La Plante/Partie I, chapitre VI

Charles Delagrave (p. 49-58).
Partie I.
VI. — Structure de la tige dicotylédonée

VI
Structure de la tige dicotylédonée.

Tige herbacée. — Moelle centrale. — Moelle externe. — Rayons médullaires. — Faisceaux ligneux. — Tige ligneuse. — Cambium. — Liber. — Enveloppe subéreuse. — Épiderme. — Séve descendante. — Accroissement de seconde année. — Accroissements ultérieurs. — Preuves de la marche descendante de la séve. — Effet d’une décortication annulaire, et d’une ligature. — Preuves de la formation annuelle d’une couche ligneuse.

La tige, support commun des diverses parties du végétal, est dite annuelle ou herbacée quand elle ne doit durer qu’un an. Elle se compose alors, dans les plantes dicotylédonées, d’un amas de cellules vertes, dans lequel plongent quelques paquets de fibres et de vaisseaux formant une couronne étroite, facile à reconnaître à sa couleur d’un blanc mat. L’élément dominant est ici la cellule, le plus simple de tous, le plus prompt à se former et le mieux en rapport avec une vie active mais de courte durée.

Deux régions sont à distinguer dans la masse cellulaire d’une tige herbacée (fig. 35). La partie m comprise dans l’intérieur de la couronne ligneuse s’appelle la moelle centrale ; la partie située à l’extérieur de cette couronne, sur le pourtour de la tige, s’appelle la moelle externe. Des bandes r, également de nature cellulaire, font communiquer la moelle externe avec la moelle centrale. On les nomme rayons médullaires. Enfin une assise de cellules robustes, étroitement ajustées l’une à l’autre, enveloppe la tige pour la défendre des ardeurs du soleil, de l’accès de l’air, et s’opposer à la déperdition des liquides qui l’imbibent. C’est ce qu’on nomme l’épiderme. Sur les jeunes pousses, il est facile de l’enlever par lambeaux, sous forme de pellicule incolore. La figure le représente par un gros trait noir cernant le tout.

Quelques plantes herbacées s’arrêtent là dans la structure de leur tige ; d’autres complètent plus ou moins leur couronne ligneuse. Alors, entre les piliers primitifs de fibres et de vaisseaux, de nouveaux piliers se développent ; les rayons médullaires se rétrécissent en fines cloisons et la zone de bois se trouve à peu près continue (fig. 36).

Fig. 35. Tige herbacée dicotylédonée. Fig. 36. La même tige plus avancée.

Toute tige, n’importe la durée, la grosseur, la consistance qu’elle doit acquérir, débute par des états pareils à ceux que je viens de décrire ; puis, à la fin de sa première année, elle a déjà une structure assez avancée pour mériter la qualification de ligneuse. La figure 37 représente, de grandeur naturelle, un tronçon de tige de marronnier. La partie ab de ce tronçon est reproduite à part, grossie au microscope.

Elle comprend une moelle centrale (1), toujours composée de cellules seules ; puis une zone ligneuse (3), divisée en un grand nombre de coins par des rayons médullaires très-étroits, également de nature cellulaire. Dans cette zone se voient les orifices de gros vaisseaux ponctués ; et dans la région (2), au voisinage immédiat de la moelle, d’autres orifices correspondant à des trachées. C’est uniquement là, au contact de la moelle centrale, que la tige est pourvue de trachées ; nulle autre part on n’en trouve, ni dans l’écorce ni dans le bois. Au delà de la zone ligneuse, se montre une mince couche (4) formée
Fig. 37. Coupe transversale d’une jeune tige de marronnier.
d’un liquide visqueux et de cellules naissantes. Si peu apparente qu’elle soit, cette couche demi-fluide est d’une importance capitale, car elle est un laboratoire permanent d’organes élémentaires. On lui donne le nom de cambium.

Par delà vient l’écorce. Elle comprend, en allant toujours de l’intérieur à l’extérieur, une couche (5) appelée liber, composée de fibres longues et tenaces ; puis une zone (6) de tissu cellulaire formant la moelle externe ou enveloppe cellulaire, analogue à celle des tiges herbacées et communiquant avec la moelle centrale par des rayons médullaires qui traversent de part en part le liber et la zone de bois ; plus loin une zone brunâtre (7) également cellulaire, appelée enveloppe subéreuse ; et enfin une assise de cellules protectrices, l’épiderme (8).

Voilà bien des noms, mon cher enfant, des matériaux et des assises pour un morceau de bois d’un an ! Afin de vous aider à les graver dans la mémoire, je vais vous les répéter en vous montrant le morceau de marronnier sous un grossissement plus fort et sous un autre aspect. En voici (fig. 38) une tranche coupée verticalement.

La moelle centrale est indiquée par le chiffre 1. Elle est
Fig. 38. Coupe verticale d’une portion du même rameau de marronnier.
composée de cellules irrégulières. Sur son pourtour se voient quelques trachées (2), dont les fils en spirale sont un peu déroulés à l’extrémité. La zone ligneuse commence immédiatement après. Vous y reconnaissez quelques gros vaisseaux vp à surface ponctuée, et une multitude de fibres (3) toutes assemblées suivant la longueur de la tige. Deux rayons médullaires rm s’étendent en ligne droite de la moelle externe (6) à la moelle centrale (1) et les font communiquer au moyen de leurs feuillets de cellules. La couche de bois en travail de formation, enfin le cambium (4), limite à l’extérieur la zone ligneuse. Puis viennent les fibres de l’écorce, le liber (5). Au delà se trouvent la moelle externe (6) formée de cellules d’un vert pâle, et l’enveloppe subéreuse dont les cellules sont encroûtées d’un ciment brunâtre (7). Enfin l’épiderme (8) enveloppe le tout.

Voilà pour la tige d’un an, grosse au plus comme le petit doigt. Que se passe-t-il la seconde année et les suivantes ? — Sachons d’abord que les végétaux puisent la nourriture à la fois dans l’atmosphère et dans le sol : dans l’atmosphère par les feuilles, dans le sol par les racines. Mais comme les substances empruntées à la terre ne sont pas les mêmes que les substances empruntées à l’air, l’alimentation aérienne et l’alimentation souterraine ne peuvent se suppléer l’une l’autre ; les deux marchent de pair, également nécessaires. Alors tout bourgeon, enfoui sous terre ou situé à l’air libre, au sommet d’un arbre, doit, lorsque son heure est venue de se mettre au travail, entrer en rapport avec l’atmosphère au moyen de feuilles, et avec le sol au moyen de communications se prolongeant jusqu’aux racines. En ce moment, les jeunes pousses, c’est-à-dire les bourgeons en voie de développement, infiltrent sous l’écorce une substance liquide. Des mille et mille gouttelettes fournies par la communauté entière, résulte, entre l’écorce et le bois, un flux d’humeurs vivantes qui gagne de proche en proche du sommet à la base de l’arbre, s’épaissit, s’organise et finalement devient une couche de bois superposée aux couches analogues des années précédentes. À l’époque de ce flux, au printemps, on dit que l’arbre est en séve. C’est alors que l’écorce, assouplie par les liquides qui la baignent en dessous, se détache facilement des rameaux, et se trouve propre à faire les sifflets, joie de votre âge. Cette humeur, préparée en commun par l’ensemble des bourgeons, pourrait s’appeler le sang de la plante, puisqu’elle sert à former toutes choses dans le végétal, de même que le sang forme et nourrit toutes les parties du corps de l’animal. On lui donne le nom de séve descendante à cause de sa progression du sommet à la base de l’arbre. Le cambium n’est autre chose que cette même séve épaissie et commençant à s’organiser en cellules, fibres et vaisseaux.

Au retour de la belle saison, les nouveaux bourgeons se mettent donc en travail pour ajouter une seconde assise de bois à la tige de la génération précédente et entrer ainsi en rapport avec le sol par la voie des racines. Ils envoient entre le bois et l’écorce la séve élaborée en commun, la séve qui s’épaissit en cambium, s’organise et forme peu à peu, du côté du bois, une nouvelle couche ligneuse moulée sur la précédente ; du côté de l’écorce, une nouvelle couche de fibres, superposée intérieurement à la première assise de liber. Ce travail fini, le bois comprend
Fig. 39. Coupe verticale des parties développées pendant la seconde année.
deux zones emboîtées l’une dans l’autre, la plus vieille au dedans, la plus récente au dehors ; le liber aussi comprend deux feuillets fibreux, l’ancien au dehors, le jeune au dedans. La figure 39 vous montre l’accroissement de la tige pendant la seconde année. Tout ce qui déborde dans la figure est de formation récente ; tout ce qui est en retrait appartient, du côté droit, au vieux bois ; du côté gauche, à la vieille écorce.

La nouvelle couche ligneuse (3) est construite sur le modèle de la précédente. On y voit un amas serré de fibres et quelques gros vaisseaux ponctués v′p′, mais les trachées y manquent, comme elles doivent manquer dans toutes les couches futures. Des rayons médullaires la traversent de part en part. L’un d’eux est figuré. Remarquez que d’un côté il va rejoindre la moelle externe, mais que de l’autre il s’arrête à l’ancienne zone ligneuse, sans parvenir à la moelle centrale. Il en sera de même pour tous les rayons médullaires futurs : ils aboutiront tous à la moelle externe, mais tous aussi se termineront à la couche ligneuse de la précédente année. Le liber, c’est-à-dire le feuillet de fibres longues et tenaces, s’est pareillement accru d’une seconde assise (5′). Enfin une couche de cambium (4′) est interposée entre l’écorce et le bois pour continuer le travail d’accroissement pendant toute la saison favorable.

Il y a ainsi, chaque année, autant pour l’écorce que pour le bois, formation d’une nouvelle assise ; seulement l’assise ajoutée est disposée des deux parts en sens inverse : au dehors pour le bois, au dedans pour l’écorce. Le bois, enveloppé d’une année à l’autre d’un étui ligneux nouveau, vieillit au centre et rajeunit à la surface ; l’écorce, doublée chaque année à l’intérieur d’un nouveau feuillet, rajeunit au dedans et vieillit au dehors. Le premier enfouit au cœur du tronc ses couches encroûtées et mortes ; la seconde rejette au dehors ses anciennes assises, qui se crevassent et tombent en grossières écailles. La décrépitude est simultanément à la superficie et au centre de l’arbre ; mais sur les limites du bois et de l’écorce, la vie est toujours à l’œuvre pour de jeunes formations.

Les matériaux nécessaires à ces formations annuelles sont fournis par le fluide nourricier du végétal, par la séve descendante ou cambium. Si l’on enlève un lambeau d’écorce sur la tige d’un arbre et qu’on recouvre la plaie d’une plaque de verre pour empêcher la dessiccation, on voit suinter au bord supérieur de l’entaille des gouttelettes gommeuses, qui augmentent en nombre et en volume, s’étalent, se fondent l’une dans l’autre et couvrent le bois d’un enduit continu. Voilà la séve descendante, voilà les matériaux avec lesquels les bourgeons de l’année se forment une couche de bois pour entrer en rapport avec le sol. Cette humeur est du bois fluide, de même que le sang des animaux est de la chair coulante ; à mesure qu’elle avance, elle s’épaissit et prend le nom de cambium, puis s’organise, se solidifie et devient d’un côté couche ligneuse, de l’autre feuillet de liber.

Une expérience fort simple montre sa marche descendante. Par une double entaille, on enlève, sur une tige, un large anneau d’écorce. De la sorte, toute communication est interrompue entre le haut et le bas de la tige, un obstacle infranchissable est établi sur le trajet de la séve. Alors celle-ci, sans cesse envoyée du haut de l’arbre par les bourgeons, s’accumule au bord supérieur de la blessure, s’y organise, devient bois et forme un bourrelet. Au bord inférieur de la blessure, au contraire, aucun renflement n’apparaît. En sa structure intime, le bourrelet ligneux du bord supérieur est composé d’un amas de fibres contournées, entrelacées. On dirait que les matériaux du bois en travail de formation ont fait tous leurs efforts pour trouver une issue et continuer leur marche au delà de l’obstacle. Dans l’état où il se trouve, l’arbre doit périr. Les jeunes rameaux ne pouvant plus communiquer avec la terre, l’arbre languira quelque temps, puis se desséchera.

On observe des faits pareils lorsqu’on lie fortement la tige. Au-dessus de la ligature, un bourrelet se forme, et puis l’arbre dépérit. Ici encore, la compression entrave, suspend la descente de la séve ; elle empêche les bourgeons de se mettre en rapport avec le sol, et la communauté végétale se meurt. Mais si la bande d’écorce enlevée, si la compression, n’embrasse qu’une partie de la tige, la séve contourne l’obstacle, elle s’ouvre une voie dans la région non endommagée, et reprend par delà sa marche habituelle. Dans ce cas, l’arbre ne meurt pas ; il est seulement affaibli.

Il descend donc de l’ensemble des bourgeons, pour les mettre en rapport avec la terre, une humeur spéciale qui chemine sous l’écorce et s’organise, dans son trajet, en une couche de bois moulée sur celle de l’année précédente. Cette couche ligneuse relie les bourgeons au sol, car parvenue à la base de la tige, elle se distribue dans les racines déjà formées, ou même en produit de nouvelles en se subdivisant et s’épanouissant sous terre. Comme pareil travail se reproduit pour chaque génération de bourgeons, c’est-à-dire chaque année, il en résulte qu’un arbre se compose d’une succession de couches ligneuses emboîtées l’une dans l’autre, les plus vieilles à l’intérieur, les plus récentes à l’extérieur. Une branche, suivant son âge, en comprend tel ou tel nombre ; et la tige, point de départ de la communauté végétale, les comprend toutes.

Voici quelques preuves expérimentales de cette formation annuelle d’une couche ligneuse. Sur un arbre en séve, on soulève une bande d’écorce, et, contre le bois mis à nu, une mince feuille métallique est appliquée. L’écorce est remise en place et assujettie avec des ligatures afin que la plaie se cicatrise. Dix années s’écoulent, je suppose. On revient soulever l’écorce au même point. La feuille de métal ne se voit plus ; pour la retrouver, il faut creuser dans l’épaisseur du bois. Or, si l’on compte les couches ligneuses enlevées avant d’atteindre la lame métallique, on en trouve précisément dix, autant qu’il s’est écoulé d’années.

On connaît une foule d’observations dans le genre de la suivante. Des forestiers abattirent un hêtre portant gravée sur le tronc la date de 1750. La même inscription se retrouvait dans l’intérieur du bois, et, pour y arriver, il fallait franchir cinquante-cinq couches où rien n’apparaissait. Or en ajoutant 55 à 1750, on obtient juste l’année où l’arbre fut abattu, 1805. — L’inscription gravée sur le tronc en l’année 1750 avait traversé toute l’écorce et atteint la couche de bois la plus extérieure alors. Depuis, cinquante-cinq années s’étaient écoulées, et des couches nouvelles, exactement en nombre égal, avaient enveloppé la première. Je vous ai déjà dit comment une observation de ce genre avait permis à Adanson d’évaluer l’âge prodigieux des baobabs de la Sénégambie. Il reste donc établi que les arbres, du moins ceux de nos climats, produisent une couche ligneuse par an.