La Petite-Poste dévalisée/Lettre 23

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 93-96).


À Mademoiselle Tonton.


Il n’a point paru, ma bonne amie, il n’a point paru ; aucun Fiacre n’est entré dans notre rue : c’étoit pourtant à dix heures que je devois descendre sans faire semblant de rien, & que je devois monter dans le carrosse qui devoit être là, & qui n’y est point. Non, ma chere Tonton, il n’y a point été, j’en suis sure ; ce monsieur s’est moqué de moi, il est onze heures passées. Il devoit me mener bien loin, bien loin, où ma tante ne m’auroit jamais trouvée. Que je suis malheureuse, s’il faut toujours rester avec ma vieille tante ! Je pleure de toutes mes forces : ce n’est pas que j’aime beaucoup ce vilain monsieur, car il n’est pas jeune. Ah ! Tonton, il a été hier avec moi sur l’escalier du quatriéme, plus d’une bonne demi-heure à causer. Quelle différence de ton petit cousin ! Mais c’est que ton cousin n’a ni sol, ni maille, comme on dit ; & ce monsieur est cousu d’or. Je n’aurois plus été obligée de travailler ; & c’est le travail qui me désespère. Travaillez donc, petite fille, travaillez donc : ma tante n’a que cela à me dire. Gagner sa vie ! c’est affreux. Tu n’es plus dans ce cas là, toi : tu as un bon amant qui t’aime bien, & qui te donne du bon temps ; & moi je vais mourir à la peine. Mais qu’est-ce que j’entends ? le cœur me bat ; je cours à la fenêtre.

Ah ! Tonton, c’est lui, c’est le Fiacre ; c’est mon Monsieur. Je vais descendre & me sauver. Je n’ai trouvé que lui ; il faut le prendre : une autre fois je serai plus chanceuse. Je jetterai ma lettre au premier Bureau… Il s’impatiente peut-être… Adieu, ma tante ; adieu Tonton ; adieu tout le monde.