La Plante/Partie I, chapitre IV

Charles Delagrave (p. 23-36).
Partie I.
IV. — Organes élémentaires

IV
Organes élémentaires.

Cellules. — Rapidité de leur formation. — Principales formes. — Fibres. — Leur endurcissement par le ligneux. — Vaisseaux. — Trachées. — Cellulose. — Contenu des organes élémentaires. — Fécule. — Son extraction de la pomme de terre. — Structure de ses grains. — Sa conversion en glucose.

Lorsqu’il veut prendre exacte connaissance d’un pays nouveau pour lui, le voyageur gagne quelque point élevé d’où la vue saisisse les grandes lignes de configuration de la contrée. Cet aperçu général lui sert désormais de guide pour coordonner, chacune à sa place, les observations de détail. Je vous fais voyager, mon cher enfant, dans un monde nouveau pour vous, le monde des plantes ; aussi pour que chaque chose se classe avec méthode dans votre esprit et se présente sous un aspect riche de clarté, je vous ai conduit tout d’abord sur l’une des hautes cimes de la science. Nous en avons rapporté une vérité, une seule, mais fondamentale et qui nous ouvre désormais des voies fécondes. La plante est un être complexe, une société dont le bourgeon est l’individu. Les individus quelque temps prospèrent, puis dépérissent et meurent, fatale terminaison de tout ce qui vit ; mais avant, ils laissent des successeurs, et les sociétés, toujours rajeunies, poursuivent le cours des siècles, du moins les sociétés fortes, celles des arbres, qui bravent les vicissitudes des saisons, mortelles pour les faibles. Ainsi s’expliquent les prodigieuses antiquités dont je viens de vous donner quelques exemples ; ainsi s’expliqueront bien d’autres faits dont l’examen viendra plus tard. Descendons maintenant de ces hauteurs et venons aux détails. Nous commencerons par l’étude des matériaux dont toute plante se compose.

Examinez avec soin un morceau de drap. Vous apprendrez, si vous ne le savez déjà, que le drap est un tissu de fils entrecroisés, les uns dirigés en long, les autres dirigés en travers. Avec une épingle, défaites le tissu, séparez-en un à un les fils constitutifs. L’étoffe maintenant n’est plus étoffe ; c’est une pincée de fils grossiers. La décomposition peut être amenée plus loin. Prenons un fil en particulier. Il résulte de menus filaments tordus ensemble. Chacun est un brin de laine, un poil de mouton. Nous les isolons l’un de l’autre ; et, cela fait, la décomposition s’arrête : le poil ne se subdivise pas. Eh bien ! le brin de laine est, en quelque sorte, l’organe élémentaire du drap ; c’est lui qui, toujours le même quant à la substance, le même ou à peu près quant à la finesse, constitue, suffisamment répété de fois, d’abord le fil et puis l’étoffe.

La plante, elle aussi, décomposée pièce à pièce, se réduit à son brin de laine, c’est-à-dire à quelque chose de simple, de non susceptible de dédoublement ultérieur ; enfin à son organe élémentaire, qui, accumulé en nombre suffisant, forme tout, feuilles et fleurs, graines et fruits, écorce et bois indistinctement. Cette parcelle finale est de même substance dans toutes les plantes et dans toutes leurs parties ; elle est encore de même forme et de mêmes dimensions ou à peu près. Or l’organe élémentaire des plantes est un tout petit globule, si menu qu’il en faudrait pas mal de douzaines pour arriver à la grosseur d’une tête d’épingle. C’est vous dire que, sans microscope, il ne faut pas se promettre de le voir. Ce globule est creux.
Fig. 8. Cellules
du Lis.
Formé d’une délicate membrane close de partout, il ressemble à une outre, à un sac sans ouverture. Pour ce motif, on lui donne le nom de cellule.

La cellule est en quelque sorte le moellon de l’édifice végétal, puisque, empilée par myriades et myriades, suivant tel ou tel ordre, elle forme toutes les parties de la plante. On n’ose croire à l’étourdissante rapidité des végétaux pour créer des cellules et construire avec elles. Une feuille de haricot, une seule, à l’époque de sa croissance, fait pour le moins, par heure, deux mille cellules, aussitôt mises en place, groupées comme il convient. Une citrouille augmente en poids d’un kilogramme et plus par jour, d’un kilogramme de cellules, points invisibles. Le botaniste Jungius parle d’un champignon qui, en une seule nuit, parvint de la grosseur d’une noisette à celle d’une gourde. De la dimension d’une cellule, comparée à la grosseur acquise, Jungius conclut que le champignon s’était accru de soixante-six millions de cellules par minute, ou d’un total de quarante-sept mille millions dans l’intervalle d’une nuit.

Au moment de leur formation, les cellules sont de petits sacs clos, formés d’une pellicule transparente. En principe, leur forme est ronde ou ovulaire. Mais elles n’ont pas toujours la place libre ; et gênées par leurs voisines, pressées l’une contre l’autre, elles se déforment et aplatissent leurs flancs en facettes. Pour occuper du mieux l’espace disputé, l’angle s’ajuste avec l’angle, l’arête saillante s’emboîte dans le creux, les inégalités de l’une se font un lit parmi les inégalités des autres.

Quelquefois la cellule persiste dans son initiale simplicité ; elle n’ajoute rien à sa première membrane. C’est le cas des champignons, de croissance très-rapide et de courte durée. Plus fréquemment, chez les végétaux à longue existence, la cellule se double à l’intérieur d’une nouvelle membrane tapissant la première.

Fig. 9. Cellules de la moelle du sureau. Fig. 10. Cellules ponctuées. Fig. 11. Cellules rayées.

Cette seconde membrane est suivie d’une troisième, d’une quatrième, etc., toujours à l’intérieur ; de sorte que la paroi cellulaire gagne en épaisseur par l’addition de nouvelles couches et que la cavité centrale se rétrécit d’autant. Or ces enveloppes successives, à partir de la seconde, au lieu de s’étendre en nappe continue, sont fendues çà et là suivant des points, des traits irréguliers, des lignes circulaires ou spirales. Comme ces déchirures se correspondent toutes exactement, la paroi y est plus transparente puisque le sac extérieur n’y est doublé par rien ; et de là résultent des aspects assez variés. Tantôt la cellule se montre couverte de points arrondis ou de courtes raies transversales. Dans le premier cas, elle est dite ponctuée ; dans le second, rayée.

Fig. 12. Cellule annulaire. Fig. 13. Cellule spirale. Fig. 14. Cellule rayée et réticulée.

D’autres fois, elle est cerclée de bandelettes en forme d’anneaux, ce qui lui a valu le nom de cellule annulaire ; ou bien doublée d’un fil en tire-bouchon, ce qui lui a valu l’appellation de cellule spirale. D’autres fois encore, elle est couverte de traits irréguliers qui simulent les mailles d’un réseau. Dans ce cas, on l’appelle cellule réticulée.


Fig. 15. Fibres ponctuées.
Pour s’accommoder aux fonctions diverses qu’elles ont à remplir, les cellules perdent, en des points déterminés du végétal, leur forme originelle et en prennent une très-allongée. Ou bien encore, elles s’ajustent bout à bout en série, s’ouvrent aux extrémités pour communiquer entre elles, et constituent ainsi des canaux plus ou moins longs. De là deux nouveaux genres d’organes élémentaires : les fibres et les vaisseaux.

Les fibres sont des cellules allongées qui vont en se rétrécissant aux extrémités à la manière d’un fuseau. Elles forment la majeure partie du bois. Comme les cellules ordinaires, dont elles ne sont qu’une variété, elles affectent diverses apparences provenant des déchirures de leurs couches internes tapissant la première membrane. Il y en a donc de ponctuées, de rayées, de réticulées, etc. Mais le trait le plus remarquable des fibres, c’est leur tendance à empiler rapidement couche sur couche dans leur intérieur ; aussi, tôt ou tard, les assises surajoutées comblent entièrement leur cavité centrale. En outre les fibres se pénètrent de principes colorants, s’encroûtent de matières minérales, et s’imprègnent surtout d’une substance remarquable appelée ligneux. Vous rappelez-vous ces grains durs que l’on rencontre dans la chair de certaines poires de mauvaise qualité ; vous rappelez-vous surtout le noyau de l’abricot et de la pêche, cette robuste coque inattaquable au couteau ? Eh bien ! ces grains durs et ce noyau sont du ligneux presque pur. Une fois encroûtées de cette dure substance et minéralisées pour ainsi dire, les fibres ne peuvent plus prendre part au travail vital de la plante, car la première condition de l’exercice de la vie, c’est de se laisser aisément imbiber par les liquides, par la séve, qui est le sang du végétal. Elles ne sont alors pour l’arbre que des matériaux de consolidation et de résistance. Tant que leur cavité est libre et leur paroi perméable, les fibres constituent le bois réellement vivant, situé immédiatement sous l’écorce ; quand elles sont obstruées, encroûtées en plein, elles forment la partie centrale du tronc, plus dure et plus colorée que le reste. Le ligneux qui les engorge donne au bois sa dureté, sa résistance à la décomposition, ses propriétés de bon combustible. C’est lui qui, par sa plus grande proportion, rend le chêne préférable au saule pour le chauffage, et le centre du tronc préférable à l’extérieur pour la menuiserie.

Pour conduire sous terre l’eau de nos fontaines, nous ajustons bout à bout un certain nombre de tuyaux plus ou moins longs. Pareillement, la plante, pour amener aux bourgeons l’humidité du sol, empile cellule sur cellule et s’en fait des canaux, autrement dits vaisseaux. Dans ses attributions ordinaires, la cellule est close. Quand elle concourt à la formation d’un vaisseau, elle s’ouvre à ses extrémités pour laisser le canal libre. Voici (fig. 16) deux tronçons de vaisseaux entourés de quelques fibres, Aux étranglements qui les resserrent de distance en distance, on voit bien que ces deux vaisseaux résultent, en effet, d’un assemblage de cellules. L’un d’eux est rayé, l’autre est ponctué, absolument comme le sont les cellules ordinaires.

D’autres fois, tout étranglement s’efface, et sur le vaisseau, partout d’un égal calibre, il est impossible de retrouver la moindre ligne de démarcation entre les cellules constitutives. Tels sont les deux vaisseaux de la figure 17.

Fig. 16. Deux vaisseaux au milieu de fibres. Fig. 17. Vaisseau réticulé et vaisseau annulaire.

Le premier est doublé intérieurement d’un réseau de mailles, il est réticulé ; le second est fortifié, de distance en distance, par des bandelettes en cerceau, il est annulaire. Nous avons déjà trouvé ces deux structures dans les cellules ordinaires, chose toute naturelle puisque le vaisseau dérive de la cellule.

Les vaisseaux ne se ramifient point et ne s’abouchent jamais l’un avec l’autre. Disséminés çà et là dans le bois, ordinairement réunis en petits groupes, ils vont tout droit des racines aux feuilles, sans émettre des tubes secondaires, sans communiquer entre eux. Leur longueur est indéfinie, mais leur diamètre est généralement à peu près invisible. Dans quelques espèces de bois pourtant, leur canal est perceptible à la vue simple. Sur une branche de chêne nettement coupée, par exemple, on distingue, surtout au voisinage de la ligne de jonction de deux zones consécutives de bois, une foule de très-petites ouvertures qui sont les orifices d’autant de canaux. Sur un rameau de vigne bien sec, l’observation est encore plus facile. Le sarment est criblé d’orifices dans lesquels il serait possible d’engager un crin délié.

Pour terminer la série des organes élémentaires, il me reste à vous parler des vaisseaux spiraux ou trachées. Ce sont des tubes doublés à l’intérieur d’une bandelette roulée en spirale,
Fig. 18. Fragments de trachées.
comme les ressorts de bretelle. Les trachées ne se trouvent jamais dans le bois, si ce n’est au voisinage immédiat de la moelle ; mais elles sont très-fréquentes dans les feuilles et dans les fleurs. Déchirez une feuille de rosier avec délicatesse. Vous apercevrez, entre les deux lambeaux, de menus fils défiant en finesse ceux de la plus légère toile d’araignée. Ce sont les bandelettes des trachées rompues, qui se déroulent sous la traction des doigts. Pour observer toutes ces choses, cellules et vaisseaux, fibres et trachées, le secours du microscope est indispensable ; sous les verres grossissants se reconnaît alors, dans la moindre parcelle d’un brin d’herbe, une délicate magnificence qui vous saisit d’étonnement.

Des organes élémentaires, nous ne connaissons encore que la configuration en cellule, fibre, vaisseau ou trachée ; il nous reste à connaître la substance qui compose leur paroi et la nature des matériaux renfermés dans leur cavité. Occupons-nous de la première. Ici la fabrication du papier peut nous fournir d’utiles renseignements. — Des haillons abjects sont ramassés. Il y en a de recueillis parmi les immondices de la rue, il y en a de maculés d’impuretés sans nom. Un triage est fait : ceux-ci pour le papier fin, ceux-là pour le papier grossier. On les lessive et rudement ; ils en ont besoin. Maintenant des machines s’en emparent ; des griffes d’acier les déchirent, les cisaillent, les mâchent et les mettent en menus lambeaux. Des roues les reprennent et les mâchent encore, elles les triturent dans l’eau, elles les réduisent en purée. La bouillie est grise, il faut la blanchir. Alors interviennent de violentes drogues qui altèrent tout ce qu’elles touchent et le font blanc comme neige. Voilà la pâte épurée à point. D’autres machines l’étalent en minces couches sur des tamis. L’eau s’égoutte et la purée de chiffons se prend en feutre. Des cylindres pressent ce feutre, d’autres le dessèchent, lui donnent du poli. Le papier est fait.

Avant d’être papier, la matière première était chiffon, qui, lui-même, est lambeau de linge hors d’usage. Ce linge, avant d’être mis au rebut, à combien d’usages n’a-t-il pas servi, et quels traitements énergiques n’a-t-il pas subis ? Lessivages avec la cendre corrosive, contact avec l’âcreté du savon, coups de battoir, exposition au soleil, à l’air, à la pluie. Quelle est donc cette matière qui résiste aux brutalités de la lessive, du savon, du soleil, de l’air ; qui demeure intacte au sein de la pourriture ; qui brave les machines et les drogues de la papeterie, et sort de ces épreuves toujours plus souple, plus blanche, pour devenir enfin une feuille de papier, de ce beau papier satiné, confident de nos pensées ?

Eh bien ! la matière du papier est précisément celle dont est fait le sac de la cellule végétale. Cellules, fibres et vaisseaux sont composés d’une substance identiquement la même dans toutes les plantes. La science lui donne le nom de cellulose, pour rappeler la cellule. Le coton en bourre, la filasse du chanvre et du lin, sont de la cellulose plus ou moins accompagnée de matières étrangères qui masquent sa belle couleur blanche. Cette bourre et cette filasse sont converties en tissus en passant par les métiers de l’industrie ; puis, quand le linge est usé, elles deviennent papier par une dernière métamorphose. Mais alors la cellulose, qui a subi en route tant d’épurations énergiques, est débarrassée de toute matière étrangère. Le papier est donc composé de cellulose pure.

Voilà pour la paroi de la cellule, ainsi que de ses dérivés, la fibre, la trachée, le vaisseau. Voyons le contenu. Les vaisseaux ne contiennent que de l’eau et de l’air. Destinés à porter aux bourgeons l’humidité du sol, ils ne s’obstruent que fort tardivement, lorsque le bois déjà s’altère. Le bois, depuis longtemps hors d’usage dans l’économie végétale, en possède encore avec leur canal libre. — Les fibres ont un autre rôle : celui de consolider l’édifice végétal. Aussi, de bonne heure, elles s’imprègnent d’un ciment tenace, elles s’encroûtent de cette matière dure que je vous ai fait connaître sous le nom de ligneux. — À la cellule reviennent d’autres fonctions, ce qui ne l’empêche pas toujours de se durcir de ligneux. C’est elle qui, incrustée de la dure matière, forme comme des grains de sable dans la chair de certaines poires ; c’est elle aussi qui, pour protéger l’amande, bâtit la coque indomptable de l’abricot et de la pêche. Mais, en général, la cellule est exempte de ligneux ; elle se conserve la paroi souple et perméable pour préparer et emmagasiner, dans sa cavité, une foule de substances, car elle est avant tout la manufacturière de la plante.

Quelques cellules contiennent uniquement de l’air, par exemple les cellules de la vieille moelle du sureau ; d’autres sont gonflées d’un liquide à peine différent de l’eau pure. Il y en a qui renferment des vernis résineux (le pin), des gommes (le cerisier), des jus acerbes (le raisin vert), d’âcres laitages (le figuier), des sirops doux comme miel (la canne à sucre), des poudres farineuses (la pomme de terre), des aromates (l’écorce d’orange), des gouttelettes d’huile (la noix, l’olive), des poisons atroces (certains champignons), des granules verts (toutes les feuilles), des matières colorantes rouges, bleues, jaunes (les fleurs). On en trouve encore avec des cristaux, ici d’une excessive finesse et groupés en paquets d’aiguilles, là en tablettes confusément empilées, ailleurs amassés en miroitante tête de chou-fleur. Tous ces matériaux, si divers de composition, d’aspect, de propriétés, n’arrivent pas du dehors déjà préparés. Ils se forment dans les cellules avec la séve qui suinte à travers la membrane du sac. Sucre, acide, résine, huile, essence, gomme, farine, poison, tout provient du merveilleux liquide travaillé dans l’incomparable laboratoire de la cellule.


Fig. 19. a, Cellules dont quatre contiennent des faisceaux de cristaux ou aiguilles nommés raphides ; b, Raphides isolés ; c, La cellule centrale contient un amas de cristaux en tablettes.

Or, de tous les matériaux élaborés dans les poches cellulaires, le plus remarquable est la fécule. Vous connaissez l’amidon, cette belle matière blanche avec laquelle se fait l’empois, qui sert à donner de la consistance au linge. L’amidon est de la fécule pure, de la fécule extraite par l’industrie du grain des céréales. Cette substance est amassée en nombreux petits grains dans les cellules d’une foule de plantes, tantôt dans les racines, les tubercules, tantôt dans les fruits, les semences. Elle est notamment abondante dans la pomme de terre. Pour l’extraire, il suffit de déchirer les cellules qui la contiennent, et de séparer après les grains de fécule ainsi mis en liberté. Avec cet effet, la pomme de terre est réduite en pulpe avec une râpe. On dispose cette pulpe sur un linge au-dessus d’un grand verre et l’on arrose avec un filet d’eau tout en remuant. Les grains sortis des cellules déchirées sont entraînés par l’eau à travers les mailles du linge ; la pulpe, trop grossière, reste sur le filtre. Vous avez maintenant un plein verre d’eau trouble. Mais regardez au grand jour. Une foule de points d’un blanc satiné descendent comme neige et se déposent au fond. Dans quelques instants, le dépôt est opéré. Vous pouvez alors jeter l’eau, et il vous reste une matière pulvérulente,
Fig. 20. Fécule de la pomme de terre ; B, Grain de fécule isolé ; C, Cellule remplie de grains.
d’un beau blanc ; c’est la fécule.

Les grains de fécule sont d’une excessive finesse. Les plus volumineux sont ceux de la pomme de terre. Il en faudrait cent cinquante environ pour remplir un millimètre cube. Ceux du blé sont bien moindres : dix mille suffiraient à peine pour faire un millimètre cube. Ceux du maïs devraient être au nombre de soixante-quatre mille pour occuper le même espace ; ceux de la graine de betterave au nombre de dix millions. Cependant ces grains si menus sont fort compliqués. Chacun débute par un point autour duquel un feuillet de matière se dépose, puis un second, un troisième, un quatrième, indéfiniment ; de sorte que le grain parvenu à maturité se compose d’une suite de sacs emboîtés l’un dans l’autre.

La fécule est une réserve alimentaire destinée à servir de première nourriture aux jeunes plantes.

Tout germe, destiné à se développer seul, est approvisionné de fécule. Au moment de l’éveil de la vie, cette substance, par elle-même inerte, insoluble, non nutritive parce que son insolubilité l’empêche de se répandre dans les tissus naissants et de les imbiber, se transforme en une autre, soluble dans l’eau et apte de la sorte à s’infiltrer partout où le travail d’organisation demande des matériaux. On nomme glucose le résultat de cette admirable transformation. C’est une substance de saveur douce, très-voisine du sucre par sa composition et ses propriétés. Mettez du blé dans une soucoupe et tenez-le humide. En quelques jours, le blé germera. Lorsque la pointe verte des jeunes pousses commence à se montrer, si vous prenez un grain vous le trouvez tout ramolli. Il s’écrase sous le doigt et laisse écouler une espèce de lait d’une saveur très-douce. Pour allaiter pour ainsi dire la jeune plante, la fécule du grain est devenue glucose, qui dissoute dans l’humidité dont la semence s’est gonflée et mélangée de granules farineux, non encore transformés, fournit une espèce de laitage. Avec ce laitage, des cellules se font, et des fibres et des vaisseaux. C’est d’autant plus facile que la glucose renferme juste ce que renfermait la fécule, contenant à son tour juste ce que contient la cellulose. Les trois substances, si différentes de propriétés cependant, contiennent les mêmes principes. Une délicate retouche, qui n’ajoute rien, qui ne retranche rien, suffit pour convertir en fécule ce qui devait être cellulose, et pour convertir finalement en une espèce de sucre ce qui était fécule. Une retouche en sens inverse va amener une métamorphose rétrograde : le sucre va devenir fécule s’il le faut ; ou, ce qui est plus pressé, il va faire de la cellulose, il va devenir du bois.

Ces transformations, si étranges qu’elles vous paraissent, sont en partie réalisées par l’industrie humaine. Avec de la fécule, elle fait le sucre nommé glucose, le même sucre qui se trouve dans le miel, dans les raisins mûrs, dans le blé qui germe ; elle sait en faire avec de la cellulose, avec le livre que vous lisez, avec des chiffons de toile si vous voulez ; à la rigueur elle en ferait avec du bois, avec des copeaux de saule, avec le pied de votre chaise. Elle fait intervenir, pour ces curieuses métamorphoses, l’un des agents les plus énergiques de la chimie, l’acide sulfurique ou huile de vitriol. Mais la plante a bien mieux que ce procédé brutal. Tout doucement, sans feu, sans huile de vitriol, elle change en laitage de glucose les réserves de fécule accompagnant un germe. Comment cela ? Je l’ignore et ne suis pas le seul. Ici toute science de bon aloi dit modestement : je ne sais pas. Il est entré dans les desseins de l’éternelle Sagesse qu’à un moment donné, la fécule, matière aride, non nutritive, dépourvue de saveur, insoluble, devint un lait bien doux, fluide, nourrissant ; et cela se fait. Si vous trouvez un jour, après avoir bien pâli sur les livres, une raison meilleure, obligez-moi de me l’apprendre. J’attends.