Traduction par José-Maria de Heredia Voir et modifier les données sur Wikidata.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 68-71).


CHAPITRE IX

Elle part du Potosi vers les Chunchos.


Partis du Potosi vers les Chunchos, nous parvînmes à un village d’Indiens de paix nommé Arzaga, où nous demeurâmes huit jours. Nous prîmes des guides pour la route, ce qui ne nous empêcha pas de nous perdre et de nous voir en grand désarroi sur des roches plates d’où furent précipités cinquante mules chargées de vivres et munitions et douze hommes.

Entrant dans l’intérieur du pays, nous découvrîmes des plaines plantées d’une infinité d’amandiers pareils à ceux d’Espagne, d’oliviers et d’arbres à fruits. Le Gouverneur y voulait faire des semailles pour suppléer à la perte de nos vivres. L’infanterie n’y voulut point entendre, disant que nous n’étions pas venus pour semer, mais pour conquérir et récolter de l’or, et que nous trouverions notre subsistance. Ayant passé outre, le troisième jour, nous découvrîmes une peuplade d’Indiens qui nous reçurent en armes. Nous avançâmes. Sentant l’arquebuse, ils s’enfuirent épouvantés, laissant quelques morts. Nous entrâmes dans le village, sans avoir pu prendre un Indien de qui savoir le chemin.

À la sortie, le mestre de camp don Bartolomé de Alba, fatigué du poids de sa salade, l’ôta pour s’essuyer la sueur. Un endiablé petit gars d’une douzaine d’années, qui s’était perché sur un arbre en face la sortie, lui tira une flèche qui lui entra dans l’œil et le renversa, si grièvement blessé que, le troisième jour, il expira. L’enfant fut mis en pièces.

Entre temps, les Indiens, au nombre de plus de dix mille, avaient réoccupé le village. Nous leur revînmes dessus si furieusement et en fîmes un tel carnage, qu’un ruisseau de sang gros comme une rivière coulait au bas de la place. Nous menâmes la poursuite et tuerie jusqu’au delà du rio Dorado. Là, le Gouverneur commanda la retraite. Nous obéîmes de mauvaise grâce. Quelques-uns avaient recueilli dans les cases de l’endroit plus de soixante mille pesos de poudre d’or. Sur les bords du fleuve, d’autres en trouvèrent quantité et en emplirent leurs chapeaux. Nous apprîmes depuis que les basses eaux en laissent ordinairement plus de trois doigts. C’est pourquoi nous demandâmes au Gouverneur licence de conquérir cette terre et comme, pour raisons à lui, il ne l’octroya pas, plusieurs soldats, entre autres moi, s’échappant nuitamment, prirent le large. Parvenus en terre chrétienne, nous tirâmes chacun de notre bord. Moi, je gagnai Cenhiago et, de là, la province de las Charcas, avec quelques pauvres réaux que, petit à petit et bien vite, je perdis.