La Napoléone (ode)


LA NAPOLÉONE.



 
 Que le vulgaire s’humilie
Sur les parvis dorés du palais de Sylla,
 Au-devant du char de Tullie,
Sous le sceptre de Claude et de Caligula !
Ils régnèrent en dieux sur la foule tremblante :
 Leur domination sanglante
 Accabla le monde avili ;
Mais les siècles vengeurs ont maudit leur mémoire,
Et ce n’est qu’en léguant des forfaits à l’histoire
 Que leur règne échappe à l’oubli.

Et ce n’est qu’en légu

 Vendue au tyran qui l’opprime,
Qu’une tourbe docile implore le mépris !
 Exempt de la faveur du crime,
Je marche sans contrainte, et n’attends point de prix.
On ne me verra point mendier l’esclavage,
 Et payer d’un coupable hommage,
 Une lâche célébrité.
Quand le peuple gémit sous sa chaîne nouvelle,
Je m’indigne du joug ; et mon âme fidèle
 Respire encore la liberté !


 Il vient cet étranger perfide,
Insolemment s’asseoir au-dessus de nos lois ;
 Lâche héritier du parricide,
Il dispute aux bourreaux la dépouille des rois.
Sycophante vomi des murs d’Alexandrie
 Pour l’opprobre de la patrie
 Et pour le deuil de l’univers,
Nos vaisseaux et nos ports accueillent le transfuge :
De la France abusée il reçoit un refuge ;
 Et la France en reçoit des fers.



 Il est donc vrai ! ta folle audace
Du trône de ton maître ose tenter l’accès !
 Tu règnes : le héros s’efface ;
La liberté se voile et pleure tes succès.
D’un projet trop altier ton âme s’est bercée ;
 Descends de ta pompe insensée ;
 Retourne parmi tes guerriers.
À force de grandeur crois-tu pouvoir t’absoudre ?
Crois-tu mettre ta tête à l’abri de la foudre
 En la cachant sous des lauriers ?



 Quand ton ambitieux délire
Imprimait tant de honte à nos fronts abattus,
 Dans l’ivresse de ton empire,
Rêvais-tu quelquefois le poignard de Brutus ?
Voyais-tu s’élever l’heure de la vengeance,
 Qui vient dissiper ta puissance
 Et les prestiges de ton sort ?
La roche Tarpeïenne est près du Capitole ;
L’abîme est près du trône, et la palme d’Arcole
 S’unit au cyprès de la mort.


 En vain la crainte et la bassesse
D’un immense avenir ont flatté ton orgueil.
 Le tyran meurt ; le charme cesse ;
La Vérité s’arrête au pied de son cercueil.
Debout dans l’avenir, la Justice t’appelle ;
 Ta vie apparaît devant elle,
 Veuve de ses illusions.
Les cris des opprimés tonnent sur ta poussière,
Et ton nom est voué par la nature entière
 À la haine des nations.



 En vain au char de la victoire
D’un bras triomphateur tu fixas le destin ;
 Le temps s’envole avec ta gloire,
Et dévore en fuyant ton règne d’un matin.
Hier j’ai vu le cèdre. Il est couché dans l’herbe.
 Devant une idole superbe
 Le monde est las d’être enchaîné.
Avant que tes égaux deviennent tes esclaves,
Il faut, Napoléon, que l’élite des braves
 Monte à l’échafaud de Sidnei.