La Petite-Poste dévalisée/Lettre 55

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 226-228).


À un homme de Lettres.


Jai perdu mon Colporteur de vue : peut-être s’est-il fait enfermer pour moi, car je l’avois chargé de m’apporter tout ce qu’il y a de plus fort. Toute autre lecture m’ennuye : une Piéce de théâtre, un Roman, quelque bien écrit qu’il soit, un ouvrage de Morale, par-dessus tout, me font bâiller. Il n’y a plus rien de délicieux que les brochures hardies, & qui renversent tout. Lorsque quelqu’un de mes amis m’en lit quelques pages à ma toilette, je vois que mes femmes même s’en divertissent presqu’autant que moi. Je m’adresse à vous pour déterrer un successeur au pauvre diable que je ne vois plus. Il avoit quatre ou cinq enfans qu’il m’envoyoit à tour de rôle : tout cela a disparu. Voyez, cherchez, intriguez-vous, & venez donc me voir plus souvent que vous ne faites ; mais toujours le matin : je ne donne rien de mes soirées aux Belles-Lettres. Je ne sçais qui est-ce qui a dit l’autre jour, qu’il vous prennoit certain goût de retraite. Eh ! fi, Monsieur, la société, la société : voilà le grand livre. Les Bibliotheques ne feroient de vous qu’un homme de l’autre siécle : quelle pitié ! Et comment se dire votre amie après cela ?

Je suis sincèrement, &c.

FIN.