les fruits, et les divers organes colorés autrement qu’en vert, sont impropres à ce travail, même sous le stimulant d’une vive lumière. Toute cellule renfermant des grains verts de chlorophylle peut, avec le concours des rayons du soleil, réduire le gaz carbonique en ses deux éléments ; toute cellule qui n’en contient pas est sans efficacité aucune pour cette décomposition. Aux granules chlorophylliens revient donc le rôle chimique de dédoubler le gaz en oxygène et en charbon, rôle très-obscur encore, mais non sans une certaine analogie avec celui des globules du sang chez les animaux. Ces globules, d’une finesse excessive, s’imprègnent d’oxygène en traversant les organes respiratoires ; ils le condensent dans leur masse poreuse et par là même exaltent ses propriétés comburantes. Entraînés en cet état par la circulation, ils cèdent peu à peu leur atmosphère oxygénée aux divers organes baignés par le sang, et brûlent les matériaux vieillis, qui s’exhalent, avec le souffle des poumons, en acide carbonique et vapeur d’eau. Pareillement sans doute, les grains de chlorophylle condensent le gaz carbonique et le présentent au travail de la lumière dans les conditions les plus favorables à son dédoublement. La chimie nous apprend, en effet, que les corps très-divisés sont aptes à provoquer, par leur seule présence, de délicates réactions chimiques, très-difficiles ou même impossibles à réaliser en dehors de leur concours ; il devient alors très-probable que les globules du sang et les granules verts des feuilles doivent leur efficacité chimique à leur état de substance excessivement divisée.

Le principal élément de la plante, le charbon, est fourni par le gaz carbonique, dont la décomposition exige, de toute nécessité, la présence de la chlorophylle dans les cellules. Néanmoins on connaît des végétaux qui naissent, se développent et prospèrent sans avoir le moindre grain vert dans leurs tissus. Telles sont les orobanches, très-fréquentes dans nos pays et parfois fléau de nos cultures. Figurez-vous une tige semblable à une pousse d’asperge, sans rameaux, couverte de grossières écailles, et terminée par une grappe de sombres fleurs. La couleur du tout est le brun virant au rougeâtre ou au jaune. En quelques mots, voilà l’orobanche. Comment donc se nourrissent ces plantes en l’absence des granules chlorophylliens, indispensables pour l’élaboration de la séve ? Creusez avec soin la terre au pied d’une orobanche et vous aurez le mot de l’énigme : vous trouverez la tige soudée aux racines de quelque plante voisine. Les orobanches sont parasites : le défaut de coloration verte les mettant dans l’impuissance de retirer par elles-mêmes du gaz carbonique le charbon qui leur est nécessaire, elles vivent aux dépens d’autres végétaux, dont elles détournent la séve à leur profit. Chaque espèce a sa victime de prédilection : à l’une, il faut le thym ; à une autre, le chanvre ; à d’autres encore, le trèfle, le lierre, le lin, etc. Si la plante nourricière lui manque, la plante parasite est dans l’impossibilité absolue de se développer. Semons, par exemple, dans un pot des graines d’orobanche. Tous nos soins de semis échouent, aucune semence n’arrive à bien. Recommençons en semant pêle-mêle des graines d’orobanche et des graines d’une autre plante appropriée aux goûts de la première, soit de trèfle. Maintenant tout lève, l’orobanche soude sa tige aux racines du trèfle, vit de l’acide carbonique décomposé par son nourricier vert, et prospère tandis que ce dernier dépérit épuisé.

Parmi les végétaux que le défaut de coloration verte rend inhabiles au travail de la séve et réduit à vivre en parasites sur d’autres plantes, je vous citerai la cuscute, touffe de filaments rougeâtres qui s’enchevêtrent au chanvre, au thym, au lin, à la vigne ; le sucepin, de couleur jaune, qui s’établit sur les racines des arbres forestiers, du pin en particulier ; la clandestine, à grandes fleurs pourpres, et dont la tige souterraine et blanchâtre suce au bord des eaux les racines des aulnes ; le cytinet, d’un jaune rougeâtre, qui s’implante sur les souches des cistes. Dans tous, les feuilles sont réduites à des écailles, aussi grossières que les enveloppes d’un bourgeon.