La Nouvelle Thérèse, ou la Protestante philosophe/05

de l’impr. de J. Desbordes (Londres) (p. 90-96).
Chapitre V.





CHAPITRE V.

ANECDOTE GALANTE.


Un jour que j’étois comme ennuyée de moi-meme, il me vint dans l’eſprit de me tranſporter au Couvent des Religieuſes de Notre Dame de … Ma démarche avoit pour but de faire viſite à une jeune Penſionnaire, qui étoit de mes amies, & que j’avois initiée dans les myſteres de Vénus. J’étois curieuſe de ſavoir ſi elle avoit fait des proſélytes, & ſi les leçons de volupté que je lui avois tracées, ne lui laiſſoient rien à deſirer.

Parvenue au lieu de ma deſtination, & après avoir un peu repris haleine, car j’avois précipité ma courſe, je me mis en devoir de ſonner modeſtement la cloche.

La Tourriere, qui pour l’ordinaire ſe fait, long-temps attendre, ne tarda pas à ſe préſenter. Ayant prononcé, d’une maniere recueillie, ſon Deo gratias, elle me demanda, avec un air de politeſſe & de douceur qui me ravit, ce qui lui procuroit l’honneur de ma viſite.

Surpriſe de tant de civilité de la part d’une Tourriere, je lui répondis ſur le même ton, & je lui expliquai, ſans exagérer, le ſujet de ma miſſion.

Sur le narré que je lui en fis, elle m’aſſura qu’elle ſentoit un déplaiſir ſecret de ne pouvoir me ſervir comme je le deſirois, c’eſt-à-dire, à la minute, par la ſeule raiſon que la Communauté étoit à Vêpres, & qu’il y en avoit encore pour un bon quart d’heure, avant de pouvoir parler à la Penſionnaire que je demandois ; mais que ſi je voulois, en attendant, me donner la peine de monter au Parloir, il falloit entrer, préciſément, dans celui qui étoit à droite, celui de gauche étant occupé par un Religieux & une Novice.

Le mot de préciſément qu’elle prononça avec une eſpece de myſtere, me fit naître des ſoupçons qui ſe trouverent légitimes. Un eſprit de curioſité, non, je me trompe, un de ces preſſentimens qui ſe trouvent juſtes, me fit faire le contraire de ce qui m’avoit été preſcrit par l’aimable Tourriere. Je dis aimable, parce qu’elle l’étoit véritablement, & que je la trouvois digne d’un meilleur ſort. Sans vanité, elle méritoit bien qu’on lui fit des ſacrifices proportionnés à ſes appas, mais dans un autre Temple que celui qu’elle habitoit. Bref, je monte légerement l’eſcalier ; j’ouvre la porte du Parloir, elle n’étoit fermée qu’au loquet. Mais que vois-je ? une jeune Nonin, les feſſes nues, appliquées contre la grille, la tête inclinée vers la poitrine, & les mains collées ſur les bras d’un fauteuil qui lui ſervoit de point d’appui. Dans cette attitude charmante, elle ſe prêtoit officieuſement aux efforts d’un Moine à la fleur de ſon âge, & dont la corpulence & l’embonpoint annonçoient qu’il étoit très-propre aux combats amoureux. Ce zélé Diſciple de Saint François, qui étoit tout action, dans l’eſpoir ſans doute de mener les choſes à bien, faiſoit des efforts inconſidérés, pour trouver, malgré une attitude auſſi embarraſſante, quelque petite entrée au trône de l’amour ; mais nouveau Tantale, plus il cherche le moyen de ſe déſalterer dans l’onde, moins il peut ſatisfaire à ſes deſirs brûlans.

La Victime courbée, languiſſant ſous le couteau, attendoit avec impatience que ſon Sacrificateur l’immolât, lorſque je m’aviſai d’interrompre le concert libidineux de ce couple infortuné. Qu’on juge de l’effet terrible que dut produire en eux ma préſence inattendue. Leur contenance auroit pu ſeule bien peindre leur confuſion & leur embarras. Une eſpece d’inertie ſuccéda tout à coup à leurs jeux délectables ; pour un moment je les crus pétrifiés… Mais profitant d’une circonſtance qui pouvoit me procurer du plaiſir il me prit envie de déclarer la guerre à la Révérence, & ſans différer, je commençai les hoſtilités.

Allons, mon Pere, lui dis-je, du courage : Remettez-vous du trouble où vous ont jetté les écarts d’une imagination libertine. Les femmes, comme on ſait n’ont de ſecret que ſur l’article, & vous pouvez compter ſur ma diſcrétion ; mais il s’agit de finir avec moi, ce que vous n’avez, ſans doute, qu’ébauché avec cette aimable enfant, que le beſoin dévore.

Preſſée par la néceſſité, elle lui fit ſigne de ſe dépêcher : il ne demandoit peut-être pas mieux : un long bang aſſez étroit, fut le théâtre brillant où ſe paſſa cette ſcene amoureuſe, & que je crois être ſans exemple.

Malgré la préſence de la Nonin, qui auroit déconcerté tout autre, le Caffard fit des merveilles, & mes deſirs furent ſatisfaits au-delà de toute expreſſion.

Pourquoi n’avions-nous pas quelques momens de plus ? j’aurois engagé ſa Révérence, à me faire encore une ſeconde politeſſe, tant j’avois été contente & ſatiſfaite de la premiere.

Si ce Porteur de froc étoit auſſi expert dans la lecture de ſon Bréviaire, qu’il l’étoit aux ébats amoureux, aſſurément il ſavoit bien lire.

Un bruit confus de voix qui ſe fit entendre, finit la Scene. Je m’aſſis vis-à-vis la grille : le Moine ſe plaça vis-à-vis ſa Religieuſe ; & la jeune Penſionnaire que j’avois demandée s’étant montrée & reçu ma viſite, je me retirai preſque auſſi contente de cette avanture comique, que du plaiſir qu’elle m’avoit procuré, & dont la Porteuſe de guimpe avoit été la maquignone & la ſpectatrice.


FIN.