La Nouvelle-Calédonie (Gabriel Marcel)

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LA NOUVELLE-CALÉDONIE

La Nouvelle-Calédonie, l’une des îles les plus vastes de la Mélanésie, est comprise entre 20 et 23 degrés de latitude sud et les 161 et 164 degrés de longitude est méridien de Paris. Longue de 75 lieues et large de 13, elle présente une superficie de deux millions d’hectares, c’est-à-dire quarante fois l’étendue du département de la Seine. Entourée à une distance de vingt kilomètres par une ceinture de récifs madréporiques coupée seulement à l’embouchure des grands cours d’eau, l’île est partagée par de hautes montagnes en vallées étroites, sauf celles du Diahot, où coulent une multitude de rivières torrentueuses qui répandent sur leurs bords la plus luxuriante fécondité. Telle est en peu de mots la grande terre autour de laquelle est semé à des distances peu éloignées un certain nombre d’îles et d’archipels. À l’est, ce sont : l’île Nou ou Dubouzet, qui ferme le port de Nouméa, plus bas les trois îles Le Prédour, Hugon, et Ducos dans la baie de Saint-Vincent, l’île Ouen aux carrières de Jade ascien, dont les naturels faisaient autrefois leurs plus belles haches ; au sud, l’île des Pins, la Kunié des indigènes ; à l’ouest, l’archipel des Loyalty, composé des trois grandes îles : Maré, Lifou, et Uvéa, auquel se rattache plus haut le groupe des Belep ; enfin au nord, l’archipel des Neménas.

Découverte, le 4 septembre 1774, par Cook, qui débarqua à Balade, elle fut ensuite visitée à deux reprises par d’Entrecasteaux. Des catéchistes protestants avaient déjà vainement essayé de convertir les indigènes, lorsque nos missionnaires y débarquèrent en 1843. Leurs tentatives ne furent pas beaucoup plus heureuses, car ils étaient quatre ans plus tard forcés par un soulèvement général des naturels de se réfugier à l’île des Pins. En 1851, une embarcation de la corvette l’Alcmène, montée par treize matelots et deux enseignes, fut surprise par les indigènes ; nos malheureux compatriotes furent massacrés et leurs restes partagés entre ces cannibales, qui les dévorèrent. Les insultes répétées infligées à notre pavillon, les rapports des commandants de navires de guerre qui s’étaient avancés dans l’intérieur de l’île ou en avaient reconnu les côtes, les discussions à la Chambre sur le choix d’une colonie pénitentiaire, déterminèrent le gouvernement à prendre possession de la Nouvelle-Calédonie, et, le 1er mai 1853, le pavillon français y fut solennellement planté. Depuis cette époque, nous avons eu maintes fois maille à partir avec les indigènes, mais les châtiments répétés que nous leur avons infligés, ainsi que l’importance croissante de nos établissements et l’ouverture de nombreuses voies de communication à travers le pays, leur ont montré l’inanité de la résistance, et nous sommes aujourd’hui les maîtres incontestés d’une magnifique contrée qui pourra devenir, si le gouvernement persévère dans la voie inaugurée par le commandant actuel, M. de la Richerie, une de nos colonies les plus prospères.

Dans cette île montagneuse les sommets les plus élevés atteignent 1 500 mètres, les pentes sont douces et cultivables et les côtes sont découpées en criques d’un accès difficile, mais d’un excellent mouillage. Notre gravure, qui représente le port d’Oubatche, donne une juste idée de la magnificence des rivages de la Nouvelle-Calédonie, où des coteaux riants et luxuriants encadrent de véritables oasis de verdure.
Nouvelle-Calédonie. — Port d’Oubatche, au cap Colnet.

Les ressources minérales sont d’une richesse prodigieuse. Ce sont : le grès, la pierre calcaire, les marbres gris, roses, blancs ou verts, l’ardoise, souvent d’assez mauvaise qualité, l’argile commune, dont on fait à Nouméa des briques et des tuiles, le kaolin, le fer qu’on ne pourra malheureusement songer de longtemps à exploiter, à cause du bon marché des fers travaillés de l’Australie et la tourbe extraite en abondance des marais de la côte. Des affleurements considérables de houille ont été découverts dans le voisinage de Nouméa, mais le charbon qu’on en extrait, peu chargé de bitume, semble être d’une qualité inférieure. C’est l’exploitation de l’or qui a donné jusqu’ici les plus beaux résultats. En 1871, dans une salle du musée de Nouméa étaient exposés deux énormes morceaux d’or amalgamé d’une valeur de 17 000 francs, et à la même époque l’or du Diahot valait, à SidneY 90 francs l’once. Au reste, dans toute la partie septentrionale de la colonie, dans l’île de Palm, on trouve presque partout des terrains aurifères et l’on exploite aujourd’hui les carrières de quartz aurifère de Maughine.

Cependant ce n’est pas dans l’exploitation des mines, si nombreuses et si riches qu’elles soient, que le colon trouvera le revenu le plus sûr et le plus rapide. En effet, la nature prodigue de ses dons, a gratifié cette terre vierge d’une fécondité que vient encore développer son climat exceptionnel.

Le blanc n’a pas à subir d’acclimatement dans ce pays d’une salubrité extraordinaire, et malgré le grand nombre de marais que l’on a déjà commencé d’utiliser pour la culture, les fièvres paludéennes sont rares et l’on n’a jamais signalé parmi nos travailleurs ni dyssenterie, ni maladie de foie, ni coliques sèches, fléaux habituels de ces climats. La chaleur modérée varie entre ces deux points extrêmes, 15 et 30 degrés centigrades. Le seul inconvénient du pays, c’est la multitude des moustiques, dont on ne parvient à se débarrasser qu’en s’entourant d’épais nuages de fumée. L’année se partage en deux saisons : l’hivernage, saison des pluies et des grandes chaleurs, et la saison sèche et fraîche. À certaines périodes de l’année, d’immenses cyclones s’abattent sur l’île ; ces trombes de vent et de pluie brisent et emportent tout sur leur passage ; les ruisseaux devenus torrents débordent sur les plantations riveraines, les bouleversent, les entraînent au loin ou les recouvrent d’une épaisse couche de sable et de cailloux.

Quoi qu’il en soit, les cultures les plus variées poussent sans effort ; le riz, le maïs, la pomme de terre, la betterave, la patate douce et tous les légumes d’Europe se sont acclimatés facilement. La culture de la vigne paraît également devoir réussir. Le pêcher, le fraisier, l’ananas, l’oranger, le citronnier, le papayer, le pommier cannelle, le mango, le vanillier, le bananier, le cocotier, les piments sont des produits indigènes ou importés qui donnent des fruits excellents. La canne à sucre, l’igname, le taro, le ricin, le niaouli, et le sandal, donnent des rendements toujours plus considérables, ainsi que le coton, dont la culture tend tous les jours à se propager.

Après la description générale du pays, après l’énumération de ses richesses minérales et végétales, il convient de dire quelques mots de la race indigène. Les Néo-Calédoniens, dont l’on évalue généralement le nombre à 50 000, sont fortement constitués. Beaucoup plus noirs que les Polynésiens, ils le sont moins que les nègres ; leur barbe est fournie et leur chevelure épaisse et crépue. Les femmes dans l’extrême jeunesse ont un moment d’éclat, auquel la laideur la plus repoussante ne tarde pas à succéder.

Les guerres de tribu à tribu, causées par la jalousie des chefs ou le besoin de se procurer des prisonniers destinés à être mangés, ainsi que les affections de poitrine auxquels sont sujets les indigènes, le peu de fécondité des femmes, ainsi que l’usage de la polygamie, sont les causes principales du peu de densité de la population. Les naturels possèdent en agriculture des connaissances assez avancées, savent étager leurs cultures sur les flancs des collines et détourner les ruisseaux pour les arroser, mais ils sont d’une telle imprévoyance, qu’à peine faite, la récolte est déjà consommée ; de là ces famines fréquentes pendant lesquelles ils se repaissent d’une sorte de stéatite qui endort l’estomac. Nous n’avons pu jusqu’ici les plier à notre civilisation ; ils viennent bien travailler quelques jours à la fabrication de l’huile de coco, mais ils disparaissent dès qu’ils ont gagné assez d’argent pour acheter une pipe et du tabac.

Le gouvernement, reconnaissant l’insalubrité de la Guyane, a envoyé à la Nouvelle-Calédonie en 1864, un premier convoi de 250 forçats, bientôt suivi de plusieurs autres, qui débarquèrent leur cargaison humaine au pénitencier de l’île de Nou. Depuis cette époque, le nombre des ouvriers de la transportation s’est constamment élevé ; il était, au 31 décembre 1871, de 2735 ; leur sort s’est amélioré en raison de leur bonne conduite et 274 de ces égarés étaient, au 1er janvier 1872, libérés, mais en surveillance.

Nos établissements se sont développés. Nouméa est devenue une ville, où l’eau est malheureusement introuvable ; les bourgs de Nakety, de Kanala, de Kouahoua, de Houagap, d’Hienguene, de Poebo, et de Balade se sont créés, les défrichements et les plantations se sont étendus, le commerce et l’industrie ont pris une certaine activité, que vont sans doute développer les conditions nouvelles d’existence faites à la colonie par la loi du 23 mars 1871, qui affectait à la déportation certaines parties de la Calédonie et quelques-unes de ses dépendances.

Gabriel Marcel.