La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/P1/Introduction

Gauthier-Villars et fils (1p. 3-6).
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Introduction à la première période (1636-1830)

PREMIÈRE PÉRIODE.

1636-1830


La première période de ce que nous pourrions appeler les Annales historiques terrestres de la planète Mars commence à la première vue télescopique qui ait été obtenue de cette planète par les astronomes de la Terre. Le premier dessin a été fait à Naples, par Fontana, en 1636. Il s’agit ici d’Astronomie physique et non d’Astronomie mathématique, autrement, nous devrions commencer cette monographie de Mars à l’ouvrage de Kepler De Motibus stellae Martis, publié en 1609[1].

Jusqu’à l’invention des instruments d’optique, l’observation des planètes s’est bornée, comme celle des étoiles, à la détermination de leurs positions apparentes sur la sphère céleste. Nous ne voyons, en effet, à l’œil nu, que des points brillants circulant dans le ciel. Les penseurs avaient deviné que les planètes sont des corps célestes sans lumière individuelle, analogues à la Terre, et ne brillant que parce qu’ils sont éclairés par le Soleil. Copernic avait annoncé, lors de son immortelle réforme astronomique (1543), que l’homme inventerait probablement dans l’avenir des instruments à l’aide desquels on constaterait les phases des planètes, et par là leur absence de lumière propre et leur analogie avec la Terre, de même qu’aujourd’hui nous osons espérer que le jour viendra où des moyens inconnus de notre science actuelle nous apporteront des témoignages directs de l’existence des habitants des autres mondes, et même, sans doute, nous mettront en communication avec ces frères de l’espace. On souriait assez dédaigneusement de l’idée assurément téméraire de Copernic, comme les sceptiques sourient aujourd’hu de la nôtre : il est si simple de suivre tranquillement l’ornière du passé. Cependant, dans le siècle même de Copernic, en 1590, 47 ans seulement après la mort du chanoine de Thorn, un opticien de Middelbourg, Zacharie Jansen, inventait, selon le témoignage de la plus ancienne autorité[2], la première lunette d’approche qui, perfectionnée seize ans plus tard par Hans Lippershey, autre opticien de la même ville, ne tardait pas à être dirigée vers le ciel. En effet, en 1609, sur les rapports qu’il avait reçus de Hollande relativement à cette invention, Galilée construisait la première lunette qui ait été dirigée sur le ciel et découvrait immédiatement (janvier 1610) les satellites de Jupiter, puis bientôt après les phases de Vénus, réalisant la prédiction de Copernic et apportant ainsi un témoignage direct à la vérité du nouveau système. Les premières observations publiées par Galilée sont celles des satellites de Jupiter, faites les 7, 8, 10, 12 et 13 janvier 1610.

Dès les années 1610, 1611, 1612, nous voyons les découvertes astronomiques se succéder rapidement, taches du Soleil, géographie et montagnes de la Lune, satellites de Jupiter, nature sidérale de la Voie lactée. Galilée, Kepler, Fontana, Scheiner, Rheita, inventent des lunettes, les perfectionnent et découvrent dans les mystères des cieux les réalités restées cachées jusqu’alors pour les yeux de l’habitant de la Terre.

La grandeur du disque lunaire, l’étendue des plus grosses taches solaires, le diamètre de Vénus, l’éclat des satellites de Jupiter, la richesse de la Voie lactée permettaient ces premières études, ces premières découvertes, à l’aide des primitives lunettes rudimentaires dont les grossissements étaient faibles. La première lunette de Galilée ne grossissait que 4 fois. L’immortel astronome porta successivement ses grossissements à 7, à 10 et même à 30 fois en diamètre : mais il ne put dépasser ce chiffre. Son habileté, sa patience, sa persévérance obtinrent de ce modeste instrument les découvertes les plus merveilleuses. Cette célèbre lunette de Galilée a été religieusement conservée et elle se trouve aujourd’hui à l’Académie de Florence. L’astronome Donati la remit un jour entre mes mains, ainsi qu’un doigt de Galilée qui a été conservé par la même Académie. Ce n’est pas sans émotion que je touchai ces reliques vénérables. Il me semblait que cette première lunette d’approche de l’Astronomie moderne avait gardé quelque chose de la gloire des siècles passés, et je revoyais en esprit l’astronome florentin debout, après le coucher du Soleil, sur une de ces belles terrasses italiennes, à l’heure où s’allument les étoiles, dirigeant avec une fiévreuse impatience ce tube merveilleux vers les mondes nouveaux découverts par lui dans les cieux ; je revoyais ce doigt montrant le ciel aux incrédules de son époque, et nous le montrant encore à nous-mêmes du fond de son victorieux tombeau.

Le disque de Mars étant toujours très petit, même lorsque la planète s’approche le plus de la Terre, ces instruments primitifs, grossissant à peine ce disque, et n’ayant pas encore un pouvoir de définition bien net, ne pouvaient rien montrer à sa surface.

Galilée a observé Mars dès sa première année d’observation, dès 1610. La planète n’offrait dans son instrument qu’un disque à peine sensible[3]. Le 30 décembre 1610, il écrivait au P. Castelli : « Je n’ose pas assurer que je puisse observer les phases de Mars ; cependant, si je ne me trompe, je crois déjà voir qu’il n’est pas parfaitement rond. » Kepler signale les phases de Mars dans son Epitomes Astronomiæ, Liv. V, Part. V (1621), où il nomme la plus grande phase de Mars « perfectio phases dichotomæ ». Mais il ne dit point l’avoir observée et ne traite le problème qu’au point de vue géométrique.

Cependant, ces instruments allaient en se perfectionnant assez rapidement. Un grand enthousiasme animait les cœurs. On aurait voulu pouvoir découvrir sans retard les habitants de la Lune ou tout au moins leurs œuvres ; on frémissait d’impatience ; on fondait d’immenses lentilles qui restaient troubles et remplies d’imperfections ; on inventait de nouvelles combinaisons d’oculaires pour accroître la netteté des images, mais l’art et l’industrie ne marchaient pas aussi vite que les désirs. Dès l’année 1636, néanmoins, c’est-à-dire vingt-sept ans seulement après la première lunette de Galilée, un savant napolitain, Fontana, parvenait à construire lui-même, comme Galilée et Kepler, une lunette encore plus perfectionnée et obtenait, sous le beau ciel de Naples, des observations assez bonnes des taches de la Lune, des Pléiades, des phases de Vénus et de la planète dont nous nous proposons d’écrire l’histoire.

Voici les observations de Fontana. Nous exposerons successivement toutes les observations, dans l’ordre chronologique, nous les discuterons et comparerons, et nous en déduirons progressivement les conclusions qui en dérivent pour la connaissance de la constitution physique de la planète.

  1. Cet ouvrage de Kepler commence ainsi : « Durissima est hodie conditio scribendi libros mathematicos, præcipue astronomicos ». On pourrait faire la même réflexion aujourd’hui pour les ouvrages d’Astronomie pure. Combien ce livre-ci aura-t-il de lecteurs ? Assurément fort peu. Les habitants de la Terre s’occupent peu des choses du ciel, ils ne savent même pas que le monde qu’ils habitent fait partie du ciel, ignorent où ils sont, et vivent dans une remarquable ignorance de la réalité. Cette ignorance suffit à leur indifférence native.
  2. L’invention de la première lunette d’approche se perd un peu déjà dans l’inconnu. Il est certain qu’en 1609, Galilée s’était construit une lunette, puisque le 7 janvier 1610 il découvrait les satellites de Jupiter (nous avons publié le fac-similé de ses premiers dessins dans les Terres du Ciel, au chapitre des Satellites de Jupiter) ; il est certain également que, de 1606 à 1608, le nom de Lippershey était connu en Hollande comme fabricant de lunettes d’approche. Mais un ouvrage de Pierre Borel, médecin du roi, membre de l’Académie des Sciences, auteur du Discours prouvant la pluralité des Mondes dont nous avons parlé dans les Mondes imaginaires, établit en 1655, c’est-à-dire environ un demi-siècle seulement après l’invention, l’historique de cette découverte, affirme que le « premier inventeur » est Zacharias Jansen, dont il donne le portrait, et que le « second inventeur » est Hans Lipperhey (sic) dont il donne également le portrait. Cet ouvrage a pour titre De vero telescopii inventore (1655). Le chapitre XII de ce Traité, intitulé : « De inventoris vero nomine », discute spécialement les titres. L’auteur écrit le premier nom tantôt Zacharias Jansen, tantôt Zac. Joannides, et le second tantôt Lipperhey, tantôt Lipperseim. On latinisait tous les noms à cette époque, et souvent on les retraduisait du latin en français, en leur faisant subir de nouvelles métamorphoses. Ainsi, par exemple, Jean Müller prit le nom de sa ville natale, Kœnigsberg, qui veut dire montagne royale et s’appela Regiomontanus. Ce nom, traduit en français, a fait Dumontroyal.

    Quoi qu’il en soit, quels qu’aient été les premiers essais de l’optique, l’année 1609 est celle de la construction de la première lunette astronomique par Galilée, et l’observation du 7 janvier 1610 est la première de toutes, pratiquement parlant.

  3. Lorsque Mars passe à sa plus grande proximité de la Terre, il se présente à nous sous la forme d’un disque de 30″. À l’œil nu, ce n’est qu’un point très lumineux, une étoile de première grandeur, très éclatante pendant la nuit, quoiqu’il n’y ait là que la lumière reçue du Soleil et reflétée.

    La lunette de Galilée, grossissant 4 fois, montrait Mars de la grosseur d’un petit pois de 7mm de diamètre vu à 12m de distance.

    Une lunette grossissant 60 fois la montre comme un petit pois vu à 0m,80 ou à peu près de la dimension de la Lune vue à l’œil nu.

    Un grossissement de 100 fois, comme un petit pois vu à 0m,41.

    Un grossissement de 200 fois, comme une pêche de 0m,06 de diamètre vue à 2m,28.

    Un grossissement de 300 fois, comme une pêche de 0m,06 de diamètre vue à 1m,42.

    Un grossissement de 500 fois, comme une orange de 0m,08 de diamètre vue à 1m,12.

    Un grossissement de 1 000 fois, comme une orange de 0m,08 de diamètre vue à 0m,60.

    Un grossissement de 1 500 fois, comme une orange de 0m,08 de diamètre vue à 0m,36.

    Tout objet éloigné de l’œil à 57 fois son diamètre paraît sous un angle de 1°.

    La Lune, dont le diamètre est de 3 482 kilomètres, est éloignée à 110 fois son diamètre, et mesure par conséquent un peu plus d’un demi-degré, soit 31′.

    Une orange de 0m,08 de diamètre, éloignée à 4m,56, soustend un angle de 1°, paraît deux fois plus grosse que la Lune, vue à l’œil nu, et égale Mars vu avec un grossissement de 120 fois. Un grossissement de 1200 correspond à une distance de 0m,456 pour le même objet. Si l’on y réfléchit un instant, on appréciera que des grossissements de 500 à 1200 pour Mars représentent déjà de belles dimensions apparentes.