La Pêche en rivière/À la fève

Magasin d’Éducation et de Récréation, Tomes XIII-XIV, 1901
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À LA FÈVE


Queussi-queumi… de même que le barbeau fait ses délices du fromage de Gruyère, la carpe est surtout friande de la fève de marais, dite féverole, sans toutefois mépriser d’autres appâts, tels que le blé cuit et le ver de terreau. Si donc, et il n’est guère de plus beaucoup de ligne, on la veut pêcher avec toutes les chances de succès désirables, il importe de flatter ses goûts, comme également de bien choisir son poste de combat et d’être armé solidement, puis de ne pas oublier qu’elle est la méfiance même, avec un instinct de ruse très développé. Aussi les pêcheurs lui font-ils hommage de cette locution : « Roublarde, la grosse mère ! »

Malgré sa cuirasse d’or, ce n’est pas toujours une grosse mère, simplement une carpe ou une carpette, quand même déjà si dodue qu’on aurait tort de la chicaner sur l’à-propos d’un sobriquet pour le choix duquel personne n’a songé à recueillir son propre suffrage. En tout cas, forte et vaillante, dès qu’elle a senti le fer au fond de l’eau, elle sait se défendre.

Tapie dans les endroits les plus profonds de la rivière, là de préférence où il y a des rochers ou de vieux bois morts, comme le lièvre elle se gîte, ne quittant son lieu de repos qu’à bon escient : besoin d’estomac, ou de circulation quand arrive l’époque du frai, puis encore lorsque la rivière veut déborder. Alors, la crue faisant rage et ravage, elle sillonne le fond, cherchant un abri pour se garer du courant, au risque d’être appréhendée d’un coup de ligne ou de filet.

En revanche, par les fortes chaleurs, il n’est point rare de voir la grosse mère s’étendre à fleur d’eau, même sauter hors de son élément : d’où ce fameux « saut de carpe », passé en proverbe, mais dont la truite est seule capable. Et, puisque l’occasion se présente, expliquons-nous là-dessus.

Quand la truite éprouve le besoin de changer de lit, pendant la saison du frai, par exemple, rien ne saurait l’arrêter ; elle lutte avec avantage contre les courants les plus rapides ; elle franchit avec adresse les barrages et les chutes, en s’élançant par bonds dans l’air. C’est ainsi qu’au moment voulu elle opère le passage difficile ou l’ascension périlleuse, en courbant son corps en arc de cercle ; puis, prenant un point d’appui sur l’eau, et se redressant brusquement, elle joint à la force de projection de ce mouvement celle d’un ressort qui se détend ; et l’obstacle est franchi.

En fait d’acrobatie piscicole, à la truite la timbale ! Ce qui, du reste, n’empêche point la carpe de sauter fort agréablement, pour retomber de tout son poids au fond de l’eau, tandis qu’à la surface où elle a émergé un grand rond s’allonge en forme de rides. Encore, dis-je, quelle que soit sa force, ne la vois-je pas bien escaladant une cascade, ainsi que fait une truite de torrent montagneux, ni même un simple barrage de rivière. Poisson sédentaire, au surplus.

Étant donné l’endroit où le saut s’est effectué, on peut pêcher à coup sûr au même endroit : le gîte est là. Au contraire, si l’on pêche au hasard, « à vue de nez », en flairant un trou à carpes, amorcer devient indispensable pour attirer leur attention et les retenir sur place. Une bonne amorce, dûment appropriée aux instincts physiologiques dont cette espèce piscicole est si remarquablement douée sous le rapport de la gourmandise, tout le secret est là, surtout quand l’eau devient mauvaise.

Nous venons de dire, en effet, que, dans les moments de crue, la carpe pouvait être surprise en état de vagabondage, la rivière elle-même menaçant de quitter son lit.

Alors, l’eau est bonne, et la grosse mère mord franchement, excitée parce changement d’atmosphère fluviale qui lui aiguise l’appétit. Mais la rivière devient mauvaise quand les sources ne lui fournissent pas assez pour se rafraîchir, ayant déjà perdu son niveau normal. Les carpes mordent tout de même, mais avec plus de méfiance encore, et, plus elles sont grosses, plus elles se méfient. Qu’on ne nous dise pas qu’il ne sert de rien d’avancer en âge ; ainsi s’acquiert l’expérience.

Eh bien, puisque nous n’avons pas su épier une crue ou un orage propice, non plus que les heures de gymnastique de la carpe, profitons d’une embellie, et, avec le ferme dessein de remettre en honneur la rubrique Chambord, ou toute autre recette culinaire à faire damner un saint, commençons par capter les bonnes grâces de la grosse mère en lui mettant son propre couvert.

À charge de revanche pour le pêcheur, comme de juste !

Il est donc entendu que celui-ci devra offrir une friandise à son hôtesse aquatique. Mais que sera-ce ? « Surtout, entends-je, ne livrez pas nos secrets ; c’est bien assez déjà que vous ayez dévoilé ceux de la rivière. — Rassurez-vous, mon cher confrère, je ne dévoilerai rien qui ne soit connu. — Jurez, par Glaucus !… »

Par Glaucus ? Si ce vocable correspond à un mot de passe entre pêcheurs, j’avoue ne pas y être initié, ne faisant d’ailleurs partie d’aucun syndicat. Glaucus, cependant, me revient en mémoire ; il doit être question de lui dans Pierre Schlémihl, ou l’Homme qui a perdu son ombre, de Chamisso. Ouvrons le livre :

« … Je ne demande à monsieur que la permission de ramasser ici son ombre et de la mettre ; quant à la manière dont je pourrai m’y prendre, c’est mon affaire. En échange, et pour prouver à monsieur ma reconnaissance, je lui laisserai le choix entre plusieurs bijoux que j’ai avec moi : l’herbe précieuse du pêcheur Glaucus, la racine de Circé, les cinq sous du Juif errant, le mouchoir du grand Albert, la mandragore, l’armet de Mambrin, le Rameau d’or, le chapeau de Fortunatus remis à neuf et richement remonté, ou, si vous préférez, sa bourse… »

Fermons le livre.

Mais encore ce Glaucus, invoqué ici au titre de dieu, qui est-ce ? Un simple pêcheur de profession, dis-je, lequel, ayant un jour placé par hasard les poissons qu’il pochait sur une certaine herbe (?), remarqua que ces animaux, au lieu de mourir tout de suite, devenaient, au contraire, plus vigoureux et, d’un seul bond, se rejetaient à l’eau. Le pêcheur voulut goûter la plante merveilleuse ; mais, aussitôt, poussé par une force invisible, il fut précipité à son tour dans la mer et métamorphosé en triton.

Est-ce dans Ovide que j’ai lu cela ? Je ne m’en souviens plus. Aussi bien, le cas de Glaucus n’est point le nôtre, puisque nous pêchons en rivière ; retenons simplement « l’herbe précieuse », qui n’est pas une chimère. Une herbe ? Non, tout un herbier dans lequel entrent le basilic, la valériane, la menthe aquatique, etc. Mais voilà que je m’aperçois de la fuite des heures, et je n’ai pas encore dit avec quoi nous amorcions, bien qu’il soit déjà entendu que c’est à la fève que doit mordre la carpe promise.

Sans trahir aucun secret, ni risquer aucun reproche, voici une recette préconisée par un maître pêcheur dont nous aurions mauvaise grâce à taire le nom, qui viendra au bout :

Dans un matras, il verse un demi-litre d’alcool, douze grammes d’essence de citron, autant d’essence d’anis, deux cuillerées d’amandes douces, trois de sucre, autant de miel ; puis, ayant sous la main des plantes desséchées, fleurs et tiges de marjolaine, feuilles de menthe et de basilic, il en pile de quoi remplir une tasse à café pour être ajouté au contenu du matras, lequel est chauffé au bain-marie jusqu’à ébullition de la liqueur. Une fois refroidie, on la transvase dans une bouteille, et l’on bouche soigneusement.

Vient le tour de la pâte. On jette dans un mortier deux litres de gruau, un quart de farine et un demi-litre d’eau bouillante dans laquelle s’étaient dissoutes, au préalable, une poignée de gros sel et une pincée d’aloès. Un doigt d’eau-de-vie et deux cuillerées d’huile d’olive viennent s’ajouter au mélange.

Après un malaxage consciencieux, la pâte, une fois bien homogène, est entourée d’un linge et portée au bain-marie pendant quelques minutes. Retirée, elle se laisse couper en tranches, sans adhérer à la lame du couteau. Encore chaudes, ces tranches sont ointes de miel, puis toutes ensemble triturées, en y ajoutant un verre à bordeaux de la liqueur. La pâte ainsi préparée se présentera sous la forme d’un pain oblong, d’une malléabilité analogue à celle du mastic des vitriers.

Sur le même fourneau, achevant de cuire, une potée de grosses fèves mises à tremper depuis la veille et qu’un séjour de quatre heures, en eau salée, aura rendues bouffies et expansives au dernier point. Quelques gouttes de liqueur viendront les parfumer, une fois refroidies.

Ainsi opère, ainsi nous conseille un aimable confrère en halieutique dont le pseudonyme, dans Étangs et Rivières, cache un brillant chef d’escadron de cavalerie, mais dont il doit nous être permis de trouver la formule un peu trop alambiquée pour des profanes. En vérité, on dirait plutôt de la pharmacopée que d’une amorce piscicole. Il apparaît du moins, très visiblement, que c’est la fève qui va jouer le principal rôle au bout de la ligne de M. de Montafilant, puisqu’il ne se sert point d’autre chose comme appât.

Plus simple, et non moins efficace, est la recette suivante :

Faites cuire des fèves de marais dans de l’eau additionnée d’un pain de chènevis et d’une double pincée de menthe aquatique, lorsqu’elles sont à point, c’est-à-dire crevées sans être en bouillie, allez plusieurs jours de suite, entre chien et loup, jeter quelques poignées de fèves à la place que vous avez choisie, en évitant de mettre la carpe en éveil par le bruit de vos pas ou par la projection de votre ombre sur l’eau.

Si votre place se trouve dans un endroit où le courant est très faible, jetez vos fèves à la volée ; leur poids suffira à les faire descendre. Si, au contraire, le courant est accentué, mêlez-y de la terre glaise ou de la terre de rivière dont vous ferez des pelotes, aromatisées de l’herbe précieuse. Loisible à vous, du reste, de remplacer ces pelotes par des boulettes de la pâte de notre chef d’escadron.

Étant donné le principe du parfum sui generis, la carpe viendra manger vos amorces et, son couvert étant mis, demeurera au même endroit. C’est ce qu’on appelle préparer un coup.

Au jour fixé dans votre esprit ou déterminé par l’état de la température, vous amenez votre bateau dans l’axe de la place choisie et vous l’y amarrez solidement. — Mais si je n’ai pas de bateau sous la main ? — Alors vous pêchez de la berge en maintenant votre gaule dans la position horizontale au moyen d’un support ou d’une grosse pierre, afin de pouvoir attendre le bon plaisir de la carpe ; mais cette pêche se fait mieux en bateau et elle donne de plus beaux résultats.

C’est surtout dans les trous, au milieu des rivières, que se réunissent les plus belles carpes, et l’on en trouve rarement près des bords ; voilà pourquoi, à pêcher de la berge, on a moins de chances, outre qu’on est souvent gêné par les herbes et par les arbres.

Une fois en place, on jette quelques boulettes ou quelques poignées d’amorces et l’on ajuste son attirail. La canne ou la gaule doit être longue et solide, munie d’un moulinet fonctionnant bien et d’anneaux ; car, dès que la grosse mère sentira le fer, elle décampera avec une vitesse d’automobile, et, si la tension de votre ligne l’arrête dans sa course, elle vous désarmera prestement. Il faut donc lui donner du champ, dare-dare, en dévidant la cordelette du moulinet.

Mais, tout d’abord, nous avons dû escher avec une fève, et voici comment nous avons procédé :

L’hameçon irlandais à palette numéro 6, monté sur deux racines vrillées, jouissant d’une réputation… hors ligne, j’ai introduit sa pointe par le côté, un peu au-dessus de l’une des faces de l’appât ; puis, la dirigeant entre la peau et la partie féculente de la graine, j’ai ramené ladite pointe en arrière jusqu’à lui faire affleurer l’un des petits bords, de telle manière que l’appât, ainsi lesté, cache le dard meurtrier de mon hameçon.

Au-dessus d’icelui, à 50 centimètres, a été préalablement attachée une assez forte plombée pour maintenir la ligne en place, et, ayant sondé la rivière, j’ai su mettre le flotteur à la hauteur voulue et en parfait équilibre, la plume enfoncée dans l’eau par le poids du plomb, tandis que le bouchon surnage. N’oubliez pas que nous pêchons presque à ras du fond.

La gaule entre les jambes ou posée en travers du bateau, selon ce que, étant donné le courant de la rivière, vous jugerez le plus à propos, l’hypnotisme du bouchon commence.

C’est ici, en effet, qu’il faut s’armer de patience ; car, bien que vorace, la carpe ne se jette pas sur l’appât, ainsi que ferait tout autre poisson en appétit : elle tourne et retourne autour de lui, le saisit doucement, puis le lâche et recommence plusieurs fois ce manège avant de se décider à mordre, ou à s’éloigner quand elle a pressenti le piège qui lui est tendu. On peut même observer que la grosse mère mord plus lentement, plus timidement qu’une carpette.

Il convient donc d’être attentif à toutes les simagrées de l’espèce carpéenne ou carpillonne, pour ne ferrer qu’à bon escient, lorsqu’on voit le bouchon bien entraîné. Alors, ferrez d’un coup sec du poignet en relevant la gaule presque verticalement, puis jouez du moulinet. Encore, n’êtes-vous pas au bout de vos émotions ; car, se sentant prise, la bête s’élance à droite, à gauche, en avant, en arrière, par bonds convulsifs qui déconcertent le pêcheur, quelles que soient sa présence d’esprit et sa sûreté de main.

Enfin, matée, la grosse mère vient échouer dans votre épuisette. Après quoi, ayant amorcé au même endroit, vous remettez votre ligne à l’eau. N’eussiez-vous à le disputer qu’avec une carpe de quatre ou cinq livres, c’est un beau combat.

Que serait-ce, si, d’aventure, vous teniez une grosse mère pesant 16 kilogrammes ? Je fus témoin de telle capture voici quelque vingt ans, un samedi soir, à Bry-sur-Marne ; le pêcheur, debout dans son bateau, gaule en main, remorqué par la nageuse sous-fluviale. C’était un vieux brave de la Belle-Poule, au temps du prince de Joinville, et il répondait au nom de père La Carpe, quand il daignait répondre à quelqu’un, étant d’ordinaire muet comme son homonyme aquatique.

Il manœuvrait avec le flegme d’un praticien qui en a vu de toutes sortes, prenant soin surtout d’éviter le contact des herbes, dans lesquelles le poisson menaçait parfois de s’entortiller pour rompre l’attache : parfois aussi obligeant le pêcheur à lâcher prise et à rattraper sa gaule au fil de l’eau. Sur l’un et l’autre rivage, des centaines de spectateurs pariaient : « Il l’aura ! Il ne l’aura pas ! »

Au bout d’une demi-heure d’efforts et d’incidents héroï-comiques, le père La Carpe réussit à attirer la grosse mère dans une anse sablonneuse, où elle se laissa cueillir par un autre pêcheur en bateau et armé d’une solide épuisette. Le vieux brave dit alors ces simples mots : « Après celle-là, on peut tirer l’échelle », et il s’essuya le front d’un revers de la dextre, cependant qu’une longue clameur d’allégresse s’élevait du rivage.

Voilà, certes, un exploit dont les disciples de Nemrod peuvent être jaloux. Et, de fait, combien autrement émotionnantes les péripéties d’une pareille capture que celles des rencontres cynégétiques, sauf avec l’ours et le sanglier. Vous tirez sur un gibier de poil ou de plume, et que le coup ait porté ou qu’il ait raté, l’émotion n’aura duré qu’une seconde.

Par contre, tenir au bout de sa ligne un poisson de forte taille, qui ne veut pas se rendre, et lutter avec lui l’espace d’une demi-heure, cela n’est pas un jeu banal. Dois-je ajouter que cette carpe de trente-deux livres avait perdu sa belle cuirasse d’or ? Elle était toute chenue ; aussi ne pouvait-elle avoir la même valeur comestible qu’une modeste carpe de cinq ou six livres. Mais il y eut compensation sur le chapitre de la gloire, à quoi l’ancien marin de la Belle-Poule tenait par-dessus tout.

Cette pêche peut être pratiquée avec succès jusque vers la mi-novembre et aussi dès que les frimas de l’hiver s’effacent devant un premier sourire du printemps. Même en février, après une crue et quand le vent du Midi donne, on peut tenter fortune. Ensuite, du 15 avril au 15 juin, la pêche est interdite pour cause de frai.

Il me faut maintenant répondre à une question au sujet des heures licites : car, s’il est entendu que vous avez le droit de pêcher du lever au coucher du soleil, encore n’êtes-vous guère fixé quant à l’heure précise de l’un ou de l’autre. « Bonjour, bonsoir », se dit-on communément ; mais combien vagues les périodes de la matinée et de la soirée. Pour la plupart des gens, le matin commence au lever du soleil et finit à midi ; le soir commence à midi et finit au coucher du soleil.

C’est bien simple, mais il paraît que ce l’est trop, et le Ciel (journal) va nous répondre de belle sorte. Oyez plutôt :

« La matinée commence au lever du soleil et finit quand le méridien du lieu passe par le centre du soleil, et non à midi. La soirée commence au moment dudit passage et finit au coucher de l’astre, en sorte que la matinée est en tout temps égale à la soirée, malgré les apparences contraires. »

Tout cela est fort joli. Seulement, comme vous et moi ne sommes guère au courant des allures du méridien, l’envie nous vient de dire au promoteur de ce progrès scientifique : Bonsoir ! Le soleil peut du reste se lever et se coucher quand il lui plaît, n’étant pas justiciable de dame Thémis, ni même susceptible d’être appréhendé par Pandore, gendarme de son état, qu’il serait incivil de confondre avec un personnage féminin de la mythologie grecque.

Une anecdote à ce propos :

Henri Mürger, le doux Mürger en personne, chassait… Quoi ? L’oiseau bleu ou le merle blanc, — on ne sait pas bien au juste, mais il chassait quelque chose, — le fait est notoire.

Il est durement arrêté par un garde, qui veut lui dresser procès-verbal.

« Vous n’avez plus le droit de chasser, le soleil est couché.

— Oui. garde, répond l’auteur de la Vie de Bohème, le soleil est couché, mais il n’est pas encore endormi. »

Et le garde, ayant interrogé l’horizon, opina du bicorne et se replia en bon ordre, songeur.

Or, étant donné que le coucher « officiel » du soleil est motif à interprétations non moins judaïques que désobligeantes pour le philosophe attardé sur les rives propices ou dans les plaines giboyeuses, on se demande où serait le dommage de tolérer soit la chasse, soit la pêche, jusqu’au sommeil de Phébus.

Il y a belle lurette que les braconniers jouissent de cette tolérance, eux et leurs engins, soi-disant prohibés, en toute saison et aux heures indues ; mais on les sait mauvais coucheurs, et ce sont les pacifiques qu’on appréhende à leur place.

« Que faites-vous à pareille heure le long de la rivière ? » demandait-on un jour d’automne à mon ami Domus.

« J’allume les étoiles », répondit-il simplement.

Cette honnête réponse désarma le garde-pêche, qui n’en avait sans doute pas bien compris le sens symbolique, mais qui savait à merveille, l’ayant reconnu, que l’intimé était au mieux avec les autorités du pays, quoique… allumeur d’étoiles.