La Mystification fatale/Deuxième Partie/IX


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 148-154).
§ IX. — Lettre de Photius à Michel. — VII concile de Constantinople.


Par suite du beau principe enseigné par Allatius et par Beccus son maître, le jésuite François Turrianus orne, lui aussi, du Filioque, la traduction qu’il a faite de la lettre de Photius à Michel roi des Bulgares, lettre où est cité le symbole de Constantinople. M. Laemmer avoue la falsification[1] et l’approuve en y ajoutant que Turrianus a agi de cette façon par privilège de traducteur interpretis munere, afin d’orner le symbole de l’addition qui lui est due ut symbolum debito augmento ornaret. Et cet ornement, on vous le présente comme fourni par la main même de Photius ! Et pourquoi pas ? Cichovius, ce menteur émérite, dont nous avons parlé déjà à diverses reprises, nous assure, dans la deuxième et dans la dernière de ses Quæstiones (pag. 24), que dans le concile qui déposa Photius, le symbole fut lu avec l’addition et que Photius lui-même, qui s’y trouvait présent n’eut rien à y opposer. Il y ajoute que cela est rapporté dans les actes du concile de Florence, publiés dans la Collection de Conciles. Zernicavius qui rapporte cette bourde de Cichovius, (vol. II, pag. 438) lui donne le démenti le plus formel, et démontre que dans aucun de ces actes composés, soit par les Grecs, soit par les Latins, il n’est fait la moindre mention d’un tel évènement. Et cependant, combien de fois n’ai-je pas rencontré ce mensonge solennel répété avec l’aplomb le plus parfait ! M. Henri Wast, par exemple, dans son ouvrage, « Le Cardinal Bessarion » vous dit en parlant du concile de Ferrare : « Les discussions sur le Saint-Esprit vinrent plus tard. Tous les Pères latins et grecs étaient d’accord pour soutenir que le Père est la cause du Fils par génération, du Saint-Esprit par procession, que ces trois personnes se confondent en une seule et même substance divine. Mais fallait-il admettre que le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils ? Les Latins le soutenaient, ainsi que beaucoup de Grecs ; ils s’appuyaient sur cet argument tiré de saint Basile et qui a été bien des fois invoqué dans toute la discussion : Tout ce qu’a le Père, le Fils l’a aussi, excepté une chose, que le Fils n’est pas le Père. On doit par conséquent attribuer au Fils tout ce que l’on attribue au Père, cela seul excepté. Si donc l’Esprit-Saint procède du Père, il procède aussi du Fils. Beaucoup de Grecs, au contraire, prétendaient que faire procéder l’Esprit-Saint du Père et du Fils, c’était lui attribuer deux causes différentes et par suite détruire l’unité absolue de la substance divine. Vers l’époque du schisme de Photius, l’Église latine admettait généralement que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; et le huitième concile œcuménique, celui de Constantinople, en 869, se décida solennellement et prononça l’addition du Filioque au Symbole. Mais ce concile est précisément celui qui déposa Photius et qui rétablit le patriarche Ignace sur son siége de Constantinople. Les Grecs ont donc refusé d’admettre la légitimité de ce concile, et depuis cette époque ils ont combattu énergiquement l’addition qu’il avait prescrite. » Où M. Wast est-il allé pêcher cette baliverne ? Il ne le dit pas ; probablement dans Cichovius ou dans quelque auteur qui s’en rapporte à lui. Si M. Wast s’était donné la peine de lire à ce sujet non les ouvrages des schismatiques, mais l’histoire ecclésiastique de Fleury, il aurait vu que rien de pareil ne se trouve dans la définition de foi lue par Cyprien évêque de Claudiopolis et Métrophane évêque de Smyrne[2]. Au contraire, il aurait vu que dans le concile qui réinstalla Photius en 870, le symbole fut lu sans l’addition en présence des légats du pape Jean VIII, ainsi que nous l’avons rapporté dans la première partie de cet ouvrage. Plusieurs endroits du livre de M. Wast sont à l’avenant en ce qui regarde les appréciations dogmatiques, ce qui n’ôte pourtant rien à sa valeur pour la richesse des informations historiques, — sauf encore l’appréciation des faits qui y sont rapportés.

Je passerai sous silence les falsifications commises par traduction : dans la version latine de la lettre de l’empereur Léon au Calife Omar, dans le Manuel du droit gréco-romain d’Arménopoulos, dans le Trésor de la Foi Orthodoxe de Nicétas Choniatès, car elles sont avouées par Allatius et par M. Laemmer[3]. Je passerai, également sous silence les falsifications commises dans les écrits de Gennadius Scholarius patriarche de Constantinople, M. Laemmer lui-même avoue qu’elles ont été commises dans les versions latines et non dans les textes grecs[4]. D’ailleurs, ajoute-t-il, ces altérations ne contiennent rien qui ne soit d’accord avec les doctrines professées sur la procession du Saint-Esprit, dans d’autres ouvrages de même Gennadius. Pour comprendre ce passage on doit savoir que les faussaires papistes ont fabriqué différents écrits qu’ils ont attribués à divers Orientaux — et en particulier à Gennadius — pour les faire passer comme adhérents aux dogmes professés par les Latins. Cette fourberie a été démasquée par divers auteurs grecs, latins et protestants, que cite Zernicavius dans une note très-étendue. Cette note, M. Laemmer l’a lue, aussi bien que celle de Théophane qu’il rapporte au bas de la même page, et néanmoins, comme nous venons de le montrer, il a eu le courage de présenter, dans son volume, ces écrits apocryphes, comme des œuvres authentiques.

Mais supposons même, pour un instant, que ces écrits, où est professée la procession dyadique, soient authentiques et que les passages en question soient immaculés, pourquoi falsifier les autres où la double procession ne figure point ? Dans le paragraphe où il traite du triple cas d’Arménopoulos, de Nicétas Choniatès et de saint Jean Damascène, M. Laemmer nous prêche : « que les gens prudents attachés à la religion catholique ont toujours détesté ces fraudes ; car, dit-il, la vraie religion se soutient par la vérité et non par des faussetés et des fourberies. Religio namque vera veritate, non falsitate et dolis, firmatur. »

…Dans cet aveu dépouillé d’artifice,

J’aime à voir que du moins vous vous rendez justice.


  1. XVIII. Porro Sernikavius eiusque epitomator fingunt etiam Photii ad Michaelem Bulgarorum Regem epistolam ab Occidentalibus esse falsificatam idque in crimen summae vertunt impudentiae. Ast mera haec est schismaticorum calumnia. Res enim ita se habet. Ven. Canisius Tomo V part. 1 Antiquarum Lectionum epistolam illam Photii, in qua Symbolum Constantinopolitanum continetur, imprimi curavit. Pro latina autem versione Schedis usus est Francisci Turriani, qui haud immemor definitionum Concilii VII generalis act. 7 interpretis munere ita voluit fungi, ut symbolum debito ornaret augmento. Canisius vero optime τὸ Filioque non prorsus ex textu eiiciendum esse censuit, sed diverso a reliquis verbis charactere sic notavit, ut cuivis palam fiat lectori, additamentum illud non a Photio esse profectum.
  2. Après les canons, on publia la définition du concile : deux métropolitains, Metrophane de Smyrne et Cyprien de Claudiopolis en firent la lecture en même tems, l’un au haut, l’autre au bas de l’assemblée. C’est un long discours, qui contient premièrement, une ample confession de foi, avec anathême contre les heretiques, particulierement les Monothélites, entre lesquels le pape Honorius n’est pas oublié ; et contre les Iconoclastes. On approuve les sept conciles generaux, ausquels on joint celui-ci comme le huitieme ; et on confirme la condamnation prononcée contre Photius par le pape Nicolas, et par le pape Adrien. Ensuite l’empereur Basile demanda si tous les évêques étoient d’accord de cette definition. Le concile témoigna son consentement par plusieurs acclamations. Ajoûtant les louanges de l’empereur, des deux papes et des patriarches : avec des anathêmes contre Photius, Grégoire et Eulampius. (Hist. Ecclés. de Fleury, édit. 1742, liw. LI, ch. 46).
  3. XIX. Quoad Leonem Sapientem, qui in Orationibus suis principia de processione Spiritus theologica se prodit ignorare vel perperam intelligere, eum nec volumus nec possumus dealbare. Quare in versione Epistolae ipsius ad Omarum Saracenum latina, loco, „ex quibus“ scribendum fuisset, „ex quo“.

    XX. XXI. XXII. Quantum attinet ad Constantinum Harmenopulum et Nicetam Choniatem, horum quidem ex Operibus Sernikavius et Procopowicz triadem excerpserunt corruptelarum, quas tamen princeps indagavit ac notavit Leo Allatius sic disserens : “Constantinus Harmenopulus, erroris huiusce (schismatici) propugnator, fidem quam ipse profitebatur, emittens, de Spiritu Sancto verba faciens, dicit illum ex Patre procedere. Francofurtenses tamen Typographi anno 1566, sive qui illud opusculum de Haeresibus in linguam Latinam convertit, non in interpretatione modo, sed in Graeco etiam contextu, Filioque posuit. Sic a. 1528 Basileae in officina Petri Pernae, tum in Graeco, tum in Latino textu, tantummodo ex Patre editum est.

    In Thesauro orthodoxae Fidei Nicetae lib. II cap. XXXIV, Petrus Morellus Interpres, dum Nicetae verba de processione Spiritus Sancti in Latinum vertit, ex suo addit „et Filii“, licet per parenthesin, cum auctor scripsisset, „Procedit ex ipsa Patris essentia non genitus, sed procedens“ ; quod verisimilius videbitur e toties repetita Interpretis additione : cap. XXXV „Credimus in Spiritum S., qui ex Patre (Filioque) procedit.“ Et infra : „Patri et Filio per omnia similis, qui ex Patre (Filioque) procedit.“ Et haec quidem tolerabilia sunt, cum parenthesi inclusa, de suo esse addita, lector possit suspicari : illud vero quis ferret in eodem capite, ubi vertens illa Damasceni, το δε πνευμα το αγιον και εκ του πατρος λεγομεν, και πνευμα πατρος ονομαζομεν, ita ausus est interpretari : „Hunc vero ex Patre quoque et Filio, et Patris Spiritum nominamus ;“ et illa ex Capite XVIII lib. 1 θεος και το πνευμα αγιον εστι δυναμις αγιαστικη ενυποστατος εν του πατροςαδιαστατως εκπορευομενη, και εν υιω αναπαυομενη, sic, vertit, an pervertit ? „Deus denique Spiritus Sanctus, virtus sanctificans, quae per se subsistit, a Patre et Filio procedit, et in Filio conquiescit.“ Id prudentissimi quique, et catholicae religioni addictissimi, semper detestari sunt. Religio namque vera, veritate, non falsitate et dolis, firmatur.“

  4. XXIII. XXIV. XXV. Qui superest Gennadius Patriarcha Constantinopolitanus, istius Dialogum Sernikavius opinatur mire ac varie a falsariis laceratum et quasi in equuleo fuisse. Assertio haec tam inaudita quam mendax est et ex studio vindicandi Gennadium tanquam schismatis advocatum profluxit. Ipse Gottingensis libri Theophanis editor, caeteroquin Russis amicissimus, non potest quin confiteatur : „Quas variationes inter conferendum observavi, eae omnes, non quidem in graeco textu, qui in omnibus editionibus ne tantillum quidem a se dissidet, sed in versionibus tantum Latinis occurrunt.“ Versiones autem Latinae nihil prorsus continent, quod non sit adaptatum genuinis placitis eius, qui Apologiam quinque capitum seu articulorum Definitionis fidei in Synodo Florentina editae conscripsit.