La Mystification fatale/Première Partie/X


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 28-35).
§ X. — Prétendu Symbole de Léon III, érection des écussons d’argent.


Je passe au prétendu symbole attribué à Léon III. Si Léon avait adressé une telle déclaration à Charlemagne, quel besoin aurait-il eu de convoquer un concile à Aquisgrane pour examiner cette question, et par suite d’envoyer à Léon III une mission de trois théologiens, présidée par l’abbé Smaragdus, pour gagner son consentement à la double procession ? Les actes de ce concile, que divers historiens ont considéré comme un des conciles les plus importants célébrés dans les Gaules, ont disparu, pendant que d’autres d’une importance bien inférieure ont été soigneusement conservés. Il paraît que les arguments et les preuves des opposants au Filioque ont été bien forts, c’est pourquoi on a détruit ces actes. C’est ce qui est aussi arrivé aux actes du concile de Gentilly, dont nous parlerons à l’appendice C ; comme l’on a fait en mutilant la réponse d’Adrien à Charlemagne, comme l’on a fait des lettres de Jean VIII, ainsi que nous le prouverons dans la suite. (Voir in-extenso l’ouvrage de Théophane, Tractatus de processione Spiritus Sancti, ou sa traduction en grec dans le Ελεγχων, τομ. Β. σελ. 83.)

Je ne puis pas rapporter ici les détails de la conférence qui eut lieu entre Léon et ces délégués de Charlemagne, qui tâchaient de toutes façons de l’amener à approuver leurs opinions. On peut les retrouver dans presque toutes les collections des conciles, notamment dans celle de Labbe (ad. an. 809, tom. VII, pag. 1194 et seq.). Le résultat définitif fut que Léon désapprouva, l’insertion du Filioque dans le symbole de la foi, et qu’il recommanda fortement de l’extirper. Sur la demande des délégués, de quelle manière l’on devait procéder à cette opération, sans exciter de grands mécontentements parmi les Francs, qui en étaient fort entichés, il leur donna le conseil de cesser totalement de chanter ou de réciter le symbole dans l’église du palais de Charlemagne, disant qu’ainsi l’exemple serait suivi des autres églises du royaume. De cette façon l’interpolation tomberait en désuétude, puis s’oublierait avec le temps. Même pour encourager à la pratique de ce conseil, il promit d’en faire de même à Rome, quoique l’interpolation n’y eût point pénétré. Je donne cette dénomination à ce fait, et non celle d’addition dont on use communément. Elle lui aurait convenu si une autorité compétente, un concile œcuménique, avait régulièrement décrété son insertion. Que ce fut à tort ou à raison, c’est une question à part. Mais puisque ceci a été commis et maintenu sans participation, et même contre le jugement des plus grandes autorités ecclésiastiques, celles des églises de Rome et de Constantinople, c’est là le nom qui lui convient. (Voir Ffulkes, Christ. divis. dernier chapitre.)

Après cette tentative de Charlemagne, Léon condamna la double procession,[1] non seulement à cause de l’insertion irrégulière du Filioque dans le symbole, comme veulent le faire entendre ceux qui le préconisent, mais à cause de l’inadmissibilité radicale de ce dogme. Il fit graver, sur deux tables ou écussons d’argent, le symbole décrété à Nicée et à Constantinople, dans son état primitif et immaculé, en grec et en latin. Il y ajouta sur la base ces paroles à jamais mémorables :


HÆC LEO POSUI AMORE ET CAUTELA ORTHODOXÆ FIDEI

ΤΑΔΕ ΛΕΩΝ ΕΘΕΜΗΝ ΔΙ’ ΑΓΑΠΗΝ ΤΕ ΚΑΙ ΠΡΟΦΥΛΑΚΗΝ ΟΡΘΟΔΟΞΟΥ ΠΙΣΤΕΩΣ


« Moi Léon, j’ai fait graver ceci par amour et sauvegarde de la foi orthodoxe. » Il apposa ces boucliers dans l’église de St-Pierre au Vatican, suspendus au dessus du tombeau de St-Paul.

Ce fait, dont la portée est immense, ne supporte aucun doute sur son authenticité. Il est consigné par Anastase le Bibliothécaire, qui fut contemporain de cet événement, dans sa biographie des Papes (chap. 84), et aussi par les trois Pierre. Pierre Abélard dans son opuscule : Sic et Non (chap. IV, édit. Migne, pag. 1336) ; Pierre Lombard, évêque de Paris, dans ses sentences (liv. Ier, distinct. 11, chap. 2), et Pierre Damien, évêque d’Ostie, dans le trente-huitième de ses opuscules, qui traite de la procession du St-Esprit. Au chapitre II celui-ci dit, entre autres choses, que de son temps (vers le milieu du XI siècle) ces boucliers se voyaient encore à cette même place.

Que l’on vienne, à présent, nous parler d’un symbole spécial de Léon, trompetant à tout le monde, et en d’autres lieux encore, l’excellence du Filioque. Ce symbole est, d’après son titre, adressé à toutes les églises d’Orient ; or est-il possible que dans aucune de ces églises on n’ait conservé, au moins, la mémoire de l’envoi d’une telle relique ?[2] On le trouve encore adressé ad Carolum Augustum, avec l’exorde suivant : « Hoc symbolum orthodoxæ fidei, vobis mittimus, ut tam vos quam omnis mundus secundum Romanam sanctam catholicam ecclesiam, rectam et inviolabilem teneatis fidem. » La jactance même de ces expressions en décèle la forgerie. Est-il possible que Léon III s’exprimât de cette façon, lui qui dans les discussions qu’il avait eues, avec les légats de Charlemagne, avait parlé avec tant de réserve et de circonspection ? Ce prétendu symbole, se trouve en flagrante contradiction, avec la relation des discussions laissées par l’abbé Smaragdus, chef de cette mission, et la conclusion qui s’en suivit, outre le monument de l’érection de ces boucliers qui couronne cette œuvre ; chose bien authentique. Et néanmoins j’ai rencontré diverses fois la citation de ce symbole comme quelque chose d’authentique et de sérieux.

Fleury, dans le chap. 48 du liv. 45 de son histoire, parle de cette mission d’après la relation d’Éginard, chapelain et biographe de Charlemagne, et ne dit rien d’un tel symbole : « Au mois de novembre, dit-il, de l’année 809, Charlemagne tint un concile à Aix-la-Chapelle, où l’on traita la question à savoir si le St-Esprit procède du Fils comme du Père, question qui avait été premièrement agitée à Jérusalem, par un moine nommé Jean. Pour la décider l’Empereur envoya à Rome etc. » On présume que ce moine ne devait être autre que St-Jean Damascène, qui fit des remontrances à ces moines occidentaux, pour cette nouveauté de l’addition. Le plus probable est, que ces moines doivent avoir écrit aux théologiens des Gaules, et par leur intermédiaire à Charlemagne, sur cet accident ; ce qui avec d’autres motifs qu’il serait trop long de rapporter ici, motiva le concile d’Aquisgrane, dont nous avons déjà parlé.

Quant à ce pseudo-symbole de Léon, et à tout ce qui regarde la correspondance de ces moines avec Léon, cela ne peut être que comme à l’ordinaire une forgerie des temps postérieurs, pour étouffer dans la conscience des Occidentaux, ce qui regardait le résultat de cette mission. Elle aboutit à tout le contraire de ce que Charlemagne et ses acolytes pouvaient en espérer.

  1. Cette condamnation prononcée par Léon III a fait tellement d’impression sur l’esprit de Canisius, dont nous avons parlé plus haut, qu’il a pensé que si Alcuin a qualifié l’addition du Filioque d’hérésie espagnole, il ne faisait en cela que se conformer à la décision de Léon III. Le bon Canisius péchait par anachronisme, puisque Alcuin mourut en 804 et que Léon prononça la condamnation de cette édition en 809. (Zernicav., tom. I, p. 410.) Peu nous importe l’anachronisme, mais la considération qui en découle nous suffit pour montrer la grande portée que Canisius attribuait à cette réprobation de Léon.
  2. Voici le texte de ce symbole tel qu’il se trouve dans les Épîtres de St-Léon, de la collection Migne :
    « SYMBOLUM ORTHODOXAE FIDEI LEONIS PAPAE

    « Leo episcopus, servus servorum Dei, omnibus orientalibus Ecclesiis.

    « Hoc symbolum orthodoxae fidei vobis mittimus, ut tam vos quam omnis mundus secundum Romanam sanctam catholicam et apostolicam Ecclesiam rectam et inviolatam teneatis fidem. Credimus sanctam Trinitatem, id est, Patrem, Filium, et Spiritum sanctum, unum Deum omnipotentem, unius substantiae, unius essentiae, unius potestatis, creatorem omnium creaturarum, a quo omnia, per quem omnia, in quo omnia : Patrem a seipso, non ab alio ; Filium a Patre genitum, Deum verum de Deo vero, lumen verum de lumine vero, non tamen duo lumina, sed unum lumen ; Spiritum sanctum a Patre et a Filio aequaliter procedentem, consubstantialem, coaeternum Patri et Filio. Pater plenus Deus in se, Filius plenus Deus a Patre genitus, Spiritus sanctus plenus Deus a Patre et Filio procedens. Non tamen tres Deos dicimus, sed unum Deum omnipotentem, aeternum, invisibilem, incommutabilem, qui totus est ubique praesens, non per partes divisus, sed totus iu omnibus, non localiter, sed personaliter, qui sine commutatione sui mutabilia creavit et creata gubernat, semper manens id quod est, cui nihil accidens esse poterit, quia simplici divinitatis naturae nihil addi vel minui potest, quia semper quod est, cui semper primum est, cui sempiternum est, cui idem est esse, vivere, et intelligere. Et haec tria unus Deus. Haec tria idem Deus et Dominus, vera et sempiterna trinitas in personis, vera et sempiterna unitas in substantia, quia una est substantia Pater et Filius et Spiritus sanctus. Haec vero sancta Trinitas nihil est in tribus personis simul nominatis quam in una qualibet persona semel dicta, quoniam unaquaeque persona plena est substantia in se, non tamen tres substantiae, sed unus Deus, una substantia, una essentia, una aeternitas, una magnitudo, una bonitas, Pater et Filius et Spiritus sanctus. Nec aliud est Pater in natura quam Filius vel Spiritus sanctus, nec aliud Filius et Spiritus sanctus quam Pater in natura, quibus est una natura. Sed alius est Pater in persona, alius Filius in persona, alius Spiritus sanctus in persona. In Patre aeternitas, in Filio aequalitas, in Spiritu sancto aeternitatis aequalitatisque connexio. Unum omnes in substantia et essentia, omnipotentia, et divinitate. Sicut enim eadem sancta Trinitas inseparabilis est in substantia, ita inseparabilis est in operibus, quamvis opera Dei quibusdam personis specialiter conveniant, sicut Patri vox illa quae de coelo sonuit super Christum baptizatum, et ad Filii personam humanitatis tantummodo pertinet susceptio, et Spiritus sancti personae proprie congruit illa columba, in cuius specie idem Spiritus sanctus descendit super eundem Filium secundum hominem baptizatum. Tamen absque omni dubitatione illam vocem et illam columbam in Christi humanitatem tota sancta Trinitas operata est, cuius opera inseparabilia sunt. Credimus eumdem Filium Dei Verbum aeternaliter natum de Patre, consubstantialem Patri per omnia, temporaliter natum de Spiritu sancto et Maria Virgine, duas habentem nativitates, unam ex Patre aeternam, alteram ex matre temporalem ; qui etiam Filius Dei, suae carnis conceptione conceptus est et suae carnis nativitate natus. Deum verum confitemur conceptum et Deum verum natum, eumdem verum Deum verum hominem unum Christum Filium Dei unigenitum, per primum et perfectum in duabus naturis in unius personae singularitate impassibilem et passibilem, mortalem atque immortalem, crucifixum in infirmitate nostra, eumdemque semper viventem in virtute sua, qui mortuus est carnis suae morte et sepultus, atque ab inferis, damnato et spoliato principe totius iniquitatis, rediens tertia die resurrexit, atque cum triumpho gloriae videntibus discipulis coelum ascendit, sedens in dextera Patris, id est, maiestate divinitatis, inde iam venturus iudicare vivos et mortuos, quem impii iudicantem videbunt in ea forma qua crucifixus est, non in ea humilitato qua iniuste iudicatus est, sed in ea claritate qua iuste iudicaturus est mundum ; cuius maiestatis visio aeterna est omnium sanctorum beatitudo. Qui secundum hanc fidem rectam non crediderit, hunc damnat sancta, catholica et apostolica Ecclesia, quae fundata est ab ipso Jesu Christo Domino nostro, cui est gloria in saecula. Amen.