La Petite-Poste dévalisée/Lettre 03
Jeanneton la fraîche Écaillere,
à Joli-bois au Châtelet.
On a bien raison de dire, mon trognon, que le malheur arrive quand on y pense le moins. J’avois fait hier douze francs, j’étois contente ; & quand je suis revenue dans not rue, j’ons appris ta belle chienne de querelle, & comme quoi on t’avoit mis les manchettes, & qu’on t’avoit mené au Châtelet. V’là ce que c’est aussi de courir les donzelles, puis viennent les faraux ; on s’bat, & pis en prison. Va, chien, ta donzelle y ira aussi, si elle n’y est déjà.
V’là not commere qui m’apprend cette nouvelle. J’en suis bien ben aise. Tu ne songes pas à moi quand je n’y sis pas ; je faisons pus que toi, car j’ai rêvé pour toi à toutes mes pratiques cette nuit ; & ce matin, bon matin, je suis allée chez le Secrétaire du Commis de Monseigneur, que tu sçais bien. Je ly ai conté ton cas : ça l’a bien fait rire ; & il m’a promis de te faire sortir. Comme je sçais que tu n’avois pas de picayons, j’ai été ensuite chez M. le Chevalier, qui me doit cinquante quatre francs : aute malheur. Je l’ai trouvé dans la rue, que des Pousse-culs le menoient en prison. Si tu le vois, fais-toi payer. Je vais voir quelque autre.
Ç’a, puisque t’es tranquille à présent, je vais te dire qu’il faut mettre par fin à not affaire. Faut faire une fin ; faut nous marier définitivement. Tu vas courir, je ne peux rien te dire ; mais quand une fois tu feras tout à moi, je pourrai te ficher le bal, quand tu t’aviseras d’aller courir comme ça les gueuses, & alors tu seras plus heureux ; je t’enfermerai, & la geole ne coûtera pas si cher. On dit qu’il te faut douze écus : si je ne les trouvons d’ici à demain, j’irai voir madame Duret, & je lui baillerai ma croix pour qu’elle me prête ça ; mais aussi je veux que le Curé y passe, autrement plus d’affaire. Adieu, mon chou, au plaisir. On dit comme ça qu’il ne faut pas que tu signes rien en prison ; prends-y bien garde.